Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la crise de l'élevage bovin , les aides de l'Union européenne et les mesures prises pour soutenir la filière bovine, Paris le 7 février 2002.

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Circonstance : Assemblée générale de la fédération nationale bovine à Paris le 7 février 2002

Texte intégral

Monsieur le Président,
Je vous remercie pour cette occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant vous et je tiens à vous faire part des regrets de Jean GLAVANY de ne pouvoir être avec vous ce matin. Il est retenu par des contraintes de dernière minute et m'a donc chargée, comme il vous l'a expliqué, de vous répondre en son nom. Il m'a également chargée de vous porter un message de solidarité ; il sait combien vous souffrez économiquement et moralement de cette longue crise que vous subissez depuis novembre 2000.
Vous avez commencé, Monsieur le Président, en donnant votre perception de la gestion de la crise, distribuant quelques fleurs et des " points noirs ". Vous ne serez pas étonné si je vous dis que le ministre ne partage que très partiellement votre perception de cette crise.
Nous nous rejoignons sur quelques points :
le climat de dialogue qui a prédominé depuis le début de la crise entre le ministère et votre fédération ;
la forte mobilisation des services du ministère, de l'OFIVAL et des organisations professionnelles pour faire face à la crise ; toutefois je tiens à souligner que, contrairement à ce que vous laissez entendre, des moyens très substantiels ont été dégagés en faveur des DSV, des DDAF et de l'OFIVAL. L'OFIVAL a pu recruter jusqu'à 78 personnes supplémentaires et en a encore 60 dans ses murs, et son budget 2001 est passé des 940 MF prévus initialement à 4 975 MF ! Pour les DDAF et DSV, 380 emplois nouveaux ont été créés.
nous nous rejoignons également sur la priorité donnée à la mise en oeuvre de mesures de gestion de marché exceptionnelles, adaptées à l'ampleur de la crise, et l'amertume de voir que la plupart des autres Etats membres se sont très peu mobilisés, alors que leurs efforts joints aux nôtres, à ceux des Irlandais et à ceux des Belges, auraient sûrement permis une sortie de crise plus rapide.
Nous nous rejoignons aussi sur notre opposition au libéralisme. Vous savez que ce gouvernement n'y est pas favorable, que ce soit dans le secteur agricole ou dans les autres secteurs. Je peux vous affirmer que la France s'opposera fortement à une dérégulation de la PAC.
En revanche je ne partage pas votre point de vue sur les mesures obtenues au niveau communautaire.
Vous savez que c'est grâce à la mobilisation - et je dirais même la combativité - de Jean GLAVANY que nous avons pu obtenir à Bruxelles le déclenchement de mesures de gestion exceptionnelles qui n'avaient jamais été mises en uvre jusqu'alors, et n'étaient pas prévues par l'OCM. Je pense notamment à l'intervention publique sur les broutards, au retrait-destruction puis l'achat spécial. Au total, ce ne furent pas moins d'une douzaine de mesures différentes qui ont été âprement négociées à Bruxelles, et mises en uvre en France. Je sais que les critères d'accès à ces mesures vous ont paru parfois trop restrictifs (en particulier les limites de poids des jeunes bovins), et vous auriez souhaité qu'ils soient renégociés. Mais je dois vous dire qu'une fois la négociation conclue, et alors que dans une large mesure nous avons obtenu ce que nous souhaitions, avec des dispositions d'ores et déjà très dérogatoires au régime général, nous n'avons absolument aucun intérêt à ré-ouvrir la négociation, surtout lorsque nous savons par avance que notre demande serait inacceptable pour la Commission et qu'elle ne serait pas favorable finalement aux éleveurs français (je pense en particulier au critère de poids pour les broutards, que vous souhaitiiez voir augmenté, ce qui aurait créé un appel d'air très fort pour les petits taureaux espagnols).
De la même façon, je vois mal comment nous pourrions renégocier les modifications de l'OCM bovine qui ont été acceptées en juin 2001, dans un paquet global qui incluait une augmentation du plafond de l'intervention publique. A l'époque, nous en avions discuté, nous partagions l'analyse selon laquelle 1) il fallait obtenir cette augmentation de façon prioritaire et 2) les différentes modifications de l'OCM bovine n'étaient pas très " percutantes " en terme de maîtrise de la production, mais pas spécialement pénalisantes, à l'exception de l'abaissement du plafond de certaines aides de 1,8 à 1,6 UGB/ha. Le paquet global proposé par la Commission était à prendre ou à laisser, dans un contexte où très peu d'Etats membres étaient favorables à des mesures de gestion de marché ; compte tenu de l'analyse que nous faisions et que nous partagions, nous avons " pris " et Jean GLAVANY a pu obtenir un aménagement afin que la baisse du seuil de 1,8 à 1,6 UGB/ha soit progressive.
Aujourd'hui vous pensez que ces modifications de l'OCM bovine vont s'avérer pénalisantes pour les éleveurs de bovins. Le caractère pénalisant me semble devoir être nuancé : en particulier le taux minimal de 15% de génisses ne me semble pas insurmontable pour les éleveurs de veaux lourds qui souhaitent bénéficier de la PMTVA.
Concernant la prime Hérode, la position de Jean GLAVANY a été très claire. Cette position consiste en deux points :
d'abord le constat que les 14 autres Etats membres sont opposés à cette prime Hérode, et que par conséquent sa mise en oeuvre ne pourrait avoir lieu qu'au niveau national, avec des capacités de retrait limitées : ce serait donc un dispositif financé à 100% par la France mais qui bénéficierait en majeure partie à des veaux d'autres Etats membres (cela avait été le cas en 1996) et dont l'effet à terme sur le marché des jeunes bovins serait noyé dans le marché communautaire ; l'impact serait donc insignifiant pour les éleveurs ;
en revanche, nous avons remarqué qu'il existait des systèmes de valorisation spécifique des jeunes veaux dans des pays-tiers, je pense en particulier à la Nouvelle-Zélande. Le ministre vous a donc proposé que les professionnels mettent en place en France un système de ce type, qui puisse fonctionner de façon pérenne, et constitue un outil durable de gestion des marchés de viande bovine. Il vous a indiqué qu'il était prêt à vous aider à élaborer ce système et à faire fonctionner un dispositif de retrait de petits veaux si cela permettait de favoriser sa mise en route.
A ce jour, les filières professionnelles n'ont pas manifesté une volonté réelle de mettre en place des systèmes de valorisation alternative des petits veaux, ce qui explique qu'il n'y ait pas eu de mesure de retrait spéciale sur ces animaux.
Vous avez bien sûr évoqué la solidarité nationale et les aides aux éleveurs de bovins. Là non plus, je ne peux partager votre appréciation.
Depuis le début de la crise, ce sont un milliard de francs d'aides directes, une enveloppe de 1 milliards de francs de prêts à taux bonifiés, 400 MF d'allègement de charges, et enfin le dernier plan d'aides de près de 150 M qui ont été dégagés en faveur des éleveurs. Et j'oublie encore le complément national de PMTVA porté à son maximum dès 2001 (100 MF) ou les efforts de l'Etat pour le paiement accéléré des primes animales : certes, il y a eu des difficultés en 2001 sur le complément extensif, mais pour la PSBM, la prime à l'abattage et la PMTVA, qui représentent la grosse masse des primes prévues par l'OCM bovine, les paiements ont été fortement accélérés :
les acomptes de PSBM et de prime à l'abattage ont été portés pour 2001 à 80% du montant de référence, au lieu de 60%,
et en ce qui concerne la PMTVA, les paiements au titre de l'année 2000 puis 2001 ont été effectués dans l'année pour 80% des dossiers, contre 60% les années antérieures.
Je tiens à souligner que là encore, Jean GLAVANY s'est mobilisé pour obtenir une adaptation des textes communautaires ou des dispositifs nationaux. Et je ne vous parle pas des moyens budgétaires dégagés pour mettre en place les mesures visant à conforter le niveau de qualité sanitaire de nos viandes, aider la filière à faire face à l'interdiction des farines animales, ou bien assurer la mise en uvre des mesures de gestion de marché.
Au bilan, la solidarité nationale s'est vraiment exprimée pour aider les éleveurs et la filière à sortir de la crise, à un niveau sans comparaison avec d'autres crises antérieures ou avec d'autres Etats membres, et en prenant de réels risques vis-à-vis de la Commission européenne.
Quant au ciblage des aides prévues dans le volet économique du plan annoncé début janvier, il répond à un constat partagé par les chambres d'agriculture : il y a encore de nombreux éleveurs fragilisés par la crise malgré l'augmentation des primes de l'OCM bovine et les aides nationales - sans doute 40 000 environ - mais tous les éleveurs de bovins ne sont pas également en difficulté. L'objectif du gouvernement, dans un souci d'équité, est de cibler les aides vers les éleveurs qui restent nettement fragilisés. Les critères établis permettront de toucher plus de 50 000 éleveurs, mais s'il subsistait cependant des cas particuliers d'éleveurs en difficulté, je suis disposée à discuter avec vous des modalités de mise en uvre de l'aide au cas par cas qui permettraient d'y remédier.
Enfin, concernant les contraintes qui pèsent sur les éleveurs du fait des mesures sanitaires liées à l'ESB, vous savez que le ministre est favorable à une adaptation des mesures dès lors que cela n'entraîne pas de relâchement des garanties sanitaires et que l'on dispose d'un avis scientifique clair en ce sens. C'est le cas pour les animaux accidentés : le retrait de la consommation de ces animaux sera donc limité aux animaux de plus de 24 mois, par un arrêté que vient de signer Jean GLAVANY. Pour les troupeaux atteints d'ESB, un projet d'arrêté prévoit l'abattage sélectif, c'est-à-dire un abattage des animaux nés avant le 1er janvier 2002. Il pourrait être adopté dans les prochains jours, lorsque le Conseil national de l'alimentation aura rendu son avis et après ultimes consultations des autres ministères concernés. Je sais que vous demandez de " sauver " les animaux nés après le 1er janvier 2001, mais je tiens à vous redire que les tests ESB ne sont pas le seul élément à prendre en considération, et l'avis de l'AFSSA n'abonde pas dans le sens de votre demande.
En ce qui concerne le retrait des carcasses situées dans la chaîne d'abattage juste avant ou juste après une carcasse positive au test ESB, le ministre a été attentif aux critiques formulées. Il a donc demandé à ses services de préparer une mesure d'indemnisation forfaitaire sur laquelle des discussions ont d'ailleurs eu lieu avec l'interprofession.
Pour terminer sur la gestion de la crise, je souhaite souligner combien la mobilisation de l'interprofession et du centre d'information sur les viandes a été remarquable. Je pense en particulier à la reconduite en 2001 de l'accord interprofessionnel sur l'étiquetage ou aux actions de communication, que l'Etat a d'ailleurs soutenues. Je crois que l'esprit de cohésion qui s'est manifesté au sein de la filière, sous l'impulsion de Denis SIBILLE, est un gage positif pour avancer sur des sujets comme la transparence dans la filière : vous savez que le ministre y est très favorable - il a d'ailleurs mis en place un observatoire des prix afin d'y contribuer - et il a soutenu - même impulsé - le projet visant à améliorer la transparence en matière de pesée, classement et marquage. Ce dossier a été mis entre parenthèses au début de la crise ESB, à la demande des professionnels, mais je peux vous assurer que le soutien de Jean GLAVANY pour le faire avancer reste plein et entier. Je me félicite donc que le débat sur ce dossier soit aujourd'hui très engagé au sein d'Interbev, dans un climat constructif entre les familles professionnelles. Et Jean GLAVANY a demandé à l'OFIVAL de prévoir dès cette année un budget permettant d'accompagner la mise en place des machines à classer.
Aujourd'hui, les efforts menés au plan sanitaire, les mesures prises pour soutenir la filière, ainsi que les actions de communication commencent à porter leurs fruits. La consommation de viande bovine est en effet remontée à -5% du niveau de 1999 et est revenue dans la plupart des cantines. La confiance du consommateur français a donc été très largement retrouvée, à un niveau que nous n'osions pas espérer voilà seulement 6 mois. C'est également vrai pour les acheteurs étrangers, en particulier les Italiens. Il faut rester mobilisé et ne pas relâcher les efforts. Mais reconnaissez qu'aujourd'hui l'espoir peut être retrouvé. Il me semble que c'est aussi le rôle d'une famille professionnelle comme la vôtre de le faire vivre et progresser.
Du côté des pouvoirs publics, l'attention reste constante. Ainsi un projet de décret qui vise à imposer l'affichage de l'origine des viandes bovines dans les restaurants a été élaboré conjointement avec les services de François PATRIAT, et vient d'être notifié à la Commission européenne, qui a trois mois pour réagir. Dans l'attente de cette réaction, il sera demandé par circulaire aux services de l'Etat d'appliquer par anticipation ce projet de décret dans les restaurants relevant de leurs compétences. En outre, une note a été élaborée pour expliquer les critères qui peuvent être retenus dans les achats publics de viande afin de choisir le " mieux disant " ; elle a été largement diffusée au travers des " télégrammes des marchés " et se trouve disponible sur le site internet du ministère.
Au-delà des aspects conjoncturels, vous avez manifesté votre préoccupation sur des dossiers structurels comme l'évolution de l'OCM bovine associée à l'entrée des PECO dans l'Union européenne, l'organisation économique, le réseau sanitaire bovin, ou le PMPOA.
Concernant le PMPOA, je souhaite vous rappeler qu'il n'a pas été facile de le faire accepter par la Commission sur les bases financières proposées par la France. Ce sont des échanges nombreux et personnels entre Jean GLAVANY et Franz FISCHLER qui ont permis d'obtenir ce résultat, ainsi qu'un engagement fort à intervenir en priorité dans les zones où la qualité de l'eau est dégradée ou menacée. Cela ne remet nullement en cause l'accès de tous les éleveurs de plus de 90 UGB et des jeunes agriculteurs de plus de 70 UGB, partout en France. Pour les autres éleveurs, cela nous conduira à privilégier les zones vulnérables et certaines autres zones prioritaires dans lesquelles on observe effectivement une menace réelle sur la qualité de l'eau, mais c'est peu pénalisant puisque c'est déjà dans ces zones que se trouvaient 70% des éleveurs entrés jusqu'à présent dans le programme. En tout état de cause, tous les éleveurs ont évidemment la possibilité de se faire accompagner au titre du CTE pour tous les investissements qui leur permettraient d'aller au-delà de leurs obligations réglementaires.
S'agissant du réseau sanitaire bovin, vous faites état Monsieur le Président, d'un certain agacement il s'agit sans doute d'impatience impatience à voir développer un système novateur et ambitieux de gestion des maladies réglementées et au-delà, de maîtrise des risques sanitaires en élevage. Dans ce système, la surveillance effective des troupeaux par des visites régulières du vétérinaire sanitaire revêt une importance primordiale. J'ajoute que le suivi sanitaire régulier d'un élevage fournit par ailleurs au vétérinaire des indications très utiles pour faire un diagnostic et établir sa prescription. Il devient incontournable si l'on envisage une prescription de médicament vétérinaire sans examen préalable des animaux. Il ne s'agit pas d'imposer aux éleveurs une superposition des visites vétérinaires, mais bien d'impulser une réorientation qualitative de l'intervention du vétérinaire. L'objectif est d'assurer une maîtrise globale des risques sanitaires : c'est me semble-t-il l'intérêt bien compris de tous -éleveurs, vétérinaires, pouvoirs publics et bien sûr consommateurs-! J'ajoute qu'à terme, le réseau permettra aux éleveurs de faire des économies tout en assurant un meilleur suivi sanitaire. En attendant, l'Etat poursuivra l'effort financier déjà consenti lors de la phase expérimentale du réseau.
Ces grands principes, Jean GLAVANY les a rappelés la semaine dernière dans une lettre adressée à Jean-Jacques ROSAYE. Vous savez bien que la FNGDS est notre interlocuteur privilégié sur les questions sanitaires, conformément à ses missions. Ce qui n'empêche pas que l'ensemble des organisations professionnelles agricoles ont été et seront encore consultées dans le cadre du Comité consultatif de la santé et de la protection animales.
Concernant l'avenir, de façon générale, Jean GLAVANY a été soucieux, dès le milieu de l'année 2001, d'engager un travail sur les moyens de consolider l'élevage allaitant, qui a été particulièrement touché par la crise. Dans le prolongement du rapport qui lui a été remis en décembre, et qui vous a été adressé aussitôt, 3 groupes de travail se mettent en place sur trois grands thèmes :
communication, segmentation, qualité,
organisation économique et adaptation des élevages,
maîtrise de la production et évolution de l'OCM.
Comme vous le voyez, nous partageons les mêmes sujets de préoccupation. Ces groupes, qui se réuniront dès la semaine prochaine, devront à la fois réfléchir aux orientations à prendre d'ici 1 ou 2 ans, mais également faire des propositions concrètes, sur des mesures structurelles susceptibles d'être mises en uvre dès cette année. Des mesures qui pourraient par exemple consister à mettre en place une véritable différenciation des viandes prenant en compte les différents critères jugés pertinents par le consommateur (type racial, catégorie, origine). Je souhaite que la contribution de la FNB à ces groupes soit active.
En effet, c'est aujourd'hui qu'il faut se mobiliser sur les mesures structurelles, en phase de sortie ou d'allègement de crise. La filière bovine a trop souffert à travers les deux crises de l'ESB pour ne pas en tirer les leçons. Et elle a d'ores et déjà su faire preuve de suffisamment de responsabilité pour reconnaître les enjeux et savoir les moments où il faut prendre son avenir en main.
Et vous savez pouvoir compter sur l'engagement du ministère, du ministre, du gouvernement à vos cotés.
Je vous remercie.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 11 février 2002)