Texte intégral
Q - Tout le monde sait que l'ONU et la KFOR ne régleront pas les problèmes du Kosovo en quelques semaines. Mais n'est-il pas illusoire de vouloir instaurer dans la province un pluri-ethnisme qui n'y a jamais existé ?
R - Difficile, oui. Illusoire, non. La résolution 1244 que nous avons préparée et votée au Conseil de sécurité fixe un bon cap. Elle est ambitieuse : elle vise à assurer la sécurité pour tous, à organiser une vraie coexistence entre les communautés et à préparer des élections. Les obstacles à surmonter sont sérieux. Les résistances fortes. Ce n'est pas une surprise car si le pluri-ethnisme a existé au Kosovo, il y a été le plus souvent conflictuel. Mais il n'y a pas d'autre voie. Notre engagement devra être durable, à la hauteur de l'enjeu, pour nous, pour les Balkans, pour l'Europe. C'est le sens de ma visite de mardi dernier à Pristina.
Q - Comment protéger les Serbes qui ne seraient plus que 30.000 sur 200.000 initialement ?
R - Rien ne sera possible si la sécurité n'est pas assurée pour tous. C'est un préalable pour la suite. Les Serbes qui sont partis l'ont fait dès le départ de l'armée serbe. Aujourd'hui, la situation est moins tendue, m'ont dit les militaires de la KFOR. Le nombre des policiers croît régulièrement, c'est une nécessité absolue. Nous devons être intransigeants sur cette protection car nous sommes collectivement engagés à assurer la sécurité pour tous. J'ai constaté sur place que le général Jackson et Bernard Kouchner faisaient de leur mieux. Mais on ne surmonte pas en quelques jours la culture de la vengeance, nourrie des violences passées, ni la peur, qui sont la marque de la région. Néanmoins, comment protéger les 1200 à 1500 Serbes âgés qui sont restés à Pristina et dont plusieurs ont été assassinés ? Comment mettre fin aux exactions ? C'est une affaire de volonté politique. Nous devons être intransigeants.
Q - La sécurité des Serbes passe-t-elle par la création d'enclaves protégées ?
R - Méfions-nous des mots qui évoquent aussitôt des choses inacceptables et enflamment les esprits théoriques. Le problème posé aujourd'hui à la MINUK est le suivant : comment assurer la sécurité de tous, y compris des personnes isolées et menacées ? Créer des "cantons de droit" ne serait pas une bonne solution. Bernard Kouchner l'a redit. D'autres moyens doivent être trouvés pour assurer la sécurité et la coexistence. Ibrahim Rugova et Hacim Thaçi s'y sont engagés devant Joschka Fischer et moi, mardi, à Pristina.
Q - N'est-il pas incompréhensible qu'après avoir fait plier Milosevic, les Alliés lui aient rendu le Kosovo ?
R - Derrière Milosevic, il y a une réalité de droit international : la République fédérale de Yougoslavie. Le Kosovo en fait partie. C'est la souveraineté du pays que le Conseil de sécurité a respectée, et non le pouvoir d'un homme. Cela dit, si la souveraineté de la Yougoslavie sur le Kosovo a été maintenue, son exercice a été confié, à titre transitoire, à l'ONU. Et la résolution 1244 prévoit l'organisation d'élections - qui pourraient avoir lieu dans le courant de l'année 2000 - pour mettre en place les institutions de l'autonomie. L'autre voie, on le sait, ce serait l'indépendance, que tous les grands pays voient comme lourde de nouvelles conséquences déstabilisatrices pour toute la région et qui n'est soutenue, pour ces raisons, par aucun d'entre eux, y compris par les Etats-Unis. Ni par nous.
Q - La suite va dépendre aussi de ce qui va se passer à Belgrade...
R - En effet. Si le régime ne change pas, la souveraineté de la RFY sur le Kosovo sera de plus en plus contestée. En sens inverse, l'instauration d'un régime démocratique redonnerait ses chances à la combinaison souveraineté yougoslave - autonomie du Kosovo. L'attitude de l'Albanie pèsera aussi : j'appelle ses dirigeants à une attitude responsable.
Q - Autrement dit : si Belgrade veut éviter l'indépendance du Kosovo, il faut que l'opposition accède au pouvoir en Serbie.
R - On peut le dire comme cela. Il est envisageable de maintenir des liens entre le Kosovo et une Yougoslavie démocratique. Dans l'autre hypothèse...
Q - Faut-il maintenir les sanctions contre la Serbie ?
R - Nous souhaitons pouvoir les atténuer, puis les lever. Dès maintenant, l'action humanitaire, certaines fournitures et reconstructions qui s'y rattachent doivent être envisagées. Mais à ce stade, rien ne doit être fait qui puisse être exploité par le régime actuel. Les opposants serbes à Milosevic le comprennent.
Q - L'affaire du Kosovo a-t-elle agi comme un déclencheur pour la création, un jour, d'une capacité européenne de défense européenne face à l'OTAN ?
R - Nous, Français, sommes convaincus que le Kosovo a démontré cette nécessité. Certains de nos partenaires partagent cette conviction, d'autres moins. Nous nous employons à les convaincre. La déclaration du Conseil européen de Cologne est un premier résultat. Nous travaillons à la fois au niveau des Quinze, et avec les trois ou quatre pays les plus engagés. La France a fait de nombreuses propositions, les dernières en date étant le plan d'action et les critères de convergences présentés par le président de la République.
Q - Comment appréciez-vous la situation en Russie ?
R - Il y a seulement dix ans que l'URSS s'est désintégrée. Il faut du temps pour édifier un grand pays moderne à partir de ruines. Les grands choix de Boris Eltsine ont été démocratiques. L'intérêt de la Russie restera de coopérer avec l'Occident, j'en suis convaincu.
Q - Mais les changements incessants de Premiers ministres dictés, semble-t-il, par les seuls intérêts du "clan Eltsine" ne vous gênent-ils pas ?
R- Ce sont des péripéties de la politique intérieure russe, surprenantes, certes, mais qui demeurent des péripéties si elles n'affectent pas la préparation des échéances électorales, législatives et présidentielles.
Q - Dans un rapport que vous lui avez demandé, Jacques Attali suggère une Union européenne élargie en 2020 à la Russie. Etes-vous d'accord ?
R - Son rapport avance de nombreuses propositions intéressantes qui méritent discussion. Mais, sur la question de la Russie, mon approche diffère de la sienne. Selon moi, la Russie n'a pas vocation à faire partie de l'Union européenne, même élargie, et je ne pense pas que ce soit l'idée que ce très grand pays se fasse de lui-même.
Q - Vous avez été reçu à Alger cet été. Peut-on parler de décrispation ?
R - Il y a sans conteste en Algérie une situation nouvelle. L'alchimie franco-algérienne est de nouveau à l'oeuvre. Nous avons voulu - le président et le gouvernement - saisir la main tendue par le président Bouteflika, d'où mon voyage fin juillet. Nous avons montré notre disponibilité. Déjà les choses ont bougé sur les visas et bientôt sur Air France, les centres culturels, la coopération en général. Le dialogue franco-algérien va se développer. Nous attendons avec intérêt le référendum du 16 septembre sur la "concorde civile".
Q - Et le Maroc ?
R - Les premiers actes du nouveau roi Mohammed VI frappent par leur sagesse et leur ouverture. Nous sommes très confiants. Avec la nouvelle donne, nous nous attendons à une amélioration des rapports algéro-marocains.
Q - Avez-vous apprécié l'interview du colonel Khadafi dans Le Figaro ?
R - Nous avions dit clairement dans quelles conditions une amélioration des relations serait possible. Le colonel Khadafi dit le vouloir. Le mouvement va dans ce sens.
Q - La France a fait part de son "malaise" devant la poursuite des bombardements en Iraq. N'est-elle pas isolée ?
R - Il faut sortir de l'impasse actuelle, qui sape l'autorité du Conseil de sécurité, empêche le retour des inspecteurs en Iraq, perpétue les souffrances de la population. Nous avons proposé dès janvier un vrai contrôle sur tout éventuel réarmement et sur les flux financiers iraquiens, pour pouvoir lever l'embargo et donc améliorer le sort des Iraquiens sans mettre en péril la sécurité régionale. Je crois profondément que nous avons raison. Les discussions se poursuivent au Conseil de sécurité. J'appelle les Etats-Unis à y participer afin de restaurer l'unité du Conseil.
Q - Le statu quo leur conviendrait-il, comme à Saddam Hussein ?
R - Je le crains.
Q - Un déblocage durable du processus de paix au Proche-Orient vous paraît-il possible ?
R - Oui. L'élection d'Ehud Barak a provoqué un soulagement universel, puis des attentes immenses, et, déjà, une impatience. Je crois à la volonté du nouveau Premier ministre israélien de rechercher - et de trouver - une solution. Aussi bien avec les Palestiniens qu'avec les Syriens et les Libanais. Cela dit, tout annonce qu'il négociera durement. En tout cas les uns et les autres connaissent l'engagement constant et ancien de la France pour la paix, et sa disponibilité.
Q - Entre l'hyperpuissance américaine et l'émergence d'une diplomatie européenne symbolisée par la nomination d'un "Monsieur Pesc", quelle place reste-t-il à la France ?
R - Une grande place. Chacun peut constater sa présence sur tous les fronts et l'importance et la solidité des propositions qu'elle avance. Sur le plan européen, la politique étrangère de la France sera nécessairement une composante majeure de la synthèse que réalisera "Monsieur Pesc". Nous avons choisi à dessein pour ce poste un politique très expérimenté, Javier Solana. Pour la diplomatie française, la Pesc est une opportunité, une possibilité de démultiplication, pas une préoccupation.
Q - Mais comment peser face aux Etats-Unis ?
R - Il faut savoir tantôt coopérer avec les Américains, tantôt résister. Mais pas de misérabilisme ! La France se situe juste après les Etats-Unis dans le peloton de tête d'une demi-douzaine de pays qui ont, sous une forme ou sous une autre, une influence mondiale. Comparez avec les 180 autres pays ! Mais pour défendre nos intérêts, nos idées, nos valeurs dans ce monde global, il nous faut une politique étrangère mobile, réactive, polyvalente, capable d'anticiper : par exemple, notre prochaine présidence européenne qui a des implications dès aujourd'hui, les conséquences des élections russes et américaines ou le "round du millénaire" à l'OMC...
Q - Avec quels moyens ?
R - Un coup d'arrêt sera donné en 2000 à l'érosion du budget et des effectifs du Quai d'Orsay qui se poursuivait depuis des années. Je vois dans cet arbitrage un encouragement de Lionel Jospin à la poursuite de la modernisation du Quai d'Orsay et de notre diplomatie. Car mon but, je le répète, est que nous disposions d'un outil diplomatique très professionnel, mobile, réactif et polyvalent en constant perfectionnement. La Conférence des ambassadeurs - sorte de "Davos de la diplomatie française" - en est l'occasion.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 août 1999)
R - Difficile, oui. Illusoire, non. La résolution 1244 que nous avons préparée et votée au Conseil de sécurité fixe un bon cap. Elle est ambitieuse : elle vise à assurer la sécurité pour tous, à organiser une vraie coexistence entre les communautés et à préparer des élections. Les obstacles à surmonter sont sérieux. Les résistances fortes. Ce n'est pas une surprise car si le pluri-ethnisme a existé au Kosovo, il y a été le plus souvent conflictuel. Mais il n'y a pas d'autre voie. Notre engagement devra être durable, à la hauteur de l'enjeu, pour nous, pour les Balkans, pour l'Europe. C'est le sens de ma visite de mardi dernier à Pristina.
Q - Comment protéger les Serbes qui ne seraient plus que 30.000 sur 200.000 initialement ?
R - Rien ne sera possible si la sécurité n'est pas assurée pour tous. C'est un préalable pour la suite. Les Serbes qui sont partis l'ont fait dès le départ de l'armée serbe. Aujourd'hui, la situation est moins tendue, m'ont dit les militaires de la KFOR. Le nombre des policiers croît régulièrement, c'est une nécessité absolue. Nous devons être intransigeants sur cette protection car nous sommes collectivement engagés à assurer la sécurité pour tous. J'ai constaté sur place que le général Jackson et Bernard Kouchner faisaient de leur mieux. Mais on ne surmonte pas en quelques jours la culture de la vengeance, nourrie des violences passées, ni la peur, qui sont la marque de la région. Néanmoins, comment protéger les 1200 à 1500 Serbes âgés qui sont restés à Pristina et dont plusieurs ont été assassinés ? Comment mettre fin aux exactions ? C'est une affaire de volonté politique. Nous devons être intransigeants.
Q - La sécurité des Serbes passe-t-elle par la création d'enclaves protégées ?
R - Méfions-nous des mots qui évoquent aussitôt des choses inacceptables et enflamment les esprits théoriques. Le problème posé aujourd'hui à la MINUK est le suivant : comment assurer la sécurité de tous, y compris des personnes isolées et menacées ? Créer des "cantons de droit" ne serait pas une bonne solution. Bernard Kouchner l'a redit. D'autres moyens doivent être trouvés pour assurer la sécurité et la coexistence. Ibrahim Rugova et Hacim Thaçi s'y sont engagés devant Joschka Fischer et moi, mardi, à Pristina.
Q - N'est-il pas incompréhensible qu'après avoir fait plier Milosevic, les Alliés lui aient rendu le Kosovo ?
R - Derrière Milosevic, il y a une réalité de droit international : la République fédérale de Yougoslavie. Le Kosovo en fait partie. C'est la souveraineté du pays que le Conseil de sécurité a respectée, et non le pouvoir d'un homme. Cela dit, si la souveraineté de la Yougoslavie sur le Kosovo a été maintenue, son exercice a été confié, à titre transitoire, à l'ONU. Et la résolution 1244 prévoit l'organisation d'élections - qui pourraient avoir lieu dans le courant de l'année 2000 - pour mettre en place les institutions de l'autonomie. L'autre voie, on le sait, ce serait l'indépendance, que tous les grands pays voient comme lourde de nouvelles conséquences déstabilisatrices pour toute la région et qui n'est soutenue, pour ces raisons, par aucun d'entre eux, y compris par les Etats-Unis. Ni par nous.
Q - La suite va dépendre aussi de ce qui va se passer à Belgrade...
R - En effet. Si le régime ne change pas, la souveraineté de la RFY sur le Kosovo sera de plus en plus contestée. En sens inverse, l'instauration d'un régime démocratique redonnerait ses chances à la combinaison souveraineté yougoslave - autonomie du Kosovo. L'attitude de l'Albanie pèsera aussi : j'appelle ses dirigeants à une attitude responsable.
Q - Autrement dit : si Belgrade veut éviter l'indépendance du Kosovo, il faut que l'opposition accède au pouvoir en Serbie.
R - On peut le dire comme cela. Il est envisageable de maintenir des liens entre le Kosovo et une Yougoslavie démocratique. Dans l'autre hypothèse...
Q - Faut-il maintenir les sanctions contre la Serbie ?
R - Nous souhaitons pouvoir les atténuer, puis les lever. Dès maintenant, l'action humanitaire, certaines fournitures et reconstructions qui s'y rattachent doivent être envisagées. Mais à ce stade, rien ne doit être fait qui puisse être exploité par le régime actuel. Les opposants serbes à Milosevic le comprennent.
Q - L'affaire du Kosovo a-t-elle agi comme un déclencheur pour la création, un jour, d'une capacité européenne de défense européenne face à l'OTAN ?
R - Nous, Français, sommes convaincus que le Kosovo a démontré cette nécessité. Certains de nos partenaires partagent cette conviction, d'autres moins. Nous nous employons à les convaincre. La déclaration du Conseil européen de Cologne est un premier résultat. Nous travaillons à la fois au niveau des Quinze, et avec les trois ou quatre pays les plus engagés. La France a fait de nombreuses propositions, les dernières en date étant le plan d'action et les critères de convergences présentés par le président de la République.
Q - Comment appréciez-vous la situation en Russie ?
R - Il y a seulement dix ans que l'URSS s'est désintégrée. Il faut du temps pour édifier un grand pays moderne à partir de ruines. Les grands choix de Boris Eltsine ont été démocratiques. L'intérêt de la Russie restera de coopérer avec l'Occident, j'en suis convaincu.
Q - Mais les changements incessants de Premiers ministres dictés, semble-t-il, par les seuls intérêts du "clan Eltsine" ne vous gênent-ils pas ?
R- Ce sont des péripéties de la politique intérieure russe, surprenantes, certes, mais qui demeurent des péripéties si elles n'affectent pas la préparation des échéances électorales, législatives et présidentielles.
Q - Dans un rapport que vous lui avez demandé, Jacques Attali suggère une Union européenne élargie en 2020 à la Russie. Etes-vous d'accord ?
R - Son rapport avance de nombreuses propositions intéressantes qui méritent discussion. Mais, sur la question de la Russie, mon approche diffère de la sienne. Selon moi, la Russie n'a pas vocation à faire partie de l'Union européenne, même élargie, et je ne pense pas que ce soit l'idée que ce très grand pays se fasse de lui-même.
Q - Vous avez été reçu à Alger cet été. Peut-on parler de décrispation ?
R - Il y a sans conteste en Algérie une situation nouvelle. L'alchimie franco-algérienne est de nouveau à l'oeuvre. Nous avons voulu - le président et le gouvernement - saisir la main tendue par le président Bouteflika, d'où mon voyage fin juillet. Nous avons montré notre disponibilité. Déjà les choses ont bougé sur les visas et bientôt sur Air France, les centres culturels, la coopération en général. Le dialogue franco-algérien va se développer. Nous attendons avec intérêt le référendum du 16 septembre sur la "concorde civile".
Q - Et le Maroc ?
R - Les premiers actes du nouveau roi Mohammed VI frappent par leur sagesse et leur ouverture. Nous sommes très confiants. Avec la nouvelle donne, nous nous attendons à une amélioration des rapports algéro-marocains.
Q - Avez-vous apprécié l'interview du colonel Khadafi dans Le Figaro ?
R - Nous avions dit clairement dans quelles conditions une amélioration des relations serait possible. Le colonel Khadafi dit le vouloir. Le mouvement va dans ce sens.
Q - La France a fait part de son "malaise" devant la poursuite des bombardements en Iraq. N'est-elle pas isolée ?
R - Il faut sortir de l'impasse actuelle, qui sape l'autorité du Conseil de sécurité, empêche le retour des inspecteurs en Iraq, perpétue les souffrances de la population. Nous avons proposé dès janvier un vrai contrôle sur tout éventuel réarmement et sur les flux financiers iraquiens, pour pouvoir lever l'embargo et donc améliorer le sort des Iraquiens sans mettre en péril la sécurité régionale. Je crois profondément que nous avons raison. Les discussions se poursuivent au Conseil de sécurité. J'appelle les Etats-Unis à y participer afin de restaurer l'unité du Conseil.
Q - Le statu quo leur conviendrait-il, comme à Saddam Hussein ?
R - Je le crains.
Q - Un déblocage durable du processus de paix au Proche-Orient vous paraît-il possible ?
R - Oui. L'élection d'Ehud Barak a provoqué un soulagement universel, puis des attentes immenses, et, déjà, une impatience. Je crois à la volonté du nouveau Premier ministre israélien de rechercher - et de trouver - une solution. Aussi bien avec les Palestiniens qu'avec les Syriens et les Libanais. Cela dit, tout annonce qu'il négociera durement. En tout cas les uns et les autres connaissent l'engagement constant et ancien de la France pour la paix, et sa disponibilité.
Q - Entre l'hyperpuissance américaine et l'émergence d'une diplomatie européenne symbolisée par la nomination d'un "Monsieur Pesc", quelle place reste-t-il à la France ?
R - Une grande place. Chacun peut constater sa présence sur tous les fronts et l'importance et la solidité des propositions qu'elle avance. Sur le plan européen, la politique étrangère de la France sera nécessairement une composante majeure de la synthèse que réalisera "Monsieur Pesc". Nous avons choisi à dessein pour ce poste un politique très expérimenté, Javier Solana. Pour la diplomatie française, la Pesc est une opportunité, une possibilité de démultiplication, pas une préoccupation.
Q - Mais comment peser face aux Etats-Unis ?
R - Il faut savoir tantôt coopérer avec les Américains, tantôt résister. Mais pas de misérabilisme ! La France se situe juste après les Etats-Unis dans le peloton de tête d'une demi-douzaine de pays qui ont, sous une forme ou sous une autre, une influence mondiale. Comparez avec les 180 autres pays ! Mais pour défendre nos intérêts, nos idées, nos valeurs dans ce monde global, il nous faut une politique étrangère mobile, réactive, polyvalente, capable d'anticiper : par exemple, notre prochaine présidence européenne qui a des implications dès aujourd'hui, les conséquences des élections russes et américaines ou le "round du millénaire" à l'OMC...
Q - Avec quels moyens ?
R - Un coup d'arrêt sera donné en 2000 à l'érosion du budget et des effectifs du Quai d'Orsay qui se poursuivait depuis des années. Je vois dans cet arbitrage un encouragement de Lionel Jospin à la poursuite de la modernisation du Quai d'Orsay et de notre diplomatie. Car mon but, je le répète, est que nous disposions d'un outil diplomatique très professionnel, mobile, réactif et polyvalent en constant perfectionnement. La Conférence des ambassadeurs - sorte de "Davos de la diplomatie française" - en est l'occasion.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 août 1999)