Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur l'action de Mme Mary Robinson, Haut Commissaire aux Droits de l'Homme, en faveur du respect des Droits de l'Homme et sur l'assurance du soutien de la France à sa mission, Paris le 16 février 1998.

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Circonstance : Réunion de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme à Paris le 16 février 1998

Texte intégral

Madame le Haut-Commissaire,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je veux d'abord remercier Mme Mary Robinson, d'être présente parmi nous pour cette session spéciale de la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme, lieu privilégié de dialogue entre ministères, organisations non gouvernementales et personnalités.
Vous avez, Madame, en tant qu'avocate, puis présidente de la République d'Irlande, et aujourd'hui en tant que Haut-Commissaire aux Droits de l'Homme, montré une détermination et une cohérence dans votre engagement en faveur des Droits de l'Homme, qui forcent depuis longtemps déjà l'admiration.
Pour cette raison, nous avons été heureux de vous voir rejoindre, il y un peu moins d'un an, l'Organisation des Nations unies, premier et universel rempart contre l'injustice et la violence dans le monde.
Il y a plus de 50 ans, au lendemain de l'une des guerres les plus vastes, les plus meurtrières et les plus sauvages que le monde ait connu, les Etats d'alors ont mis sur pied une Organisation des ''Nations unies" - beau programme - pour favoriser l'émergence d'une société internationale plus juste et coopérative, fondée sur des principes et buts communs, ceux de sa Charte.
Deux ans plus tard, l'adoption de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, répondait à la noble ambition que soit proclamé enfin un droit universel qui pût servir de référence à tous. Et depuis lors, son inscription dans l'ordre juridique et la pratique des Etats s'est effectuée progressivement au travers de nombreux instruments internationaux, malgré toutes les entraves, faisant du respect de ces principes une obligation de plus en plus largement et librement souscrite par un nombre plus en plus grand d'Etats.
Ce qui fait, encore aujourd'hui, la force de cette Déclaration, est qu'elle a su à la fois fixer les principes posés depuis deux siècles, notamment la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen en 1789, mais aussi, "les hommes libres pouvant mourir de faim", énoncer les autres droits, les droits économiques, sociaux et culturels : droit à l'éducation, au savoir, à la culture, à la santé, au travail, etc, qui restent toujours à parfaire. La France, qui a joué, au travers de René Cassin notamment, un rôle essentiel dans sa rédaction, continuera de se faire l'avocat, partout dans le monde, de l'universalité et de l'indivisibilité et de la mise en oeuvre de ces droits.
Certains s'interrogent aujourd'hui sur l'intérêt qu'il y aurait à élargir encore le champ des Droits de l'Homme en réponse à l'évolution très rapide de la société, de la science et de la technologie pour proclamer de nouveaux droits tels que le droit à l'environnement, le droit à la protection de l'individu exposé aux manipulations de la génétique, de l'informatique, aux transformations de l'environnement, les droits collectifs, etc. La réflexion sur ces thèmes est très importante. Nous devons en premier lieu nous demander comment donner à de telles aspirations une portée concrète.
Nous devons aussi rester vigilants, car l'attention portée à ces nouveaux domaines ne doit pas conduire à détourner le regard des droits contenus dans la Déclaration universelle, ni surtout à affadir les droits fondamentaux. Bien sûr, certains pays entretiennent une contestation permanente à l'égard de l'universalité des droits contenus dans la Déclaration universelle mais aucun ne peut espérer revenir sur cette déclaration, ce que personne n'accepterait.
Il me semble indispensable dans le même temps de progresser dans notre propre réflexion sur les champs nouveaux pour renforcer dans ces domaines les principes d'éthique. Je suis certain que M. Robert Badinter, nommé président du Comité de commémoration de la Déclaration universelle par le Premier ministre, M. Lionel Jospin, enrichira avec la détermination et l'efficacité qui le caractérisent les réflexions dans ce sens.
Votre action, Madame, se situe à la charnière des deux articles de la Charte qu'il convient constamment de concilier - et c'est en quoi votre tâche est difficile et indispensable : celui qui place la protection et la promotion des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales parmi les buts et principes de la Charte, et celui qui pose le principe du respect de la souveraineté nationale. Mais votre action quotidienne est légitimée par le principe réaffirmé avec force par les 171 Etats réunis à Vienne en 1993 : les Droits de l'Homme sont une préoccupation légitime de la communauté internationale ; dès lors, s'en soucier ne saurait constituer une ingérence.
Vous devez, Madame, comme chacun de nous, responsables de politique étrangère, acteurs de la société civile, rechercher le meilleur dosage des différents instruments qui existent en faveur du respect des Droits de l'Homme, comme de toutes les autres formes d'action, pour que les progrès sur le terrain soient le plus effectif possible. Car il ne faut pas écarter cette question et au contraire essayer d'y répondre : que faut-il faire juridiquement, économiquement, politiquement, culturellement, pour que, cas par cas, les droits proclamés entrent dans la réalité et les mentalités là où ce n'est pas encore acquis ? Exigence, pragmatisme, persuasion et coopération sont ensemble nécessaires.
J'ai été frappé de constater la rapidité avec laquelle vous vous êtes engagée dans une action de longue haleine pour que chacune des composantes du système des Nations unies contribue à faciliter ces processus complexes et de longue durée que sont les transitions démocratiques et l'amélioration du respect des Droits de l'Homme dans le monde. Votre détermination a été immédiate ; et nous sommes sûrs de votre persévérance.
Mon collègue, Charles Josselin et moi-même, qui sommes soucieux d'oeuvrer très concrètement en faveur du respect des Droits de l'Homme, agirons en fonction des priorités suivantes :
- Protéger, renforcer les mandats existants, tant thématiques que géographiques ; ceux-ci sont en effet soumis à une forte pression de la part de certains pays.
- Renforcer les programmes d'assistance à l'instauration de l'Etat de droit et des institutions comme les commissions nationales des Droits de l'Homme, qui favorisent le respect de ces droits, par la prise en compte de ces principes dans les projets de développement, et qui favorisent le soutien par la société civile.
- Encourager les Etats les plus réticents à coopérer avec les rapporteurs et groupes de travail. Ces visites requièrent en pratique l'accord des autorités nationales, celles-ci devant au préalable être persuadées de l'utilité d'une approche plus transparente. C'est là où on retrouve la persuasion et la persévérance.
- Agir de façon résolue pour défendre les défenseurs des Droits de l'Homme, si souvent maltraités, en commençant par appuyer l'action menée au sein du groupe de travail chargé de négocier une déclaration à ce sujet.
Je souhaite à cet égard rendre hommage au remarquable travail accompli par les organisations non gouvernementales pour recenser, dénoncer, les violations des droits, apporter une aide précieuse aux victimes et mettre en oeuvre des programmes d'assistance technique. La France favorisera leur action, contribuera à protéger leurs membres, plus que d'autres menacés par l'esprit d'intolérance et l'arbitraire.
Je voudrais, Madame le Haut-Commissaire, avant de laisser la parole à Charles Josselin et à vous-mêmes, vous renouveler la confiance que la France vous accorde et les espérances qu'elle place dans votre mission. Nous nous efforcerons de faciliter l'accroissement de vos moyens pour l'accomplir. Je sais que c'est l'une de vos préoccupations immédiates.
Je suis convaincu que nous aurons l'occasion, au cours de cette année de célébration du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, et tout particulièrement à Paris autour de la date anniversaire du 10 décembre 1998, de reparler de ces sujets et de faire ensemble oeuvre utile./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 septembre 2001)