Interview de Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie, à "France 2" le 30 juillet 2002, sur la privatisation annoncée d'Air France, les relations franco-allemandes et sur le constat d'une France, mauvaise élève de la transposition des directives européennes.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

C.-M. Monnot - Vous êtes ministre déléguée chargée de l'Industrie, mais vous avez été auparavant, pendant deux ans et demi, présidente du Parlement européen. C'est à ce double titre que vous êtes notre invitée. La première question, c'est l'annonce hier de la privatisation d'Air France. On est un peu surpris, alors que les marchés boursiers ne sont pas en très grande forme, sauf hier exceptionnellement ; pourquoi cette annonce de privatisation ? N'est-ce pas un peu précipité ?
- "Justement, cette annonce marque les excellentes performances d'Air France et salue même au passage l'excellente stratégie qui a été celle de J.-C. Spinetta."
Etait-ce urgent de l'annoncer maintenant, d'autant que cette privatisation n'est prévue que pour 2003 ?
- "Absolument, lorsque les conditions du marché seront bonnes, encore une fois. Mais justement, je pense que c'est tout à fait excellent de faire cette annonce bien avant, pour bien montrer que la démarche n'est pas précipitée, mais qu'au contraire, c'est une démarche qui s'inscrit dans un processus qui tende à renforcer le projet industriel des industries françaises."
Quand on voit le sort de certaines compagnies privatisées, comme British Airways, alors que Air France est en très bonne santé, troisième compagnie mondiale, on est un peu surpris. Vous vous privez d'un joyau non estimable ?
- "Nous lui donnons les moyens de son développement."
Vous pensez que c'est une bonne stratégie ?
- "Oui, je pense."
Ou c'est un besoin d'argent frais pour le Gouvernement ?
- "Absolument pas, justement. Ces entreprises de privatisation ne doivent pas s'inscrire dans cet objectif, mais vraiment dans le seul souci de renforcer la compétitivité industrielle française."
Les syndicats accueillent cela avec un peu de scepticisme. Les pilotes vont être concernés ?
- "Au contraire, j'ai senti un certain enthousiasme. Ils ont dit tout de suite qu'ils étaient partants."

Partants ?
- "Partants, au bon sens du terme : pour participer. Pour le moment, les réactions plutôt très positives."
Aujourd'hui, dans l'ex-Allemagne de l'Est, se déroule un sommet franco-allemand, le 79ème du nom, avec J. Chirac et G. Schröder - peut-être le dernier pour G. Schröder. Que va-t-il se passer au cours de ce sommet, puisqu'à deux mois des élections allemandes, il y a peu de chance que le moteur franco-allemand redémarre ?
- "Il faut voir les choses un peu plus sur le long terme. J'ai le sentiment que le contexte d'une relance de l'axe franco-allemand est particulièrement porteur, parce que nous sommes à six mois du 40ème anniversaire du traité qui avait été signé par le général de Gaulle et K. Adenauer. C'est tout de même un symbole très fort. Nous sommes aussi à la veille d'un élargissement sans précédent de l'Europe, qui va supposer une refondation de notre union."
Mais là, les regards franco-allemands sont un peu divergents ?
- "Oui, mais ce que je constate, c'est qu'il y a une réalité - et personne ne la conteste, même pas nos autres partenaires européens : si l'Allemagne et la France n'ont pas une vision commune du devenir de l'Europe, rien ne marchera."
J. Chirac et G. Schröder n'ont jamais été un tandem très fusionnel ?
- "Ce n'est pas à moi d'en juger. Encore une fois, l'axe franco-allemand est plus que jamais nécessaire. C'est vrai qu'il y a une certaine distanciation au cours des dernières années, peut-être parce qu'au fur et à mesure que les souvenirs de la guerre se sont estompés, cela est apparu moins nécessaire. Peut-être aussi parce que les efforts que la réunification ont demandé à l'Allemagne, ont été plus difficiles qu'ils ne le prévoyaient. D'où le fait que l'Allemagne est devenue un partenaire beaucoup plus exigeant. Maintenant, il faut mettre tout cela à plat. Il faut qu'il y ait une volonté politique et des actes concrets."
Sur la politique agricole notamment, divergence totale ?!
- "[Il faut] une volonté politique qui va consister tout simplement à créer des groupes de travail et à mettre à plat ce qui fâche, et à trouver des solutions. Et quand il y a une volonté politique au rendez-vous, il y a des chemins."
Sur la politique agricole, il y a un payeur et puis un bénéficiaire ?
- "Oui, bien sûr. Mais si on se contente de dire : "le payeur ne veut plus payer, le bénéficiaire..." Il faut voir les choses beaucoup plus largement. Et puis, nous avons - je suis en charge du secteur de l'industrie - des partenariats absolument formidables. Dans le domaine spatial par exemple, l'essentiel de l'industrie spatiale est en France et en Allemagne. Egalement dans le domaine des sciences de la vie : je pense au mariage qui a donné naissance à Aventis ; je pense aussi au nucléaire avec Framatome et Siemens. Voilà un certain nombre de domaines dans lesquels nous avons beaucoup à faire. Il ne faut pas oublier que l'Allemagne est toujours le premier partenaire économique et commercial de la France."
H. Stoiber, qui est le challenger CDU-CSU de G. Schröder, a été reçu à l'Elysée il y a quelques jours, avec beaucoup de sourires et de sympathie. Est-ce que secrètement, l'Elysée ne serait pas plutôt du côté de Stoiber ?
- "Vous imaginez bien que nous n'allons pas nous ingérer dans les affaires internes allemandes et dans les prochaines élections. Je constate simplement que monsieur Stoiber a manifesté avec force sa volonté politique de renforcer l'axe franco-allemand. C'est une démarche, évidemment, que je ne peux qu'apprécier. Je crois qu'elle est très porteuse."
Parlons de l'Europe au quotidien. La Commission, une fois de plus, profite de l'été pour certains mauvais coups, notamment l'étiquetage. Elle reproche à la France de ne mettre que des étiquettes françaises. Il faudrait maintenant que ce soit en anglais, entre autres. Trouvez-vous que c'est une démarche originale pour le consommateur ?
- "Là, je crois qu'il y a eu vraiment un malentendu. Croyez-moi, je suis très européenne et je suis aussi très attentive à certaines méthodes de la Commission que je n'aime pas beaucoup dans certains cas. Là, de quoi s'agit-il ? En réalité, il s'agit d'une directive qui n'a pas du tout imposer l'anglais sur les étiquettes. D'ailleurs, mon collègue R. Dutreil vient de signer un décret dans lequel il sera très précis, à savoir que les étiquettes seront en français, mais qu'elles pourront l'être aussi dans une autre langue. Mais c'est là que réside le danger. Il est bien évident que si la dérive vers l'anglais se poursuit, dans la mesure où il faut bien reconnaître qu'un maximum de gens parle l'anglais dans le monde, et là, si nous ne sommes suffisamment attentifs, c'est toute la dimension de la francophonie et du rayonnement du français, par exemple dans les pays candidats, où, je dois vous dire que j'ai le regret de constater, malheureusement, les progrès considérables de la langue anglaise dans ces pays."
Vous êtes ministre déléguée à l'Industrie mais européenne convaincue. Or la France est vraiment très mauvaise de la classe européenne : dernière pour la transposition des textes dans la législation française, dernière pour le refus de lever l'embargo sur le british beef. Qu'allez-vous faire pour que cela s'améliore ? En plus, on modifie la loi sur la chasse, alors que c'était une directive acceptée par la France en 1979, à l'unanimité. Franchement, allez-vous remonter un peu la pendule à votre Gouvernement ?
- "C'est un mal très ancien. Je ne vais pas remonter la pendule à mon Gouvernement, parce que je peux vous dire que le Gouvernement partage très largement mon ambition de faire en sorte que toutes les directives européennes soient normalement appliquées."
Cela va prendre combien de temps ?
- "C'est une volonté, ça va prendre un certain temps, parce que bien sûr, le véhicule de la loi est souvent assez lourd. D'ailleurs, je dois dire que c'est très compliqué de transposer en droit français les directives européennes, il faut aussi être conscient de cela. Mais je vais par exemple commencer à proposer une ordonnance qui va transposer la fameuse directive sur le gaz."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 juillet 2002)