Texte intégral
L'avenir de la PAC n'est qu'une des dimensions du débat sur l'avenir de l'Europe.
Pas nécessairement la plus centrale : il suffit de faire la liste des sujets dont nous avons à débattre. Comment adapter les institutions à une Europe qui contiendra 25 ou 27 membres ?
Comment faire en sorte que la machine ne se bloque pas, que le Conseil ne tourne pas à vide ?
Quel sera le rôle du Parlement Européen ?
Et au-delà, parce que l'Europe ne se résume pas à l'équation simple à laquelle on veut parfois la réduire, la paix et le libre échange, quel est notre projet collectif ?
Mais l'avenir des politiques communes existantes n'est pas un débat anodin.
- parce que la crédibilité de la PAC est aussi une question importante pour la crédibilité de l'Europe, parce que c'est elle qui mobilise le plus de crédits européens : rapporté au PNB européen, ou à d'autres secteurs, ce montant n'est pas excessif, mais il n'en reste pas moins que cette dépense doit être acceptée et légitime ;
- parce que l'histoire de la PAC est liée plus que toute autre politique commune à celle de l'Europe, et son avenir a évidemment une importance historique, symbolique, pour la construction européenne.
1 - La PAC doit évoluer en profondeur, le mouvement de réforme est amorcé.
La PAC répond aux demandes de l'après-guerre, nourrir l'Europe, moderniser les structures agricoles - en d'autres termes, une vision profondément, délibérément productiviste.
Nous n'avons pas à renier ce qui a été fait pendant cette période, puisque le résultat était conforme à nos attentes initiales.
Mais nous avons trop bien réussi : l'objectif de la PAC n'était pas de produire des excédents, ni pour les détruire, ni naturellement pour les exporter à l'étranger avec de fortes subventions. Les excès sont aussi sensibles pour l'environnement et la démographie agricole.
Par conséquent il faut réformer, c'est une évidence, elle n'est pas nouvelle.
Il fallait traiter le problème des excédents : c'est ce que nous avons fait en 1992, avec une première baisse des prix agricoles, partiellement compensée par des aides directes. Cela nous a permis de commencer à faire baisser le niveau des soutiens à l'exportation, et de répondre à la critique de nos partenaires - notamment parmi les PVD - qui trouvent injuste que nos produits soient aidés sur les marchés extérieurs.
Une seconde étape a été franchie en 1999 avec les accords de Berlin et, pour nous, la loi d'orientation agricole française : nous avons continué le mouvement de baisse des prix engagé en 1992, mais nous avons aussi commencé à construire, de manière plus cohérente, le début de ce qui sera à terme une PAC rénovée, avec la création du " second pilier ", une première brique pour construire une véritable politique de développement rural à l'échelle de l'Europe.
Et depuis 3 ans nous avons continué ce travail de réforme, mois après mois, conseil agricole après conseil agricole, poussés par les crises alimentaires, mais aussi de manière plus profonde par les nouvelles attentes des consommateurs en matière de qualité et de sécurité des aliments, en construisant ce qui est en train de devenir un " 3ème pilier ".
2 - A terme, quelle PAC voulons nous ?
Nous avons amorcé un tournant, il est loin d'être achevé. Si on pose la question de la place de la PAC dans l'avenir de la construction européenne, cela conduit à faire quelques hypothèses sur l'avenir. Je me livre à cet exercice avec quelques précautions : nous avons un cadre financier fixé jusqu'en 2006, il n'y a pas de raison de le remettre en cause. Lors de la revue à mi-parcours, dont la discussion doit commencer l'été prochain, nous pourrons décider de quelques inflexions, en tirant les conséquences des crises de sécurité des aliments pour l'organisation de l'OCM bovine, ou encore en généralisant à toute l'Europe le principe de la modulation des aides.
Mais c'est à partir de 2005-2006, que nous devrons faire de nouveaux choix, budgétaires et politiques, qui détermineront la place de la PAC pour l'avenir. Il y aura à ce moment là un nouveau débat. Il est trop tôt pour dire avec précision quels en seront les termes. Mais on peut identifier quelques points de repères.
Par défaut, d'abord je crois qu'on voit à peu près quels sont les écueils à éviter : la tentation du repli, celle de la renationalisation de la PAC, ou encore l'abandon progressif de la politique agricole, pour laisser la place aux marché.
Le repli ? on entend dire, ici et là, qu'il faudrait changer complètement de direction, et engager un mouvement de remontée des prix et des barrières douanières. C'est loin d'être entièrement absurde pour les PMA ! Il faut certainement permettre aux pays en développement de constituer des zones régionales, en autorisant les barrières aux échanges nécessaires pour assurer un revenu suffisant aux agriculteurs locaux, le développement d'une agriculture vivrière, lutter contre les phénomènes d'accélération incontrolée de l'exode rural, etc C'est même un enjeu essentiel pour la négociation à l'OMC.
Mais nous n'allons pas refermer la politique agricole sur elle-même dans les grands pays développés ! Bien entendu, nos partenaires européens ne l'accepteraient pas et ce serait d'ailleurs contraire à nos engagements internationaux à l'OMC. Mais surtout ce ne serait pas une bonne solution pour notre agriculture, parce que nous sommes déjà très ouverts, que nous en tirons bénéfice, et que nous sommes aussi très présents sur les marchés internationaux, avec une agriculture de qualité, liée aux terroirs et à une tradition agricole, alimentaire, qui nous est propre, et qui ne manque pas d'atouts pour continuer à se développer.
Libéraliser ? c'est le choix de certains Etats membres. La question se posera avec d'autant plus d'acuité que l'élargissement va poser un nouveau problème financier. De ce point de vue, je pense pouvoir avancer sans trop de risques de me tromper que ce n'est pas le choix que nous ferons en 2006. Nous voulons garder des agriculteurs sur le territoire, pas en raison d'un attachement nostalgique à la France agricole, mais parce que nous voulons un territoire équilibré, que la France n'est pas une addition de zones urbaines insérées dans un territoire vide, que nous voulons évidemment des zones rurales dynamique, vivantes. De plus en plus le temps d'une majorité d'entre nous est partagé entre l'urbain et le rural. Nous avons besoin d'agriculteurs pour garder bien plus que des paysages - ceci pour répondre aux accusations de certains : il ne s'agit pas d'être " contemplatif " - mais des communautés rurales en bonne santé. Ce rôle collectif des agriculteurs, pour les territoires, la qualité des produits, et bien sûr le très large dossier de l'environnement, il doit être rémunéré.
Renationaliser ? quel recul ce serait pour l'Europe !
Il va de soi qu'une telle approche poserait des problèmes pratiques sans fin pour le bon fonctionnement du marché unique, et donc pour le bon fonctionnement de l'Europe elle-même - il suffit d'imaginer pour s'en convaincre les risques de surenchère en cas de crise -. Et quelle serait alors la logique d'un tel système, et notre capacité à donner une direction cohérente à 15, 25 politiques agricoles séparées ?
Surtout, ce serait un échec politique majeur pour l'Europe. Renoncer à la PAC, c'est renoncer dès la première difficulté à ce qui a été notre première réussite. Il faudrait abandonner cela, faute de savoir réformer ? Il est vrai qu'il est toujours plus facile de faire face à une crise par des mesures nationales - on l'a bien vu au moment de la crise de l'ESB. Mais lorsque nous faisons l'effort de trouver des solutions communes nous en sortons tous renforcés.
Au demeurant je cite ce sujet parce qu'il a fait l'objet d'un débat assez vif dans la période récente, mais je ne sais pas s'il est encore d'actualité. Je note en particulier que dans le débat avec ma collègue allemande, nous ne sommes pas d'accord sur tout, nous avons même beaucoup de points de convergence, mais ce n'est plus sur ce sujet que porte la discussion.
Alors quelle PAC pour l'avenir ?
Les orientations de l'Agenda 2000 - le développement rural, le 3ème pilier de la PAC, pour les consommateurs - sont, en définitive, assez largement partagées par une large partie de nos partenaires européens. Je pense à l'Allemagne, d'abord, puisque nous avons bien travaillé ensemble sur tous ces sujets depuis un peu plus d'un an, mais aussi à d'autres Etats membres que je cite en désordre, comme la Belgique, l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, la Finlande, ou encore le Royaume-Uni qui partage avec nous la volonté de veiller à la bonne santé des zones rurales et qui a comme le Portugal et nous, montré l'exemple de la modulation, le terme technique utilisé à Bruxelles pour décrire les transferts du " premier pilier ", les aides traditionnelles de marché, vers le " développement rural ".
Par conséquent je ne suis pas pessimiste sur notre capacité à trouver un terrain d'entente lorsque le débat va s'engager.
D'abord, il n'est évidemment pas question d'ignorer le problème budgétaire. Il n'y a pas de raison que l'agriculture soit à l'abri des efforts faits dans tous les domaines pour maîtriser la dépense. A périmètre inchangé, la PAC ne doit pas être plus coûteuse, peut-être même faut-il imaginer qu'à l'avenir, la dépense agricole puisse diminuer un peu. Et en sens inverse, il faudra accepter que la sécurité des aliments, le développement rural, et plus généralement la régulation de ce secteur, tout cela a un coût que nous devrons assumer.
Ensuite, je l'ai dit, le transfert progressif des aides de marché vers le développement rural va se poursuivre, ce sera un instrument majeur, pour l'avenir, pour redéfinir les relations entre la société et les agriculteurs. C'est probablement au travers de cette évolution que nous réussirons le mieux à resserrer les rangs des Etats membres autour d'un objectif commun.
Pour autant, il faudra aussi poursuivre la réflexion sur l'avenir du 1er pilier. Le basculement progressif du premier vers le deuxième pilier ne signifie pas que les soutiens de marché sont appelés à disparaître. Mais nous avons besoin d'imaginer la méthode qui permettra de mieux concilier ces soutiens avec les attentes de la société. Il faut tirer les enseignements de la crise bovine, par exemple, qui montre que nous devons trouver les moyens d'encourager plus les systèmes de production extensifs ou tournés vers la qualité.
En définitive, tout cela se résume au travers d'une idée simple : l'Europe devra continuer à jouer son rôle de régulateur. Régulation des marchés, d'abord : on peut supprimer l'ajustement par l'exportation, on ne supprimera pas les aléas climatiques, et nous aurons, régulièrement, sur tel ou tel secteur, des problèmes de surproduction qu'on ne pourra pas gérer comme on le fait dans un autre secteur économique - à moins d'industrialiser complètement l'agriculture, une perspective que moi, je me refuse à accepter. Ces mécanismes de régulation, on peut imaginer qu'ils soient largement liés à des méthodes de maîtrise de la production.
Régulation en matière de qualité et de sécurité des aliments, ensuite : c'est un sujet très large, sur lequel nous n'avons pas fini d'avancer. Transparence à l'égard des consommateurs ; sécurité des aliments ; mise en valeur des produits des terroirs, réglementaires - notamment la protection des appellations d'origine, labels de qualité, agriculture biologique et raisonnée ; principe de précaution et innovation technologique : sur tous ces sujets, la responsabilité de l'Europe est très grande, il faudra qu'elle soit à la hauteur des attentes qui sont placées en elle - et en nous-mêmes, par conséquent.
3 - Ce projet est-il compatible avec une Europe élargie ?
Il le faudra bien : l'élargissement ne buttera pas sur l'agriculture ;
Mais on voit bien les problèmes concrets qui vont se poser :
- pour la sécurité des aliments, d'abord. Nos consommateurs n'accepteront pas que l'élargissement se traduise par une moins bonne sécurité de leur alimentation. C'est un sujet sur lequel il n'y aura pas de transition : soit les candidats seront prêts, soit nous mettrons des sauvegardes. Un effort de clarté vis à vis d'eux est indispensable pour que les efforts nécessaires soient faits, de part et d'autre.
- un problème budgétaire, ensuite : naturellement, nous n'avons pas les financements nécessaires pour payer dès l'adhésion tous les soutiens auxquels les pays candidats aspirent. Il n'y a d'ailleurs pas de logique absolue qui rende inévitable le paiement des aides directes dès l'adhésion. Ces aides compensent des baisses de prix, que les agriculteurs des PECOs n'ont pas eu à subir, au contraire dans la plupart des cas l'adhésion se traduit par une remontée des prix agricoles. Mais à terme il n'y aura pas deux PAC différentes, ça n'aurait pas de sens. Il faut donc organiser la transition, avec réalisme, en fonction de nos possibilités budgétaires.
Mais il est clair surtout, que dans le long terme, les agricultures des nouveaux Etats membres seront confrontées à des problèmes qui relèvent très largement d'une logique de développement rural. Nous avons là aussi un très gros travail de préparation à effectuer.
Quelques mots pour conclure en essayant d'incorporer ces réflexions agricoles dans le cadre plus large de la réflexion sur l'avenir de l'Europe.
- construire l'Europe, c'est aussi réussir à réformer ce qui existe ;
- le dialogue franco-allemand n'a peut-être plus tout à fait la signification qu'il avait au début de la construction européenne, mais il garde une dimension essentielle : il faut veiller à le faire fonctionner ;
le débat sur l'avenir de l'Europe va se concentrer, dans la période à venir, sur les questions institutionnelles. L'élargissement nous force évidemment à accélérer la discussion sur ce point. Mais les progrès que nous ferons sur ce terrain ne seront jamais que partiels. Ils ne remplaceront pas le fait qu'il nous faudra définir ensemble, sur les questions de fond, le projet que nous voulons pour l'Europe.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 6 février 2002)
Pas nécessairement la plus centrale : il suffit de faire la liste des sujets dont nous avons à débattre. Comment adapter les institutions à une Europe qui contiendra 25 ou 27 membres ?
Comment faire en sorte que la machine ne se bloque pas, que le Conseil ne tourne pas à vide ?
Quel sera le rôle du Parlement Européen ?
Et au-delà, parce que l'Europe ne se résume pas à l'équation simple à laquelle on veut parfois la réduire, la paix et le libre échange, quel est notre projet collectif ?
Mais l'avenir des politiques communes existantes n'est pas un débat anodin.
- parce que la crédibilité de la PAC est aussi une question importante pour la crédibilité de l'Europe, parce que c'est elle qui mobilise le plus de crédits européens : rapporté au PNB européen, ou à d'autres secteurs, ce montant n'est pas excessif, mais il n'en reste pas moins que cette dépense doit être acceptée et légitime ;
- parce que l'histoire de la PAC est liée plus que toute autre politique commune à celle de l'Europe, et son avenir a évidemment une importance historique, symbolique, pour la construction européenne.
1 - La PAC doit évoluer en profondeur, le mouvement de réforme est amorcé.
La PAC répond aux demandes de l'après-guerre, nourrir l'Europe, moderniser les structures agricoles - en d'autres termes, une vision profondément, délibérément productiviste.
Nous n'avons pas à renier ce qui a été fait pendant cette période, puisque le résultat était conforme à nos attentes initiales.
Mais nous avons trop bien réussi : l'objectif de la PAC n'était pas de produire des excédents, ni pour les détruire, ni naturellement pour les exporter à l'étranger avec de fortes subventions. Les excès sont aussi sensibles pour l'environnement et la démographie agricole.
Par conséquent il faut réformer, c'est une évidence, elle n'est pas nouvelle.
Il fallait traiter le problème des excédents : c'est ce que nous avons fait en 1992, avec une première baisse des prix agricoles, partiellement compensée par des aides directes. Cela nous a permis de commencer à faire baisser le niveau des soutiens à l'exportation, et de répondre à la critique de nos partenaires - notamment parmi les PVD - qui trouvent injuste que nos produits soient aidés sur les marchés extérieurs.
Une seconde étape a été franchie en 1999 avec les accords de Berlin et, pour nous, la loi d'orientation agricole française : nous avons continué le mouvement de baisse des prix engagé en 1992, mais nous avons aussi commencé à construire, de manière plus cohérente, le début de ce qui sera à terme une PAC rénovée, avec la création du " second pilier ", une première brique pour construire une véritable politique de développement rural à l'échelle de l'Europe.
Et depuis 3 ans nous avons continué ce travail de réforme, mois après mois, conseil agricole après conseil agricole, poussés par les crises alimentaires, mais aussi de manière plus profonde par les nouvelles attentes des consommateurs en matière de qualité et de sécurité des aliments, en construisant ce qui est en train de devenir un " 3ème pilier ".
2 - A terme, quelle PAC voulons nous ?
Nous avons amorcé un tournant, il est loin d'être achevé. Si on pose la question de la place de la PAC dans l'avenir de la construction européenne, cela conduit à faire quelques hypothèses sur l'avenir. Je me livre à cet exercice avec quelques précautions : nous avons un cadre financier fixé jusqu'en 2006, il n'y a pas de raison de le remettre en cause. Lors de la revue à mi-parcours, dont la discussion doit commencer l'été prochain, nous pourrons décider de quelques inflexions, en tirant les conséquences des crises de sécurité des aliments pour l'organisation de l'OCM bovine, ou encore en généralisant à toute l'Europe le principe de la modulation des aides.
Mais c'est à partir de 2005-2006, que nous devrons faire de nouveaux choix, budgétaires et politiques, qui détermineront la place de la PAC pour l'avenir. Il y aura à ce moment là un nouveau débat. Il est trop tôt pour dire avec précision quels en seront les termes. Mais on peut identifier quelques points de repères.
Par défaut, d'abord je crois qu'on voit à peu près quels sont les écueils à éviter : la tentation du repli, celle de la renationalisation de la PAC, ou encore l'abandon progressif de la politique agricole, pour laisser la place aux marché.
Le repli ? on entend dire, ici et là, qu'il faudrait changer complètement de direction, et engager un mouvement de remontée des prix et des barrières douanières. C'est loin d'être entièrement absurde pour les PMA ! Il faut certainement permettre aux pays en développement de constituer des zones régionales, en autorisant les barrières aux échanges nécessaires pour assurer un revenu suffisant aux agriculteurs locaux, le développement d'une agriculture vivrière, lutter contre les phénomènes d'accélération incontrolée de l'exode rural, etc C'est même un enjeu essentiel pour la négociation à l'OMC.
Mais nous n'allons pas refermer la politique agricole sur elle-même dans les grands pays développés ! Bien entendu, nos partenaires européens ne l'accepteraient pas et ce serait d'ailleurs contraire à nos engagements internationaux à l'OMC. Mais surtout ce ne serait pas une bonne solution pour notre agriculture, parce que nous sommes déjà très ouverts, que nous en tirons bénéfice, et que nous sommes aussi très présents sur les marchés internationaux, avec une agriculture de qualité, liée aux terroirs et à une tradition agricole, alimentaire, qui nous est propre, et qui ne manque pas d'atouts pour continuer à se développer.
Libéraliser ? c'est le choix de certains Etats membres. La question se posera avec d'autant plus d'acuité que l'élargissement va poser un nouveau problème financier. De ce point de vue, je pense pouvoir avancer sans trop de risques de me tromper que ce n'est pas le choix que nous ferons en 2006. Nous voulons garder des agriculteurs sur le territoire, pas en raison d'un attachement nostalgique à la France agricole, mais parce que nous voulons un territoire équilibré, que la France n'est pas une addition de zones urbaines insérées dans un territoire vide, que nous voulons évidemment des zones rurales dynamique, vivantes. De plus en plus le temps d'une majorité d'entre nous est partagé entre l'urbain et le rural. Nous avons besoin d'agriculteurs pour garder bien plus que des paysages - ceci pour répondre aux accusations de certains : il ne s'agit pas d'être " contemplatif " - mais des communautés rurales en bonne santé. Ce rôle collectif des agriculteurs, pour les territoires, la qualité des produits, et bien sûr le très large dossier de l'environnement, il doit être rémunéré.
Renationaliser ? quel recul ce serait pour l'Europe !
Il va de soi qu'une telle approche poserait des problèmes pratiques sans fin pour le bon fonctionnement du marché unique, et donc pour le bon fonctionnement de l'Europe elle-même - il suffit d'imaginer pour s'en convaincre les risques de surenchère en cas de crise -. Et quelle serait alors la logique d'un tel système, et notre capacité à donner une direction cohérente à 15, 25 politiques agricoles séparées ?
Surtout, ce serait un échec politique majeur pour l'Europe. Renoncer à la PAC, c'est renoncer dès la première difficulté à ce qui a été notre première réussite. Il faudrait abandonner cela, faute de savoir réformer ? Il est vrai qu'il est toujours plus facile de faire face à une crise par des mesures nationales - on l'a bien vu au moment de la crise de l'ESB. Mais lorsque nous faisons l'effort de trouver des solutions communes nous en sortons tous renforcés.
Au demeurant je cite ce sujet parce qu'il a fait l'objet d'un débat assez vif dans la période récente, mais je ne sais pas s'il est encore d'actualité. Je note en particulier que dans le débat avec ma collègue allemande, nous ne sommes pas d'accord sur tout, nous avons même beaucoup de points de convergence, mais ce n'est plus sur ce sujet que porte la discussion.
Alors quelle PAC pour l'avenir ?
Les orientations de l'Agenda 2000 - le développement rural, le 3ème pilier de la PAC, pour les consommateurs - sont, en définitive, assez largement partagées par une large partie de nos partenaires européens. Je pense à l'Allemagne, d'abord, puisque nous avons bien travaillé ensemble sur tous ces sujets depuis un peu plus d'un an, mais aussi à d'autres Etats membres que je cite en désordre, comme la Belgique, l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, la Finlande, ou encore le Royaume-Uni qui partage avec nous la volonté de veiller à la bonne santé des zones rurales et qui a comme le Portugal et nous, montré l'exemple de la modulation, le terme technique utilisé à Bruxelles pour décrire les transferts du " premier pilier ", les aides traditionnelles de marché, vers le " développement rural ".
Par conséquent je ne suis pas pessimiste sur notre capacité à trouver un terrain d'entente lorsque le débat va s'engager.
D'abord, il n'est évidemment pas question d'ignorer le problème budgétaire. Il n'y a pas de raison que l'agriculture soit à l'abri des efforts faits dans tous les domaines pour maîtriser la dépense. A périmètre inchangé, la PAC ne doit pas être plus coûteuse, peut-être même faut-il imaginer qu'à l'avenir, la dépense agricole puisse diminuer un peu. Et en sens inverse, il faudra accepter que la sécurité des aliments, le développement rural, et plus généralement la régulation de ce secteur, tout cela a un coût que nous devrons assumer.
Ensuite, je l'ai dit, le transfert progressif des aides de marché vers le développement rural va se poursuivre, ce sera un instrument majeur, pour l'avenir, pour redéfinir les relations entre la société et les agriculteurs. C'est probablement au travers de cette évolution que nous réussirons le mieux à resserrer les rangs des Etats membres autour d'un objectif commun.
Pour autant, il faudra aussi poursuivre la réflexion sur l'avenir du 1er pilier. Le basculement progressif du premier vers le deuxième pilier ne signifie pas que les soutiens de marché sont appelés à disparaître. Mais nous avons besoin d'imaginer la méthode qui permettra de mieux concilier ces soutiens avec les attentes de la société. Il faut tirer les enseignements de la crise bovine, par exemple, qui montre que nous devons trouver les moyens d'encourager plus les systèmes de production extensifs ou tournés vers la qualité.
En définitive, tout cela se résume au travers d'une idée simple : l'Europe devra continuer à jouer son rôle de régulateur. Régulation des marchés, d'abord : on peut supprimer l'ajustement par l'exportation, on ne supprimera pas les aléas climatiques, et nous aurons, régulièrement, sur tel ou tel secteur, des problèmes de surproduction qu'on ne pourra pas gérer comme on le fait dans un autre secteur économique - à moins d'industrialiser complètement l'agriculture, une perspective que moi, je me refuse à accepter. Ces mécanismes de régulation, on peut imaginer qu'ils soient largement liés à des méthodes de maîtrise de la production.
Régulation en matière de qualité et de sécurité des aliments, ensuite : c'est un sujet très large, sur lequel nous n'avons pas fini d'avancer. Transparence à l'égard des consommateurs ; sécurité des aliments ; mise en valeur des produits des terroirs, réglementaires - notamment la protection des appellations d'origine, labels de qualité, agriculture biologique et raisonnée ; principe de précaution et innovation technologique : sur tous ces sujets, la responsabilité de l'Europe est très grande, il faudra qu'elle soit à la hauteur des attentes qui sont placées en elle - et en nous-mêmes, par conséquent.
3 - Ce projet est-il compatible avec une Europe élargie ?
Il le faudra bien : l'élargissement ne buttera pas sur l'agriculture ;
Mais on voit bien les problèmes concrets qui vont se poser :
- pour la sécurité des aliments, d'abord. Nos consommateurs n'accepteront pas que l'élargissement se traduise par une moins bonne sécurité de leur alimentation. C'est un sujet sur lequel il n'y aura pas de transition : soit les candidats seront prêts, soit nous mettrons des sauvegardes. Un effort de clarté vis à vis d'eux est indispensable pour que les efforts nécessaires soient faits, de part et d'autre.
- un problème budgétaire, ensuite : naturellement, nous n'avons pas les financements nécessaires pour payer dès l'adhésion tous les soutiens auxquels les pays candidats aspirent. Il n'y a d'ailleurs pas de logique absolue qui rende inévitable le paiement des aides directes dès l'adhésion. Ces aides compensent des baisses de prix, que les agriculteurs des PECOs n'ont pas eu à subir, au contraire dans la plupart des cas l'adhésion se traduit par une remontée des prix agricoles. Mais à terme il n'y aura pas deux PAC différentes, ça n'aurait pas de sens. Il faut donc organiser la transition, avec réalisme, en fonction de nos possibilités budgétaires.
Mais il est clair surtout, que dans le long terme, les agricultures des nouveaux Etats membres seront confrontées à des problèmes qui relèvent très largement d'une logique de développement rural. Nous avons là aussi un très gros travail de préparation à effectuer.
Quelques mots pour conclure en essayant d'incorporer ces réflexions agricoles dans le cadre plus large de la réflexion sur l'avenir de l'Europe.
- construire l'Europe, c'est aussi réussir à réformer ce qui existe ;
- le dialogue franco-allemand n'a peut-être plus tout à fait la signification qu'il avait au début de la construction européenne, mais il garde une dimension essentielle : il faut veiller à le faire fonctionner ;
le débat sur l'avenir de l'Europe va se concentrer, dans la période à venir, sur les questions institutionnelles. L'élargissement nous force évidemment à accélérer la discussion sur ce point. Mais les progrès que nous ferons sur ce terrain ne seront jamais que partiels. Ils ne remplaceront pas le fait qu'il nous faudra définir ensemble, sur les questions de fond, le projet que nous voulons pour l'Europe.
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 6 février 2002)