Déclaration de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, sur les modalités du contrat jeune en entreprise, l'insertion professionnelle des jeunes non diplomés et la mise en place du dispositif de soutien aux entreprises, Paris le 17 juillet 2002.

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Circonstance : Présentation du projet de loi instituant le contrat-jeune en entreprise au Sénat le 17 juillet 2002

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et messieurs les Sénateurs,
Nous sortons d'une élection révélatrice des tensions et des doutes qui parcourent notre pays, d'où l'intensité des attentes et des espoirs. Cette situation tendue résulte d'un essoufflement du modèle français, victime d'une vision malthusienne du progrès peu propice au développement d'une croissance durable, mieux partagée, irriguant l'ensemble de notre espace social. Une croissance délivrant l'esprit d'initiative, redonnant sens au dialogue social, élargissant les perspectives de promotion professionnelle et salariale, revalorisant les valeurs de travail, de mérite et de responsabilité, une croissance dénouant, en définitive, les nuds de crispation qui enserrent notre pacte économique et social en minant au passage le socle républicain lui même.
La France a besoin de retrouver le chemin du mouvement et de la confiance. Confiance en elle même, confiance en ses atouts, confiance en sa capacité à surmonter les défis du XXIème siècle, confiance en sa faculté à se moderniser pour se réinventer.
Au cur de ce défi, il y a la jeunesse.
Parce qu'elle est disposée à prendre des risques, à s'engager, à dépasser les pesanteurs structurelles et les habitudes culturelles, c'est elle qui fait battre plus ou moins vite le cur de notre pays. A cet égard, c'est elle qui dessine le visage de la France. Lorsque la jeunesse doute, la France broie du noir ; lorsqu'elle espère et s'engage, alors la France se remet à croire en son étoile.
Cette jeunesse n'attend pas d'être idéalisée, assistée, convoitée
Elle n'attend que deux choses : premièrement, qu'on ne la berce pas d'illusions sur les réalités du monde contemporain, notamment économique, au sein duquel elle est appelée à évoluer et à se battre ; deuxièmement, qu'on lui offre la possibilité d'exprimer sa détermination et de révéler son énergie et ses talents.
Mesdames et messieurs les sénateurs,
En soumettant à votre assemblée ce projet de loi créant un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise, le gouvernement obéit à une double conviction :
- La première, est que le combat pour le plein emploi suppose une stratégie à la fois globale et ciblée. Stratégie globale à travers la baisse des charges qui pèsent sur les entreprises qui sont supérieures à la moyenne européenne et un assouplissement négocié des 35 heures permettant de réconcilier la liberté des salariés et la compétitivité des entreprises. Stratégie ciblée à travers une concentration de nos efforts sur des publics précis tel que les jeunes sans qualification à qui il convient d'offrir une perspective professionnelle. L'objectif est de remettre l'ascenseur social en marche pour celles et ceux qui, à la sortie de l'adolescence, sont dangereusement en train d'osciller entre l'amertume et le décrochage ;
- Notre seconde conviction est que les forces de la croissance et du développement de l'emploi se situent prioritairement dans l'entreprise. Il est plus que temps de mettre à l'honneur toutes celles et tous ceux qui font tourner le moteur économique de la France, qui entreprennent, créent des richesses, élargissent les horizons de la croissance nationale. Il est temps de réévaluer le rôle de la sphère économique privée et les valeurs de courage, d'opiniâtreté, et parfois même d'aventure, qui l'animent. L'une des erreurs des emplois jeunes est d'avoir détourné une partie de la jeunesse ( notamment celle qui, dotée d'une formation, pouvait légitimement se voir ouvrir les portes de l'entreprise ou se présenter aux concours de la fonction publique ) d'un parcours professionnel sans doute plus exigeant mais plus riche humainement. Nous estimons qu'il est dans l'intérêt de la jeunesse, de notre pays et de ses entreprises, de s'engager là où bat le cur économique, là ou elle peut faire valoir sa volonté de réussite, faire ses armes, apprendre un métier.
Relancer l'ascenseur social en misant sur le dynamisme du monde de l'entreprise : voilà les convictions complémentaires qui forgent l'esprit de ce projet.
Lors de la campagne présidentielle, Jacques Chirac s'était engagé à répondre à l'urgence de la situation des jeunes face au marché du travail. Le gouvernement est fidèle à cet engagement. Il veut aller vite car le temps presse.
La situation s'est, en effet, fortement dégradée depuis un an. Le chômage des jeunes s'est accru de 15 % entre mai 2001 et mai 2002, alors que pour l'ensemble des demandeurs d'emploi la hausse s'est établie à 8 %. Parmi les jeunes, le taux de chômage est proportionnellement beaucoup plus élevé pour les non qualifiés, ou les peu qualifiés (33 % pour les premiers, 17 % pour les jeunes ayant atteint le niveau CAP/BEP ).
C'est pour encourager l'insertion professionnelle de ces derniers que le dispositif de soutien a été conçu, et ceci à partir de trois constats.
Premier constat : les entreprises n'embauchent pas naturellement les jeunes sans qualification, qui sont placés de façon quasi systématique au bout de la file d'attente des demandeurs d'emplois.
Second constat : les dispositifs existants - ils sont nombreux et pour la plupart, ont leur mérite - en particulier les dispositifs de formation en alternance, ne touchent pas les jeunes les moins qualifiés, ceux en situation d'échec scolaire que toute démarche préalable de formation tend à écarter.
Troisième constat : l'insertion des jeunes sans qualification ou peu qualifiés est caractérisée par des trajectoires précaires, discontinues, comportant souvent des périodes de dénuement, parfois préludes d'une exclusion et d'une marginalisation sociale.
Au regard de ces trois constats, largement partagés par les partenaires sociaux qui ont eu l'occasion d'être sensibilisés et associés au cheminement de notre projet, nous avons eu le souci d'élaborer un dispositif précis, attractif pour l'entreprise et ambitieux pour le jeune salarié, et enfin, opérationnel et pragmatique.
Précis tout d'abord quant au public visé.
Je vous ai, à l'instant, cité quelques chiffres qui démontrent que les niveaux de formation et de diplôme déterminent les conditions d'insertion dans le monde professionnel. Alors que les trois quarts des jeunes sortis du système scolaire en 1998 ont bénéficié durant les trois premières années de leur vie active d'un emploi, les jeunes sans diplôme ou ayant un CAP ou un BEP ont passé au moins la moitié de cette période au chômage. Dans cette même génération, les jeunes non diplômés sont sept fois plus souvent au chômage que les jeunes diplômés de niveau bac +2.
Il existe donc une cassure nette entre les jeunes. C'est pourquoi le dispositif s'adresse aux jeunes de 16 à 22 ans, sans qualification ou avec une qualification de niveau V (CAP, BEP, niveau Bac sans le Bac).
Le choix consistant à cibler un âge d'entrée dans le dispositif précoce (soit 16 ans) c'est à dire correspondant à la fin de la scolarité obligatoire, vise à prévenir les conséquences des situations d'échec scolaire et à encourager une insertion rapide de ceux sortant du système de formation initiale sans diplôme dont le nombre est de 60.000 chaque année. La limite supérieure, fixée à 22 ans, vise quant à elle à toucher les cohortes les plus importantes dans le chômage des moins de 25 ans, puisque 40 % ont entre 21 et 22 ans.
Le champs resserré du dispositif présente un double avantage : il concentre l'effort sur la population la plus exposée au chômage et limite, à fortiori, les risques de dérive et de détournement de l'aide qui auraient pu apparaître si le dispositif avait été élargi à des jeunes plus âgés.
En phase de maturité, c'est à dire d'ici deux à trois ans, ce " contrat jeune en entreprise " pourrait concerner près de 200 000 jeunes.
Ce dispositif ciblé, nous avons voulu également - je l'ai dit - qu'il soit attractif et ambitieux.
Attractif pour l'entreprise, c'est lui offrir la faculté d'assurer une embauche qui soit pratiquement sans charges. L'aide de l'Etat compensera les charges patronales, représentant le surcoût lié pour l'entreprise à l'embauche du jeune. Au niveau du Smic, cette aide prévue sur trois ans, dégressive la troisième année, représentera 2700 par an en plus des allégements généraux de charges existants. Elle aboutira à supprimer 45 points de cotisations patronales jusqu'à 1,3 Smic. C'est donc une incitation forte pour l'entreprise, en même temps qu'une opportunité pour rajeunir ses effectifs et anticiper le cas échéant des difficultés de recrutement.
Ambitieux pour le jeune, c'est garantir une insertion durable lui permettant, à travers un contrat à durée indéterminée, de trouver ses marques, d'apprendre le métier, de s'épanouir et dès lors - du moins pouvons nous légitimement l'escompter - se rendre, sur le long terme, indispensable à l'entreprise. Articuler notre dispositif sur une embauche en CDI : cette disposition, nous l'avons mûrement réfléchie, nous l'avons précisément voulu ! Car pour ces jeunes, nous cherchons la stabilité qui est à la source d'une insertion professionnelle réussie. Ce contrat constitue un engagement de moyen terme. En adoptant ce dispositif, l'entreprise fera un choix prospectif qui ne sera pas exclusivement guidé par le bénéfice de l'exonération de charges. Là encore, c'est le gage que les effets d'aubaine seront limités.
Parce que le mécanisme prévu vise un public singulier et parce qu'il respecte le principe d'une insertion sur la durée, nous n'avons pas estimé nécessaire d'imposer des clauses de formation obligatoire. C'est un choix opérationnel et pragmatique.
Il faut bien comprendre que les jeunes auxquels le dispositif s'adresse ne souhaitent pas ou ne peuvent s'engager immédiatement dans une démarche de formation. Ils sont souvent en situation d'échec scolaire, se détournent des formations qu'ils jugent - à tort ou à raison - décalés par rapport à leurs attentes immédiates. L'insertion dans l'entreprise nous apparaît donc comme le moyen privilégier d'assurer leur socialisation et leur entrée dans la vie active, pour ne pas dire leur vie d'adulte. Bénéficiant d'un contrat de travail et d'une rémunération au moins égale au SMIC s'engagera alors, à leur yeux, un processus de reconnaissance et de responsabilisation dont ils sont en réalité en quête.
Une fois l'insertion réalisée, ils pourront ensuite revenir à une démarche de formation continue au sein de leur entreprise - puisque comme n'importe quel salarié de l'entreprise, ils bénéficient du plan de formation- ou le cas échéant de formation en alternance qui pourra prendre la forme d'un contrat de qualification, voir même un contrat d'apprentissage. Les intéressés pourront à tout moment faire ce choix, sans préavis. Le projet de loi en prévoit explicitement la possibilité.
Par ailleurs, le dispositif renvoie aux branches professionnelles le soin de négocier une reconnaissance des acquis de l'expérience liés à leur parcours professionnel dans l'entreprise. Ces jeunes bénéficieront ainsi d'une validation de leurs acquis, sous la forme et selon les modalités qui seront retenues par les partenaires sociaux au niveau des branches professionnelles.
Ce choix opérationnel que nous avons privilégié, ne remet pas en cause les mécanismes de formation en alternance existants. Le gouvernement est soucieux de ne pas déstabiliser la formation en alternance, qui constitue une filière d'insertion qualifiante qui est particulièrement précieuse. Vous noterez d'ailleurs que le coût horaire d'un contrat de qualification reste inférieur au nouveau dispositif, sauf, il est vrai, pour les contrats de qualifications destinés au plus de 21 ans. L'utilisation des contrats en alternance résulte souvent de cultures de branches et d'entreprises fortement ancrées, que l'arrivée du contrat jeune n'est pas, selon nous, susceptible de remettre en cause, même si dans la pratique, il est souhaitable qu'une articulation s'opère entre les différents dispositifs.
L'existence de ce dispositif de soutien à l'embauche des jeunes ne doit nullement porter préjudice aux initiatives que pourraient prendre les partenaires sociaux dans le domaine de la formation en alternance, afin d'en rénover les mécanismes et en renforcer l'attractivité. De même, le dispositif que propose aujourd'hui le gouvernement peut sans doute être complété si nécessaire au niveau des entreprises par des modalités de mise en uvre que pourraient décider les partenaires sociaux comme celles, par exemple, du tutorat.
Monsieur le Président ,
Mesdames et messieurs les Sénateurs,
Vous aurez saisi l'essence de notre ambition : donner un coup d'accélérateur à la politique d'insertion des jeunes, cette insertion étant orientée vers le secteur privé, qu'il soit économique ou associatif. Nous parions sur l'alliance d'une jeunesse en quête de reconnaissance et d'un monde du travail ouvert par nature à celles et ceux qui sont prêts à se retrousser les manches.
La confiance d'une nation dépend, vous ai-je dit, du degré d'engagement de la jeunesse et donc de la nature des perspectives qui lui sont offertes.
Pour cette jeunesse qui doit surmonter ses doutes et délivrer le meilleur d'elle même, j'ai l'honneur de soumettre à votre assemblée ce projet de loi.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 18 juillet 2002)