Texte intégral
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, les projets de loi,
qui vous sont présentés, ont pour objet d'autoriser la ratification des accords
d'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une
part, les républiques d'Estonie, de Lettonie, de Lituanie, et de Slovénie,
d'autre part. Cette ratification est justifiée par les dispositions de
compétence nationale qui figurent dans ces accords, fondés sur l'article 238 du
Traité de Rome et sur l'article 98 du Traité CECA.
Le Sénat a déjà adopté ces projets de loi lors de sa séance publique du 14
octobre. L'autorisation par votre Assemblée de ratification des accords
d'association avec les pays baltes constitue le dernier préalable avant
l'entrée en vigueur de ces textes. La France est le dernier des Etats membres
de l'Union à accomplir cette procédure, qui avait été interrompue par la
dissolution de l'Assemblée nationale au printemps dernier - on s'aperçoit
d'ailleurs qu'elle en a interrompu un certain nombre ! S'agissant de l'accord
avec la Slovénie, quatre Etats membres de l'Union européenne ont déjà procédé à
la ratification du texte qui vous est soumis.
Ces accords transforment la nature des relations de ces pays amis, qui ont
connu des développements considérables en l'espace de quelques années
seulement.
Rappelons-nous : il y a près de six ans, en août 1991, l'Union européenne
reconnaissait l'indépendance des Pays baltes puis signait avec eux, en mai
1992, des accords de commerce et de coopération, transformés en accords de
libre-échange entrés en vigueur le 1er janvier 1995. Et le chemin parcouru
depuis la signature, le 12 juin 1995, des accords d'association qui vous sont
aujourd'hui présentés est tout aussi impressionnant.
Il est essentiel, j'en suis convaincu, de ne laisser aucun doute aux Pays
baltes sur la place qui est la leur au sein de la famille européenne, et dont
ils n'ont été que trop longtemps séparés. La France, qui a avec ces pays des
liens d'amitié anciens et exceptionnels, a à coeur d'y contribuer. Le
développement et la qualité de nos relations bilatérales en portent le
témoignage, même si des potentialités existent sans doute pour développer
encore nos relations économiques. La France a également joué tout son rôle dans
ce rapprochement progressif entre l'Union européenne et les Etats baltes. Il
n'est pas nécessaire de rappeler que les accords d'association ont été signés
sous présidence française.
Il est de notre responsabilité de poursuivre cet engagement. Il est grand temps
que les relations de l'Union européenne avec les trois Etats baltes soit mises
au même niveau que celles nouées avec les pays d'Europe centrale et orientale,
désormais associés.
Il en va de même avec la Slovénie, pays qui fait de sa participation au double
mouvement d'élargissement de l'OTAN et de l'Union européenne un axe majeur de
sa politique. Cette orientation répond légitimement à un double souci de
sécurité et d'affirmation de son originalité de la part d'un pays, issu de
l'ex-Yougoslavie, désireux de concrétiser son ancrage européen. L'adoption d'un
mandat de négociation pour l'accord d'association, finalement acquise, là aussi
sous présidence française au mois de mars 1995, puis sa signature, une fois
l'accord paraphé, se sont heurtées à de grandes difficultés qui expliquent le
délai. En accédant à l'indépendance, dans un contexte marqué par la fin de la
guerre froide, la Slovénie a retrouvé l'héritage de son passé. Derrière les
contentieux italo-slovènes, qui ont retardé l'aboutissement de l'accord
d'association, ce sont en réalité les conditions offertes en Slovénie aux
Italiens expulsés de l'ex-Yougoslavie à la fin de la Seconde guerre mondiale
qui étaient en jeu. L'acceptation d'un compromis a ouvert la voie à la
signature de l'accord d'association le 10 juin 1996. Celui-ci n'a été que
récemment ratifié par le Parlement slovène. Pour autant, le gouvernement y
tient de façon très substantielle.
Ces difficultés ne doivent pas occulter le remarquable consensus sur le modèle
que la société slovène poursuit celui d'une démocratie parlementaire et d'une
économie de marché. Bref, un modèle européen. Le chemin parcouru en ce sens, et
le développement considérable des relations entre la Slovénie et l'Union
européenne, notamment sur un plan commercial, manifestent, sans conteste, la
vocation de ce pays à l'adhésion reconnue par la Commission européenne dans son
avis pour l'Agenda 2000.
Il faut aussi le savoir, c'est important pour nos décisions, la Slovénie est
devenue le quatrième partenaire de la France parmi les pays d'Europe centrale
et orientale, avec des échanges en croissance très forte et marqués par un
excédent significatif à notre bénéfice.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, la présentation de ces
quatre projets de loi m'amène à vous exposer brièvement les préoccupations
essentielles du gouvernement sur l'élargissement de l'Union européenne.
Dès le mois de décembre, le Conseil européen de Luxembourg - pas celui sur
l'emploi - devra prendre les décisions nécessaires pour lancer le processus
d'élargissement, sur la base des avis et de l'Agenda 2000 présentés par la
Commission le 16 juillet 1997. Quelles que soient les décisions que prendra le
Conseil sur l'ouverture pratique des négociations d'adhésion, l'objectif le
plus fondamental sera de confirmer le caractère continu et évolutif de ce
processus d'élargissement, qui concerne tous les candidats sans exception.
Le projet de Conférence européenne réunissant les quinze pays membres de
l'Union et les pays candidats, plus la Turquie, s'inscrit dans ce contexte. La
fixation de clauses de rendez-vous annuelles constituera également un élément
important. L'évaluation que la Commission présentera périodiquement au Conseil,
au sujet de l'avancement de la préparation de chacun des candidats à
l'adhésion, pourra déboucher sur une recommandation d'ouverture des
négociations. Enfin, le processus d'élargissement comprendra la mise en place
d'une stratégie renforcée de préparation à l'adhésion dont ces pays ont
fortement besoin.
La Commission a recommandé au Conseil l'ouverture de négociations d'adhésion
avec la Slovénie et l'Estonie considérant en revanche que les conditions
n'étaient pas encore réunies pour la Lettonie et la Lituanie. Le gouvernement
français, à l'instar une majorité d'Etats membres sans préjuger de ce qui se
dira à Luxembourg, considéré pour sa part que les propositions de la Commission
sont, dans l'ensemble, acceptables mais qu'il faudra être très attentif au cas
des Pays baltes.
Dans l'hypothèse où le Conseil européen retiendrait l'Estonie seule, des
précautions devront être prises à l'égard de la Lettonie et de la Lituanie, en
prévoyant, pour ces deux pays, une perspective claire d'ouverture de
négociations et de "rattrapage" anticipé des négociations si des progrès
significatifs se manifestaient.
Comme vous le savez, le gouvernement estime également nécessaire que soient
bien comprises dès à présent nos préoccupations sur les réformes
institutionnelles. J'ai pu voir ce matin, parmi vous, que le président du
Conseil italien, M. Prodi, était entièrement sur la même ligne que nous.
Parce que nous souhaitons l'élargissement et sa réussite nous considérons que
la réalisation de la première phase ne doit pas intervenir sans que soient
opérées les réformes institutionnelles concrètes, pratiques, limitées, mais
néanmoins très fortes, qui garantiront le bon fonctionnement de l'Union dans
l'avenir. Il est de l'intérêt des pays candidats eux-mêmes d'entrer dans une
Europe qui fonctionne, dans une Europe qui avance, dans une Europe qui soit
capable de prendre des décisions, dans une Europe qui conserve des politiques
communes et non dans une zone de libre-échange invertébré.
Permettez-moi, pour terminer, de brosser à grands traits le contenu de ces
accords d'association, très proches des autres accords européens déjà en
vigueur.
Ils visent tout d'abord à promouvoir le dialogue politique. Celui-ci est à la
fois fondamental et original, entre membres d'une future Europe élargie, car
l'Union c'est d'abord un projet politique. Dans cet esprit, des procédures de
concertation sont instaurées dans le cadre multilatéral et selon les formes et
pratiques établies avec les pays associés d'Europe centrale.
Les accords d'association visent également à établir progressivement une zone
de libre-échange. A cet effet, ils introduisent des dispositions facilitant la
circulation des travailleurs et des capitaux, ainsi que la liberté
d'établissement en matière de prestations de services. Ils prévoient également
l'application par les pays associés des règles de concurrence prévues par le
Traité. Dans le cas des trois Pays baltes, les principales dispositions dans le
domaine économique et commercial sont couvertes par les accords de
libre-échange entrés en vigueur au 1er janvier 1995. En ce qui concerne la
Slovénie, le volet commercial de l'accord d'association est d'ores et déjà mis
en oeuvre de manière provisoire dans le cadre d'un accord intérimaire pour le
commerce et les mesures d'accompagnement entré en vigueur le 1er janvier 1997.
Une vaste coopération est, par ailleurs, instituée. Elle porte sur de multiples
domaines que je me borne à énumérer : la normalisation, la science et la
technologie, l'éducation et la formation, l'agriculture, l'énergie, la sûreté
nucléaire, l'environnement, les transports, les télécommunications, les
services financiers, la protection et la promotion des investissements, la
lutte contre le blanchiment de l'argent de la drogue, le développement
régional, le tourisme, la coopération sociale, la protection des consommateurs,
l'information, les petites et moyennes entreprises, les douanes, les
statistiques et la culture. Cette coopération doit aussi promouvoir le
rapprochement des législations, dans le but de faciliter à terme l'adhésion des
pays associés.
Enfin, les accords constituent une base pour l'assistance technique et
financière de la Communauté.
Ces accords visent donc tout particulièrement à préparer l'entrée des pays
baltes et de la Slovénie dans l'Union. Bien entendu, comme les autres pays
candidats, ces pays devront être en mesure de remplir les obligations qui
découlent de l'adhésion, car ouvrir la négociation n'est pas l'achever. Cela
veut dire remplir les conditions économiques et politiques requises et
énumérées par le Conseil européen de Copenhague de juin 1993. Ces pays ont déjà
accompli des efforts considérables en ce sens, avec un soutien résolu de
l'Union, notamment par le biais d'une assistance technique et financière. La
mise en oeuvre des accords d'association concrétisera la poursuite de
l'engagement de l'Union dans cette démarche vers l'adhésion, dans le respect de
l'égalité de traitement entre tous les pays candidats.
Vous le savez, les pays baltes entretiennent avec la France des liens d'amitié
extrêmement forts. Les décisions que vous allez prendre sont très attendues et
seront commentées. Je me rendrai moi-même dans une dizaine de jours dans ces
trois pays et je voudrais pouvoir leur apporter - puis-je dire que je sais que
je leur apporterai ? - un message positif de la part du Parlement français.
Telles sont, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, les
principales observations qu'appellent les accords d'association entre les
Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, les républiques
d'Estonie, de Lettonie, de Lituanie, et de Slovénie, d'autre part, accords qui
font l'objet des projets de loi aujourd'hui proposés à votre approbation.
Le ministre délégué a répondu aux questions des parlementaires.
Messieurs les Rapporteurs, Messieurs les Députés, vos rapports et vos
interventions ont tous comme point commun d'être marqués à la fois par le sens
de l'amitié qui lie notre pays à la Slovénie et aux Pays baltes, et par une
très grande objectivité dans l'analyse de leur situation. Par conséquent, sauf
question ponctuelle, je ne reprendrai aucun point particulier concernant tel ou
tel de ces pays, et je replacerais la question, comme vous l'avez tous fait,
dans le cadre d'une problématique plus vaste, celle de l'élargissement et des
conditions de sa réussite.
En premier lieu, M. Dauge a montré, à propos de la Slovénie, quelques-uns des
effets pervers - ils apparaissent déjà dans l'Union à Quinze - qui nous
attendraient dans une Union européenne élargie demain sans réforme des
institutions. Selon lui, la Slovénie aurait une voix pour 650 000 habitants,
tandis que la France et l'Allemagne auraient une voix respectivement pour 6
millions et 8 millions d'habitants. Je ne suis pas en mesure de vérifier ces
chiffres, mais je ne les mets nullement en doute.
Il y a effectivement urgence absolue à réformer les institutions. C'est un
problème d'efficacité et de démocratie. Il est indispensable de tenir mieux
compte à l'avenir du poids de chaque pays à la fois en termes de PIB et de
démographie. C'était une des propositions que nous avions faites à Amsterdam et
c'est une des raisons pour lesquelles nous avons signé la déclaration
franco-italo-belge annexée au Traité d'Amsterdam.
L'idée est claire : réformer la pondération des voix au conseil - vous avez à
juste titre insisté sur ce point -, empêcher la commission de devenir un
ensemble monstrueux, comportant un trop grand nombre de membres, et de ce fait
absolument ingérable, et étendre le vote à la majorité qualifiée. Tout cela
permettra l'approfondissement. Telles sont les demandes de la France, et elles
sont impératives, bien sûr.
M. Brana a soulevé un autre problème, repris par plusieurs orateurs. Compte
tenu de la situation particulière de la Lituanie qui ne devrait pas faire
partie de la première vague des pays qui ouvriront des négociations d'adhésion,
comment faire néanmoins pour associer tous les pays et chacun ?
Au sujet du projet de Conférence européenne, sur lequel je reviendrai
ultérieurement, je précise à M. Brana que nous avons proposé ce projet non
seulement, comme il l'a rappelé, pour parler des questions de Politiques
étrangère et de sécurité commune, mais aussi des questions économiques et
d'environnement, et de questions touchant à la sécurité, comme le contrôle de
l'immigration ou la mise en place de systèmes judiciaires efficaces. Bref, il
faudrait faire en sorte que cette conférence soit un forum général où l'on
parle à la fois des questions relevant du troisième pilier, bien sûr, mais
aussi du deuxième et du premier.
Nous devons tous nous sentir concernés par tous les problèmes que poserait une
Union économique élargie.
A propos de politique étrangère et de sécurité, M. Brana a rappelé le fait que
l'accord d'association prévoit la coopération dans le domaine de la prévention
des activités illégales. On ne peut que s'en féliciter.
Votre souci, et l'on rejoint là le débat de tout à l'heure, est que ces sujets,
qui doivent être traités de façon bilatérale avec chacun des pays candidats,
soient aussi évoqués au sein de la Conférence européenne avec l'ensemble des
pays candidats, afin de les sensibiliser à la nécessité de lutter sur le plan
européen contre les trafics de toute nature.
M. Tyrode, dont je salue le premier rapport, tout particulièrement - on le
comprendra puisqu'il est député d'une circonscription qui m'est
particulièrement chère - a souligné un point qui me paraît très juste, sur
lequel Georges Sarre est revenu avec maestria, même si je ne le suis pas
forcément dans son explication historique, qui n'est qu'une explication parmi
d'autres. Je ne suis pas certain, en effet, que l'avis de la Commission soit
fondé uniquement sur des considérations historiques. Réserver un statut
différent à l'Estonie, d'une part, aux deux pays baltes, d'autre part, est un
choix de nature politique. Ouvrir des négociations avec tous, c'était ouvrir
des négociations avec l'ensemble des dix pays. Au nom de quoi aurait-on retenu
les pays baltes et laissé nos amis roumains et bulgares sur le bord du chemin ?
La question posée était de savoir s'il fallait différencier ou pas. La
Commission - demain le Conseil - avait trois choix possibles.
Première solution, ouvrir la négociation à tout le monde. Je crois, et j'ai
entendu Alain Barrau, que c'était difficilement concevable car la capacité de
négociation est trop restreinte. La négociation en aurait été retardée et la
différenciation serait de toutes les façons intervenue à la fin au terme d'un
processus plus long.
Il deviendrait alors nécessaire de trouver des critères.
La Commission a choisi une deuxième solution, - écartant la troisième qui
aurait été de n'ouvrir la négociation à personne : choisir le pays relativement
le plus en avance, l'Estonie, pour donner aux autres le signal qu'ils ne sont
pas exclus du processus, même si d'autres considérations géostratégiques
peuvent intervenir.
Cette solution, bien sûr, n'est pas parfaitement satisfaisante et la France
souhaitait à l'origine que l'on discute avec tous. C'est la raison pour
laquelle elle souhaite qu'il y ait à la fois une composante bilatérale de
négociation et une composante multilatérale, la conférence européenne.
A partir du moment où il n'est pas possible de discuter avec tous les pays, il
est plus pertinent de donner un signal à l'Estonie, qui, même si c'est ténu, et
M. Tyrode l'a souligné, a une route petite avance sur la Lituanie et la
Lettonie. En tout cas, nous tenons absolument à dire aux autres Etats baltes
qu'ils pourront très vite rejoindre le processus.
M. Tyrode a lui aussi insisté sur la nécessité d'une réforme institutionnelle.
Je n'y reviens pas mais je souligne que le système actuel de pondération des
voix est particulièrement inadapté aux petits pays.
Les différents orateurs ont exprimé des préoccupations que, pour l'essentiel,
je partage.
M. René André a évoqué la médiocre position de la France dans les échanges
commerciaux avec les trois Pays baltes. On peut légèrement nuancer ces mauvais
résultats en soulignant qu'une partie des échanges est enregistrée au profit
d'autres pays comme la Finlande, la Suède et le Danemark où sont implantées les
filiales de sociétés françaises qui gèrent les installations des Etats baltes.
C'est par exemple le cas de Saint-Gobain en Estonie, de Peugeot, de Michelin,
de Legrand dans les autres Pays baltes. Tout est géré depuis la Finlande.
Néanmoins cette explication, j'en ai conscience, est tout à fait insuffisante,
et il est clair que la présence française dans les Pays baltes est faible,
comme d'ailleurs dans l'ensemble des pays d'Europe centrale et orientale. Les
entreprises, mais aussi la diplomatie, doivent faire un effort pour vendre la
France, les produits français, la présence française dans ces pays qui,
autrement, risquent de tomber sous une double domination, celle des Etats-Unis,
présents partout, et celle tantôt des Allemands, tantôt des Russes.
La France ne doit pas apparaître peu à peu comme un partenaire de second rang
et nous devons y veiller. C'est l'une des missions que je me fixe. C'est
pourquoi je commence, et Hubert Védrine fait de même de son côté, une tournée
qui doit nous amener dans les six mois dans tous les pays candidats à plus ou
moins long terme à l'adhésion à l'Union européenne. Je suis allé en Hongrie
dimanche et lundi et je me rendrai dans les trois pays baltes les 3, 4, 5 et 6
décembre avant de me rendre en Roumanie et en Bulgarie au cours du premier
semestre de 1998. Cela fait partie de la mission du ministre délégué chargé des
Affaires européennes. Je n'ai pas la prétention de régler les problèmes d'un
coup, mais ils seront traités. Je pense qu'avec la durée et avec une prise de
conscience des chefs d'entreprise, on peut avancer de façon très significative.
Georges Sarre a souligné la nécessité de maintenir la cohérence générale du
processus d'élargissement. Je ne suis pas forcément, comme lui, partisan d'une
Europe de l'Atlantique à l'Oural tout de suite. Si ne je pense pas que la
Conférence européenne doive être ouverte à d'autres pays que les Quinze, plus
les candidats, plus la Turquie, si je ne pense pas que des pays comme la
Suisse, l'Ukraine ou la Russie doivent en faire partie, je suis absolument
convaincu qu'il faut un processus multilatéral. Ce doit être le cadre, le
berceau des négociations d'élargissement. On ne peut pas se contenter de
négociations différenciées avec tel ou tel, qui donnent le sentiment aux autres
qu'ils restent sur le bord du chemin. Ce serait une démarche politiquement
inacceptable et inintelligente.
La France a des difficultés à ce sujet. Certains voisins puissants se
contenteraient finalement d'un élargissement à finalité économique rapide, à
trois ou quatre pays qui sont pour eux des partenaires commerciaux forts. Nous
avons une autre mission, plus universelle, qui est de bâtir une grande Europe,
mais nous devons le faire en préservant les politiques de l'Union européenne.
C'était l'une de vos préoccupations, Monsieur Lequiller.
Vous avez souligné que les futurs membres de l'Union européenne ne seraient pas
contributeurs nets et qu'il fallait réexaminer le financement des politiques
communes. C'est ce que nous avons commencé à faire avec Agenda 2000, et
l'attitude de la France en ce domaine est particulièrement claire.
Certains souhaitent disjoindre ou poser tel ou tel problème de solde net. Pour
nous, l'élargissement, le financement futur de l'Union, la réforme de la PAC,
la réforme des fonds structurels forment un tout et nous devons négocier tous
ces dossiers globalement, en nous assurant que les ressources de l'Union sont
plafonnées, que la ligne directive agricole est maintenue, nous avons eu
l'occasion d'en parler ici, que nos intérêts dans les politiques structurelles
sont protégés, bref en faisant en sorte que l'élargissement soit compatible
avec les contraintes financières de l'Union, contraintes qui sont aussi des
perspectives.
Cela signifie que nous demandons des éclaircissements sur le coût de
l'élargissement - vous avez cité des chiffres, la Commission en a cité
d'autres. On parle de 70 milliards d'écus d'ici à 2006. C'est possible mais
c'est peut-être aussi tout à fait fantaisiste. Nous demandons qu'il y ait une
double programmation financière, une pour les Quinze et une pour
l'élargissement. C'est impératif si l'on veut savoir de quoi l'on parle, sans
risquer de se tromper ou de tromper.
Vous vous êtes aussi préoccupé de l'avenir de l'Union européenne en soulignant
que l'Union européenne mal expliquée peut être mal acceptée. C'est certain et
nous en sommes tout à fait conscients.
En vous écoutant évoquer Paul Valéry pour qui l'Europe des années 30 n'avait
pas eu la politique de sa pensée, je m'interrogeais sur ce qu'est au fond,
aujourd'hui, la pensée de l'UDF sur ce sujet. Vous avez fait un plaidoyer
antilibéral, antilibre-échange tellement vibrant, un plaidoyer pour une Europe
puissante tellement convaincant que, je l'avoue, je m'y suis tout à fait
reconnu, mais c'est un problème de doctrine qui sera traité ultérieurement. Il
fut un temps où il y avait des Européens qui défendaient le libre-échange et
d'autres qui défendaient d'autres conceptions. Aujourd'hui, nous nous
rejoignons presque sur tous les bancs pour la puissance. Soyons clairs sur ce
que cela veut dire, mais je partage votre sentiment s'il est bien celui-là.
Vous avez évoqué concrètement la réouverture des négociations OMC, sur la PAC
notamment. S'agissant des Etats baltes et de la Slovénie, ces pays n'étant pas
des partenaires agricoles d'envergure, on ne peut pas craindre de perturbation
significative du marché communautaire, ce qui ne veut pas dire que tel ne
pourrait pas être le cas avec d'autres pays qui sont des candidats plus sûrs à
l'élargissement.
Vous demandez un débat au Parlement sur l'Ostpolitik de la France ou sur
l'élargissement. Je ne sais pas s'il faut tronçonner la perspective européenne
puisque j'ai expliqué qu'il fallait globaliser tous les dossiers. C'est dans
cet esprit qu'un débat sera organisé à l'Assemblée le 2 décembre, débat auquel
le gouvernement participera bien évidemment, et qui permettra d'évoquer toutes
ces questions, l'élargissement et tout ce qui concerne Agenda 2000. Je pense
que vous aurez donc l'occasion de vous exprimer. Le gouvernement pourra faire
devant vous les mises au point nécessaires et écouter tout ce qui peut lui être
utile.
Je crois avoir répondu, chemin faisant, à Alain Barrau qui s'interrogeait sur
la façon d'enclencher le processus d'élargissement. Nous avons un Conseil sur
l'emploi, à Luxembourg, à la fin de cette semaine. Il a une mission
particulière qui est d'entamer le rééquilibrage de la construction européenne
dans un sens plus favorable à la croissance, à l'emploi. Il y en a un autre,
peu de temps après, le 12 décembre. Il est ordinaire, l'autre étant
extraordinaire, mais il est très important, parce que c'est là que vont se
fixer les premières règles financières, que sera fixée la première liste des
pays candidats à l'élargissement, que sera instituée ou non la conférence
européenne que nous souhaitons, que serons fixées les grandes lignes de réforme
de la Politique agricole commune.
En ce domaine, Monsieur Lequiller, la France a une pensée, partagée d'ailleurs
par les deux branches de l'exécutif, à savoir que l'élargissement est une visée
historique - et le mot historique n'est pas de trop car il s'agit bien de
réunifier deux parties de l'Europe qui ont été divisées par l'histoire -, mais
qu'il faut agir de façon maîtrisée, en réunissant les conditions nécessaires,
en donnant à tous le signal qu'ils sont concernés, mais en faisant une
différenciation car c est une réalité qui existe, j'ai encore pu le vérifier en
Hongrie dimanche et lundi. Il est clair que certains sont en avance. Nous ne
devons ni retarder ceux qui sont en avance ni soumettre ceux qui seraient en
retard à un choc, qui pourrait être brutal sur leur économies et sur leurs
sociétés, à une confrontation trop forte, trop rapide avec l'économie de marché
telle qu'elle est instituée dans le cadre du grand marché intérieur.
Telle est notre pensée : faire l'Europe, la rééquilibrer, l'élargir parce que
c'est une nécessité historique, mais en la maîtrisant.
Je crois que ce débat a montré que vous aviez le sens de cette perspective
historique, et celui de l'amitié aux Pays baltes, amitié bien plus ancienne que
nos échanges commerciaux. Je suis ravi de pouvoir leur porter dans peu de jours
ce message et l'approbation de votre assemblée./.
(source http://www,diplomatie,gouv,fr le 25 septembre 2001)
qui vous sont présentés, ont pour objet d'autoriser la ratification des accords
d'association entre les Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une
part, les républiques d'Estonie, de Lettonie, de Lituanie, et de Slovénie,
d'autre part. Cette ratification est justifiée par les dispositions de
compétence nationale qui figurent dans ces accords, fondés sur l'article 238 du
Traité de Rome et sur l'article 98 du Traité CECA.
Le Sénat a déjà adopté ces projets de loi lors de sa séance publique du 14
octobre. L'autorisation par votre Assemblée de ratification des accords
d'association avec les pays baltes constitue le dernier préalable avant
l'entrée en vigueur de ces textes. La France est le dernier des Etats membres
de l'Union à accomplir cette procédure, qui avait été interrompue par la
dissolution de l'Assemblée nationale au printemps dernier - on s'aperçoit
d'ailleurs qu'elle en a interrompu un certain nombre ! S'agissant de l'accord
avec la Slovénie, quatre Etats membres de l'Union européenne ont déjà procédé à
la ratification du texte qui vous est soumis.
Ces accords transforment la nature des relations de ces pays amis, qui ont
connu des développements considérables en l'espace de quelques années
seulement.
Rappelons-nous : il y a près de six ans, en août 1991, l'Union européenne
reconnaissait l'indépendance des Pays baltes puis signait avec eux, en mai
1992, des accords de commerce et de coopération, transformés en accords de
libre-échange entrés en vigueur le 1er janvier 1995. Et le chemin parcouru
depuis la signature, le 12 juin 1995, des accords d'association qui vous sont
aujourd'hui présentés est tout aussi impressionnant.
Il est essentiel, j'en suis convaincu, de ne laisser aucun doute aux Pays
baltes sur la place qui est la leur au sein de la famille européenne, et dont
ils n'ont été que trop longtemps séparés. La France, qui a avec ces pays des
liens d'amitié anciens et exceptionnels, a à coeur d'y contribuer. Le
développement et la qualité de nos relations bilatérales en portent le
témoignage, même si des potentialités existent sans doute pour développer
encore nos relations économiques. La France a également joué tout son rôle dans
ce rapprochement progressif entre l'Union européenne et les Etats baltes. Il
n'est pas nécessaire de rappeler que les accords d'association ont été signés
sous présidence française.
Il est de notre responsabilité de poursuivre cet engagement. Il est grand temps
que les relations de l'Union européenne avec les trois Etats baltes soit mises
au même niveau que celles nouées avec les pays d'Europe centrale et orientale,
désormais associés.
Il en va de même avec la Slovénie, pays qui fait de sa participation au double
mouvement d'élargissement de l'OTAN et de l'Union européenne un axe majeur de
sa politique. Cette orientation répond légitimement à un double souci de
sécurité et d'affirmation de son originalité de la part d'un pays, issu de
l'ex-Yougoslavie, désireux de concrétiser son ancrage européen. L'adoption d'un
mandat de négociation pour l'accord d'association, finalement acquise, là aussi
sous présidence française au mois de mars 1995, puis sa signature, une fois
l'accord paraphé, se sont heurtées à de grandes difficultés qui expliquent le
délai. En accédant à l'indépendance, dans un contexte marqué par la fin de la
guerre froide, la Slovénie a retrouvé l'héritage de son passé. Derrière les
contentieux italo-slovènes, qui ont retardé l'aboutissement de l'accord
d'association, ce sont en réalité les conditions offertes en Slovénie aux
Italiens expulsés de l'ex-Yougoslavie à la fin de la Seconde guerre mondiale
qui étaient en jeu. L'acceptation d'un compromis a ouvert la voie à la
signature de l'accord d'association le 10 juin 1996. Celui-ci n'a été que
récemment ratifié par le Parlement slovène. Pour autant, le gouvernement y
tient de façon très substantielle.
Ces difficultés ne doivent pas occulter le remarquable consensus sur le modèle
que la société slovène poursuit celui d'une démocratie parlementaire et d'une
économie de marché. Bref, un modèle européen. Le chemin parcouru en ce sens, et
le développement considérable des relations entre la Slovénie et l'Union
européenne, notamment sur un plan commercial, manifestent, sans conteste, la
vocation de ce pays à l'adhésion reconnue par la Commission européenne dans son
avis pour l'Agenda 2000.
Il faut aussi le savoir, c'est important pour nos décisions, la Slovénie est
devenue le quatrième partenaire de la France parmi les pays d'Europe centrale
et orientale, avec des échanges en croissance très forte et marqués par un
excédent significatif à notre bénéfice.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, la présentation de ces
quatre projets de loi m'amène à vous exposer brièvement les préoccupations
essentielles du gouvernement sur l'élargissement de l'Union européenne.
Dès le mois de décembre, le Conseil européen de Luxembourg - pas celui sur
l'emploi - devra prendre les décisions nécessaires pour lancer le processus
d'élargissement, sur la base des avis et de l'Agenda 2000 présentés par la
Commission le 16 juillet 1997. Quelles que soient les décisions que prendra le
Conseil sur l'ouverture pratique des négociations d'adhésion, l'objectif le
plus fondamental sera de confirmer le caractère continu et évolutif de ce
processus d'élargissement, qui concerne tous les candidats sans exception.
Le projet de Conférence européenne réunissant les quinze pays membres de
l'Union et les pays candidats, plus la Turquie, s'inscrit dans ce contexte. La
fixation de clauses de rendez-vous annuelles constituera également un élément
important. L'évaluation que la Commission présentera périodiquement au Conseil,
au sujet de l'avancement de la préparation de chacun des candidats à
l'adhésion, pourra déboucher sur une recommandation d'ouverture des
négociations. Enfin, le processus d'élargissement comprendra la mise en place
d'une stratégie renforcée de préparation à l'adhésion dont ces pays ont
fortement besoin.
La Commission a recommandé au Conseil l'ouverture de négociations d'adhésion
avec la Slovénie et l'Estonie considérant en revanche que les conditions
n'étaient pas encore réunies pour la Lettonie et la Lituanie. Le gouvernement
français, à l'instar une majorité d'Etats membres sans préjuger de ce qui se
dira à Luxembourg, considéré pour sa part que les propositions de la Commission
sont, dans l'ensemble, acceptables mais qu'il faudra être très attentif au cas
des Pays baltes.
Dans l'hypothèse où le Conseil européen retiendrait l'Estonie seule, des
précautions devront être prises à l'égard de la Lettonie et de la Lituanie, en
prévoyant, pour ces deux pays, une perspective claire d'ouverture de
négociations et de "rattrapage" anticipé des négociations si des progrès
significatifs se manifestaient.
Comme vous le savez, le gouvernement estime également nécessaire que soient
bien comprises dès à présent nos préoccupations sur les réformes
institutionnelles. J'ai pu voir ce matin, parmi vous, que le président du
Conseil italien, M. Prodi, était entièrement sur la même ligne que nous.
Parce que nous souhaitons l'élargissement et sa réussite nous considérons que
la réalisation de la première phase ne doit pas intervenir sans que soient
opérées les réformes institutionnelles concrètes, pratiques, limitées, mais
néanmoins très fortes, qui garantiront le bon fonctionnement de l'Union dans
l'avenir. Il est de l'intérêt des pays candidats eux-mêmes d'entrer dans une
Europe qui fonctionne, dans une Europe qui avance, dans une Europe qui soit
capable de prendre des décisions, dans une Europe qui conserve des politiques
communes et non dans une zone de libre-échange invertébré.
Permettez-moi, pour terminer, de brosser à grands traits le contenu de ces
accords d'association, très proches des autres accords européens déjà en
vigueur.
Ils visent tout d'abord à promouvoir le dialogue politique. Celui-ci est à la
fois fondamental et original, entre membres d'une future Europe élargie, car
l'Union c'est d'abord un projet politique. Dans cet esprit, des procédures de
concertation sont instaurées dans le cadre multilatéral et selon les formes et
pratiques établies avec les pays associés d'Europe centrale.
Les accords d'association visent également à établir progressivement une zone
de libre-échange. A cet effet, ils introduisent des dispositions facilitant la
circulation des travailleurs et des capitaux, ainsi que la liberté
d'établissement en matière de prestations de services. Ils prévoient également
l'application par les pays associés des règles de concurrence prévues par le
Traité. Dans le cas des trois Pays baltes, les principales dispositions dans le
domaine économique et commercial sont couvertes par les accords de
libre-échange entrés en vigueur au 1er janvier 1995. En ce qui concerne la
Slovénie, le volet commercial de l'accord d'association est d'ores et déjà mis
en oeuvre de manière provisoire dans le cadre d'un accord intérimaire pour le
commerce et les mesures d'accompagnement entré en vigueur le 1er janvier 1997.
Une vaste coopération est, par ailleurs, instituée. Elle porte sur de multiples
domaines que je me borne à énumérer : la normalisation, la science et la
technologie, l'éducation et la formation, l'agriculture, l'énergie, la sûreté
nucléaire, l'environnement, les transports, les télécommunications, les
services financiers, la protection et la promotion des investissements, la
lutte contre le blanchiment de l'argent de la drogue, le développement
régional, le tourisme, la coopération sociale, la protection des consommateurs,
l'information, les petites et moyennes entreprises, les douanes, les
statistiques et la culture. Cette coopération doit aussi promouvoir le
rapprochement des législations, dans le but de faciliter à terme l'adhésion des
pays associés.
Enfin, les accords constituent une base pour l'assistance technique et
financière de la Communauté.
Ces accords visent donc tout particulièrement à préparer l'entrée des pays
baltes et de la Slovénie dans l'Union. Bien entendu, comme les autres pays
candidats, ces pays devront être en mesure de remplir les obligations qui
découlent de l'adhésion, car ouvrir la négociation n'est pas l'achever. Cela
veut dire remplir les conditions économiques et politiques requises et
énumérées par le Conseil européen de Copenhague de juin 1993. Ces pays ont déjà
accompli des efforts considérables en ce sens, avec un soutien résolu de
l'Union, notamment par le biais d'une assistance technique et financière. La
mise en oeuvre des accords d'association concrétisera la poursuite de
l'engagement de l'Union dans cette démarche vers l'adhésion, dans le respect de
l'égalité de traitement entre tous les pays candidats.
Vous le savez, les pays baltes entretiennent avec la France des liens d'amitié
extrêmement forts. Les décisions que vous allez prendre sont très attendues et
seront commentées. Je me rendrai moi-même dans une dizaine de jours dans ces
trois pays et je voudrais pouvoir leur apporter - puis-je dire que je sais que
je leur apporterai ? - un message positif de la part du Parlement français.
Telles sont, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, les
principales observations qu'appellent les accords d'association entre les
Communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, les républiques
d'Estonie, de Lettonie, de Lituanie, et de Slovénie, d'autre part, accords qui
font l'objet des projets de loi aujourd'hui proposés à votre approbation.
Le ministre délégué a répondu aux questions des parlementaires.
Messieurs les Rapporteurs, Messieurs les Députés, vos rapports et vos
interventions ont tous comme point commun d'être marqués à la fois par le sens
de l'amitié qui lie notre pays à la Slovénie et aux Pays baltes, et par une
très grande objectivité dans l'analyse de leur situation. Par conséquent, sauf
question ponctuelle, je ne reprendrai aucun point particulier concernant tel ou
tel de ces pays, et je replacerais la question, comme vous l'avez tous fait,
dans le cadre d'une problématique plus vaste, celle de l'élargissement et des
conditions de sa réussite.
En premier lieu, M. Dauge a montré, à propos de la Slovénie, quelques-uns des
effets pervers - ils apparaissent déjà dans l'Union à Quinze - qui nous
attendraient dans une Union européenne élargie demain sans réforme des
institutions. Selon lui, la Slovénie aurait une voix pour 650 000 habitants,
tandis que la France et l'Allemagne auraient une voix respectivement pour 6
millions et 8 millions d'habitants. Je ne suis pas en mesure de vérifier ces
chiffres, mais je ne les mets nullement en doute.
Il y a effectivement urgence absolue à réformer les institutions. C'est un
problème d'efficacité et de démocratie. Il est indispensable de tenir mieux
compte à l'avenir du poids de chaque pays à la fois en termes de PIB et de
démographie. C'était une des propositions que nous avions faites à Amsterdam et
c'est une des raisons pour lesquelles nous avons signé la déclaration
franco-italo-belge annexée au Traité d'Amsterdam.
L'idée est claire : réformer la pondération des voix au conseil - vous avez à
juste titre insisté sur ce point -, empêcher la commission de devenir un
ensemble monstrueux, comportant un trop grand nombre de membres, et de ce fait
absolument ingérable, et étendre le vote à la majorité qualifiée. Tout cela
permettra l'approfondissement. Telles sont les demandes de la France, et elles
sont impératives, bien sûr.
M. Brana a soulevé un autre problème, repris par plusieurs orateurs. Compte
tenu de la situation particulière de la Lituanie qui ne devrait pas faire
partie de la première vague des pays qui ouvriront des négociations d'adhésion,
comment faire néanmoins pour associer tous les pays et chacun ?
Au sujet du projet de Conférence européenne, sur lequel je reviendrai
ultérieurement, je précise à M. Brana que nous avons proposé ce projet non
seulement, comme il l'a rappelé, pour parler des questions de Politiques
étrangère et de sécurité commune, mais aussi des questions économiques et
d'environnement, et de questions touchant à la sécurité, comme le contrôle de
l'immigration ou la mise en place de systèmes judiciaires efficaces. Bref, il
faudrait faire en sorte que cette conférence soit un forum général où l'on
parle à la fois des questions relevant du troisième pilier, bien sûr, mais
aussi du deuxième et du premier.
Nous devons tous nous sentir concernés par tous les problèmes que poserait une
Union économique élargie.
A propos de politique étrangère et de sécurité, M. Brana a rappelé le fait que
l'accord d'association prévoit la coopération dans le domaine de la prévention
des activités illégales. On ne peut que s'en féliciter.
Votre souci, et l'on rejoint là le débat de tout à l'heure, est que ces sujets,
qui doivent être traités de façon bilatérale avec chacun des pays candidats,
soient aussi évoqués au sein de la Conférence européenne avec l'ensemble des
pays candidats, afin de les sensibiliser à la nécessité de lutter sur le plan
européen contre les trafics de toute nature.
M. Tyrode, dont je salue le premier rapport, tout particulièrement - on le
comprendra puisqu'il est député d'une circonscription qui m'est
particulièrement chère - a souligné un point qui me paraît très juste, sur
lequel Georges Sarre est revenu avec maestria, même si je ne le suis pas
forcément dans son explication historique, qui n'est qu'une explication parmi
d'autres. Je ne suis pas certain, en effet, que l'avis de la Commission soit
fondé uniquement sur des considérations historiques. Réserver un statut
différent à l'Estonie, d'une part, aux deux pays baltes, d'autre part, est un
choix de nature politique. Ouvrir des négociations avec tous, c'était ouvrir
des négociations avec l'ensemble des dix pays. Au nom de quoi aurait-on retenu
les pays baltes et laissé nos amis roumains et bulgares sur le bord du chemin ?
La question posée était de savoir s'il fallait différencier ou pas. La
Commission - demain le Conseil - avait trois choix possibles.
Première solution, ouvrir la négociation à tout le monde. Je crois, et j'ai
entendu Alain Barrau, que c'était difficilement concevable car la capacité de
négociation est trop restreinte. La négociation en aurait été retardée et la
différenciation serait de toutes les façons intervenue à la fin au terme d'un
processus plus long.
Il deviendrait alors nécessaire de trouver des critères.
La Commission a choisi une deuxième solution, - écartant la troisième qui
aurait été de n'ouvrir la négociation à personne : choisir le pays relativement
le plus en avance, l'Estonie, pour donner aux autres le signal qu'ils ne sont
pas exclus du processus, même si d'autres considérations géostratégiques
peuvent intervenir.
Cette solution, bien sûr, n'est pas parfaitement satisfaisante et la France
souhaitait à l'origine que l'on discute avec tous. C'est la raison pour
laquelle elle souhaite qu'il y ait à la fois une composante bilatérale de
négociation et une composante multilatérale, la conférence européenne.
A partir du moment où il n'est pas possible de discuter avec tous les pays, il
est plus pertinent de donner un signal à l'Estonie, qui, même si c'est ténu, et
M. Tyrode l'a souligné, a une route petite avance sur la Lituanie et la
Lettonie. En tout cas, nous tenons absolument à dire aux autres Etats baltes
qu'ils pourront très vite rejoindre le processus.
M. Tyrode a lui aussi insisté sur la nécessité d'une réforme institutionnelle.
Je n'y reviens pas mais je souligne que le système actuel de pondération des
voix est particulièrement inadapté aux petits pays.
Les différents orateurs ont exprimé des préoccupations que, pour l'essentiel,
je partage.
M. René André a évoqué la médiocre position de la France dans les échanges
commerciaux avec les trois Pays baltes. On peut légèrement nuancer ces mauvais
résultats en soulignant qu'une partie des échanges est enregistrée au profit
d'autres pays comme la Finlande, la Suède et le Danemark où sont implantées les
filiales de sociétés françaises qui gèrent les installations des Etats baltes.
C'est par exemple le cas de Saint-Gobain en Estonie, de Peugeot, de Michelin,
de Legrand dans les autres Pays baltes. Tout est géré depuis la Finlande.
Néanmoins cette explication, j'en ai conscience, est tout à fait insuffisante,
et il est clair que la présence française dans les Pays baltes est faible,
comme d'ailleurs dans l'ensemble des pays d'Europe centrale et orientale. Les
entreprises, mais aussi la diplomatie, doivent faire un effort pour vendre la
France, les produits français, la présence française dans ces pays qui,
autrement, risquent de tomber sous une double domination, celle des Etats-Unis,
présents partout, et celle tantôt des Allemands, tantôt des Russes.
La France ne doit pas apparaître peu à peu comme un partenaire de second rang
et nous devons y veiller. C'est l'une des missions que je me fixe. C'est
pourquoi je commence, et Hubert Védrine fait de même de son côté, une tournée
qui doit nous amener dans les six mois dans tous les pays candidats à plus ou
moins long terme à l'adhésion à l'Union européenne. Je suis allé en Hongrie
dimanche et lundi et je me rendrai dans les trois pays baltes les 3, 4, 5 et 6
décembre avant de me rendre en Roumanie et en Bulgarie au cours du premier
semestre de 1998. Cela fait partie de la mission du ministre délégué chargé des
Affaires européennes. Je n'ai pas la prétention de régler les problèmes d'un
coup, mais ils seront traités. Je pense qu'avec la durée et avec une prise de
conscience des chefs d'entreprise, on peut avancer de façon très significative.
Georges Sarre a souligné la nécessité de maintenir la cohérence générale du
processus d'élargissement. Je ne suis pas forcément, comme lui, partisan d'une
Europe de l'Atlantique à l'Oural tout de suite. Si ne je pense pas que la
Conférence européenne doive être ouverte à d'autres pays que les Quinze, plus
les candidats, plus la Turquie, si je ne pense pas que des pays comme la
Suisse, l'Ukraine ou la Russie doivent en faire partie, je suis absolument
convaincu qu'il faut un processus multilatéral. Ce doit être le cadre, le
berceau des négociations d'élargissement. On ne peut pas se contenter de
négociations différenciées avec tel ou tel, qui donnent le sentiment aux autres
qu'ils restent sur le bord du chemin. Ce serait une démarche politiquement
inacceptable et inintelligente.
La France a des difficultés à ce sujet. Certains voisins puissants se
contenteraient finalement d'un élargissement à finalité économique rapide, à
trois ou quatre pays qui sont pour eux des partenaires commerciaux forts. Nous
avons une autre mission, plus universelle, qui est de bâtir une grande Europe,
mais nous devons le faire en préservant les politiques de l'Union européenne.
C'était l'une de vos préoccupations, Monsieur Lequiller.
Vous avez souligné que les futurs membres de l'Union européenne ne seraient pas
contributeurs nets et qu'il fallait réexaminer le financement des politiques
communes. C'est ce que nous avons commencé à faire avec Agenda 2000, et
l'attitude de la France en ce domaine est particulièrement claire.
Certains souhaitent disjoindre ou poser tel ou tel problème de solde net. Pour
nous, l'élargissement, le financement futur de l'Union, la réforme de la PAC,
la réforme des fonds structurels forment un tout et nous devons négocier tous
ces dossiers globalement, en nous assurant que les ressources de l'Union sont
plafonnées, que la ligne directive agricole est maintenue, nous avons eu
l'occasion d'en parler ici, que nos intérêts dans les politiques structurelles
sont protégés, bref en faisant en sorte que l'élargissement soit compatible
avec les contraintes financières de l'Union, contraintes qui sont aussi des
perspectives.
Cela signifie que nous demandons des éclaircissements sur le coût de
l'élargissement - vous avez cité des chiffres, la Commission en a cité
d'autres. On parle de 70 milliards d'écus d'ici à 2006. C'est possible mais
c'est peut-être aussi tout à fait fantaisiste. Nous demandons qu'il y ait une
double programmation financière, une pour les Quinze et une pour
l'élargissement. C'est impératif si l'on veut savoir de quoi l'on parle, sans
risquer de se tromper ou de tromper.
Vous vous êtes aussi préoccupé de l'avenir de l'Union européenne en soulignant
que l'Union européenne mal expliquée peut être mal acceptée. C'est certain et
nous en sommes tout à fait conscients.
En vous écoutant évoquer Paul Valéry pour qui l'Europe des années 30 n'avait
pas eu la politique de sa pensée, je m'interrogeais sur ce qu'est au fond,
aujourd'hui, la pensée de l'UDF sur ce sujet. Vous avez fait un plaidoyer
antilibéral, antilibre-échange tellement vibrant, un plaidoyer pour une Europe
puissante tellement convaincant que, je l'avoue, je m'y suis tout à fait
reconnu, mais c'est un problème de doctrine qui sera traité ultérieurement. Il
fut un temps où il y avait des Européens qui défendaient le libre-échange et
d'autres qui défendaient d'autres conceptions. Aujourd'hui, nous nous
rejoignons presque sur tous les bancs pour la puissance. Soyons clairs sur ce
que cela veut dire, mais je partage votre sentiment s'il est bien celui-là.
Vous avez évoqué concrètement la réouverture des négociations OMC, sur la PAC
notamment. S'agissant des Etats baltes et de la Slovénie, ces pays n'étant pas
des partenaires agricoles d'envergure, on ne peut pas craindre de perturbation
significative du marché communautaire, ce qui ne veut pas dire que tel ne
pourrait pas être le cas avec d'autres pays qui sont des candidats plus sûrs à
l'élargissement.
Vous demandez un débat au Parlement sur l'Ostpolitik de la France ou sur
l'élargissement. Je ne sais pas s'il faut tronçonner la perspective européenne
puisque j'ai expliqué qu'il fallait globaliser tous les dossiers. C'est dans
cet esprit qu'un débat sera organisé à l'Assemblée le 2 décembre, débat auquel
le gouvernement participera bien évidemment, et qui permettra d'évoquer toutes
ces questions, l'élargissement et tout ce qui concerne Agenda 2000. Je pense
que vous aurez donc l'occasion de vous exprimer. Le gouvernement pourra faire
devant vous les mises au point nécessaires et écouter tout ce qui peut lui être
utile.
Je crois avoir répondu, chemin faisant, à Alain Barrau qui s'interrogeait sur
la façon d'enclencher le processus d'élargissement. Nous avons un Conseil sur
l'emploi, à Luxembourg, à la fin de cette semaine. Il a une mission
particulière qui est d'entamer le rééquilibrage de la construction européenne
dans un sens plus favorable à la croissance, à l'emploi. Il y en a un autre,
peu de temps après, le 12 décembre. Il est ordinaire, l'autre étant
extraordinaire, mais il est très important, parce que c'est là que vont se
fixer les premières règles financières, que sera fixée la première liste des
pays candidats à l'élargissement, que sera instituée ou non la conférence
européenne que nous souhaitons, que serons fixées les grandes lignes de réforme
de la Politique agricole commune.
En ce domaine, Monsieur Lequiller, la France a une pensée, partagée d'ailleurs
par les deux branches de l'exécutif, à savoir que l'élargissement est une visée
historique - et le mot historique n'est pas de trop car il s'agit bien de
réunifier deux parties de l'Europe qui ont été divisées par l'histoire -, mais
qu'il faut agir de façon maîtrisée, en réunissant les conditions nécessaires,
en donnant à tous le signal qu'ils sont concernés, mais en faisant une
différenciation car c est une réalité qui existe, j'ai encore pu le vérifier en
Hongrie dimanche et lundi. Il est clair que certains sont en avance. Nous ne
devons ni retarder ceux qui sont en avance ni soumettre ceux qui seraient en
retard à un choc, qui pourrait être brutal sur leur économies et sur leurs
sociétés, à une confrontation trop forte, trop rapide avec l'économie de marché
telle qu'elle est instituée dans le cadre du grand marché intérieur.
Telle est notre pensée : faire l'Europe, la rééquilibrer, l'élargir parce que
c'est une nécessité historique, mais en la maîtrisant.
Je crois que ce débat a montré que vous aviez le sens de cette perspective
historique, et celui de l'amitié aux Pays baltes, amitié bien plus ancienne que
nos échanges commerciaux. Je suis ravi de pouvoir leur porter dans peu de jours
ce message et l'approbation de votre assemblée./.
(source http://www,diplomatie,gouv,fr le 25 septembre 2001)