Tribune de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, dans "Le Figaro" du 21 juin 2002, sur la politique européenne sur l'immigration, intitulée "Séville : enfin du nouveau".

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Le Sommet de Séville revêt, pour tous les Européens, une importance symbolique capitale. Enfin, on va parler d'immigration, au moment où l'un des hauts fonctionnaires chargés de ce dossier, publie un livre explosif au titre évocateur "le Grand Bazar, l'Europe face à l'immigration" et alors que les pays de l'Union ressentent le même malaise devant l'alternative qui s'offre à l'Europe : ou bien les pays européens laissent monter la vague qui les submerge et accueillent avec résignation la perspective d'une immigration massive de peuplement, auquel cas l'Europe deviendra, dans une décennie, en même temps qu'un vaste espace d'accueil planétaire pour la misère du monde, une juxtaposition alvéolaire de communautarismes. Ou bien les pays européens, osant affronter les chiffres issus des services de la Commission elle-même - 500 000 entrées de clandestins par an -, décident de mettre en uvre une véritable politique de régulation de l'immigration légale, d'arrêt de l'immigration clandestine et de maîtrise de leurs territoires.
L'ordre du jour du sommet de Séville se ramène finalement à une question simple : les dirigeants des pays européens vont-ils choisir la voie de l'intergouvernemental pour mettre sur pied une Europe qui nous protège, ou bien vont-ils choisir la voie du supranational pour s'abandonner, comme aujourd'hui, à une Europe qui nous désarme ?
En d'autres termes, ou bien ce sont les capitales européennes qui conjuguent leurs efforts et s'entendent à partir de politiques qui ne peuvent être que d'abord nationales - pour des raisons d'échelle et de responsabilité - ou bien elles s'en remettent à Bruxelles pour définir une nouvelle politique de l'intégration européenne.
Or, il faut le dire tout net : si ce sont les capitales qui assument leurs responsabilités, il y aura des résultats ; sinon, l'idéologie "post-nationale de l'Europe ouverte" mise en uvre, depuis dix ans, par la Commission, nous précipitera dans l'abîme. Il ne faudrait pas que le sommet de Séville approfondisse le malentendu actuel : si la situation de l'immigration s'aggrave chaque jour en Europe, ce n'est pas à cause de l'absence de politique supranationale. C'est parce que, depuis longtemps, ni les pays membres, ni la Commission n'ont voulu donner la priorité absolue à la sécurité des citoyens et à la maîtrise de l'immigration, qui impliquent nécessairement la lutte contre l'immigration clandestine et la régulation des flux légaux.
Au contraire, chez les pays membres comme à la Commission, la priorité a été donnée à la circulation sans contrôle, à l'abolition des frontières intérieures, à la bienveillance envers les demandeurs d'asile, même manifestement abusifs, à la croyance que l'immigration massive allait résoudre nos problèmes de dynamisme et de démographie.
On voit aujourd'hui le résultat de l'entreprise d'intégration supranationale de la politique d'immigration : cette faillite de l'esprit de Schengen, de Bruxelles et d'Amsterdam est constatée par tous les Etats : quand Tony Blair - qui ne peut être soupçonné de populisme - annonce l'envoi en Méditerranée de navires britanniques pour arraisonner les bateaux passeurs de clandestins, il veut signifier tout simplement aux responsables européens qu'il préfère assurer sa propre police que de s'en remettre à une Europe irresponsable et sans frontières, dotée d'une police virtuelle supranationale. Car l'évidence s'impose : L'Europe de Schengen a conduit à l'Europe de Sangatte ; et l'Europe d'Amsterdam a conduit à l'Europe des milieux islamistes interlopes incendiaires de synagogues. Quelques jours après les terribles attentats qui ont frappé New York et Washington, la présidente d'"Eurojust", Mme Michèle Coninsx, qui est aussi un haut magistrat belge, s'est laissé aller à des déclarations remarquables dans un grand quotidien parisien. A la question : "la nébuleuse islamiste est-elle fortement implantée en Europe ?", Mme Coninsx répond : "l'Europe peut constituer une base de repli logistique pour ces terroristes. Les frontières sont en effet relativement faciles à franchir à cause de l'espace Schengen".
Cette idéologie anti-frontières et cette marche vers le super-Etat, où toutes les politiques seront communautarisées, a trouvé son symbole : c'est Sangatte, honte pour la France et pour l'Europe, résultat de l'incurie socialiste et de l'idéologie bruxelloise qui a fait sauter tous les filtres des franchissements illégaux de frontières.
La question de fond posée par Sangatte, cette vaste et dramatique concentration d'immigrés clandestins, est en effet la suivante : Comment ces clandestins ont-ils pu traverser toute l'Europe pour arriver à Calais sans être vus , repérés, signalés, appréhendés ? N'y a-t-il pas là précisément une écrasante responsabilité du système Schengen ?
Or, il faut bien constater, au début du sommet de Séville, que l'Europe est prise dans un double piège et qu'il faudra beaucoup de courage pour en sortir.
Le premier piège est juridique : à partir du 1er mai2004, par simple application de l'article 67 du traité d'Amsterdam, ratifié par la quasi-totalité du Parlement français, la Commission acquiert automatiquement le monopole de proposition législative pour tout ce qui concerne le franchissement des frontières intérieures et extérieures. Les Etats membres et leurs Parlements nationaux perdent tout droit d'initiative. Le traité de Nice ajoute que les décisions seront prises à la majorité qualifiée.
Ainsi, comme l'écrit Georges Berthu "Le vaste domaine de la circulation internationale des personnes passera-t-il progressivement à la compétence communautaire, accordant à Bruxelles un attribut essentiel de l'Etat fédéral, en rabaissant au passage les Parlements nationaux au rang d'assemblées locales". Une vague bleue pour rien, en quelque sorte.
Derrière le piège juridique - la dépossession de nos pouvoirs en matière d'immigration dans 22 mois -, il y a le piège idéologique : c'est l'esprit même dans lequel la Commission entend agir à la place des Etats : elle ne raisonne pas à partir d'une urgence, la maîtrise des flux migratoires, mais à partir d'un dogme mondialiste : le refus des frontières et des nations, sur fond d'immigrationnisme et de libre échangisme. Or, Il y a une parenté philosophique étroite entre le discours immigrationniste et le discours libre-échangiste. Les deux nient le fait national.
L'immigrationnisme, c'est le libre-échangisme appliqué aux hommes, c'est-à-dire une doctrine selon laquelle tous les hommes seraient parfaitement interchangeables et déplaçables à souhait, où la terre entière ne serait plus qu'un puzzle d'enclaves juxtaposées, où les peuples perdraient le droit à leurs affections, leurs coutumes, leur culture, sauf à les vivre en cachette, côte-à-côte, dans de véritables bunkers. La talibanisation de nos banlieues, qui en est le signe avant-coureur, s'organise ainsi à l'abri de cette idéologie criminelle.
Or, la Commission de Bruxelles semble incorrigible : elle continue sur sa pente habituelle : c'est ainsi qu'elle propose une directive pour créer un statut de réfugié temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées avec une répartition forcée par quotas conduisant à une distribution par pays en fonction des espaces disponibles. Et on nous dit qu'elle va proposer, à Séville, sa nouvelle usine à gaz : une police des frontières intégrée, supranationale. C'est une folie de plus. Les Etats n'auraient plus la maîtrise de leur territoire ni le contrôle de leurs gardes frontières.
La voie du bon sens à Séville est celle de la coopération renforcée entres les Etats pour maîtriser l'immigration. Cette coopération ne sera efficace que si elle prend appui sur le pouvoir de décision de chaque peuple et la maîtrise de son territoire.
Certes, il est bon que les chefs d'Etat, réunis à Séville, définissent de nouvelles règles communes qui permettront d'améliorer la coopération entre les polices des Etats membres. Mais ces mesures ne suffiront pas.
Au retour de Séville, et sans préjuger de ce que feront nos voisins, le nouveau gouvernement de la France aura à prendre des mesures urgentes : rétablir les contrôles, réformer le code de la nationalité, interdire les financements étrangers des mosquées, lancer une politique de codéveloppement.
L'enjeu est capital : la France va-t-elle devenir une société multiculturelle ou demeurer une nation, unie autour d'un héritage partagé et résolue d'avoir un destin commun ?
Toujours et partout, les sociétés multi-culturelles sont multi-conflictuelles, elles débouchent sur la guerre de tous contre tous, comme l'illustrent tragiquement l'histoire du Liban et celle de la Bosnie. Nous ne voulons de cela ni pour la France ni pour l'Europe.
Nous voulons que la France survive dans la paix civile et que l'Europe favorise l'harmonie des nations et des peuples.
(source http://www.mpf-villiers.org, le 26 juin 2002)