Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur la proposition de loi relative à la prestation compensatoire en matière de divorce, à l'Assemblée nationale le 24 mai 2000.

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Circonstance : Discussion en 2e lecture d'une proposition de loi relative à la prestation compensatoire en matière de divorce, à l'Assemblée nationale, le 24 mai 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
La proposition de loi relative à la prestation compensatoire revient aujourd'hui devant vous.
Je constate avec satisfaction que les principes dégagés par la réforme font l'unanimité entre les deux chambres.
Je sais la part prise par votre rapporteur; Alain VIDALIES, dans cette réussite et veux l'en remercier.
Je ne peux que me réjouir d'un tel consensus qui montre que les questions relatives au droit de la famille peuvent transcender les clivages partisans. Je suis persuadée qu'à l'issue de cette lecture, un accord en CMP permettra une adoption rapide de ce texte.
La proposition de loi traduit le souci de trouver un équilibre entre les droits des débiteurs et ceux des créanciers, principalement des femmes, qui ne doivent pas, par l'effet d'une réforme trop radicale, se retrouver démunies et lésées.
Il ne faudrait pas que par un mouvement de balancier brutal, une nouvelle injustice succède à celle qui nous existe aujourd'hui, et dont témoignent de nombreux courriers, qui sont autant de reflets de situations humaines et familiales douloureuses, voire dramatiques.
Cet équilibre se traduit par quelques principes forts dont je voudrais rappeler l'économie.
En premier lieu, la quasi impossibilité de réviser les rentes est désormais levée. Les rentes, qu'elles soient antérieures ou postérieures à l'entrée en vigueur de la loi, pourront être révisées en cas de changement important dans les ressources ou les besoins des parties.
Ainsi, concrètement la mise à la retraite, des situations telles que le chômage du débiteur ou l'amélioration substantielle de la situation du créancier ne seront plus ignorées par le droit.
Les blocages nés de l'application de la loi seront ainsi levés.
Deux facteurs de souplesse supplémentaires ont été introduits par le Sénat. D'une part, est prévue la possibilité d'une suspension temporaire du versement de la rente ; d'autre part, la révision peut conduire à une modulation des versements par périodes successives dans la limite de l'enveloppe globale initialement fixée.
Votre commission des lois reprend ce mécanisme qui me paraît en effet intéressant.
Le deuxième axe fondamental réside dans la prééminence conférée au versement en capital. La proposition de loi comporte à cet égard des mesures pragmatiques et précises.
Comme je m'y étais engagée devant vous lors de la première lecture, le gouvernement a proposé au Sénat un accompagnement fiscal destiné à rendre attractif le paiement en capital tout en tenant compte des modalités de versement de celui-ci que vous avez adoptés en première lecture.
La Haute Assemblée s'est rallié au mécanisme proposé par le Gouvernement . Sont désormais prévus deux régimes fiscaux distincts en fonction de l'échelonnement des paiements.
Lorsque ceux-ci seront effectués sur une durée inférieure à douze mois, le débiteur bénéficiera d'une réduction d'impôt pouvant aller jusqu'à 50 000 francs.
Si ces versements sont étalés entre douze mois et huit ans, ils seront pris en compte dans l'imposition sur le revenu des parties : déduits intégralement des revenus du débiteur, ils seront déclarés par le créancier.
Votre commission des lois adhère à ce dispositif qui s'inscrit pleinement dans la philosophie qui a animé vos travaux.
Troisième avancée essentielle de la proposition, la limitation drastique des rentes viagères. Elles sont assurément la cause principale du malaise actuel.
Le caractère exceptionnel du recours aux rentes est affirmé en prévoyant expressément qu'elles sont subordonnées à l'impossibilité pour le créancier, en raison de sa situation personnelle, de subvenir à ses besoins. Je crois que cette précision est judicieuse et je constate que votre commission des lois partage cette opinion, suivant ainsi le Sénat.
Reste un dernier point d'équilibre touchant à la transmissibilité de la prestation compensatoire aux héritiers du débiteur.
Je sais que c'est une question sensible.
Certains souhaitent que le versement de la prestation cesse définitivement au décès du débiteur. Les débats que nous avons eus ont mis en lumière des situations insupportables.
Mais il serait tout aussi inadmissible de laisser brutalement le créancier sans ressource parce que la rente qu'il percevrait constituerait sa seule source de revenu.
Je crois que le texte tel que vous l'abordez aujourd'hui est parvenu à concilier les intérêts contradictoires des deux parties. Conformément au droit commun des successions, le principe de la transmissibilité de la prestation, comme de toute dette, est maintenu.
Les héritiers du débiteur auront la possibilité de demander la révision de la prestation lorsque le décès de leur auteur entraînera une modification importante des situations en présence.
En outre, la pension de réversion éventuellement perçue par le créancier viendra en déduction de la rente qu'il perçoit.
A cet égard, votre commission des lois s'est interrogée sur la différence de régime entre les rentes qui seront attribuées après l'entrée en vigueur de la loi, pour lesquelles la déduction sera automatique, et celles qui lui sont antérieures.
Pour ces dernières, il est apparu difficile au gouvernement de transposer la même solution qui, par son caractère abrupt, aurait eu pour conséquence de remettre en cause des droits acquis alors que la prestation compensatoire a pu être fixée en tenant compte de la pension de réversion.
C'est pourquoi j'ai déposé en première lecture un amendement, que vous avez voté, laissant au juge le soin d'apprécier, à la demande des héritiers du débiteur, l'opportunité de procéder à une éventuelle déduction de cette pension.
Il est vrai qu'une autre solution aurait pu se concevoir, qui, inversant le mécanisme, aurait retenu une déduction automatique, sauf au créancier à saisir le juge.
Je sais que votre commission des lois était tentée de s'orienter en ce sens, mais la mise en uvre technique de cette voie aurait soulevé des difficultés, dans la mesure où le créancier peut être dans l'ignorance de la détermination des héritiers à assigner.
Aussi je crois plus prudent de maintenir le texte en l'état et je remercie la commission des lois et son rapporteur de s'être ralliés à ce point de vue.
Tels sont les aspects essentiels d'une réforme que je crois profondément de nature à répondre aux difficultés actuelles.
Au cours des navettes successives, le texte s'est enrichi. Les amendements d'ordre technique proposés par votre commission des lois amélioreront encore la lisibilité d'ensemble du dispositif et je pense que nous pouvons tous être satisfaits du travail accompli.

(source http://www.justice.gouv.fr, le 5 juin 2000)