Déclaration de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur la nécessité d'instaurer des règles communes de politique économique pour les pays de la Zone franc, d'élaborer une position commune lors des prochaines négociations de l'OMC, sur la réforme de la Convention de Lomé, la bonne gouvernance comme condition d'obtention des aides financières internationales et sur l'allègement de la dette publique, Paris, le 24 septembre 1999.

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Circonstance : Réunion des ministres des finances de la Zone franc, à Paris, le 21 septembre 1999

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Messieurs les Gouverneurs,
Chers amis,
C'est avec plaisir que je vous accueille aujourd'hui à Paris pour une nouvelle réunion des ministres de la Zone franc. Et j'espère ce plaisir partagé par vous tous. Ce matin, notre programme de travail est ambitieux, comme toujours, et je voudrais tenter de faire une introduction qui ne soit pas trop longue pour préserver ensuite, sur les divers points à l'ordre du jour, la possibilité d'avoir un échange.
Comme à chacune de nos rencontres, nous avons collectivement des motifs de satisfactions et des préoccupations nombreuses dans un monde qui demande aujourd'hui à tous, et notamment aux ministres des Finances, une grande rapidité d'adaptation face à des risques sans cesse changeant.
I - Le principal motif de satisfaction concerne la robustesse de la croissance en Europe et dans le monde.
Après plusieurs trimestres d'incertitudes, disons de l'été 1998 au premier trimestre de 1999, les prévisions concernant les perspectives de l'économie européenne, comme celle de l'économie mondiale, avaient été revues à la baisse. J'avais moi-même parlé pour la France et la zone euro d'un trou d'air qui se limiterait au premier semestre de 1999, alors qu'à l'époque des analyses plus négatives se répandaient assez largement.
Force est de constater aujourd'hui que les perspectives s'améliorent et que la croissance pour 2000 dans la zone euro sera probablement supérieure à 2,5 % alors qu'en 1999, et ce serait un point bas, elle pourrait être seulement de 2 %.
En outre, les perspectives de croissance en Asie se sont aussi redressées nettement plus rapidement que prévu, si bien que la croissance mondiale serait en 1999 proche de 3 % et devrait dépasser ce taux en 2000.
Certes, vous êtes bien placés pour le savoir, il n'y a pas de liaison mécanique entre la croissance mondiale et la croissance de la zone CFA. L'évolution du cours des matières premières reste encore déterminante pour beaucoup d'économies, si ce n'est la plupart en Afrique, malgré les efforts engagés pour accroître la diversification.
Et de ce point de vue là, les variations récentes ont bien entendu des effets très différenciés suivant les cas : les pays exportateurs de pétrole retrouvent des marges de manoeuvre tandis que pour les autres, les prix des produits de base agricoles sont plutôt moins bien orientés, même si on peut espérer à terme que l'accélération de la croissance mondiale ne reste pas sans effet positif.
Les évolutions récentes offrent néanmoins une perspective plus cohérente pour l'ensemble des pays africains de la Zone franc, la zone CEMAC pouvant notamment viser à la fois un rétablissement de ses équilibres financiers en 1999, durement mis à mal l'année dernière, et un redressement de la croissance bienvenu en 2000.
Ce contexte général souligne particulièrement la nécessité de se doter de règles de politiques économiques qui permettent à cet ensemble de pays partageant une parité fixe avec l'euro de se donner les moyens d'affronter les aléas de la conjoncture internationale. Je vous en ai longuement parlé à Dakar. A ce stade je voulais seulement indiquer que j'ai pris connaissance avec satisfaction du premier rapport fait par nos experts. J'ai pu ainsi noter qu'au-delà des échanges nourris que nous avions eus sur ce sujet à Dakar, toutes les instances concernées ont eu à coeur de prolonger ces discussions par une analyse critique des processus mis en place jusqu'à présent et par des propositions qui nous serons présentées tout à l'heure. Comme nous y reviendrons, point n'est donc besoin à ce stade de développer d'avantage.
II - Du côté des préoccupations, nous devons ensemble faire progresser la régulation économique internationale.
Sans rentrer dans le détail, je voudrais simplement rappeler ici combien la mondialisation, qui doit bénéficier à tous, demande en même temps un effort d'organisation, notamment au niveau régional, pour pouvoir fixer un socle minimum de règle permettant d'en contrôler ses effets. N'en déplaise aux ultralibéraux et aux partisans du toujours moins d'Etat. Plus il y a de marché, plus il doit y avoir de régulation économique internationale.
II.1 - Nous devons d'abord unir nos efforts pour que les prochaines négociations commerciales soient équilibrées et non pas dominées par un seul partenaire.
Je pense d'abord a l'ouverture prochaine du nouveau cycle à Seattle en décembre prochain. En vue de peser efficacement sur ces négociations et d'y faire entendre avec force la voix de l'Afrique, l'émergence du fait régional sur votre continent et l'achèvement des unions douanières constituent un atout très important. Cet atout sera d'ailleurs d'autant plus grand pour vos pays que vous y parlerez d'une seule voix. Cette approche qui est celle que nous avons dans l'Union européenne permet de peser davantage dans la négociation. Je vous propose que M. Huwart, le secrétaire d'Etat au Commerce extérieur et les ministres du Commerce de la Zone franc puissent se réunir début octobre à Abidjan afin de dégager des approches communes.
Je pense ensuite aux difficultés actuelles des négociations sur la Convention de Lomé. Au passage, je remercie d'ailleurs M. Adjovi, en sa qualité de président du Conseil des ministres des pays ACP de nous avoir rejoint aujourd'hui pour évoquer cette dernière question cet après-midi. Sur ce sujet, je voulais simplement vous dire la chose suivante : la France a obtenu que la promotion de l'intégration régionale, dans toutes ses composantes, soit reconnue comme un axe fort du partenariat entre les pays européens et les pays de l'ACP. Il est donc de notre intérêt d'oeuvrer ensemble pour que ces principes, qui donnent à l'UEMOA et à la CEMAC une avance considérable sur les autres ACP, soient retenus afin que vous soyez à même de négocier dans les meilleures conditions les accords commerciaux avec l'Union européenne.
Comme vous le savez, une réforme des relations commerciales entre les pays ACP et la Communauté européenne était en effet devenue nécessaire, les préférences de Lomé n'étant pas conformes aux règles de l'OMC et l'avantage qu'elles procuraient s'étant érodé avec la baisse généralisée des droits de douane. Spontanément les pays africains ont été ouverts à cette nouvelle approche. Les études d'impact réalisées depuis lors ont montré qu'ils avaient raison et que la proposition de l'Union européenne était effectivement la plus favorable aux pays africains et notamment aux pays de la Zone franc. L'intégration régionale est en effet le vecteur le plus approprié d'un élargissement des marchés locaux, de la diversification des structures productives, et des exportations vers les marchés développés Certains pays anglophones de la Caraïbe cherchent cependant à tout prix à défendre le statu quo en raison notamment des avantages qu'ils pensent tirer des protocoles produits, sans prendre en compte les risques pour les pays africains de voir l'ensemble du dispositif remis en cause.
Dans ce contexte de divergences internes, je crois comprendre que le groupe ACP cherche à gagner du temps, mais il faut y prendre garde : le temps ne joue pas en votre faveur. Si les négociations ne sont pas terminées à temps, vous allez en effet vous retrouver dans une situation peu enviable: au mieux, les positions de ceux qui veulent se limiter à une amélioration du SPG triompheront au détriment des Etats africains et particulièrement de ceux de la Zone franc. Il y a en effet peu à attendre d'une amélioration du SPG et cette solution ne vous serait pas favorable comme l'ont montré les études d'impact.
II.2 - Nous devons ensuite, pays en développement comme pays développés assurer la meilleure "gouvernance".
Là dessus, je crois qu'il faut être clair; tout le monde doit coopérer pour que la transparence et le contrôle des flux financiers s'améliorent :
- il s'agit d'abord de la lutte contre le blanchiment d'argent qui est devenue une priorité dans le contexte de la mondialisation Ce combat s'organise progressivement au niveau international notamment grâce à l'action du GAFI et des organisations régionales qui se sont créées ou se sont saisies du sujet. Malheureusement le réseau mondial de lutte contre la délinquance financière que nous appelons de nos voeux ne couvre pas encore le continent africain, alors que l'absence de réglementation et de mobilisation régionale pourrait être préjudiciable au développement sur des bases saines de vos systèmes financiers. C'est pourquoi, à l'heure où certains pays d'Afrique de l'est et du sud semblent sur le point de se regrouper pour élaborer les mesures concrètes nécessaires, il vous appartient d'examiner de près cette question au niveau de la zone franc, au sein de vos instances compétentes, et de vous engager également dans cette voie. Vous pourrez compter dans cette tâche sur le soutien sans faille de la France.
- il s'agit aussi et de manière générale de la transparence et d'une gestion irréprochable des fonds publics ; là aussi, l'exigence devient de plus en plus générale que ce soit à l'intérieur de chacun de nos Etats ou pour les flux financiers d'aide publique au développement. Les exemples en cette matière sont abondants et vous me permettrez de n'en citer aucun.
Que l'on ne comprenne bien, il ne s'agit pas pour moi de donner des leçons à quiconque. Je voudrais seulement vous convaincre que cette exigence est désormais irréversible, qu'il ne s'agit certainement pas d'un effet de mode et que chaque Etat, et notamment chaque ministre des Finances, chaque organisation internationale, devront rendre compte, de manière détaillée, de leur gestion et de l'utilisation de leurs crédits.
De ce point de vue là, le FMI, la Banque mondiale comme l'Union européenne, qui demande l'introduction dans la Convention de Lomé d'une clause sur la bonne gestion des affaires publiques, ne font que tirer les conséquences de cette universelle montée des exigences.
Dans ce domaine, les assemblées annuelles pourraient être une occasion pour proposer de nouvelles initiatives : nous devons en effet mieux intégrer, notamment dans l'action des organisations financières internationales, des critères et des normes de transparence qui permettent de renforcer et de préciser les engagements auxquelles les pays, notamment les pays sous accord avec le FMI doivent impérativement souscrire. Sur ces questions, il faut que les exigences soient les plus clairement définies ex ante pour améliorer l'approche de ces questions et rendre indiscutable les conclusions opérationnelles qui peuvent en être tirées dans la mise en oeuvre des programmes du FMI et de la Banque mondiale. C'est évidemment une tâche difficile mais je crois qu'il est indispensable de progresser dans cette direction.
Pour autant, il est non moins indispensable notamment pour les Etats dont les pratiques ne sont pas conformes aux exigences actuelles, pour les Etats qui ont été critiqués par le FMI, ou dans lesquels des détournements de l'aide ont été démontrés ou pourraient l'être, de mettre en oeuvre au plus tôt des mesures exemplaires qui témoignent de la volonté de mettre un terme à des pratiques condamnées. Aussi, des sanctions rapides et fortes doivent accompagner les efforts entrepris au niveau des procédures et de l'organisation de l'Etat pour prévenir le renouvellement de tels dérapages.
II.3 - Enfin sur la question de la dette dont nous avions déjà beaucoup parlé à Dakar, la France fait d'ores et déjà le plus grand effort bilatéral, plus de 7 milliards d'euros.
De ce sujet, comme d'autres que j'ai déjà évoqués, nous allons reparler dans le courant de la matinée de façon plus détaillée. Bien entendu, vous avez comme moi, enregistré avec une grande satisfaction les annonces faites au Sommet de Cologne sur le rapport des ministres des Finances du G7. Pour vous comme pour moi, l'essentiel est bien que la plupart des pays de la Zone franc soient désormais éligibles à l'initiative PPTE renforcée. Mais je ne vous cache pas que je suis préoccupé par les difficultés rencontrées depuis Cologne pour mettre en oeuvre cette initiative multilatérale: j'espère toujours que la coopération entre les grands pays permettra de trouver rapidement des solutions afin de ne pas hypothéquer le calendrier initial prévu.
A titre bilatéral, la France s'est par ailleurs engagée à annuler le service de la dette d'aide publique au développement contractée par les pays éligibles à l'initiative PPTE. La mise en oeuvre de cette proposition, qui représente une contribution de 4 milliards d'euros dont 3 milliards d'euros pour les seuls pays de la Zone franc, sera bien entendu calée sur le processus multilatéral : c'est seulement dans la mesure où les pays respecteront les conditions posées pour parvenir au point de décision que les mesures bilatérales pourront prendre effet.
Enfin, conformément aux engagements que j'avais pris devant vous à Dakar, le principe de responsabilité consiste à pouvoir justifier de l'utilisation des sommes ainsi libérées par l'annulation du service de la dette. Nous devons donc être vigilant sur le contrôle de leur affectation en privilégiant des programmes de développement social et de réduction de la pauvreté auxquels des ONG pourraient s'associer localement. Ainsi les exigences croissantes des opinions publiques en faveur d'une plus grande transparence dans l'affectation de l'aide publique internationale seront mieux satisfaites.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr. le 24 septembre 1999)