Texte intégral
Mesdames,
Messieurs,
Mon propos va peut-être vous surprendre, mais j'ai toujours eu une grande ambition pour l'Europe. Je me considère en tout cas comme beaucoup plus ambitieux que les Européistes pour qui la construction européenne n'est qu'une perpétuelle fuite en avant dans le " mécano institutionnel ", plaçant chaque fois les peuples devant le fait accompli. D'où l'impasse que tout le monde aujourd'hui reconnaît.
Mon ambition, c'est de décupler les forces de l'Europe, en faisant que les peuples la rejoignent, en faisant que les peuples s'en emparent. L'irruption de la démocratie en Europe, quelle idée neuve ce serait et quelle force propulsive serait alors à l'oeuvre ! Elle fera son entrée avec les nations, car pour longtemps encore, la démocratie se forgera dans le cadre des nations.
I - Mon projet, c'est d'insuffler de la démocratie dans l'Europe, de refonder l'Europe par la démocratie.
Oui, le moment est venu, si l'on veut aller de l'avant, d'insuffler de la démocratie dans l'Europe, de mobiliser les imaginations politiques nationales dans un débat européen qui serait la clé de la réussite. C'est le seul moyen d'asseoir définitivement l'idée européenne dans la conscience des peuples : sinon existera toujours le risque d'éclatement en cas de crise grave.
On ne pourra pas construire, dans l'avenir, une Europe démocratique solide sans avoir préalablement constitué en Europe un espace public de débat. C'est ce préalable sur lequel a justement insisté le philosophe allemand Jürgen Habermas. Dès lors, n'est-ce pas d'abord sur l'organisation politique de l'Europe, au moment où elle est à la croisée des chemins, que le débat devrait avoir lieu devant nos vingt-cinq peuples ?
Un nouveau Traité pour l'Europe
C'est d'un nouveau traité, d'un traité unique, et non d'une Constitution dont l'Europe a besoin. Je voudrais le dire solennellement au moment où se met en place, sous la présidence de M. Giscard d'Estaing, la Convention hétéroclite et irresponsable voulue par le Conseil européen de Laeken. Comment pourrait-on faire de la Constitution française une norme subordonnée, voilà ce que Jacques Chirac et Lionel Jospin doivent expliquer au Peuple français. Celui-ci ne se laissera pas dissoudre ; il vaut mieux le dire dès aujourd'hui.
· Sur la méthode :
C'est par un nouveau Traité que doit être clarifié le système institutionnel de l'Union. Il doit être négocié par les instances démocratiquement désignées, légitimes et responsables. Une convention de 105 membres ne peut se substituer au débat de 300 millions d'Européens. La conférence intergouvernementale ne pourra adopter en fin de processus qu'un traité par définition révisable, en aucun cas une Constitution. Car ce sont les peuples qui doivent débattre de ce projet, et le peuple français peut et doit donner l'exemple.
Et ce débat doit être tranché par le peuple. Je m'engage, si je suis élu Président de la République, à soumettre par référendum le texte du traité au peuple français souverain.
Monsieur Chirac a proposé hier l'élection d'un Président de l'Union européenne.
Mais il ne nous dit rien de la manière dont s'articuleraient les pouvoirs de ce président européen et du Président de la République française, ni sur la manière dont il compte organiser ainsi l'effacement des institutions de la Vème République, dont il est pourtant le gardien. Il ne nous dit rien sur la manière dont, en Europe, la ou les minorités se plieraient à la loi d'une majorité. Elire un Président avant que n'existe l'espace public commun de débat, c'est mettre la charrue avant les boeufs ; c'est une faute contre la démocratie réduite alors au gadget. Et c'est une faute contre la France.
La dignité du débat politique, comme l'intérêt vrai de l'Europe, souffre de ces assauts de démagogie qui ne préparent nullement l'avenir.
Je propose au contraire de traiter un à un les problèmes institutionnels qui se posent.
· Sur le fond, Il faut se concentrer sur le mandat de Nice.
1. La réforme des Institutions :
Je propose d'abord de réaffirmer le rôle du Conseil européen qui doit assumer pleinement son rôle " d'orienteur stratégique ". Il doit donner l'impulsion politique. Il est, si j'ose dire, le pilote dans l'avion.
Le Conseil des Ministres est l'instance décisionnelle, celle des propositions concrètes. Il examine l'ensemble des initiatives qui lui sont soumises dans toutes les matières constitutives des trois piliers.
Face à la Commission, dont les compétences doivent être redéfinies, il faut rendre au Conseil et donc aux Etats le droit de proposition. Le monopole de proposition de la Commission n'a plus de sens : il ne s'agit plus d'uniformiser les réglementations, mais de libérer les énergies en Europe. On ne voit pas pourquoi l'initiative des directives et des règlements, ne serait pas partagée entre la Commission et les Gouvernements, comme l'est sur le plan national l'initiative des lois. Comment la Commission pourrait-elle porter seul un intérêt général européen qui ne serait pas défini, comme c'est le cas dans toutes les démocraties, à travers un débat contradictoire et public ?
Il convient en effet d'organiser par ailleurs la publicité des délibérations et des votes au sein du Conseil européen et des Conseils des ministres quand ils agissent comme législateurs. Ce sera la meilleure manière d'intéresser les citoyens aux enjeux de la construction européenne et de mettre un terme à la pratique généralisée de la défausse. Chacun doit connaître les positions des gouvernements, et ceux-ci doivent répondre de leur attitude devant leur Parlement. C'est le moyen de forger l'espace public commun de débat qui manque encore à l'Europe. Cet espace de débat ne peut se développer dans une opacité qui nourrit l'irresponsabilité. On s'étonnerait presque qu'il ait fallu attendre plus de quarante ans pour que cette proposition que j'ai souvent formulée soit défendue par MM. Blair et Schröder.
La publicité du débat au sein des institutions européennes sera un facteur puissant d'accélération de la prise de conscience de ce que doit être réellement une Europe européenne.
Quant à la Commission, il est curieux que le Traité de Nice ait laissé à son seul président l'organisation de la répartition du travail en son sein. Il convient que le nouveau traité structure la commission autour de quelques grandes directions autonomes et responsables.
2. La réforme du rôle des Parlements nationaux :
Il convient en premier lieu de renforcer le rôle des Parlements nationaux notamment dans l'approbation des directives, et si possible dans leur discussion en amont de la décision du Conseil. Mais, il faut aussi organiser des débats simultanés dans les Parlements des Quinze, qui s'exprimeraient sur les grands sujets propres à passionner l'opinion : le nucléaire, l'effet de serre, le rôle des services publics, les rapports de l'Europe et du Sud-Méditerranée, etc.
Je propose aussi, comme l'a suggéré Tony Bair, de créer une deuxième chambre du Parlement de Strasbourg, émanation des Parlements nationaux.
Cette proposition a déjà rencontré un vif intérêt en Europe.
3. La réforme du principe de subsidiarité :
La clarification et le recentrage des compétences de l'Union permettront de distinguer clairement entre les compétences nationales et les compétences partagées dans l'Union.
Aujourd'hui, l'Union intervient en tout domaine. Son champ de compétences doit être ramené à l'essentiel, étant bien entendu qu'en aucun domaine le contrôle démocratique national ne peut disparaître.
L'Europe " attrape tout " qui s'occupe de tout a atteint ses limites.
L'heure est venue de procéder à un " toilettage général " du droit communautaire, créé par l'accumulation et la sédimentation durant cinquante années d'une masse de directives et de règlements. Les directives tatillonnes sur la chasse, sur les fromages, le saucisson, doivent laisser la place aux grandes politiques. Les peuples d'Europe, le nôtre en particulier, verraient cet exercice de nettoyage, de simplification et de codification avec bonheur.
Pourquoi le refuser ?
4. Modifier les compétences européennes :
Ce nouveau Traité pour l'Europe doit aussi bâtir une nouvelle hiérarchie des compétences européennes. Ce que je souhaite d'abord, c'est une ambition clairement affirmée qui dépasse le principe de libre concurrence qui a jusqu'ici borné l'horizon de la construction européenne.
Aujourd'hui la primauté accordée par les traités eux-mêmes aux dogmes libéraux dessert les intérêts des entreprises européennes ; les Américains en sont les premiers bénéficiaires, ce qui ne les empêche pas de revenir, quand c'est leur intérêt, à un protectionnisme sans complexe comme ont le voit dans l'affaire de l'acier. J'observe par ailleurs qu'aucune proposition de réforme, s'agissant de la politique de concurrence mise en oeuvre par la Commission, n'est venue depuis sept ans, ni de l'Elysée ni de Matignon. Il faut pourtant permettre des regroupements qui, telle la fusion Legrand-Schneider, constitueraient des pôles à échelle mondiale, sans s'arrêter à des considérations d'intérêt local qui sont dépassées à l'heure d'une économie mondialisée.
Les principes de plein emploi ou de cohésion économique et sociale devraient être placés au sommet de la hiérarchie des principes européens. La jurisprudence de la Cour de Luxembourg, qui a jusqu'à présent toujours suivi et développé les principes libéraux posés par les textes, pourrait s'en trouver considérablement infléchie.
En matière de services publics, le dogme de l'ouverture à la concurrence met en cause le concept de service public à la française qui mérite pourtant d'être défendu. C'est pourquoi des clauses dérogatoires seront nécessaires.
II - Le programme économique de l'Europe qui gagne
Il ne faut pas détruire les politiques communes existantes mais aller plus loin pour relever les nouveaux défis.
1. Conforter les politiques qui existent : la PAC et la politique régionale :
J'ai dit à Porto Alegre l'aberration que serait la continuation de la politique d'alignement sur les prix mondiaux agricoles, poursuivie depuis 1992 par l'Union Européenne, sous la pression des Etats-Unis.
Quel paradoxe de voir des européistes déclarés proposer, pour des raisons principalement budgétaires, de mettre fin, ou en tout cas, de réduire fortement la politique agricole commune. Les mêmes proposent de revenir sur la politique d'aménagement du territoire en remettant en cause les fonds structurels.
Je propose au contraire d'affermir ces deux politiques communes en prenant en compte les nouveaux enjeux : sécurité alimentaire - préservation de l'environnement pour l'agriculture qui doit maintenir le modèle européen fondé sur l'exploitation familiale. De même, la cohésion territoriale de l'Europe implique le maintien des fonds structurels au niveau actuel.
L'élargissement a un coût mais il doit être subordonné au respect des acquis communautaires et des normes européennes en matière de droit et de sécurité.
2. Réformer la Banque Centrale Européenne :
Il est urgent de réformer la Banque Centrale Européenne de Francfort si nous voulons sortir de la récession. Que veut dire aujourd'hui lutter contre une inflation qui a disparu et renoncer à soutenir la croissance et l'emploi ! La France, et je le proposerai, doit prendre l'initiative de la réforme du Traité de Maastricht, pour modifier les missions de la banque centrale, afin qu'elle puisse mener une politique monétaire conforme aux intérêts européens, c'est-à- dire au service de la croissance. Il n'est pas normal que les taux d'intérêt fixés par la BCE soient de 3,25% quand ils sont de 1,75% aux Etats-Unis.
3. Un pacte de coordination pour la croissance.
Il faut également transformer le Pacte de stabilité budgétaire, en pacte de coordination pour la croissance pour permettre à l'Europe de bâtir une politique de relance, que les Etats-Unis ne se sont pas privés d'initier bien avant nous à hauteur de 2% de leur PIB. Je demande que soit lancé un programme d'investissements de grande envergure, voulu jadis par Jacques Delors adopté par le Conseil européen d'Essen en 1994, et qui n'a jamais réellement vu le jour depuis lors. Ce programme d'investissements devrait être fixé à 1% du PIB européen, soit 90 milliards d'Euros. Il serait financé par un emprunt multi-émetteur, assurant une solidarité financière entre les Etats membres.
4. Assouplir encore les règles de coopération renforcée :
Le Traité de Nice a entrouvert la porte, mais il met encore une dizaine de conditions au lancement d'une coopération renforcée. Il prévoit également que ces coopérations ne peuvent être engagées qu'en " dernier ressort " et sous le contrôle étroit de la Commission, du Conseil et du Parlement européen.
À mes yeux, les coopérations renforcées sont une direction d'avenir dans une Union européenne à vingt-sept, le moyen de construire une Europe réaliste en réseaux, capable de lever de manière pragmatique les défis de l'avenir. Ces coopérations renforcées s'efforceraient d'inclure autant que possible les cinq grands Etats que sont l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la France et la Grande-Bretagne. Du point de vue de la France il serait souhaitable de renégocier un traité de l'Elysée conclu il y a près de quarante ans dans un tout autre contexte.
Dès mon élection, la France fera à ses partenaires européens six propositions de coopérations renforcées : liaisons ferrées à grande vitesse ou pour le fret ferroviaire et tunnels transfrontaliers ; coopération en Méditerranée et en Afrique ; partenariat avec la Russie ; énergies et sûreté des centrales nucléaires ; mise à niveau par rapport aux Etats-Unis de l'effort européen de recherche et développement technologique ; politique aéronautique et spatiale.
Seule une Europe porteuse de projets peut retrouver l'élan des réalisations menées en commun.
III - Mon ambition culturelle (" L'exception culturelle ") :
C'est pour le monde entier, et singulièrement pour l'Europe tout entière, que nous revendiquons l'exception culturelle. Face à la marchandisation culturelle, face à l'américanisation, l'Europe doit rester source de création, d'innovation et de recherche. Elle doit s'organiser pour promouvoir sa culture, ses musiques, ses littératures, son cinéma, ses arts plastiques partout dans le monde, mais d'abord chez elle.
Renoncer, serait accepter par avance la provincialisation. Quel sort funeste ce serait pour un continent qui a éclairé le monde. L'Europe doit redevenir au XXIème siècle le carrefour de tous les continents avec lesquels elle a noué, tout au long de l'Histoire, des relations profondes.
IV - L'Europe matrice de la pluralité du monde.
Bientôt, la phrase forgée dans les années 50 pour l'Allemagne et le Japon -" des géants économiques, des nains politiques "-, sera-t-elle valable pour l'Union Européenne ?
1. Agir face à l'unilatéralisme et se réinvestir dans les affaires du Monde :
L'Union européenne ne pourra se cacher longtemps encore les problèmes que pose l'unilatéralisme des Etats-Unis dans l'après 11 septembre. Les réactions timides des grands Etats européens au discours du Président Bush sur l'état de l'Union, -saluons ici celle d'Hubert Védrine- montrent que le problème est trop criant désormais pour ne pas être traité.
D'autant que l'unilatéralisme est multiforme et pèse au-delà du politique, sur les relations économiques (Loi Helms-Burton, loi d'Amato, rivalité Boeing-Airbus, taxation de l'acier).
Notre continent doit se réinvestir dans les affaires du monde, accepter de s'élargir à l'Est et de coopérer avec le Sud. Sinon l'effacement de soi, la " vertu " associée à la " futilité ", le politiquement correct pour tout horizon conduiront au provincialisme. On le sait, la Suisse ne veut pas se fondre dans l'Europe. La vraie question est de savoir si l'Europe ne veut pas plutôt se fondre dans la Suisse.
2. Remettre à niveau nos budgets militaires et de recherche :
Jamais l'Europe n'a connu un tel déclin de son effort de défense. Jamais la contradiction avec la hausse continue du budget de la défense américaine n'a été aussi forte. Si les Etats de l'Europe renoncent à se défendre eux-mêmes, alors ils déserteront les affaires du monde. L'effort de défense en France est tombé à 1,96 % du PIB. La loi de programmation de 1996 n'était pas à la hauteur et la professionnalisation s'est faite au détriment des équipements.
Jacques Chirac feint de s'en plaindre, oubliant qu'il n'a jamais, durant sept ans, usé de son autorité de Chef des Armées pour empêcher cet effondrement.
Pour ma part, je propose que la France porte d'ici 2007 le niveau de ses dépenses militaires à 3 % du PIB et je souhaite que les autres nations d'Europe fassent un effort dans la même direction. Sinon il sera vain de parler de défense européenne.
De la même manière, il faut relancer les programmes de développement scientifiques et technologiques tel Eureka. Je proposerai en France une loi de programmation pour la recherche.
3. Réussir l'élargissement qui a trop tardé :
D'autres efforts doivent être accomplis pour élargir l'Union à l'Est. Près de douze ans après la chute du Mur de Berlin, le retard accumulé est considérable. Un effort de mise à niveau s'impose de la part des pays candidats si nous voulons que leur adhésion nécessaire et souhaitable se fasse dans le respect des disciplines arrêtées en commun. Nous devons les y aider.
Si désireux que nous soyons de voir se concrétiser ces adhésions, nous devons rester fermes sur les perspectives financières de l'élargissement, notamment pour l'agriculture et la politique régionale. Nos partenaires les plus attachés à l'élargissement (Allemagne) doivent savoir que son impact le plus fort interviendra sur la production agricole française. Dès lors, le budget devra être ajusté à la hausse pour tenir compte de la production dans l'Europe élargie.
Sur la justice et les affaires intérieures, et dans le contexte de l'après 11 septembre, je souhaite que nous obtenions, avant l'élargissement, des assurances sur l'efficacité des contrôles aux frontières extérieures, la lutte contre le blanchiment et la corruption, ainsi que le fonctionnement des systèmes judiciaires. La coopération des polices doit être renforcée, mais la création d'une police européenne " en coopération avec les polices nationales " pour reprendre les termes de Jacques Chirac serait inopérante ; ce serait une usine à gaz supplémentaire.
Enfin un système de parités stables et ajustables devra être trouvé entre les monnaies des pays d'Europe Centrale et Orientale et l'euro.
4. Ouvrir l'Europe vers le Sud.
L'accentuation dramatique des inégalités entre le Nord et le Sud est l'un des phénomènes les plus graves de ces vingt dernières années. Il n'y aura pas de sécurité pour l'Europe, si elle n'agit pas vigoureusement dans ce domaine.
L'ouverture vers le Sud doit aller de pair avec l'élargissement à l'Est.
Cela implique :
o d'augmenter significativement l'aide publique au développement. Je propose de porter celle-ci, en cinq ans, à l'objectif de 0,7 % du PIB de l'Union europénene;
o je propose également de mener une action d'envergure en faveur de l'effacement de la dette par le biais de sa conversion en investissements productifs.
La France peut et doit jouer un rôle moteur dans la redynamisation du processus euro-méditerranéen..
Le processus de Barcelone doit être considérablement amplifié. L'approche limitée aux accords de libre-échange et aux protocoles financiers n'est plus de saison. Il est bien de l'élargir au dialogue politique tourné vers la Paix et la stabilité. Le dialogue social doit promouvoir aussi la formation, la réforme des systèmes éducatifs et sociaux, la santé, le soutien à la participation des femmes au développement économique, etc. La dimension culturelle du partenariat favorisera le " dialogue des civilisations " qu'il appartient à l'Europe de nourrir pour faire reculer le spectre de la guerre et du " choc des civilisations " à nouveau à l'horizon du siècle qui commence.
Enfin, il faut assurer la protection des relations privilégiées entre l'Europe et les pays ACP. Les pays africains ne sont pas en mesure d'affronter la concurrence commerciale de l'Europe. Des relations privilégiées doivent être maintenues avec l'objectif d'une mise à niveau des économies africaines.
L'Europe doit défendre cette position dans la définition du nouveau partenariat entre l'Afrique et ses bailleurs de fonds, lancé par le G8 à Gênes en juillet 2001. Il est impératif d'orienter les flux financiers vers la mise à niveau des infrastructures et des systèmes éducatifs et sanitaires des pays d'Afrique.
Une France retrouvant confiance en elle-même sera utile à la construction d'une Europe européenne, fondée sur des projets et sur les nations qui sont le cadre à ce jour indépassé de la démocratie.
A la différence de beaucoup d'européistes, je ne crois pas que l'Europe sortira de sa crise par des gadgets ou une fuite en avant dans le mécano institutionnel.
Ce serait une grave erreur de vouloir construire un Super-Etat bureaucratique qui ne s'enracinerait dans aucune volonté populaire. La France ne saurait l'accepter.
C'est par une refondation démocratique, plaçant les peuples et leurs représentants légitimes au coeur des projets, que nous remettrons l'Europe sur orbite. La méthode Monnet a eu son utilité ; elle a aujourd'hui trouvé son terme.
Mon élection, parce qu'elle marquerait la confiance retrouvée de la France en elle-même, serait une chance pour la relance d'une Europe européenne qui complètera l'action des nations au lieu de vouloir s'y substituer.
Nul plus que moi ne souhaite le resserrement des solidarités entre les nations européennes. Etre euroambitieux, ce n'est pas mettre la charrue avant les bufs mais fonder la construction de l'Europe sur la démocratie. C'est ainsi qu'elle progressera de la manière la plus sûre. Et c'est surtout faire preuve d'imagination politique pour nourrir un vrai projet géopolitique de développement et de paix à l'échelle du continent tout entier, sans oublier que l'Europe n'a de sens que si elle s'ouvre sur le monde, au service des valeurs universelles présentes dans chaque culture, et pas seulement dans les nôtres.
-(Source http://www.chevenement2002.net, le 8 mars 2002)
Messieurs,
Mon propos va peut-être vous surprendre, mais j'ai toujours eu une grande ambition pour l'Europe. Je me considère en tout cas comme beaucoup plus ambitieux que les Européistes pour qui la construction européenne n'est qu'une perpétuelle fuite en avant dans le " mécano institutionnel ", plaçant chaque fois les peuples devant le fait accompli. D'où l'impasse que tout le monde aujourd'hui reconnaît.
Mon ambition, c'est de décupler les forces de l'Europe, en faisant que les peuples la rejoignent, en faisant que les peuples s'en emparent. L'irruption de la démocratie en Europe, quelle idée neuve ce serait et quelle force propulsive serait alors à l'oeuvre ! Elle fera son entrée avec les nations, car pour longtemps encore, la démocratie se forgera dans le cadre des nations.
I - Mon projet, c'est d'insuffler de la démocratie dans l'Europe, de refonder l'Europe par la démocratie.
Oui, le moment est venu, si l'on veut aller de l'avant, d'insuffler de la démocratie dans l'Europe, de mobiliser les imaginations politiques nationales dans un débat européen qui serait la clé de la réussite. C'est le seul moyen d'asseoir définitivement l'idée européenne dans la conscience des peuples : sinon existera toujours le risque d'éclatement en cas de crise grave.
On ne pourra pas construire, dans l'avenir, une Europe démocratique solide sans avoir préalablement constitué en Europe un espace public de débat. C'est ce préalable sur lequel a justement insisté le philosophe allemand Jürgen Habermas. Dès lors, n'est-ce pas d'abord sur l'organisation politique de l'Europe, au moment où elle est à la croisée des chemins, que le débat devrait avoir lieu devant nos vingt-cinq peuples ?
Un nouveau Traité pour l'Europe
C'est d'un nouveau traité, d'un traité unique, et non d'une Constitution dont l'Europe a besoin. Je voudrais le dire solennellement au moment où se met en place, sous la présidence de M. Giscard d'Estaing, la Convention hétéroclite et irresponsable voulue par le Conseil européen de Laeken. Comment pourrait-on faire de la Constitution française une norme subordonnée, voilà ce que Jacques Chirac et Lionel Jospin doivent expliquer au Peuple français. Celui-ci ne se laissera pas dissoudre ; il vaut mieux le dire dès aujourd'hui.
· Sur la méthode :
C'est par un nouveau Traité que doit être clarifié le système institutionnel de l'Union. Il doit être négocié par les instances démocratiquement désignées, légitimes et responsables. Une convention de 105 membres ne peut se substituer au débat de 300 millions d'Européens. La conférence intergouvernementale ne pourra adopter en fin de processus qu'un traité par définition révisable, en aucun cas une Constitution. Car ce sont les peuples qui doivent débattre de ce projet, et le peuple français peut et doit donner l'exemple.
Et ce débat doit être tranché par le peuple. Je m'engage, si je suis élu Président de la République, à soumettre par référendum le texte du traité au peuple français souverain.
Monsieur Chirac a proposé hier l'élection d'un Président de l'Union européenne.
Mais il ne nous dit rien de la manière dont s'articuleraient les pouvoirs de ce président européen et du Président de la République française, ni sur la manière dont il compte organiser ainsi l'effacement des institutions de la Vème République, dont il est pourtant le gardien. Il ne nous dit rien sur la manière dont, en Europe, la ou les minorités se plieraient à la loi d'une majorité. Elire un Président avant que n'existe l'espace public commun de débat, c'est mettre la charrue avant les boeufs ; c'est une faute contre la démocratie réduite alors au gadget. Et c'est une faute contre la France.
La dignité du débat politique, comme l'intérêt vrai de l'Europe, souffre de ces assauts de démagogie qui ne préparent nullement l'avenir.
Je propose au contraire de traiter un à un les problèmes institutionnels qui se posent.
· Sur le fond, Il faut se concentrer sur le mandat de Nice.
1. La réforme des Institutions :
Je propose d'abord de réaffirmer le rôle du Conseil européen qui doit assumer pleinement son rôle " d'orienteur stratégique ". Il doit donner l'impulsion politique. Il est, si j'ose dire, le pilote dans l'avion.
Le Conseil des Ministres est l'instance décisionnelle, celle des propositions concrètes. Il examine l'ensemble des initiatives qui lui sont soumises dans toutes les matières constitutives des trois piliers.
Face à la Commission, dont les compétences doivent être redéfinies, il faut rendre au Conseil et donc aux Etats le droit de proposition. Le monopole de proposition de la Commission n'a plus de sens : il ne s'agit plus d'uniformiser les réglementations, mais de libérer les énergies en Europe. On ne voit pas pourquoi l'initiative des directives et des règlements, ne serait pas partagée entre la Commission et les Gouvernements, comme l'est sur le plan national l'initiative des lois. Comment la Commission pourrait-elle porter seul un intérêt général européen qui ne serait pas défini, comme c'est le cas dans toutes les démocraties, à travers un débat contradictoire et public ?
Il convient en effet d'organiser par ailleurs la publicité des délibérations et des votes au sein du Conseil européen et des Conseils des ministres quand ils agissent comme législateurs. Ce sera la meilleure manière d'intéresser les citoyens aux enjeux de la construction européenne et de mettre un terme à la pratique généralisée de la défausse. Chacun doit connaître les positions des gouvernements, et ceux-ci doivent répondre de leur attitude devant leur Parlement. C'est le moyen de forger l'espace public commun de débat qui manque encore à l'Europe. Cet espace de débat ne peut se développer dans une opacité qui nourrit l'irresponsabilité. On s'étonnerait presque qu'il ait fallu attendre plus de quarante ans pour que cette proposition que j'ai souvent formulée soit défendue par MM. Blair et Schröder.
La publicité du débat au sein des institutions européennes sera un facteur puissant d'accélération de la prise de conscience de ce que doit être réellement une Europe européenne.
Quant à la Commission, il est curieux que le Traité de Nice ait laissé à son seul président l'organisation de la répartition du travail en son sein. Il convient que le nouveau traité structure la commission autour de quelques grandes directions autonomes et responsables.
2. La réforme du rôle des Parlements nationaux :
Il convient en premier lieu de renforcer le rôle des Parlements nationaux notamment dans l'approbation des directives, et si possible dans leur discussion en amont de la décision du Conseil. Mais, il faut aussi organiser des débats simultanés dans les Parlements des Quinze, qui s'exprimeraient sur les grands sujets propres à passionner l'opinion : le nucléaire, l'effet de serre, le rôle des services publics, les rapports de l'Europe et du Sud-Méditerranée, etc.
Je propose aussi, comme l'a suggéré Tony Bair, de créer une deuxième chambre du Parlement de Strasbourg, émanation des Parlements nationaux.
Cette proposition a déjà rencontré un vif intérêt en Europe.
3. La réforme du principe de subsidiarité :
La clarification et le recentrage des compétences de l'Union permettront de distinguer clairement entre les compétences nationales et les compétences partagées dans l'Union.
Aujourd'hui, l'Union intervient en tout domaine. Son champ de compétences doit être ramené à l'essentiel, étant bien entendu qu'en aucun domaine le contrôle démocratique national ne peut disparaître.
L'Europe " attrape tout " qui s'occupe de tout a atteint ses limites.
L'heure est venue de procéder à un " toilettage général " du droit communautaire, créé par l'accumulation et la sédimentation durant cinquante années d'une masse de directives et de règlements. Les directives tatillonnes sur la chasse, sur les fromages, le saucisson, doivent laisser la place aux grandes politiques. Les peuples d'Europe, le nôtre en particulier, verraient cet exercice de nettoyage, de simplification et de codification avec bonheur.
Pourquoi le refuser ?
4. Modifier les compétences européennes :
Ce nouveau Traité pour l'Europe doit aussi bâtir une nouvelle hiérarchie des compétences européennes. Ce que je souhaite d'abord, c'est une ambition clairement affirmée qui dépasse le principe de libre concurrence qui a jusqu'ici borné l'horizon de la construction européenne.
Aujourd'hui la primauté accordée par les traités eux-mêmes aux dogmes libéraux dessert les intérêts des entreprises européennes ; les Américains en sont les premiers bénéficiaires, ce qui ne les empêche pas de revenir, quand c'est leur intérêt, à un protectionnisme sans complexe comme ont le voit dans l'affaire de l'acier. J'observe par ailleurs qu'aucune proposition de réforme, s'agissant de la politique de concurrence mise en oeuvre par la Commission, n'est venue depuis sept ans, ni de l'Elysée ni de Matignon. Il faut pourtant permettre des regroupements qui, telle la fusion Legrand-Schneider, constitueraient des pôles à échelle mondiale, sans s'arrêter à des considérations d'intérêt local qui sont dépassées à l'heure d'une économie mondialisée.
Les principes de plein emploi ou de cohésion économique et sociale devraient être placés au sommet de la hiérarchie des principes européens. La jurisprudence de la Cour de Luxembourg, qui a jusqu'à présent toujours suivi et développé les principes libéraux posés par les textes, pourrait s'en trouver considérablement infléchie.
En matière de services publics, le dogme de l'ouverture à la concurrence met en cause le concept de service public à la française qui mérite pourtant d'être défendu. C'est pourquoi des clauses dérogatoires seront nécessaires.
II - Le programme économique de l'Europe qui gagne
Il ne faut pas détruire les politiques communes existantes mais aller plus loin pour relever les nouveaux défis.
1. Conforter les politiques qui existent : la PAC et la politique régionale :
J'ai dit à Porto Alegre l'aberration que serait la continuation de la politique d'alignement sur les prix mondiaux agricoles, poursuivie depuis 1992 par l'Union Européenne, sous la pression des Etats-Unis.
Quel paradoxe de voir des européistes déclarés proposer, pour des raisons principalement budgétaires, de mettre fin, ou en tout cas, de réduire fortement la politique agricole commune. Les mêmes proposent de revenir sur la politique d'aménagement du territoire en remettant en cause les fonds structurels.
Je propose au contraire d'affermir ces deux politiques communes en prenant en compte les nouveaux enjeux : sécurité alimentaire - préservation de l'environnement pour l'agriculture qui doit maintenir le modèle européen fondé sur l'exploitation familiale. De même, la cohésion territoriale de l'Europe implique le maintien des fonds structurels au niveau actuel.
L'élargissement a un coût mais il doit être subordonné au respect des acquis communautaires et des normes européennes en matière de droit et de sécurité.
2. Réformer la Banque Centrale Européenne :
Il est urgent de réformer la Banque Centrale Européenne de Francfort si nous voulons sortir de la récession. Que veut dire aujourd'hui lutter contre une inflation qui a disparu et renoncer à soutenir la croissance et l'emploi ! La France, et je le proposerai, doit prendre l'initiative de la réforme du Traité de Maastricht, pour modifier les missions de la banque centrale, afin qu'elle puisse mener une politique monétaire conforme aux intérêts européens, c'est-à- dire au service de la croissance. Il n'est pas normal que les taux d'intérêt fixés par la BCE soient de 3,25% quand ils sont de 1,75% aux Etats-Unis.
3. Un pacte de coordination pour la croissance.
Il faut également transformer le Pacte de stabilité budgétaire, en pacte de coordination pour la croissance pour permettre à l'Europe de bâtir une politique de relance, que les Etats-Unis ne se sont pas privés d'initier bien avant nous à hauteur de 2% de leur PIB. Je demande que soit lancé un programme d'investissements de grande envergure, voulu jadis par Jacques Delors adopté par le Conseil européen d'Essen en 1994, et qui n'a jamais réellement vu le jour depuis lors. Ce programme d'investissements devrait être fixé à 1% du PIB européen, soit 90 milliards d'Euros. Il serait financé par un emprunt multi-émetteur, assurant une solidarité financière entre les Etats membres.
4. Assouplir encore les règles de coopération renforcée :
Le Traité de Nice a entrouvert la porte, mais il met encore une dizaine de conditions au lancement d'une coopération renforcée. Il prévoit également que ces coopérations ne peuvent être engagées qu'en " dernier ressort " et sous le contrôle étroit de la Commission, du Conseil et du Parlement européen.
À mes yeux, les coopérations renforcées sont une direction d'avenir dans une Union européenne à vingt-sept, le moyen de construire une Europe réaliste en réseaux, capable de lever de manière pragmatique les défis de l'avenir. Ces coopérations renforcées s'efforceraient d'inclure autant que possible les cinq grands Etats que sont l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne, la France et la Grande-Bretagne. Du point de vue de la France il serait souhaitable de renégocier un traité de l'Elysée conclu il y a près de quarante ans dans un tout autre contexte.
Dès mon élection, la France fera à ses partenaires européens six propositions de coopérations renforcées : liaisons ferrées à grande vitesse ou pour le fret ferroviaire et tunnels transfrontaliers ; coopération en Méditerranée et en Afrique ; partenariat avec la Russie ; énergies et sûreté des centrales nucléaires ; mise à niveau par rapport aux Etats-Unis de l'effort européen de recherche et développement technologique ; politique aéronautique et spatiale.
Seule une Europe porteuse de projets peut retrouver l'élan des réalisations menées en commun.
III - Mon ambition culturelle (" L'exception culturelle ") :
C'est pour le monde entier, et singulièrement pour l'Europe tout entière, que nous revendiquons l'exception culturelle. Face à la marchandisation culturelle, face à l'américanisation, l'Europe doit rester source de création, d'innovation et de recherche. Elle doit s'organiser pour promouvoir sa culture, ses musiques, ses littératures, son cinéma, ses arts plastiques partout dans le monde, mais d'abord chez elle.
Renoncer, serait accepter par avance la provincialisation. Quel sort funeste ce serait pour un continent qui a éclairé le monde. L'Europe doit redevenir au XXIème siècle le carrefour de tous les continents avec lesquels elle a noué, tout au long de l'Histoire, des relations profondes.
IV - L'Europe matrice de la pluralité du monde.
Bientôt, la phrase forgée dans les années 50 pour l'Allemagne et le Japon -" des géants économiques, des nains politiques "-, sera-t-elle valable pour l'Union Européenne ?
1. Agir face à l'unilatéralisme et se réinvestir dans les affaires du Monde :
L'Union européenne ne pourra se cacher longtemps encore les problèmes que pose l'unilatéralisme des Etats-Unis dans l'après 11 septembre. Les réactions timides des grands Etats européens au discours du Président Bush sur l'état de l'Union, -saluons ici celle d'Hubert Védrine- montrent que le problème est trop criant désormais pour ne pas être traité.
D'autant que l'unilatéralisme est multiforme et pèse au-delà du politique, sur les relations économiques (Loi Helms-Burton, loi d'Amato, rivalité Boeing-Airbus, taxation de l'acier).
Notre continent doit se réinvestir dans les affaires du monde, accepter de s'élargir à l'Est et de coopérer avec le Sud. Sinon l'effacement de soi, la " vertu " associée à la " futilité ", le politiquement correct pour tout horizon conduiront au provincialisme. On le sait, la Suisse ne veut pas se fondre dans l'Europe. La vraie question est de savoir si l'Europe ne veut pas plutôt se fondre dans la Suisse.
2. Remettre à niveau nos budgets militaires et de recherche :
Jamais l'Europe n'a connu un tel déclin de son effort de défense. Jamais la contradiction avec la hausse continue du budget de la défense américaine n'a été aussi forte. Si les Etats de l'Europe renoncent à se défendre eux-mêmes, alors ils déserteront les affaires du monde. L'effort de défense en France est tombé à 1,96 % du PIB. La loi de programmation de 1996 n'était pas à la hauteur et la professionnalisation s'est faite au détriment des équipements.
Jacques Chirac feint de s'en plaindre, oubliant qu'il n'a jamais, durant sept ans, usé de son autorité de Chef des Armées pour empêcher cet effondrement.
Pour ma part, je propose que la France porte d'ici 2007 le niveau de ses dépenses militaires à 3 % du PIB et je souhaite que les autres nations d'Europe fassent un effort dans la même direction. Sinon il sera vain de parler de défense européenne.
De la même manière, il faut relancer les programmes de développement scientifiques et technologiques tel Eureka. Je proposerai en France une loi de programmation pour la recherche.
3. Réussir l'élargissement qui a trop tardé :
D'autres efforts doivent être accomplis pour élargir l'Union à l'Est. Près de douze ans après la chute du Mur de Berlin, le retard accumulé est considérable. Un effort de mise à niveau s'impose de la part des pays candidats si nous voulons que leur adhésion nécessaire et souhaitable se fasse dans le respect des disciplines arrêtées en commun. Nous devons les y aider.
Si désireux que nous soyons de voir se concrétiser ces adhésions, nous devons rester fermes sur les perspectives financières de l'élargissement, notamment pour l'agriculture et la politique régionale. Nos partenaires les plus attachés à l'élargissement (Allemagne) doivent savoir que son impact le plus fort interviendra sur la production agricole française. Dès lors, le budget devra être ajusté à la hausse pour tenir compte de la production dans l'Europe élargie.
Sur la justice et les affaires intérieures, et dans le contexte de l'après 11 septembre, je souhaite que nous obtenions, avant l'élargissement, des assurances sur l'efficacité des contrôles aux frontières extérieures, la lutte contre le blanchiment et la corruption, ainsi que le fonctionnement des systèmes judiciaires. La coopération des polices doit être renforcée, mais la création d'une police européenne " en coopération avec les polices nationales " pour reprendre les termes de Jacques Chirac serait inopérante ; ce serait une usine à gaz supplémentaire.
Enfin un système de parités stables et ajustables devra être trouvé entre les monnaies des pays d'Europe Centrale et Orientale et l'euro.
4. Ouvrir l'Europe vers le Sud.
L'accentuation dramatique des inégalités entre le Nord et le Sud est l'un des phénomènes les plus graves de ces vingt dernières années. Il n'y aura pas de sécurité pour l'Europe, si elle n'agit pas vigoureusement dans ce domaine.
L'ouverture vers le Sud doit aller de pair avec l'élargissement à l'Est.
Cela implique :
o d'augmenter significativement l'aide publique au développement. Je propose de porter celle-ci, en cinq ans, à l'objectif de 0,7 % du PIB de l'Union europénene;
o je propose également de mener une action d'envergure en faveur de l'effacement de la dette par le biais de sa conversion en investissements productifs.
La France peut et doit jouer un rôle moteur dans la redynamisation du processus euro-méditerranéen..
Le processus de Barcelone doit être considérablement amplifié. L'approche limitée aux accords de libre-échange et aux protocoles financiers n'est plus de saison. Il est bien de l'élargir au dialogue politique tourné vers la Paix et la stabilité. Le dialogue social doit promouvoir aussi la formation, la réforme des systèmes éducatifs et sociaux, la santé, le soutien à la participation des femmes au développement économique, etc. La dimension culturelle du partenariat favorisera le " dialogue des civilisations " qu'il appartient à l'Europe de nourrir pour faire reculer le spectre de la guerre et du " choc des civilisations " à nouveau à l'horizon du siècle qui commence.
Enfin, il faut assurer la protection des relations privilégiées entre l'Europe et les pays ACP. Les pays africains ne sont pas en mesure d'affronter la concurrence commerciale de l'Europe. Des relations privilégiées doivent être maintenues avec l'objectif d'une mise à niveau des économies africaines.
L'Europe doit défendre cette position dans la définition du nouveau partenariat entre l'Afrique et ses bailleurs de fonds, lancé par le G8 à Gênes en juillet 2001. Il est impératif d'orienter les flux financiers vers la mise à niveau des infrastructures et des systèmes éducatifs et sanitaires des pays d'Afrique.
Une France retrouvant confiance en elle-même sera utile à la construction d'une Europe européenne, fondée sur des projets et sur les nations qui sont le cadre à ce jour indépassé de la démocratie.
A la différence de beaucoup d'européistes, je ne crois pas que l'Europe sortira de sa crise par des gadgets ou une fuite en avant dans le mécano institutionnel.
Ce serait une grave erreur de vouloir construire un Super-Etat bureaucratique qui ne s'enracinerait dans aucune volonté populaire. La France ne saurait l'accepter.
C'est par une refondation démocratique, plaçant les peuples et leurs représentants légitimes au coeur des projets, que nous remettrons l'Europe sur orbite. La méthode Monnet a eu son utilité ; elle a aujourd'hui trouvé son terme.
Mon élection, parce qu'elle marquerait la confiance retrouvée de la France en elle-même, serait une chance pour la relance d'une Europe européenne qui complètera l'action des nations au lieu de vouloir s'y substituer.
Nul plus que moi ne souhaite le resserrement des solidarités entre les nations européennes. Etre euroambitieux, ce n'est pas mettre la charrue avant les bufs mais fonder la construction de l'Europe sur la démocratie. C'est ainsi qu'elle progressera de la manière la plus sûre. Et c'est surtout faire preuve d'imagination politique pour nourrir un vrai projet géopolitique de développement et de paix à l'échelle du continent tout entier, sans oublier que l'Europe n'a de sens que si elle s'ouvre sur le monde, au service des valeurs universelles présentes dans chaque culture, et pas seulement dans les nôtres.
-(Source http://www.chevenement2002.net, le 8 mars 2002)