Interview de M. Alain Juppé, président de l'UMP, à Europe 1 le 18 juin 2002, sur son élection à la présidence de l'UMP, l'évolution de la formation politique, l'élection pour la présidence de l'Assemblée nationale et la préparation de la session extraordinaire.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Aujourd'hui, 18 juin, vous prenez la présidence de l'UMP pour en faire le grand parti de la droite et de la France moderne. Je pense que vous l'avez imaginé : comment sera-t-il ?
- "D'abord, je prendrai une présidence provisoire, si ce que l'on appelle "le conseil des fondateurs" le décide ainsi. Vous savez que nous avons lancé cette idée il y a deux ou trois ans, et à trente ou quarante amis, nous avons porté sur les fonts baptismaux d'abord l'Union en mouvement et ensuite, l'Union pour la majorité présidentielle. Pour l'instant, c'est une dynamique électorale qui a très bien fonctionné, on l'a vu dimanche dernier ; il faut en faire un vrai parti nouveau. Il y a quelque chose à inventer, il faut que ce soit différent de ce à quoi on est habitué."
Il y a peut-être des modèles à l'étranger : la CDU en Allemagne, le parti de Aznar en Espagne, mais il n'y a pas d'antécédent en France...
- "J'espère que nous allons faire quelque chose de nouveau en essayant de concilier deux préoccupations : d'abord, il faut que ce soit efficace, donc il faut que ce soit organisé. Mais en même temps, il faut que ce soit une formation qui respecte les sensibilités qui la composent. J'entends parler ici ou là de "caporalisation" ; nous voulons faire exactement le contraire : nous voulons que chacun soit à l'aise et puisse s'organiser. Ensuite, il faut que ce soit un relais ; on a beaucoup parler de la France d'en haut et de la France d'en bas et je crois que le rôle d'un parti politique, c'est précisément de faire ce lien. C'est la raison pour laquelle son organisation sera très décentralisée, je l'espère, à partir des circonscriptions où nos députés auront concouru sous les couleurs de l'UMP."
Vous promettez donc de respecter toutes les sensibilités des familles ? Vous, l'ancien secrétaire général du RPR, vous allez faire fondre le RPR dans cet ensemble ou vous allez maintenir, s'il y a des courants ou des tendances, le RPR, DL, l'UDF ?
- "C'est l'avenir qui le dira. Je souhaite que chacune des formations préexistantes se transforment, se dépassent. Je disais "présidence provisoire", parce que nous aurons un grand rendez-vous, la deuxième semaine d'octobre - ceci est à préciser. Nous tiendrons des assises constituantes et nous choisirons un nom définitif, un logo, un siège, des statuts et nous mettrons en place ces différentes sensibilités que je viens d'évoquer."
A ce moment-là, vous pourriez ne pas être le président du parti ?
- "Evidemment, puisque le président sera élu par l'ensemble de ses militants. Il y aura peut-être plusieurs candidats et on verra à ce moment-là, bien sûr."
Mais vous serez candidat ?
- "Il est probable que si la période transitoire nous permet d'arriver à un bon résultat, je le serais. Mais il peut y en avoir d'autres, je le répète : ce sera une désignation démocratique par - entre guillemets - "la base de cette formation". Nous allons essayer de lancer très vite une campagne d'adhésion, pour qu'au-delà des militants des partis existants, que nous respectons et que nous saluons, parce qu'ils ont fait beaucoup de travail pendant les élections législatives, qu'il y ait des hommes et des femmes nouveaux qui viennent dans ce parti."
A terme, il n'y aura plus de RPR, d'UDF, etc... ?
- "Non, j'espère que maintenant il faut passer à quelque chose de nouveau, qui respecte la famille gaulliste, la famille centriste, la famille libérale. Il peut d'ailleurs y avoir de nouveaux courants qui apparaissent."
Il y aura des tendances, des courants à l'intérieur de l'UMP, ce ne sera pas monolithique ?
- "Absolument. C'est la réalité d'aujourd'hui et je pense que ce sera la réalité de demain. Il est vrai que ce sera un peu nouveau, un peu difficile à imaginer, mais nous allons le faire. Il faut aussi que ce soit une formation très ouverte sur la société civile, qui arrive à créer des liens avec les milieux économiques, les milieux sociaux, culturels, plus que les partis traditionnels, et qui soit également ouverte sur l'Europe et à l'international. Vous parliez tout à l'heure de l'Espagne, de l'Allemagne... Voilà des pays dans lesquels il y a de grandes formations de la droite et du centre, avec lesquelles nous devons renforcer nos liens."
A l'adresse des sceptiques, de ceux dont vous disiez tout à l'heure qu'ils pensent déjà à la "caporalisation", est-ce que la culture hiérarchique du RPR sera transposée ou essayerez-vous d'établir une sorte de culture par réseaux, décentralisée, le plus souple possible ?
- "Les choses ont déjà beaucoup évolué. D'abord, le RPR n'a pas été aussi caporaliste qu'on veut bien le dire. Il y a eu une période où il y a eu des courants en son sein. Là, nous allons beaucoup miser sur la décentralisation, sur l'organisation au niveau des circonscriptions. Ce que l'on ne voit pas bien, c'est que déjà, dans beaucoup de départements, les parlementaires ont anticipé en créant des associations qui regroupent depuis très longtemps les RPR, les UDF et DL. C'est à partir de là que nous allons essayer d'amplifier le mouvement."
Vous reconnaissez-vous dans la définition qu'a donnée de l'UMP le Premier ministre, J.-P. Raffarin : "un airbag pour coups durs" ?
- "Une formation politique doit effectivement faire le lien entre le gouvernement, le Parlement et les militants et militantes qui seront aussi nombreux et aussi diversifiés que possible..."
Parce qu'on prévoit des accidents, des secousses, des chocs sur la route ?
- "L'airbag, c'est fait pour amortir ; c'est bon pour celui qui en bénéficie. Pour l'airbag, cela peut être un peu chahuté."
Vous dites que c'est le parti du Président, le parti pour le Président ?
- "Nous avons été élus pour la majorité présidentielle, pour permettre à J. Chirac de tenir les engagements qu'il a pris et pour soutenir le Gouvernement qu'il a nommé. Ce sera à l'évidence le parti du Président, mais c'est un parti qui aura des idées, qui défendra une vision de la société, de l'économie, des rapports sociaux, du dialogue social, selon les trois grands axes que nous avions dessinés à Toulouse, qui était déjà l'amorce de cette formation : autorité, liberté, partage. C'était nos trois grands objectifs."
La nouvelle majorité va être confrontée la semaine prochaine à un premier débat duel pour la présidence de l'Assemblée nationale, entre E. Balladur et J.-L. Debré. Y a-t-il un candidat officiel ?
- "Non, ce sont des députés qui choisiront : c'est la richesse démocratique."
Cela veut dire qu'ils ont tous des chances égales ou quelqu'un a la bénédiction d'en haut ?
- "Je n'ai pas de bénédiction à donner et je n'ai pas observé qu'il y ait eu des actes de ce type. Ce qui serait peut-être souhaitable, c'est qu'au sein du groupe de l'UMP, qui est fort d'environ 360 députés, il puisse y avoir peut-être une primaire. Cela permettrait sans doute de clarifier les choses. Encore faut-il que le s deux candidats l'acceptent."
Ce sera en séance publique ? A l'UMP ?
- "Si c'est une primaire, ce serait à l'intérieur du groupe."
Et à ce moment-là, il y aura un candidat, celui qui aura gagné ?
- "C'est possible, mais il faut que les deux candidats l'acceptent. Sinon, il y aura un vote en séance. Il faut dédramatiser ce genre de situation."
Tout se met en place : le président de la République, son Gouvernement ont maintenant les mains libres. Le Gouvernement a été formé 24 heures après ; vous savez ce que c'est que former un gouvernement, il y a parfois des tractations, c'est long...
- "Il faut dire que là, les grandes structures du Gouvernement n'ont pas été modifiées. On voit arriver des nouveaux ; le choix est extrêmement judicieux : il y a des jeunes comme P. Bédier, comme Plagnol, comme Muselier. Il y a des femmes, je pense à C. Haigneré et à N. Lenoir et à beaucoup d'autres. Je trouve que ce Gouvernement est extrêmement équilibré et va pouvoir faire du bon travail."
Un mot sur le président du groupe de ce parti qui a pour nom provisoire UMP. Avec 369 élus, il faudrait que le chef d'orchestre soit à la fois humain, ouvert, fédérateur, en même temps ferme. Ce sera qui ?
- "Ce sera un poste difficile, important bien sûr. Un homme comme J. Barrot a un bon profil pour faire cela, mais bien entendu, il faudra qu'il soit entouré d'une équipe, avec un vice-président délégué, un bureau. Le groupe en décidera demain."
On a l'impression que ça va vite, que les initiatives vont peut-être fuser ; est-ce que toutes les vraies réformes - celles qui ont parfois été retardées - seront réalisées ? Celles qui sont agréables, celles qui sont nécessaires et même les indispensables impopulaires ?
- "Dans toute réforme, il y a des choses agréables et des choses qui le sont moins ; je parle d'expérience. Ce qui frappe dans l'action de J.-P. Raffarin, c'est qu'il a déjà bien phasé son action. On sait que le mois de juillet et la session extraordinaire seront consacrés à deux grandes réformes. D'abord, tout ce qui concerne la sécurité, avec deux lois programme importantes : la loi de programme justice et la loi de programme police et gendarmerie, présentées respectivement par D. Perben et N. Sarkozy. Ensuite, un premier collectif budgétaire qui tiendra l'engagement du Président de baisse de l'impôt de 5 %."
Dans quel domaine attendez-vous les premiers résultats ?
- "Je poursuis sur le phasage, si vous me le permettez. A l'automne, J.-P. Raffarin voudrait lancer une grande opération de décentralisation et vers la fin de l'année, les grands dossiers sociaux que sont les 35 heures et d 'autre part, la réforme des retraites. Je crois que les Français sont à la fois impatients - ils attendent de l'action - et sont en même temps conscients que l'on ne claque pas des doigts et que tout ne change pas du jour au lendemain. Il me semble que compte tenu de la détermination du Président, du Gouvernement, de l'énergie de N. Sarkozy et des initiatives prises par D. Perben, dans le domaine de la sécurité, d'ici la fin de l'année, le climat pourrait avoir changé."
Beaucoup murmurent qu'en 2002, J. Chirac a changé, oublié ses propres doutes à l'égard de lui même, qu'avec la même énergie, le même appétit, il veut donner à la fonction présidentielle toute une dimension d'histoire. Vous le sentez ?
- "Il s'est passé quelque chose entre les deux tours de l'élection présidentielle et j'ai en particulier deux souvenirs précis : le discours qu'il a prononcé à Villepinte avant le second tour et celui qu'il a prononcé sur la Place de la République, le soir de son élection. Je l'ai vu, là, prendre une sorte de dimension historique et donner le sentiment qu'il avait intégré l'obligation d'être plus encore que par le passé le Président de tous les Français et de respecter tous ceux qui l'ont porté à la présidence de la République le soir du second tour."
Dans les rapports avec ceux qui l'entourent, comment est-il ?
- "Il est comme il a toujours été, c'est-à-dire un mélange d'autorité et de très grande chaleur humaine."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 juin 2002)