Interviews de M. Jean-Pierre Chevènement, candidat du Mouvement des citoyens à l'élection présidentielle de 2002, à "Europe 1" le 8 mars, dans "Le Journal du Dimanche" le 10 mars, "Le Parisien" le 13 mars, "La Dépêche du Midi" le 14 mars, "La Croix" le 15 mars, à "RTL" le 18 mars 2002, sur le déroulement de la campagne électorale, et sur tous les grands points de son programme.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - La Croix - La Dépêche du Midi - Le Journal du Dimanche - Le Parisien - RTL

Texte intégral

Europe 1 (8 mars 2002)
J.-P. Elkabbach
Pour être présent au second tour et devenir éventuellement président de la République, vous promettiez 15 % vers la mi-mars ou courant mars. Ce n'est pas encore ça. Est-ce que le rêve Chevènement est en train de passer ?
- "Je ne le pense pas. Ce qui est extraordinaire, c'est la résistance dont je témoigne à travers la déferlante médiatique qui s'est abattue sur nous, depuis l'entrée en lice de J. Chirac et de L. Jospin, que j'ai obligés à sortir du bois. Je vous rappelle que c'est moi qui ai obligé J. Chirac à sortir du bois plus tôt qu'il ne l'avait prévu."
Mais depuis qu'ils sont sortis du bois, comme vous dites, depuis que les protagonistes sont sortis, on voit que les Français ne sont pas emballés par les deux grands pour le moment. Mais en même temps, vous n'en profitez plus ou vous n'en profitez pas...
- "Beaucoup se demandent si je n'ai pas arrêté ma campagne. Je tiens à rassurer les auditeurs : non ! Je n'ai pas arrêté ma campagne, je suis plus combatif que jamais; j'entends me battre, parce que je suis le seul candidat d'une alternative véritable, je suis le seul candidat capable de rassembler des électeurs venus de la gauche et de la droite. Aucun ne peut en dire autant. Je ne suis ni un rabatteur de voix ni une trappe à voix et j'offre un projet mobilisateur au pays qui n'est pas un projet démagogique ; j'offre au pays la seule possibilité de changement démocratique."
Votre passé vous place-t-il plutôt à gauche ou aujourd'hui, vous pensez qu'il faut faire table rase de votre passé ?
- "Chacun connaît mon parcours et j'y suis fidèle. Aujourd'hui, nous sommes en présence de formules politiques épuisées qui, sur tout ou presque, la même chose. Regardez la privatisation d'EDF, l'ouverture du capital proposée par J. Chirac ou L. Jospin. Regardez la constitution européenne qui est au programme des deux et on ne nous dit pas ce que va devenir la Constitution française."
On va y arriver. Mais cette semaine, on a plutôt entendu L. Jospin et J. Chirac chercher à se distinguer l'un de l'autre et faire en sorte que leur programme se distingue. J. Chirac dit ce matin - je crois que c'est à La Dépêche du Midi - qu'il y a "un abîme" entre Jospin et lui.
- "Je vois tout le contraire. Ils ne se distinguent l'un de l'autre que par la violence des critiques qu'ils se portent personnellement l'un à l'autre. Mais on a quand même quelque peine à voir sur quelles orientations politiques de fond, ils sont si différents que cela. On n'entend pas parler du fond. Moi, j'ai fait des propositions, j'ai fait la proposition d'une France retrouvée, reprenant confiance en elle-même, j'ai fait la proposition du citoyen relevé, dans des domaines comme la sécurité, l'école, la manière de faire la politique..."
Mais personne ne dit qu'on veut le citoyen couché, la France endormie, etc. C'est normal, ce sont des arguments de campagne, monsieur le candidat !
- "Mais non ! Le citoyen aujourd'hui n'est pas placé en position de choisir, on lui offre deux campagnes de communication, C. Chirac ou J. Séguéla. Regardez les temps de parole au CSA, au mois de février, pour les journaux télévisés : 19 minutes à Chevènement, 125 minutes à Chirac, 144 minutes à Jospin. C'est loyal, ça ? C'est ça, la démocratie ?"
Mais qui défendez-vous ? J.-P. Chevènement ! Mais vous oubliez R. Hue, Mamère, Laguiller et tous les petits. Vous devriez prendre la défense de tous les autres !
- "Je prends la défense de tous ceux qui ont une certaine représentativité. Je fais simplement observer que je suis le seul qui puisse inquiéter J. Chirac ou L. Jospin..."
Qui "pouvait" inquiéter ou qui "peut" ?
- "Pourquoi "qui pouvait" ? Vous êtes tellement sensible à..."
A rien !
- "A l'effet mécanique d'une confiscation des médias, par les deux sortants de l'exécutif, qui abusent de leurs pouvoirs. C'est cela la démocratie ?"
Vous voyez bien que vous êtes là ! Je ne suis sensible à rien, mais c'est intéressant...
- "Je suis chez vous, mais je vous ai parlé des journaux télévisés. Le rapport est de quasiment 1 à 8."
Le démocrate et le républicain J.-P. Chevènement peut-il laisser les électeurs français qu'il cherche dans l'ignorance ? Si vous gagnez, quelle est votre majorité, qu'elle est votre équipe, quel est votre gouvernement ?
- "J'ai d'abord développé un projet en 10 points, le 9 septembre dernier, je n'en ai pas changé et je n'en changerai pas."
Mais votre majorité ?
- "Mon élection signifierait l'implosion de l'Etat RPR et de l'Etat PS, qui ne vivent que du "branchement", si je puis dire, qu'ils ont opéré sur l'Etat. Nous savons ce qu'ils veulent : les uns veulent revenir à 1995-1997 ; les autres veulent revenir à 1993 et avant. C'est-à-dire qu'ils veulent confisquer le pouvoir pour eux seuls. Et j'observe que l'Etat RPR et l'Etat PS, c'est 15 % des inscrits. Moi, je m'engage à recomposer largement, à faire un gouvernement d'intérêt public, avec tous ceux qui veulent véritablement que notre pays prenne les problèmes qu'il doit résoudre à bras le corps. Et cela, aucun des deux sortants ne le propose véritablement."
Mais pouvez-vous être ni à droite ni à gauche, tantôt à droite tantôt à gauche ?
- "Je suis au-dessus, parce qu'au-dessus de la droite et de la gauche, il y a la République et que, par exemple en matière de sécurité, je suis le seul depuis longtemps à avoir fait des propositions tout à fait cohérentes. Malheureusement, certaines de mes propositions ont été écartées par L. Jospin, qu'il s'agisse d'une loi de programmation, de la réforme de la législation sur la délinquance des mineurs multirécidivistes."
Parlons de la journée des femmes : dans cette campagne, on voit, on entend en ce moment beaucoup les épouses des candidats - Bernadette, Babeth pour Bayrou, Sylviane... Et Nisa, peu. Vous l'avez enfermée à la maison ou elle ne veut pas parler ?!
- "Non. Ma femme est libre, elle s'exprime contrairement à ce que vous dites, elle le fait avec distinction, avec son tempérament et je me refuse à l'instrumentaliser. Nous sommes le 8 mars, mais tous les jours devraient être le jour de la femme. Il y a quand même beaucoup de problèmes. Je voudrais rappeler que j'ai été à l'origine de la première proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer la parité en 1994, que je portais ce projet de loi devant le Parlement. Aujourd'hui, ce qui me parait important pour les femmes, c'est la parité sociale, c'est l'égalité tout simplement, en particulier dans le domaine des salaires. C'est cela l'axe de ma campagne : c'est de faire en sorte que les problèmes de la maternité soient mieux pris en charge par la société, pour qu'on donne aux femmes la possibilité de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle et familiale, et qu'en particulier, dans le domaine de l'entreprise, on crée les conditions d'une égalité des carrières et des rémunérations."
Donc, vous n'oublierez pas les femmes demain ou après-demain, ou la semaine prochaine ?
- "Déjà, hier, je ne les pas oubliées, puisque j'étais avec N. Poloni et E. Lévy à Orléans, où nous avons abordé ces questions."
Y a-t-il des femmes modèles ou des femmes-phares pour vous - des vivantes ?
- "Oui, je pense à L. Aubrac, à E. Charles-Roux qui sont deux femmes..."
Elles sont dans votre comité de soutien !
- "Je vous rappelle qu'elles étaient dans la Résistance. Ce sont des femmes éminentes, chacune dans leur domaine. E. Charles-Roux, qui vient d'être élue présidente de l'Académie Goncourt et L. Aubrac, dont tout le monde connaît le parcours. Evidemment, on peut remonter plus loin : L. Michel est dans mon panthéon, et beaucoup d'autres."
L. Tristan ?
- "Oui, et pourquoi pas Mme du Deffand et bien d'autres."
J. D'Arc ?
- "J. D'Arc aussi. Elle fait partie de la France et de l'histoire de la France."
Les deux candidats et leurs lieutenants se sont disputés tout récemment, depuis les propos du président de la République et ceux d'A. Richard sur la défense ; il n'y a plus de consensus sur le problème de la dissuasion et de la défense en France ?
- "Il y a un affaiblissement terrible de notre outil de défense. L'effort de défense était de 3,5 %, quand j'étais ministre de la Défense ; aujourd'hui, c'est 1,96 %, quand on compte la gendarmerie. C'est-à-dire que bien évidemment, si nous voulons avoir une défense indépendante, de la Nation, nous devons faire un effort plus grand."
C'est la faute à qui ?
- "J. Chirac est le chef des armées. Quand l'a-t-on entendu prendre le pays à témoin de ce qu'il considérait que les dépenses n'étaient pas suffisantes ?"
Mais peut-être qu'il écrivait au Premier ministre, peut-être qu'il le lui disait et qu'il ne voulait pas mettre la querelle sur la place publique ?
- "Oui, mais quand on est chef des armées, on ne se borne pas à faire des petits mots ou des petites phrases. Si l'enjeu en valait véritablement la chandelle, il était de son devoir, peut-être de dissoudre à nouveau, ou, en tout cas, de prendre le pays à témoin, de faire un référendum !"
Est-ce que la gauche a affaibli la défense ?
- "La gauche n'a fait qu'exécuter la réforme que monsieur Chirac avait mise sur pied, au mépris d'un certain nombre d'intérêts essentiels - la défense du territoire, la protection des populations civiles. Tout a été fait pour une projection lointaine, dont on voit d'ailleurs qu'elle donne à la France un rang très subordonné."
Le RPR P. Lellouche dit qu'A. Richard est le plus mauvais ministre de la Défense de la Vème République... depuis J.-P. Chevènement qui avait fui au moment de la guerre du Golfe !
- "J'assume mes actes avec honneur, car je pense qu'ils correspondaient à l'intérêt de la France. Quant aux propos d'une grande bassesse de monsieur Lellouche, ils traduisent simplement le grand désarroi de monsieur Chirac et de ceux qui l'entourent. J. Chirac ne devraient pas laisser ce genre d'aboyeur s'exprimer comme il le fait."
Vous êtes en forme le matin ? C'est le café ?
- "Non. Je dors peu, parce que je suis rentré tard d'Orléans hier."
Et vous continuez aujourd'hui ?
- "Et je continue : je suis ce soir à Nancy et j'espère que j'aurais l'occasion de rencontrer les Lorrains, pour leur parler notamment de la sidérurgie."
Vous parliez des femmes, de la situation sociale et économique et même de la sécurité... Et on a l'impression que tout ce qui s'est fait de bien entre 1997 et 2000, c'était grâce à vous et que depuis que vous êtes parti, on l'impression que, et Chirac et surtout Jospin, sont perdus ?
- "Je ne dis pas cela. Il y a des choses que j'assume - en dehors de mon bilan, que, naturellement, j'assume. Par exemple, j'ai toujours été pour les emplois-jeunes. Pour les 35 heures, j'ai dit au sein du Gouvernement dès le départ que je n'étais pas un religionnaire des 35 heures, car j'avais toujours critiqué la notion de partage du travail. Et je suis pour l'assouplissement des 35 heures. Mais il y a des points sur lesquels je pourrais me trouver d'accord, par exemple la CMU. Pour autant, sur les choix fondamentaux qui, d'une certaine manière, aboutissent à une sorte de résignation devant la mondialisation libérale, le dépècement de nos industries, la déconstruction de l'Etat républicain, la vente par appartements de la République. La Corse, par exemple : qu'est-ce que L. Jospin va faire sur la Corse ? Va-t-il proposer une..."
Irez-vous en Corse ?
- "J'irai en Corse dans les prochaines semaines. Mais que va faire L. Jospin ? Va-t-il proposer la modification de la Constitution, comme cela parait résulter des accords de Matignon, pour donner à la Corse le pouvoir législatif ? Est-ce que J. Chirac va tailler un statut à la carte pour les départements d'Outre-mer, pour complaire à madame Michaux-Chevry ?

C'est bien que vous le disiez ce matin...
- "Ce sont des questions qu'il faudrait poser dans la campagne électorale. Et qu'entend-il faire pour permettre à la France de rester un pays libre, parce qu'on est en train de nous voler en douce notre citoyenneté. C'est cela que signifie le projet de constitution européenne. C'est comme s'il y avait un peuple soviétique en Europe, au nom duquel on allait créer un super-Etat bureaucratique !"
Merci, nous parlerons de l'Europe... Est-ce qu'avec un jour d'avance je peux vous souhaiter un bon anniversaire - c'est demain ?
- "Merci, c'est très gentil à vous..."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 13mars 2002)
Le Journal du Dimanche - 10 mars 2002
Vous avez dénoncé l'entrée tardive dans la campagne de Jacques Chirac et Lionel Jospin. Aujourd'hui, vous les accusez de monopoliser les médias. Où est la contradiction ?
Jean-Pierre Chevènement : Il n'y en a pas. Je les ai effectivement forcés tous les deux à sortir du bois un mois plus tôt que prévu : Chirac d'abord le 11 février parce qu'il perdait du terrain, et Jospin par richochet. Ils voulaient une campagne courte et à l'esbroufe. Ce sera plus difficile désormais. Il reste six semaines pendant lesquelles les Français vont pouvoir juger, je l'espère, à la fois du vide et de la similitude de leurs projets. Ils comprendront que pour la première fois ils ont, avec ma candidature, la chance d'un changement véritable, par delà les clivages usés. Le système du pareil au même que j'appelle " Chirospin " n'offre aucune perspective à la France. En tous domaines, ça branle dans le manche : il n'y a pas de politique de santé, par exemple, et c'est à bon droit que les professions de santé se retrouvent aujourd'hui dans la rue. Mais " Chirospin " se défend : au mois de février 19 minutes dans les journaux télévisés pour Jean-Pierre Chevènement - 125 minutes pour Jacques Chirac - 144 minutes pour Lionel Jospin : chiffres officiels du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel ! Ceci explique cela.
Y compris votre tassement dans les sondages - la dernière enquête BVA vous donne 8 % ? N'y a-t-il pas, là, matière à inquiétude pour le second tour ?
Jean-Pierre Chevènement : Il y a d'autres sondages qui me sont plus favorables et c'est ma résistance qui est exceptionnelle ! Je suis passé miraculeusement à travers la vague médiatique. Rien n'est joué, tout est jouable ! Plus de la moitié des électeurs n'a toujours pas fait son choix. Je suis le seul à offrir au pays un projet mobilisateur et cohérent : la France retrouvée, le citoyen relevé, l'Ecole redressée, la sécurité assurée, le travail revalorisé, l'initiative libérée, l'Europe refondée dans la démocratie. Avant, nos concitoyens désorientés n'avaient le choix qu'entre Le Pen et Laguiller. Aujourd'hui ils ont la République, avec Chevènement !
Comptez-vous, d'ici le premier tour, clarifier votre positionnement, comme certains de vos partisans vous le demandent instamment ?
Jean-Pierre Chevènement : Ma position est claire depuis le départ. Je ne roule ni pour Jospin ni pour Chirac. Je roule pour la République et pour la France. Je ne suis pas le candidat d'un parti mais celui de la nation tout entière. Le rassemblement qui me soutient dépasse un clivage gauche-droite aujourd'hui épuisé. L'Etat RPR et l'Etat PS ne représentent, l'un et l'autre qu'à peine 15 % des inscrits. Je suis le candidat de la rupture démocratique, le candidat du changement. Pour relever les défis de l'avenir, il faut s'appuyer sur toutes les forces de la France.
Que vous le vouliez ou non, votre parcours politique, depuis votre engagement au CERES, se situe à gauche ; Comment pourrez-vous, au cas où vous seriez absent du second tour, ne pas appeler à voter pour Lionel Jospin ?
Jean-Pierre Chevènement : Vous savez la France demande à la fois de la gauche et de la droite, de la justice et de la rigueur, de l'ordre et du progrès. C'est ma force de l'avoir compris. J'ai défini mes orientations à Vincennes le 9 septembre dernier et je ne me laisserai pas tirer à hue et à dia. Je me bats pour être présent au second tour et pour gagner. Sinon ce serait le triomphe du prêt à penser !
Lionel Jospin, pourtant, multiplie les marques de sympathie à votre égard...
Jean-Pierre Chevènement : Si Lionel Jospin a de l'amitié pour moi, je constate que lorsqu'il a dû choisir entre Jean-Guy Talamoni et moi, il a choisi... Jean-Guy Talamoni.
Vous ne lui avez, décidément, pas pardonné ?
Jean-Pierre Chevènement : Dans une élection, ce sont les orientations politiques qui doivent être jugées :
Est-ce que Lionel Jospin persiste à proposer aux Français de réviser la Constitution comme il l'a promis par les accords de Matignon, pour octroyer à l'Assemblée de Corse le pouvoir de faire la loi ?
Est-ce qu'il est prêt, comme je lui ai demandé depuis 1998, à réviser l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs pour créer enfin des centres de retenue fermés pour les multirécidivistes mineurs ?
Est-ce qu'il persiste à vouloir ouvrir le capital d'EDF aux intérêts privés ?
Est-il prêt à résister au chantage des Verts sur le nucléaire et la sécurité ?
Et Jacques Chirac, en principe gardien de nos institutions, que fait-il à notre Constitution et de la souveraineté de la France, c'est-à-dire de notre liberté quand il propose devant le Bundestag d'élaborer une constitution européenne ?
Dans l'air vif du débat démocratique qui précède l'élection, je somme les sortants de rendre compte. En réalité, ils refusent l'un et l'autre le débat public que je leur ai proposé.
Avez-vous définitivement fermé la porte au député de Vendée, Philippe de Villiers (Combat pour les Valeurs), avec lequel on dit que vous avez dîné récemment ?
Jean-Pierre Chevènement : Je ne ferme la porte à personne dès lors que j'ai clairement dit ce qu'étaient mes valeurs et mes principes : ceux de la République. Je n'ai pas besoin de dîner en ville pour rencontrer Philippe de Villiers. Nous nous rencontrons facilement à l'Assemblée Nationale. J'ai d'ailleurs toujours trouvé méritoire son combat pour la souveraineté et pour la liberté de la France, même si nous pouvons avoir des divergences par ailleurs. Je laisse au parti libéral-mondialiste qui a tourné le dos au peuple et à la nation le soin de démoniser Philippe de Villiers qui n'a d'ailleurs pas appelé à voter pour moi. Il n'est pas dans ma manière de hurler avec les loups.
Le juge Eric Halphen affirme également vous avoir rencontré...
Jean-Pierre Chevènement : C'est exact. Il avait manifesté il y a plusieurs mois le souhait de cette rencontre. Je l'ai trouvé sympathique et honnête. J'ai d'ailleurs découvert que nous avions des vues convergentes sur le fonctionnement de la justice, en particulier sur le fait que les Parquets sont les avocats de l'intérêt public et ne peuvent pas être indépendants comme Jacques Chirac l'a proposé en 1997 et comme Lionel Jospin l'a réalisé par la suite, détruisant ainsi l'unité de la politique pénale.
La justice en France va mal : trop de plaintes n'ont pas de suite. Trop de peines (40 % en Ile de France) ne sont pas exécutées. Une remise à niveau et une remise en ordre républicaine sont nécessaires. Je propose une loi de programmation pour la justice. Eric Halphen dans son livre fait bien voir les difficultés aujourd'hui du métier de juge.
Dans son livre, le juge Halphen met assez nettement en cause Jacques Chirac ?
Jean-Pierre Chevènement : Eric Halphen dit précisément que toutes les pistes dans l'affaire des HLM de Paris conduisent à Jacques Chirac mais que rien ne permet de le mettre en cause directement. Ni plus, ni moins.
Comment définiriez-vous l'originalité de votre projet présidentiel ?
Jean-Pierre Chevènement : C'est un projet de refondation républicaine, il opère un recentrage sur les valeurs fondamentales : citoyenneté, patriotisme, autorité de la loi égale pour tous, laïcité garante de la paix civile, honnêteté, rigueur, sens du travail et de l'effort, égalité des chances, récompense du mérite, justice sociale.
C'est un projet cohérent qui, je crois, tient la route. Il a d'ailleurs donné le ton à toute la campagne, y compris chez les sortants qui font comme s'ils pouvaient réaliser demain ce qu'ils n'ont pas fait hier, quand ils avaient tous les pouvoirs. Quand sont-ils sincères ? Quand ils promettent comme candidats ou quand ils agissent comme Président ou Premier ministre ?
Face à l'opportunisme démagogique sans rivage de Jacques Chirac et au pragmatisme sans boussole de Lionel Jospin, je mettrai l'intégrité au service de la réforme, avec quelques mesures phares à la clé : fin de l'impunité pour les multirécidivistes, glissement des cotisations de Sécurité Sociale vers une base plus large que les salaires : (valeur ajoutée et revenu), de façon à permettre aux entreprises de revaloriser le SMIC de 25 % sur cinq ans ; défiscalisation des entreprises nouvellement créées pendant trois ans ; augmentation de 50 % du nombre de crèches et d'assistantes maternelles pour permettre aux femmes de mieux concilier leur vie professionnelle et leur épanouissement personnel et familial ; quelques baisses fiscales ciblées ainsi de la TVA sur la restauration abaissée à 5,5 % ; études rémunérées pour les étudiants préparant les concours de la Fonction publique en échange d'un engagement à servir l'Etat pendant dix ans.
Bref, autant d'encouragements à l'initiative et au travail, source de toute richesse.
Comment jugez-vous les débuts de la campagne de Lionel Jospin et de Jacques Chirac ?
Jean-Pierre Chevènement : Elle prend de plus en plus les allures d'un règlement de comptes personnel et manque de fond. Les propositions de Jacques Chirac n'ont pas de crédibilité parce que Jacques Chirac n'en a plus. Quant à Lionel Jospin, il enfile des perles : Qui pourrait vouloir d'une France inactive, peu sûre, archaïque, injuste, faible ?
En fait, ni l'un ni l'autre n'ont de vision pour la France. Ils ne veulent pas vraiment débattre avec les Français des défis à relever et des orientations à prendre dans les cinq prochaines années.
Comment qualifieriez-vous cette période de la campagne ?
Jean-Pierre Chevènement : Tout, aujourd'hui, est possible. Je crois que les Français vont se lasser très vite de la poudre de perlimpinpin que leur jettent les deux sortants. Ils méritent mieux que les campagnes de communication concoctées par Jacques Séguéla et Claude Chirac.
Les médias ont une responsabilité essentielle pour élever le niveau du débat démocratique en posant les questions essentielles sur chaque sujet. Sinon, ils favoriseront la montée de l'abstentionnisme et des extrêmes.
Etes-vous affecté par les commentateurs qui assurent que vous avez atteint votre seuil critique et que vous n'irez pas beaucoup plus loin que 10 % ?
Jean-Pierre Chevènement : Je n'en crois rien. Je sens une profonde attente et une mobilisation élevée dans les meetings que je multiplie dans le pays et ma détermination est totale.
Avec ma candidature les Français ont la chance de pouvoir faire imploser l'Etat RPR et l'Etat PS l'un et l'autre à bout d'inspiration. Ils ouvriront ainsi la voie à une profonde et nécessaire recomposition de notre démocratie.
(source http://www.chevenement2002.net, le 13 mars 2002)
Le Parisien (13 mars 2002)
Vous réclamiez que Jacques Chirac et Lionel Jospin entrent en campagne. C'est fait. Alors, vous êtes heureux ?
Jean-Pierre Chevènement : Heureux ? Je le serais d'un débat mais pas d'un pugilat ! On aurait pu imaginer que les deux plus hauts personnages de l'Etat, instruits par leur expérience, s'adresseraient aux citoyens comme à des adultes en leur parlant des défis que la France doit relever : rien de tel. C'est un simple règlement de comptes personnels, un combat de brigands. " Vieillard usé et fatigué ", dit l'un. " Sale gueule fasciste ", répond l'autre. C'est indigne. Et pourtant, que de questions se posent : Chirac et Jospin sont en train de voler aux citoyens le droit qui est le leur de construire ensemble leur avenir en mitonnant une Constitution européenne à l'horizon 2004, sans nous dire ce que va devenir la Constitution française, c'est-à-dire notre souveraineté ! Et Jospin, veut-il toujours réviser la Constitution pour donner le pouvoir législatif à la Corse en 2004 ? Et Chirac, qu'entend-il faire de l'Outre-Mer, avec ses " statuts à la carte " ? L'un et l'autre vendent la République par appartements !
Qu'ont-ils fait et que comptent-ils faire l'un et l'autre pour s'opposer à la dictature de la finance ? Persistent-ils à vouloir privatiser EDF, support de la modernisation de notre filière électro-nucléaire ? Au lieu d'élever le débat, les sortants nous entraînent dans une bataille de polochons. Cette campagne est indigne de la démocratie. Il est temps de proposer aux Français une alternative véritable, un projet mobilisateur dans lequel ils pourront se reconnaître.
Lionel Jospin juge votre pôle républicain " baroque "...
Jean-Pierre Chevènement : Le baroque est un style qui a fait date dans l'histoire de l'architecture. Face à des défis exceptionnels, il faut des réponses exceptionnelles : un rassemblement qui transcende les clivages usés pour apporter des solutions neuves.
Votre Pôle semble un peu souffrir ces temps-ci...
Jean-Pierre Chevènement : Il souffre de la confiscation des ondes par les deux sortants. Un exemple : en février, à la télévision, 19 minutes pour Chevènement, 125 pour Chirac, 144 pour Jospin. Et ça continue en mars malgré les observations du CSA. On voudrait tuer la démocratie qu'on ne s'y prendrait pas autrement.
Ne traversez-vous pas tout de même une sorte de " trou d'air " ?
Jean-Pierre Chevènement : Certes, je dois me battre pour enrayer l'effet mécanique de la confiscation du débat par les sortants. Mais j'ai un moral d'acier car je sais que je suis le seul à pouvoir créer la surprise. L'un des deux va bien finir par dévisser !
Lequel ?
Jean-Pierre Chevènement : Si les Français portent un jugement de citoyens, ils pénaliseront les deux sortants. Ma crainte, c'est que le comportement de " Chirospin " -comme je les appelle puisque, sur l'essentiel, ils sont d'accord entre eux- ait pour seul résultat de gonfler le nombre des abstentionnistes et de favoriser le vote de rejet en faveur des extrêmes.
Vous visez qui ?
Jean-Pierre Chevènement : Laguiller et Le Pen qui, eux, ne gênent en rien Chirospin puisqu'ils n'ont aucune espèce de chance de l'emporter au second tour. Je suis le seul à pouvoir le faire.
Qui pourrait " dévisser " ?
Jean-Pierre Chevènement : Chirac et Jospin sont tous deux fragiles, mais Chirac paraît atteint en profondeur. Il n'a pas de réserves pour le second tour.
Alors, vous allez jouer la droite contre Jospin ?
Jean-Pierre Chevènement : J'ai défini une fois pour toutes mes orientations pour redresser la République : je m'y tiendrai jusqu'au bout. En tous domaines, il faut réaffirmer les principes et les valeurs de la République : la souveraineté nationale sans laquelle il n'y a pas de démocratie, la citoyenneté avec ses droits et ses devoirs, l'autorité de la loi égale pour tous, une politique cohérente de sécurité, la revalorisation du travail, l'égalité des chances, l'affirmation de la France comme grande puissance politique...
Et, avec cela, vous pensez pouvoir battre Jospin ?
Jean-Pierre Chevènement : Oui, car je suis plus crédible. Les deux sortants n'offrent le choix qu'entre deux variétés d'opportunisme : la démagogie sans frontière ou le pragmatisme sans boussole. Ils n'ont pas de vraie vision pour la France.
Et si vous n'étiez pas au second tour ?
Jean-Pierre Chevènement : Je ne me place pas dans cette hypothèse. Je ne roule pour personne. Je ne roule que pour la République.
Le Pen affirme qu'il n'est pas sûr d'avoir les cinq-cent signatures ...
Jean-Pierre Chevènement : Ma conception de la nation comme communauté de citoyens sans distinction d'origine est aux antipodes de la sienne. Cela dit, les pressions qui seraient exercées par Chirac pour amener certains maires à renoncer à leur parrainage sont une atteinte à la démocratie.
Vous avez reçu le juge Halphen ?
Jean-Pierre Chevènement : Je l'ai trouvé sympathique. Son livre est intéressant. C'est un homme blessé qui n'est pas satisfait du fonctionnement de la justice telle qu'elle va. Moi non plus. Et puis j'ai observé avec intérêt qu'il porte le même jugement que moi sur la nécessité d'avoir une politique pénale à l'échelle du pays tout entier.
Souhaitez-vous une remise en cause des 35 heures ?
Jean-Pierre Chevènement : La France ne peut pas relever les défis de son avenir sans mobiliser ses capacités de travail, sans mieux considérer et mieux rémunérer le travail. Je propose d'ailleurs que, par glissement des charges sociales de la base salariale sur une base plus large, on puisse trouver le moyen de revaloriser le Smic de 25% dans les cinq prochaines années. En même temps, je considère que le système des 35 heures est très fragile car il n'est pas durablement financé. Il n'a pas été pensé pour des secteurs comme l'artisanat, le commerce, les PME ou même la Fonction Publique dans la mesure où l'on n'y a pas créé d'emplois suffisants. Et là où il a été appliqué, il a entraîné modération salariale et flexibilité accrue. Donc, je suis partisan d'une mesure générale d'assouplissement des 35 heures.
Vous venez de fêter vos 63 ans ...
Jean-Pierre Chevènement : En effet, mon âge me permet d'exercer un mandat de cinq ans. L'âge des autres, je ne le commente pas, sauf pour constater que, des trois principaux candidats, je suis le plus jeune.
Lionel Jospin se dit " rajeuni " ...
Jean-Pierre Chevènement : La campagne le dope peut-être, mais c'est une illusion d'optique ! Une présidentielle, ce n'est pas le sérum de Bogomoletz.
(Source http://www.chevenement2002.net, le 14 mars 2002
La Dépêche du Midi (14 mars 2002)
A lire les sondages, n'êtes-vous pas la première victime de l'entrée en campagne de Chirac et de Jospin ?
Je suis victime de la confiscation presque totale des médias par Chirac et Jospin. Les temps de parole relevés en février par le CSA pour les journaux télévisés du soir sont très clairs à ce sujet : 19 mn pour Chevènement, 125 mn pour Chirac, 144 mn pour Jospin. Ça continue en mars. C'est un véritable déni de démocratie. Pourtant je suis le seul candidat à même de les menacer car j'ai une capacité de rassemblement qu'aucun autre ne possède.
Jospin considère au contraire que votre pôle républicain est "artificiel et baroque"...
L'existence d'un courant républicain se manifeste de manière constante dans ce pays depuis une bonne douzaine d'années. L'affaire du voile islamique avait déjà posé la question de savoir si nous étions capables de faire respecter la laïcité dans l'espace public. A cette époque, Lionel Jospin était ministre de l'Education nationale ; il avait consulté le Conseil d'Etat qui avait rendu une réponse mi-chèvre mi-chou. Ensuite, le traité de Maastricht a divisé la France autrement que selon le clivage droite-gauche. Celui-ci n'a pas fonctionné non plus sur la question corse car Jacques Chirac s'est mis aux abonnés absents lorsque Lionel Jospin s'en est remis aux conditions des indépendantistes.
Chirac et Jospin font de la sécurité un de leurs thèmes principaux de campagne. Cela ne vous nuit-il pas ?
C'est moi qui ai posé le premier l'exigence d'une politique cohérente de sécurité lors de mon discours de Vincennes en septembre dernier. Chirac n'a pas de crédibilité pour définir une politique en la matière. Il a aboli, en 1987, la détention provisoire des multirécidivistes mineurs. Il a proposé la destruction de l'unité de la politique pénale en 1997, même si c'est Lionel Jospin qui l'a réalisée. Il n'a pas appliqué la loi de programmation de 1995 qui visait à créer des postes de policiers. Il a aussi proposé la municipalisation de la police nationale. Quant à Lionel Jospin, je ne vois pas pourquoi il ferait demain ce qu'il n'a pas accompli hier, prisonnier qu'il est de l'angélisme de sa majorité. Je constate chez Chirac et Jospin un double langage. Quand sont-ils sincères ? Lorsqu'ils sont candidats ou bien quand ils sont Président de la République et Premier ministre ? Pour ma part, je pose ensemble le problème de la sécurité et celui de la citoyenneté. L'explosion de la délinquance renvoie évidemment à la crise de l'éducation. Je propose de redresser l'Ecole publique et de mettre en uvre une politique généreuse d'accès à la citoyenneté. Il faut à la fois plus de fermeté et plus de générosité. J'offre la seule alternative au système du pareil au même que représente cette figure mythique que j'ai appelé "Chirospin".
Que pensez-vous de la tournure qu'a pris le débat entre Chirac et Jospin ?
Réduire la campagne présidentielle à un échange d'invectives est indigne de la démocratie. On attendrait de hauts responsables de l'Etat qu'ils nous livrent la quintessence de leurs réflexions sur l'avenir du pays. Que disent-ils sur la Constitution européenne qu'ils nous mitonnent pour 2004 ? Que va devenir la Constitution française fondée sur la souveraineté nationale ? Est-ce que Lionel Jospin persiste à vouloir réviser la Constitution pour donner le pouvoir législatif à la Corse ? Et Jacques Chirac veut-il faire la même chose pour donner aux départements d'Outre-Mer les statuts à la carte qu'il leur a promis ? Pendant qu'ils vendent la République par appartements et s'inclinent pareillement devant la toute puissance des marchés financiers, j'oppose à la voie de la démission et du déclin programmé qu'ils proposent, celle du sursaut républicain et d'un projet mobilisateur pour que la France ressaisisse les fils de son destin.
Recueilli par JEAN-PIERRE BEDEI
(Source http://www.chevenement2002.net, le 18 mars 2002)
RTL -18 mars 2002)
R. Elkrief -
Avez-vous vos 500 signatures ?
- "Je ne les ai pas encore. C'est toujours difficile de faire que les promesses se convertissent en parrainages officiels."
Vous espérez les obtenir sans problème ou vous êtes inquiet, comme J.-M. Le Pen ou d'autres candidats qui font campagne, un peu pour alerter l'opinion là-dessus ?
- "Disons que j'observe qu'il y a certaines pressions qui s'exercent. Mais enfin, j'ai bon espoir et..."
De la part de qui à votre avis ?
- "De la part d'un certain nombre de notables installés. Les maires sont souvent dans la dépendance des conseils généraux ou d'élus qui président des comités de commune..."
Des élus de gauche ou de droite, pour ce qui vous concerne ?
- "Ecoutez..."
Non, parce que J.-M. Le Pen dit : "Le RPR ne veut pas de moi". Je ne sais pas, vous, vous pouvez dire quelqu'un d'autre...
- "Pour le moment, je ne pense pas utile de défrayer la chronique avec ce genre de choses. Si j'observais que la tendance était mauvaise, je ne manquerais pas de le dire. Mais naturellement, le système oblige à une certaine mobilisation. Voulez-vous que nous passions à des sujets plus importants ?"
Je vais suivre votre suggestion, monsieur Chevènement, mais c'était une information intéressante ! On passe au Sommet de Barcelone, sur lequel vous avez dit, avec énergie que c'était un simulacre, un faux-semblant, parce qu'on a vu apparaître les deux principaux candidats bras dessus, bras dessous. Néanmoins, le service public de l'électricité qui était en cause, a été défendu correctement et apparemment, la spécificité française a été défendue à ce Sommet ?
- "Mais vous plaisantez ! Vous croyez franchement cela ?! Ils ont capitulé en rase campagne, ils ont accepté en 2004 la libéralisation de 60 % du marché de l'électricité..."
Oui, pour les professionnels, pas encore pour les privés, pas encore pour les citoyens, c'est différent...
- "Le reste est à venir, comme le dit monsieur Aznar dans une interview au Financial Times. Dès lors qu'on aura privatisé - plus exactement libéralisé - 60 %, le reste y passera."
Aux professionnels...
- "Mais quand je vois ce qui se passe en Grande-Bretagne, où la privatisation débouche sur 5.000 types de contrats, entre l'entreprise privatisée d'électricité et les citoyens britanniques, quand je vois que 3,5 millions d'entre eux n'ont pas accès à ces contrats, parce qu'ils n'offrent pas de garanties financières suffisantes, et sont donc réduits à payer leur électricité avec des jetons - vous m'entendez bien, avec des jetons !"
On n'y est pas encore en France, tout de même !
- "Mais on y viendra ! Avant-hier, le Parlement européen a voté une résolution pour préconiser la libéralisation du service postal, au 1er janvier 2003 pour les courriers de 100 grammes, au 1er janvier 2006 pour les courriers de 50 grammes. C'est une machine qui est à l'oeuvre. Alors, on déguise une capitulation..."
Pourquoi voulez-vous faire peur aux Français ?! Il y a aussi des services publics, en France, qui ont été libéralisés - l'eau ou les télécommunications - et ce n'est pas un chaos et les Français utilisent l'eau ou le téléphone de façon tout à fait normale.
- "Mais parce que je vois l'inégalité fondamentale qui va s'installer, notamment dans les zones rurales, au détriment des consommateurs. Et quand vous parlez du téléphone, permettez-moi de vous dire que dans les zones rurales, on n'a pas accès à la téléphonie mobile bien souvent, je vous le fais remarquer. Regardez ce qu'a donné la semi-privatisation de France Télécom : aujourd'hui, plombée dettes - 65 milliards d'euros - par des opérations boursières hasardeuses. Et demain, ce sera le tour d'EDF. Je ne comprends pas comment l'on peut manifester autant de complaisance pour messieurs Chirac et Jospin qui, toute honte bue, ne reculant devant aucune énormité, affichent leur satisfaction au soir du Sommet de Barcelone, alors qu'en réalité, ils sont passés par les conditions que fixait la Commission européenne - messieurs Aznar, Berlusconi et Blair."
Ici-même, la semaine dernière, J. Chirac nous a affirmés qu'il n'était pas question de privatiser EDF, tout comme L. Jospin l'a dit. On va passer à la Corse.
- "Parce que J. Chirac ne recule devant aucune énormité ! Et les Français doivent commencer à comprendre qu'ils sont gouvernés par des menteurs ! Il y a une..."
Vous êtes très en colère !
- "Il y a une pièce... Mais écoutez... On se moque du monde ! Le citoyen est traité avec un mépris inimaginable ! Au lieu de parler du fond des problèmes, on leur bourre le mou en permanence ! Et on croit que naturellement, ils peuvent participer, comme des citoyens à la démocratie..."
Vous vous énervez ainsi parce que vous baissez dans les sondages ?
- "Mais non, mais non ! Il y a d'autres sondages qui indiquent des tendances différentes..."
Aujourd'hui, il y a un sondage CSA- Libération, qui indique que vous perdez 2,5 %...
- "Vous verrez qu'il y en aura d'autres qui indiqueront..."
Déjà, la semaine dernière, cela avait commencé...
- "Tout est extrêmement volatile. Je pense qu'il y aura des surprises le jour de l'élection. C'est le seul sondage qui compte. Aujourd'hui, on présente aux Français deux candidats officiels, qui sont d'accord sur presque tout, J. Chirac et L. Jospin. Et le système est ainsi fait que, si les Français ne sont pas contents, on leur dit : vous avez encore "deux candidats défouloirs", Le Pen et Laguiller. Et on les fait monter, on leur consacre beaucoup d'espace. De sorte que le citoyen est parfaitement cadré, il est cadré !"
Jusqu'à ces derniers jours, vous étiez considéré comme "le troisième homme", le troisième candidat...
- "Mais je le suis toujours ! Si on regarde la moyenne des sondages..."
Et donc, vous voyez bien que les Français vous écoutaient et allaient vers vous. Alors, de quoi vous plaignez-vous ?
- "Mais j'ai plus de peine à argumenter, à montrer en quoi je présente une alternative véritable, construite sur un projet mobilisateur qui, par exemple sur le service public, prendrait appui sur la volonté du peuple français, le cas échéant, consulté par référendum, pour obtenir des dérogations de Bruxelles, pour faire en sorte qu'au niveau des particuliers, il n'y ait pas de libéralisation. Mais il faut pour cela une volonté, une autre façon de faire de la politique, qui nous ramènerait peut-être au temps de Mendès-France ou de De Gaulle. En tout cas, pas le système actuel de "sondomanie"..."
Tout de même, si vous examinez cette baisse, ou en tout cas le fait que vous ne progressiez pas, comme vous l'avez prévu, pour le moins - vous aviez annoncé qu'il fallait faire "turbuler le système" et que vous essaieriez d'aller jusqu'à 15 %. Pour le moment vous êtes entre 7,5, 8 et 10. Qu'est-ce qui ne va pas ? Est-ce que finalement, vous êtes plus identifié au système que vous dénoncez que vous le croyez, puisqu'A. Laguiller, elle, monte ? Ou alors est-ce la limite de votre stratégie : au-dessus de la droite, au-dessus de le gauche et finalement les Français n'y comprennent peut-être pas suffisamment ?
- "Les Français peuvent très bien comprendre que, par exemple, s'agissant du service public, de la feuille de paie, des retraites par répartition, je défends des positions qui, je dirais, s'inscrivent dans la tradition de la gauche républicaine, mais que, par ailleurs, au plan international, européen, je défends une stratégie de reconquête ..."
Souverainiste...
- "... de l'indépendance nationale, ou en tout cas de nos marges de manoeuvre, pour transformer l'Europe, la redynamiser. Je pense que les Français peuvent comprendre - et je parie sur leur intelligence - que je leur propose de mettre un certain nombre de valeurs au service d'un projet de transformation..."
Avec qui gouverneriez-vous, concrètement, si vous étiez élu ?
- "Je m'appuierais sur toutes les forces de la France. Laissez-moi aller au bout de ma phrase. Je pense que les Français ont besoin d'intégrité et de courage à la tête de l'Etat. J'ai déjà dit que le poisson pourrissait par la tête, et je le crois plus que jamais. Quels sont les Français qui pensent qu'aujourd'hui, l'intégrité et le courage sont au pouvoir ? Les Français tiennent à la souveraineté nationale, sans laquelle il n'y a pas de démocratie ; ils tiennent au principe d'égalité, et par conséquent au service public."
Dernière question : demain, vous partez en Corse. Vous êtes attendu par des nationalistes qui considèrent votre visite comme une agression. Vous êtes inquiet ?
- "Et vous, vous considérez que c'est normal qu'une minorité violente puisse déclarer un homme politique, candidat à la présidence de la République, comme "indésirable", comme ils l'ont fait à propos d'un agriculteur breton, à propos de gendarmes qui avaient épousé des femmes corses, à propos d'enseignants qui sont chassés par le pain de plastic ?!"
Pas d'inquiétude donc ?
- "Non, mais je voudrais qu'on ne renverse pas les rôles. Nous avons affaire à une minorité violente, à laquelle le gouvernement de L. Jospin, avec la complicité de J. Chirac, a cru de pouvoir faire des concessions, avec le résultat que nous voyons, c'est-à-dire une recrudescence du terrorisme ! Je voudrais rappeler que l'autorité de la loi égale pour tous mérite d'être appliquée en Corse comme dans nos banlieues, comme partout ailleurs !"
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mars 2002)