Déclaration de Mme Dominique Voynet, secrétaire nationale des Verts, sur la politique gouvernementale et la refondation de la gauche, à Saint-Jean-de-Monts le 27 août 2002.

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Circonstance : Université d'été des Verts à Saint-Jean-de-Monts (Vendée) du 26 au 29 septembre 2002

Texte intégral

Je suis heureuse moi aussi, après Michel Narioo, de vous souhaiter la bienvenue pour les journées d'été des Verts. A vous, les adhérents ou sympathisants, récents ou anciens, pour lesquels ce rendez-vous traditionnel de fin août est un moment important de votre implication dans le mouvement.
A vous aussi, nos invité(e)s, qui tout au long de la semaine allez débattre avec nous dans une ambiance marquée par le respect réciproque et l'écoute, mais sûrement pas par la complaisance ou la langue de bois.
Le premier exercice, qui nous est proposé ce matin, et qui porte sur la situation issue des élections de mai et juin, n'est pas des plus simples !
Nous sommes les uns et les autres engagés dans les débats préparatoires de congrès, (même si les échéances sont différentes), et la tentation peut être forte, dans ces moments, de se tailler des succès faciles de tribune.
Chacun en connaît ici quelques recettes: mettre tous les problèmes, en interne comme en externe, sur le dos des autres; sélectionner dans ce qui s'est passé ce qu'on avait annoncé soi-même; insister sur ce qui fait la différence, sur ce qui clive; réciter haut et fort les canons de sa propre identité...
Je crois qu'il serait bon de ne pas trop céder à cette tentation dans le débat qui vient.
D'abord par ce qu'elle contribue au désarroi et au désenchantement que nous observons parfois autour de nous. Une partie du discrédit qui frappe la politique provient du sentiment qu'ont nos concitoyens que leurs dirigeants, enfermés dans les discours pré-formatés n'ont que des certitudes et pas d'interrogations.
Or, dans une situation comme celle que nous vivons, les citoyens attendent des forces de gauche et des écologistes des débats d'une autre qualité que des règlements de compte à coup de petites phrases ou d'ouvrages rapidement ficelés pour une parution de rentrée.
Il m'apparaît ensuite et surtout que la méthode qui consiste à faire de l'affichage, idéologique ou tactique, est en grand décalage avec les enjeux de la période.
L'équipe et la majorité de M. Raffarin se sont mises, elles, au travail rapidement et n'ont pas perdu de temps.
Bien sûr, on pourrait ironiser sur les ratés, les tensions, les contradictions de ces cent et quelques premiers jours. La hausse ou non du SMIC, la baisse ou non des impôts, les tarifs d'EDF ou de la Poste, ce ne sont pas des petits sujets.
On pourrait aussi pointer les reniements prévisibles par rapport aux engagements d'il y a quelques semaines: venant de la part de Jacques Chirac, nous n'en sommes guère surpris.
On pourrait enfin s'emporter contre la tranquillité cynique avec laquelle 1'UMP modifie certaines règles à son profit: l'audit des finances publiques, l'augmentation du salaire des ministres, la valse des préfets et des diplomates, et plus malsain encore, les projets de réforme des modes de scrutin qui visent moins le Front National que la représentation démocratique dans sa diversité.
Mais l'essentiel n'est malheureusement pas là : ce gouvernement entend incarner comme d'autres en Europe, une tentative décomplexée, totalement désinhibée pour en finir avec !e type de contrat social, politique et démocratique sur lequel a fonctionné notre pays depuis un demi siècle.
Au plan économique et social, M. Raffarin est parti chasser, si l'on peut dire, sur le terrain de la pensée libérale la plus orthodoxe.
Hausser le SMIC, hausser les minima sociaux, il n'y songe pas un seul instant. Ce qui le préoccupe, comme le lui demande le MEDEF, c'est le coût du travail non qualifié pour les entreprises quelle que soit leur taille. Elles ont ainsi obtenu, avec le nouveau contrat jeunes ce qu'elles réclamaient depuis longtemps : une baisse des charges pendant plusieurs années sans obligation de formation. Le Premier Ministre sait bien pourtant que dans une conjoncture morose, cette politique n'aura pas de vrais effets en terme de création d'emplois.
C'est comme pour les baisses d'impôts : il sait bien que les classes moyennes aisée en bénéficieront plus que les autres et que la machine économique dans son ensemble n'en profitera guère, mais peu lui importe.
Avec cette sorte de mise en péril volontaire des équilibres budgétaires (budget dont d'ailleurs les priorités sont de véritables secrets d'Etat) le Gouvernement nous prépare l'annonce d'une réduction de financement de l'Allocation d'Autonomie, le non-renouvellement de certains fonctionnaires partant à la retraite, le renoncement à une politique ferroviaire digne de ce nom, les privatisations d'Air France et d'EDF considérées comme des " recettes de poche ".
Dans cette bonne vieille tradition française où se mêlent intérêts privés et bureaucratie d'Etat, on fait la politique des lobbies qui vous ont porté au pouvoir : ceux de la santé, de la sécurité, de l'agriculture productiviste, de la communication sont bien visibles. Mais d'autres, plus discrets sont d'ores et déjà à l'oeuvre, par exemple dans les domaines du nucléaire civil et militaire. Ce qui se dit ici ou là, en haut lieu, sur les retards pris par la France à cause de la gauche en matière d'armement fait redouter le pire pour l'avenir.
Quand on connaît le programme de la droite en matière de fonds de pension et d'âge de départ à la retraite, quand on connaît les remèdes de cette même droite pour faire face à la montée des dépenses de santé et le liens qui unissent tous ces gens aux groupes privés d'assurances, on a une petite idée du rôle qu'ils assignent à la puissance publique.
Alors que la majorité plurielle avait réussi à orienter positivement, dans le sens du partage du travail, la conjoncture économique de 1997, le gouvernement de M. Raffarin comme celui de M. Juppé en son temps s'apprête à aggraver par des mesures inappropriées une situation qui est devenue moins favorable.
A cela, s'ajoute une dose d'autoritarisme et de contre révolution culturelle qui n'a pas très bonne allure.
Ce qui est en cause, ce n'est pas bien sûr qu'on s'occupe de la tranquillité des habitants : ce qui est en cause, c'est qu'on traite de ces questions par une démagogie qui sur le terrain augmentera encore les conflits et la tension sociale.
Les onze mille places de prison supplémentaires correspondent à peine à l'augmentation déjà constatée de la surpopulation carcérale. Aucun spécialiste ne croit aux centres d'éducation fermés qui ne sont ni plus ni moins que des prisons d'enfants ou d'adolescents. Quant à cette vingtième réforme pénale en dix ans, quant aux juges de proximité, sans moyens ni statuts clairs, ils ne répondront pas plus à l'insécurité dans les rues que la suppression des allocations à la dérive des familles.
Notre première responsabilité collective, à nous tous, et pas seulement à telle ou telle composante de la gauche, est donc bien de le montrer à nos concitoyens: derrière la bonhomie apparente des propos, le projet de la droite est cohérent, systématique, au service non de l'intérêt général mais d'une juxtaposition d'intérêts particuliers.
Il s'inscrit dans une tendance dont l'inspiration est d'abord américaine mais dont les échos résonnent déjà en Italie, en Espagne, en Angleterre, en France et peut-être demain en Allemagne. Il menace la construction européenne elle-même, en le réduisant la seule perspective commune du contrôle des frontières pour les immigrés et de la libre circulation des marchandises.
Cette démonstration pour l'opinion publique, il nous faut bien sûr la conduire comme force d'opposition à l'Assemblée et au Sénat.
Je regrette ici publiquement que d'avantage de solidarité de la part des parlementaires socialistes et communistes n'ait pas permis aux Radicaux, aux Verts et apparentés de construire un groupe indépendant, correspondant pourtant à leur représentativité dans l'électorat.
J'indique au passage un autre élément : ce n'est pas parce que la droite se propose aujourd'hui de caporaliser la vie politique en tentant de la bipôlariser qu'il faut accepter cette donnée comme une évidence naturelle et inéluctable: la question de l'instauration d'une dose de représentation proportionnelle reste et restera à gauche une question clef.
Mais notre action doit aller au-delà du travail commun dans les assemblées. Les luttes sociales et environnementales sont une bonne occasion pour la gauche de monter qu'elle a entendu le message. Certaines de ces luttes sont hautement symboliques, comme celle des sans-papiers, comme celle des militants ou syndicalistes anti-OGM victimes d'une sévère répression. Mais d'autres peuvent être citées : comme celles des précaires de l'hôtellerie ou le mouvement des jeunes contre l'acharnement à empêcher les fêtes techno.
Nous pourrons aussi préparer ensemble les mobilisations de l'an prochain à l'occasion de la tenue en France du G8.
Bref, il s'agit, au-delà de la présence symbolique en coup de vent des leaders dans telle ou telle manifestation, de mettre toutes nos forces rassemblées dans la reconstitution du lien entre la gauche politique et la gauche sociale qui nous a tellement fait défaut depuis quelques années.
Ce que nous attendons de ce contact retrouvé avec le mouvement syndical, avec les associations, avec le tiers secteur, n'est pas le replâtrage d'une image. C'est la remobilisation politique de ceux qui ont fait défaut à la gauche en mai et en juin. C'est aussi l'émergence d'une démarche différente pour " fabriquer la politique ", pour être mieux en prise avec les évolutions de la société, pour bâtir les conditions du succès d'un nouveau projet de transformation pour notre pays et pour l'Europe.
Alors bien sûr, ce projet nouveau, dans son contenu comme dans sa méthode, il ne se fera pas sans un minimum de retour sur l'expérience plurielle que nous avons partagée depuis 1997.
Il me semble qu'il faut désormais aller au delà d'une comptabilité en colonnes "+" et en colonnes "-" car cette méthode ne permet pas vraiment de sortir des débats académiques internes à la gauche.
Que la politique suivie depuis 97, ait été la plus à gauche en Europe, c'est probablement vrai. Qu'elle ait souvent pêché par excès de compromis avec la mode libérale, c'est également facilement démontrable. Mais il nous faut surtout constater que si elle a pu séduire une partie des classes moyennes, elle n'a pu ni convaincre la totalité de la base traditionnelle de la gauche ni élargir ou dépasser cette base.
Elle a buté sur des phénomènes nouveaux sur lesquels elle a eu peu de prise, qui lui résistent et auxquels elle n'apporte pas de réponse probante.
Finalement, bien au-delà de ce que l'on appelle curieusement le jospinisme, c'est toute la période ouverte en mai 81 et par conséquent plutôt le mitterrandisme qui se sont achevés en 2002. Ce sont les méthodes et les propositions traditionnelles de la gauche, même un peu élargies aux Verts, dans l'espèce de transition appelée gauche plurielle, qui ne sont plus adaptées à la nouvelle donne.
Trois domaines, au moins, de cette inadaptation me paraissent clairs : la mondialisation, les enjeux du développement durable, le renouvellement nécessaire de la démocratie.
D'abord la mondialisation :
La politique économique conjoncturelle de la gauche plurielle a eu beau être une des meilleures depuis plusieurs décennies, notamment en matière de chômage et de pouvoir d'achat des couches moyennes, elle ne suffit manifestement plus pour répondre aux défis structurels de la mondialisation. Les groupes industriels et financiers énormes qui se jouent des frontières, la valorisation de court terme et à tout prix des actifs au mépris de toute logique productive et des tissus d'emplois, l'aggravation des inégalités de toutes natures et des précarités qui en résulte: l'été a illustré jusqu'à la terrible caricature ce nouvel état du monde.
Entre le plongeon boursier, la faillite de World.com et la perte de ses 100 milliards de dollars d'actifs, les errances de Vivendi, dont on est même incapable de mesurer la valeur, les risques d'extension de la crise argentine qui illustre le 6ème échec du FMI en moins de 6 ans, on voit bien qu'aucune réponse nationale n'est suffisante face aux évolutions et aux tensions de l'économie mondiale...
Comment introduire plus de transparence dans une telle économie ? Comment lutter contre ce " capitalisme du mensonge " ? Comment harmoniser un minimum les règles fiscales et sociales ? Comment maîtriser les fonds spéculatifs baladeurs ?
Ces questions ont été posées par le mouvement anti-mondialisation. La gauche doit se les poser à son tour, à la fois en terme de réformes des grandes organisations internationales et régionales, et en terme d'extension de la démocratie économique, dans les entreprises, dans les branches d'activité et dans les territoires.
Le second grand trou noir de la gauche française et européenne touche évidemment aux enjeux du développement durable. Là encore, et contrairement à ce que je lis ici ou là, y compris chez les Verts, je ne crois pas que le bilan de la majorité plurielle sur les sujets environnementaux soit aussi faible que cela.
Quand on voit d'où on partait, quand on voit l'empressement avec lequel Mme Bachelot veut faire disparaître la loi sur l'eau, celle sur la transparence nucléaire ou celle sur les risques industriels, quand on connaît le poids des lobbies ou simplement les contradictions de la société française sur tous ces sujets, on se dit que les chantiers ouverts depuis 1997 en matière d'énergie, de transports, d'espaces naturels, et même d'agriculture, ne sont pas près d'être refermés. Ils ont fait monter une envie d'écologie qu'aucun décret revanchard ne peut éteindre.
Mais, c'est vrai, tout cela est resté ridiculement sous dimensionné et excessivement cloisonné malgré tous nos efforts.
L'actualité estivale nous parle fort dans ce domaine aussi. Nous ne sommes pas absolument certains qu'il y ait un lien entre les inondations d'Europe Centrale et le changement climatique. On peut seulement constater qu'elles vont coûter si cher à l'Allemagne qu'elles vont compromettre le programme de baisse d'impôts du Chancelier Schröder.
Je constate aussi, alors que s'ouvre le Sommet de Johannesburg, que les problèmes écologiques deviennent un des principaux facteurs de l'insécurité dans le monde. La sécheresse en Mongolie et en Inde compromet des années d'efforts pour le développement pendant que les inondations chinoises jettent sur les routes des dizaines de milliers de personnes.
Mais ce qui vaut dans l'actualité sous forme de catastrophes chez les autres, vaut au quotidien chez nous où la réparation des " dégâts du progrès " devient économiquement et socialement insupportable. Comme nous n'avons cessé de le répéter depuis 97, les politiques environnementales de demain ne pourront plus se réduire à la réparation. Elles ne pourront plus continuer à être les suppléments d'âme de politiques économiques qui ne prennent pas en compte en amont la gestion de la ressource, la qualité des espèces, la préservation de la biodiversité.
Elles devront être au centre des politiques agricoles, de transports et de déplacement, d'énergie, des grands choix technologiques et d'équipement, des questions de la ville et du logement.
Elles impliquent dans le même temps des réformes profondes et de nouvelles formes de responsabilité pour nos concitoyens.
C'est d'ailleurs par le dernier point de la démocratie que je voudrais conclure. Il touche à l'idée même que nous avons du processus de changement.
Là encore, regardons ce que nous disent un bilan attentif de ces dernières années et le résultat des élections: les meilleures intentions et les meilleures réformes du monde en apparence, peuvent être ressenties par telle ou telle partie de la population comme contre productives, voire injustes, quand leur élaboration et leur application mobilisent trop faiblement les réseaux d'acteurs capables de les accompagner.
Quelle que soit la justesse des critiques que nous avons faites au moment des deux lois sur les 35h, j'ai l'intuition que nous les Verts, tout comme les syndicalistes les plus attachés à cette mesure, n'avons pas porté une attention suffisante à tous les contre-effets possibles de ces mesures, aux conditions à réunir pour leur mise en application dans les PME ou dans certains services publics, en raison, par exemple, des situations de pénurie de main d'oeuvre ou de qualifications.
D'autant plus que l'organisation de nos sociétés, par groupes et par catégories est devenue bien plus complexe depuis un quart de siècle. Les situations et les trajectoires professionnelles, familiales et géographiques y sont désormais plus composites. On ne change pas une telle société dans laquelle les autorités traditionnelles, scientifiques, morales ou politiques, sont bousculées, par de simples batteries de dispositifs si performants soient-ils.
Autant l'universalité du droit et de l'accès au droit doit être détendue avec vigueur, autant notre façon d'exercer la responsabilité politique manque d'une capacité à faciliter le débat, à ouvrir la controverse, à produire de l'autonomie et de la capacité d'adaptation.
Il est important de garantir l'accès aux biens publics que sont la justice, l'école, les transports, la santé, ou même un environnement de qualité. Mais cela ne suffit plus. Une réelle politique de transformation écologique et sociale doit inventer les cadres et ouvrir les chemins par lesquels chaque composante de la population peut reprendre prise sur son quotidien.
Voilà pourquoi le fait de se couler dans les institutions de la 5ème République au point d'en accroître caricaturalement les défauts par une hasardeuse inversion du calendrier électoral fut plus qu'une erreur tactique et a illustré un profond déficit stratégique. Mais voilà aussi pourquoi, le débat sur la Constitution ne doit pas occulter l'extension nécessaire des formes démocratiques aux domaines essentiels que sont dès à présent la santé, la culture, I'information, les choix scientifiques et éducatifs.
Un projet de gauche, ce sera de moins en moins faire des choses à la place des gens concernés: ce sera de plus en plus proposer des options de fond tout en installant des procédures et dispositifs par lesquels les citoyens accèdent à la construction de leurs propres réponses.
Cette nécessité nous concerne tout particulièrement nous les Verts, dont le coeur du programme renvoie à des changements profonds dans les façons de travailler, de consommer, de vivre ensemble.
Si, dans nos propositions, nous ne sommes pas plus attentifs à la façon dont on passe d'une situation à une autre, aux alternatives, alors nos idées continueront à être ressenties comme réservées aux couches sociales favorisées qui ont par elles-mêmes les moyens d'opérer des choix.
Cher(e)s ami(e)s,
D'avantage que des constructions organisationnelles abstraites, et plus que de débats sans actualité sur une formation unique, les forces de gauche ont besoin de se remettre au travail sur le fond. Parce que les urgences sociales et environnementales n'attendent pas. Parce que la droite ne nous laissera aucun répit.
Dans ce cadre, comme les autres forces politiques, les Verts ont à faire leurs propres ajustements, leurs propres réglages: ce sera au coeur des débats de toute cette semaine.
Mais nous ne sommes pas décidés à revenir en arrière, c'est-à-dire à retourner à quelque forme d'isolement que ce soit.
Nous souhaitons repartir avec nos partenaires de l'ex-majorité plurielle, mais sur de nouvelles bases. Pas avec un seul mais avec tous; pas en vase clos; pas pour faire du neuf avec de l'ancien mais pour refonder une espérance.
(Source http://www.les-verts.org, le 17 septembre 2002)