Conférence de presse et interview de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à France Info et Africa n°1 le 15 mars 2002, sur l'action humanitaire, la mission et le rôle de la Délégation à l'action humanitaire.

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Média : Africa n°1 - France Info - Presse étrangère

Texte intégral

(Conférence de presse à Paris, le 14 mars 2002) :
J'ai souhaité vous rencontrer pour vous présenter l'un des derniers volets de la réforme du dispositif français de coopération. Il s'agit cette fois de l'action humanitaire. Auprès de moi, M. Lequertier qui est secrétaire général adjoint du ministère des Affaires étrangères, à ma gauche, M. Gildas Le Lidec qui va être le premier délégué à l'action Humanitaire. C'est le produit de cette dernière réforme dont je voulais vous entretenir ce matin.
Lorsqu'on évoque en France la question humanitaire deux références s'imposent :
- les ONG et les " French doctors "
- les institutions internationales : HCR, PAM, CICR et l'instrument communautaire ECHO.
Qu'en est-il de l'Etat ?
Dans les années 1980 un Secrétariat d'Etat en charge de l'action humanitaire a été créé. Il a, entre autres, été confié à Claude Malhuret, Bernard Kouchner, Xavier Emmanuelli, tous issus du monde des "French doctors".
Cette structure a fait l'objet de mises en question sur deux fronts :
- du côté des ONG attachées à l'indépendance de l'action humanitaire cela constituait une instrumentalisation par l'Etat d'une cause " sans frontière ",
- du côté du Quai d'Orsay certaines initiatives prises au nom de l'impératif humanitaire pouvaient constituer des ingérences face à la souveraineté des Etats.
En 1997 le choix a été fait d'intégrer l'action humanitaire et de la placer sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères. Elle est, par décret, attribuée au ministre en charge de la Coopération, du Développement et des Droits de l'Homme, ce qui est cohérent. Elle est ainsi, comme l'aide au développement, une composante de l'action extérieure. Il fallait en effet prendre en compte les évolutions du monde. La question humanitaire est complexe. Quelques constats :
- Les conflits ne sont, en majorité, plus des guerres entre Etats qui respectent règles et conventions, mais ils sont le fait de groupes armés pour lesquels les populations sont le "théâtre des opérations". Exécutions et violences sur les civils, déplacements de masse ont modifié les problèmes d'accueil et de protection des réfugiés (flux massifs).
- Les ONG elles-mêmes ont changé d'échelle et au-delà de l'engagement militant les plus grandes constituent des organisations professionnalisées incontournables dans la gestion des crises.
- Les opérations de maintien de la paix de l'ONU (OMP), de plus en plus coûteuses pour la communauté internationale requièrent une réforme (rapport Brahimi).
- La question de la protection des civils dans les conflits devient une question centrale.
L'important rapport de la "Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des Etats", qui vient d'être remis fin décembre à Kofi Annan, sur la "responsabilité de protéger", devra être pris en compte.
- Les armées modernes, professionnelles, intègrent désormais les missions civilo-militaires (A.C.M) qui pour certaines "ressemblent" à l'action humanitaire. Lors du dernier exercice RECAMP, "opération TANZANITE", la protection des réfugiés par les armées africaines était à l'ordre du jour.
Enfin, l'action humanitaire concerne aussi les interventions en cas de catastrophes naturelles et d'accidents technologiques. Celles-ci prennent des dimensions "démographiques" nouvelles puisque les zones à risque sont le plus souvent habitées par les populations les plus pauvres
Dans ce contexte, il fallait revoir les dispositifs administratifs. Le gouvernement a, en quelques années, procédé à la modernisation du ministère des Affaires étrangères. La réforme la plus "connue" a été la fusion dans un pôle diplomatique unique, des services de la coopération pour le développement et des services du Quai.
De même a été réalisée une amélioration du dispositif de gestion de crise, piloté par le ministère des Affaires étrangères, et associant le S.G.D.N. à la préparation et au suivi des décisions. Ce dispositif permet une étroite articulation des dimensions politiques, diplomatiques, militaires et humanitaires des crises. De plus il intègre la "post-crise", la phase de reconstruction, de reprise de l'activité civile et économique. Cette phase est complexe : il faut reconstruire un état de droit, et en même temps il faut que la "société", à la base, redevienne "acteur", retrouve le chemin du développement. L'A.F.D, opérateur du ministère des Affaires étrangères, est désormais impliquée dans cette phase. Un fonds "post-crise" a été créé dès la loi de Finances 2002 pour contribuer à la reconstruction. La délégation à l'action humanitaire, au sein du ministère des Affaires étrangères dont elle constitue un service, est partie prenante à ce dispositif. La délégation à l'action humanitaire a été créée au terme de longues consultations.
Fin 1999 un rapport de deux hauts fonctionnaires (Descoueyte et Vachey) tirait les leçons de la crise du Kosovo, qui a constitué, dans les cinq dernières années, la plus haute intervention humanitaire de l'Etat. Ce rapport concluait à la nécessité d'une réorganisation, et d'une unification des deux services : cellule d'urgence et service de l'action humanitaire. D'aucuns souhaitaient créer une agence, externe au ministère des Affaires étrangères, pour l'action humanitaire.
Il est apparu très vite que l'imbrication, en temps de conflit et de crise, de l'humanitaire et du politique excluait cette voie. Il n'était pas question non plus que l'Etat "fabrique" un nouvel acteur humanitaire. L'action Humanitaire de l'Etat se réfère, bien sûr, au droit humanitaire international, aux Droits de l'Homme, à cette "responsabilité de protéger", commune à l'ONU, aux Etats, aux organisations de la société civile. Il n'y a pas une "doctrine" nouvelle.
La délégation a une triple mission : anticiper la crise, organiser des partenariats avec tous les acteurs humanitaires, "ici et là bas", conduire les interventions décidées et en assurer l'évaluation . Elle est confiée à un délégué : Gildas Le Lidec, un diplomate dont "l'itinéraire" le désigne à cette fonction (Cambodge, RDC, entre autres). Il dispose de deux sous-directions et d'un bureau :
- l'une, dite politique, a compétence à conduire toutes les concertations nationales et internationales, en relation avec les directions politiques et avec tous les services ministériels susceptibles de concourir (Défense, Sécurité civile, Santé). Un dialogue continu avec les ONG et avec les chercheurs permettra une meilleure anticipation des risques de crise humanitaire.
- l'autre, dite opérationnelle, prépare et met en uvre les interventions et constitue une information sur les acteurs du terrain susceptibles d'être appuyés dans les pays "à risque de crise ou de catastrophe". Nos postes diplomatiques sont partie prenante à ces tâches.
- un bureau de gestion, outre ses attributions financières, doit assurer le bilan et les évaluations des opérations.
Cette délégation, outre sa mission opérationnelle, a donc un rôle capital de concertation et coordination. Elle conduit aussi la préparation du passage à la post-urgence, dispose du Fonds d'urgence humanitaire, abondé en cas de crise. Elle comptera une vingtaine d'agents de profils diversifiés.
En conclusion et avant de répondre aux questions que vous voudriez peut-être nous poser, je voudrais rendre hommage aux responsables de la Cellule d'urgence et du Service de l'action humanitaire dont nous marquons en quelque sorte la fin de l'existence mais qui ont su, depuis des années, travailler avec générosité, dans des conditions souvent difficiles, et par définition, ans l'urgence à l'action de l'Etat en matière humanitaire.
Après vous avoir rappelé que beaucoup d'informations sont contenues dans le dossier que nous vous avons remis, nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Q - Pour en revenir juste à l'actualité et donc à la récente polémique concernant les ONG, Quel est votre point de vue sur l'appel de certains, notamment l'ancienne présidente de AICF Sylvie Brunel à l'intervention de l'état dans le fonctionnement des ONG ?
R - Vous avez bien compris que ce n'est pas pour répondre à l'appel de Sylvie Brunel que nous avons créé cette délégation. Plus sérieusement, son principe avait été décidé bien avant, mais il est vrai que ce besoin d'une relation plus suivie avec la constellation des ONG en charge de l'humanitaire était une des bonnes raisons que nous avions de vouloir également nous doter d'un outil plus adapté, plus performant. Je vous disais tout à l'heure que la direction opérationnelle serait entre autres chargée de l'évaluation, je pense que nous devons aider les ONG elles-mêmes à se structurer, à se professionnaliser. Nous comprenons le besoin de cette professionnalisation, compte tenu de l'importance des sommes à gérer, le volume des actions à conduire et également, par nécessité pour les ONG françaises, de "faire le poids" par rapport à des ONG anglo-saxonnes, souvent organisées sur une autre échelle et qui étaient en meilleure situation, notamment pour pouvoir faire appel aux financements multilatéraux qui représentent aujourd'hui l'essentiel des moyens mobilisés pour l'action humanitaire, qu'il s'agisse des fonds européens ou qu'il s'agisse des fonds que les agences de l'ONU mobilisent.
Ajoutons-y un besoin de transparence. Sur ce terrain, je rejoins totalement la demande de Sylvie Brunel. Je crois qu'il est important que tout le monde sache. Il ne me paraît pas anormal que les donateurs, qu'ils soient publics surtout, ou qu'ils soient privés puissent savoir, de manière plus précise, comment fonctionnent ces organisations, y compris leur politique salariale.
Q - Vous parlez de plus de transparence. Quel sera le rôle de la délégation en la matière, quelles seront vos relations avec les ONG pour ce qui est de la transparence financière ? Exigerez-vous des comptes par exemple ?
R - Nous le faisons déjà mais on peut peut-être réfléchir, sans anticiper sur le travail que M. Le Lidec et son équipe vont accomplir, avec les ONG sur les moyens d'information qui pourraient être mises en place par elles-mêmes, en direction par exemple des donateurs. Comment présenter, de manière plus précise parfois, les frais de gestion engagés, la part qui va à l'action humanitaire elle-même et la part qui doit, nécessairement, assurer le fonctionnement de l'organisation. Nous pourrons certainement parler avec elles de cette question et examiner les moyens d'assurer la meilleure information de l'opinion en particulier, puisque c'est elle qui a été un peu interpellée.
Q - Je vois bien les bonnes intentions derrière la création de la délégation mais, pour nous aider à mieux en apprécier l'intérêt pratique, pourriez-vous nous donner un exemple concret de crise récente dans laquelle la délégation aurait permis de réagir plus vite ou de mobiliser plus rapidement les choses que par le système existant ?
R - Par exemple, au Kosovo, l'Afghanistan étant un exemple trop récent pour en tirer des conclusions, même si je suis très heureux que cette délégation intervienne à temps, pour pouvoir aider ce passage de l'Afghanistan de l'urgence à la reconstruction, c'est un moment très important pour nous.
On peut penser que la délégation, si elle avait été mise en place au moment de la crise du Kosovo aurait permis une meilleure coordination entre par exemple, le pôle diplomatique, la défense et les ONG. La relation entre ce que l'on appelle le civilo-militaire et le civil aurait sans doute été meilleure. Ce souci de meilleure coordination interministérielle est très probablement la motivation la plus forte, éviter les rivalités de "boutiques" si je puis employer l'expression. Or, ceci menace toujours.
On peut penser aussi que cette délégation permettra d'anticiper mieux. L'anticipation par rapport aux conflits susceptibles de se déclencher renvoie bien à une réflexion interministérielle là aussi et on comprendra qu'elle soit pilotée par les Affaires étrangères. Nous sommes là, complètement dans le domaine diplomatique. Faut-il préciser que cette anticipation mobilisera, je l'ai dit, tous les services compétents, y compris ceux qui font, précisément, profession de renseignements ; c'est très important qu'ils puissent être associés à cette anticipation.
J'ai oublié de préciser que la délégation à l'action humanitaire a été rattachée au Secrétariat général, mais je ne sais pas de quoi sera fait l'organigramme ministériel demain ou après-demain. Pendant presque 5 ans, j'ai donc géré cette relation entre coopération au développement et action humanitaire, cette dernière a été autrefois identifiée à un ministère ou un secrétaire d'Etat spécifique, je ne sais pas quelles seront les intentions du futur Premier ministre à cet égard. Mais l'important, c'était d'avoir une organisation ministérielle qui ait un service structuré, solide, qui saura faire son travail, quel que soit l'organigramme gouvernemental futur.
Q - S'agit-il d'une structure originale ou bien d'une copie de ce qui se faisait en Grande-Bretagne ou dans d'autres pays ?
R - (M. Lequertier) - Il semble que c'est plutôt une construction originale qui répond au constat que l'organisation qui avait été mise en place, petit à petit, de manière pragmatique au cours des 20 dernières années, comme l'a dit le ministre avait atteint certaines limites. L'organisation antérieure était au fond, pour des raisons historiques que vous connaissez aussi bien que moi, marquée par la dualité, avec tous les avantages mais aussi certains inconvénients en terme de risque de perception différente, de risques de lenteur bureaucratique. Notre organisation humanitaire ayant évolué au cours des 20 dernières années, le moment était sans doute venu également, de même que pour les ONG, de faire une sorte d'arrêt sur image. C'est tout cela qui a conduit les autorités politiques à décider d'abandonner une organisation fondée sur la dualité pour privilégier une organisation fondée sur l'unité, de manière à avoir, comme le disait le ministre, une plus grande capacité d'anticipation politique des crises, celles qui ont un contenu politique car il y a des crises ou des situations d'urgence que, par définition, on ne peut pas prévoir : tremblement de terre, inondation ou cyclone ou autre.
Merci de nous aider à faire connaître cette importante réforme
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mars 2002)
(Interview à France Info et Africa n°1 à Paris, le 14 mars 2002) :
Q - Pas de rivalité politique, une meilleure anticipation des crises et des conflits. Derrière ces mots vous mettez quoi, plus de transparence, plus d'efficacité, plus de visibilité aussi peut-être ?
R - D'abord sur l'anticipation. J'insiste beaucoup, dans la dernière période, sur l'effet pervers de certaines actions humanitaires dans le déroulement de certains conflits. On a même été jusqu'à prétendre que l'action humanitaire pouvait les prolonger. Ceci mérite d'être totalement nuancé. Il s'agit, dans tous les cas de figures, de soutenir des populations. Mais, il arrive parfois qu'il y ait détournement, dévoiement de l'action humanitaire.
Cette délégation dans mon esprit est aussi là pour aider les ONG à apprécier une situation politique et éviter les effets pervers qu'une action humanitaire peut parfois avoir. Aider aussi les ONG à réfléchir aux meilleurs moyens de gérer l'accueil des réfugiés, de faciliter leur retour, leur intégration dans la population. Il s'agit d'éviter ce phénomène d'enfermement que représentent souvent les camps de réfugiés ainsi que les situations aberrantes qui ont été dénoncées récemment et ce, en dépit des efforts que le HCR, par exemple, peut déployer.
S'agissant de la transparence, de la gestion des ONG, c'est à elles d'abord de se donner les moyens d'une meilleure transparence, de préserver la confiance entre les ONG et les donateurs, qu'ils soient publics ou qu'ils soient privés. Mais là encore, je le répète, nous serons tout à fait disposés à voir avec elles comment aider à cette meilleure transparence, qui paraît tout à fait importante.
Nous aurons au sein de cette délégation un bureau chargé de ces questions financières, chargé d'en faire l'évaluation, de gérer l'urgence. Il n'est pas simple de concilier l'urgence et les règles de la comptabilité publique, c'est pourtant ce qu'il va falloir faire si on veut être efficace. Bref, c'est un lieu destiné, dans le cadre d'un dialogue très serré entre les différents acteurs de l'action humanitaire, à gagner en efficacité et j'espère aussi en transparence.
Q - Monsieur le Ministre, quelle va être la part de l'Afrique dans ce nouveau dispositif ?
R - La part de l'Afrique va être importante dans ce nouveau dispositif, et je suis heureux d'en parler aux côtés de Gildas Le Lidec, le premier et tout nouveau délégué à l'action humanitaire, qui arrive de Kinshasa, en RDC. L'Afrique va en effet, garder une place importante, parce que malheureusement, c'est ce continent qui, actuellement encore, compte le plus grand nombre de conflits. C'est certainement l'Afrique qui a le plus grand nombre de populations déplacées, actuellement dans des camps de réfugiés. Donc, oui l'Afrique va être certainement le continent dont cette délégation va avoir le plus à s'occuper".
Q - Quelles sont les réactions du ministre de la Coopération face aux scandales qui ont été récemment liés à l'action humanitaire, notamment en Afrique, concernant aussi bien les ONG que le HCR ?
R - Je suis évidemment consterné par ces agissements totalement aberrants dans la relation entre les réfugiés et ceux qui sont en charge de les soulager, et qui, au lieu de les aider, aggravent encore leurs souffrances. C'est au HCR en l'occurrence, et à tous les acteurs de l'action humanitaire, à être attentifs à la relation qui peut exister dans un espace fermé comme l'est toujours un camp de réfugiés, entre la population appelée à être secourue et les personnes qui sont auprès d'elle. J'espère bien que le HCR va prendre des dispositions pour condamner les coupables et éviter que ce genre de situation ne se reproduise.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mars 2002)