Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le thème "démocratie et développement", Valladolid le 8 mars 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Voyage à Valladolid (Espagne) pour le séminaire ''Démocratie et développement'' organisé par la Présidence espagnole de l'Union européenne du 6 au 8 mars 2002

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais centrer mon propos sur la contribution que peut - et doit - apporter la société civile à l'épanouissement de la démocratie et au développement.
On peut considérer cette problématique sous deux angles complémentaires, et qui se rejoignent peu à peu.
Bien entendu, c'est à l'irruption, ou devrais-je dire à l'intrusion, de la société civile sur la scène internationale, et en particulier dans nos pays, ceux du Nord, mais aussi au Sud, que l'on peut penser dans un premier mouvement. Je pourrais dire qu'il s'agit d'une société civile "de seconde génération" porteuse d'espoir de l'implication des populations dans la sphère internationale, après la revendication d'une démocratisation interne. Elle est orientée vers les enjeux globaux de notre planète : développement durable, environnement, justice, réduction de la pauvreté et des inégalités.
Gênes, Durban, Porto Alegre, demain Monterrey et Johannesburg : autant de rendez-vous de la mondialisation auxquels de nouveaux acteurs se sont imposés. J'ai eu souvent l'occasion de comparer, et je l'ai fait encore récemment à Porto Alegre, ce mouvement avec celui de mai 68 en France : il s'agit d'une contestation des rapports d'autorité, une contestation éminemment stimulante pour nous qui sommes les représentants des gouvernements. J'ai constaté pour avoir participé au Forum social mondial de Porto Alegre que nous sommes passés de l'imprécation aux propositions.
Ce grand mouvement, chacun en conviendra, a profondément transformé le débat démocratique au sein de nos pays. Ce débat devra encore se structurer, sans pour autant s'institutionnaliser. Il est d'ores et déjà frappant de constater, et c'est là le lien avec notre thème de travail, que ces nouveaux intervenants insistent particulièrement sur la thématique du développement. Ils y voient un antidote ou un correctif, c'est selon, à la mondialisation. En cela, ils rejoignent nos préoccupations en vue d'une meilleure régulation de la mondialisation. Nous devons donc travailler de concert pour humaniser la globalisation.
L'action de la société civile dans les couloirs des réunions de fonctionnaires et de politiques a certainement contribué à la remise à la mode, si j'ose dire, de la réflexion sur les moyens de réduire la fracture Nord-Sud, surtout dans le contexte de l'après 11 septembre. Je m'en félicite, tout en souhaitant que le temps ne démode pas cet élan généreux. Les brassages d'idées issus de ce mouvement de prise de conscience sont féconds. L'émergence d'une conscience internationale constitue un formidable trait d'union non seulement entre sociétés civiles du Nord, mais aussi entre celles du Nord et du Sud, ainsi qu'entre sociétés civiles du Sud. Cette conscience internationale est porteuse d'une plus grande générosité, même si elle participe aussi d'un sentiment d'insécurité: les catastrophes du monde, livrées par les médias, alimentent ce sentiment.
Mesdames, Messieurs,
J'en viens par glissement - du Nord au Sud - à mon second angle pour appréhender les interactions entre société civile, démocratie et développement. Je me place à présent sur le terrain, dans les pays en développement, dont la société civile est bien trop souvent absente dans les débats internationaux, et il serait dommage qu'elle soit représentée par les ONG du Nord.
A l'évidence, la société civile dans toutes ses composantes - ONG, églises, syndicats, médias, entreprises, etc. - a une place essentielle à tenir pour que se développe la démocratie. En réalité les syndicats sont trop souvent absents, les médias insuffisamment libres et les églises en revanche, très présentes, sont en train de structurer la société civile (je pense par exemple à Madagascar). Sans doute devrais-je plutôt parler de démocratisation, car il s'agit non d'un état mais d'un processus toujours perfectible, là-bas comme ici. J'ai coutume de dire que la démocratie ne se décrète pas, mais qu'elle se construit. L'émergence d'une "troisième voix" entre gouvernement et opposition est un facteur de pluralisme et de rénovation politique, surtout lorsque les oppositions sont insuffisamment construites. Cette voix parfois discordante, souvent pacificatrice, peut utilement mettre fin au face-à-face entre autorités gouvernementales et opposition parfois armée, ou encore revitaliser des débats trop convenus au sein de la classe politique.
Nous devons partout soutenir ces "forces vives de la Nation", non seulement par des encouragements verbaux mais surtout de façon très concrète. L'accord de Cotonou, avec ses articles 4, 6 et 7, représente un nouveau cadre très précieux à cette fin, par la place qu'il réserve à la société civile dans la programmation et l'exécution des programmes. Elargi à la société civile, le dialogue politique entre l'Europe et les ACP déborde désormais le seul cadre intergouvernemental. Le nouvel article 8 de l'accord permet d'associer la société civile au dialogue politique entre l'UE et un Etat ACP.
J'attire cependant votre attention sur l'importance de faire preuve de discernement dans notre action. D'une part, nous devons veiller à ne pas affaiblir les Etats pour renforcer la société civile. Beaucoup d'ONG en sont d'accord, la capacité des Etats à tenir le rôle régulateur qui leur incombe est l'une des clefs d'une mondialisation plus juste. Inversement, prenons garde à ne pas nous faire leurrer par des structures qui ne seraient que des démembrements des régimes, destinés à capter des fonds supplémentaires, ou par des ONG qui ne serviraient que les intérêts personnels de leurs dirigeants. La société civile n'échappe pas à certains reproches : les ONG devraient s'appliquer à elles-mêmes les principes qu'elles revendiquent.
Pour éviter ces deux écueils, la solution passe, une fois encore, par le renforcement des capacités de la société civile, pour lui permettre notamment de s'auto-réguler. Le développement de la société civile suppose en effet l'introduction en son sein des principes démocratiques dont elle se fait le porte-parole, sans pour autant être toujours elle-même exemplaire dans son fonctionnement interne.
La coopération décentralisée a également un rôle à jouer. Les collectivités territoriales qui la mettent en oeuvre ont l'expérience de l'action au plus près des citoyens et de leurs besoins quotidiens ; réunies, elles veulent faire entendre leur voix auprès des Nations unies, comme l'ont déjà obtenu les ONG. Enraciner la démocratie fabrique de la responsabilité.
Nous devons donc nous engager pour aider la société civile à renforcer la pertinence et l'impact de son discours et de son action. Il en va de la richesse du débat démocratique et du développement, tant au Sud qu'au Nord. La France est, pour sa part, déterminée à progresser dans cette voie.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 mars 2002)