Texte intégral
Q - Le Gouvernement, et en particulier D. Strauss-Kahn, sont très très optimistes. “On est sorti du trou d'air et la France est armée pour une croissance durable”, dit le ministre de l'Economie et des Finances. Vous partagez son point de vue ?
– “Notre sentiment, en tant qu'entreprises et entrepreneurs, est un sentiment assez partagé. Il y a des commandes, il y a de la croissance. Ce sont les entreprises qui font la croissance, c'est nous qui avons, en effet, en deux ans… 555 000 emplois de plus, c'est nous qui les avons créés. Et donc, en effet, les entrepreneurs sentent que, avec la mondialisation, l'ouverture de notre pays à l'Europe, avec l'euro, il y a des opportunités de croissance et donc le climat est assez optimiste à cet égard. Mais, il y a également la grande ombre portée des 35 heures et les impôts en plus que les entreprises payent. C'est le paradoxe, c'est quand même important.”
Q - Mais enfin si les entrepreneurs français sont optimistes, c'est que le climat général n'est pas si mauvais, que le Gouvernement ne fait pas forcément uniquement que des mauvaises choses.
– “Nous ne sommes pas partisans, ce n'est pas à nous de juger le Gouvernement. Nous voyons, dans les entreprises, ce qui favorise leur développement et ce qui ne le favorise pas. Et, je le redis : il y a des choses qui le favorisent – c'est la conjoncture, l'ouverture française au monde qui est tout à fait nette – et il y a ce qui gêne, c'est-à-dire les 35 heures et les impôts.”
Q - Quand L. Jospin se fixe pour objectif une société de plein emploi, il peut l'atteindre dans les considérations présentes ?
– “Il n'atteindra rien du tout, je dirais, en tant que Gouvernement. Ce sont les entreprises qui feront le plein emploi, si on leur laisse la possibilité de se développer comme elles le souhaitent.”
Q - Quand vous voyez que la croissance est plus forte en France aujourd'hui qu'elle ne l'est en Allemagne, par exemple. Pour l'Allemagne, la mondialisation, le contexte global est bien le même. Donc, si en France cela va mieux, c'est peut-être tout de même que la politique gouvernementale y est pour quelque chose.
– “Personne au monde ne songe à contester, du côté des entreprises, que le Gouvernement fait bien ou ne fait pas bien. Ce n'est pas notre affaire. Il a réussi à créer un climat de confiance dans ce pays, c'est tout à fait incontestable. Les consommateurs ont tendance à mieux consommer, c'est bon. Mais nous savons aussi que les investissements ne sont pas à la même hauteur que ce que l'on souhaiterait. Et on sait également qu'il y a, sur le plan des créations d'entreprises, un ralentissement. On sait qu'il y a beaucoup de jeunes qui pensent que leur opportunité de vie et de carrière se déroulera maintenant mieux hors de France. Donc, sur le plan structurel, ce n'est pas très bien. Sur le plan conjoncturel ce n'est pas mal.”
Q - Mais pourquoi vous jouez les rabat-joie constamment ?
– “Pas du tout ! Nous sommes nous, entrepreneurs, objectifs. Nous ne sommes pas dans les sondages, nous ne sommes pas dans l'opinion. Nous regardons nos carnets de commandes, nous regardons nos résultats, nous regardons la capacité de…”
Q - Ça va bien, ils sont garnis les carnets de commandes !
– “C'est nous qui sommes au coeur de la réussite française. Donc, la réussite française actuellement, elle est modeste mais elle est réelle. Elle n'est pas assurée et il faut faire très attention de ne pas la gâcher en prenant des initiatives négatives.”
Q - Vous ne dites pas certains matins, quand même : « J'y ai été un peu fort en disant que les 35 heures allaient tout plomber »… Finalement ça marche !
– “Je préciserai simplement que la réussite dont tout le monde se félicite aujourd'hui, c'est la réussite des 39 heures. Les 35 heures ne sont absolument pas rentrées dans la réalité des entreprises. Chacun la redoute et nous ne sommes absolument pas du sentiment qu'elles vont apporter autre chose que des complexités, probablement le ralentissement de croissance et d'emplois. Donc, à cet égard, vous savez, les 39 heures, moi je souhaiterais qu'on les conserve partout où on souhaite les conserver. Bien entendu ceux qui veulent passer à 35 heures le peuvent. Il y en a très peu. L'immense majorité des entrepreneurs est actuellement dans une espèce de front du refus et de l'incrédulité. On ne va pas nous imposer, à tous, de passer brutalement. Alors le Gouvernement a dit d'ailleurs : “Moi je ne vais sûrement pas le faire brutalement” et il a renoncé à mettre en oeuvre son affaire au 1er janvier prochain.”
Q - Vous voyez qu'il vous écoute !
– “Il n'a pas du tout écouté ! Il a regardé la réalité. Il se dit : “Mon bazar, mon usine à gaz est tellement bureaucratique, tellement isolante pour la France, elle est tellement loin de ce que l'on attend, elle bafoue le dialogue social, elle augmente les coûts, elle va étouffer les libertés d'entreprise, eh bien on ne peut pas mettre tout cela en place.” ”
Q - M. Aubry dit tout ça ?
– “Ce n'est pas M. Aubry, mais d'autres autour d'elle. En tout cas, le Gouvernement a arbitré et a dit : “C'est tout à fait clair, je retarde d'un an tout cela, on verra.” Et nous, notre espoir, c'est bien ce : “On verra” ! On n'a pas osé.”
Q - La seconde loi, finalement, n'est pas aussi épouvantable que cela, apparemment pour vous ?
– “Je vais vous dire un truc : personne n'a été encore très capable de l'interpréter et de la lire dans les détails. J'ai été frappé de voir que le Conseil d'État, qui l'a examinée, a mis cinq heures à la comprendre. C'est tout de même déjà quelque chose ! C'est une usine à gaz, bureaucratique, très loin de la réalité et, au fond, les entrepreneurs – il y en a tout de même 1,2 million dans notre pays –, c'est eux qui vont avoir à mettre tout cela en oeuvre d'abord.”
Q - Vous croyez que le Gouvernement pourrait y renoncer ?
– “Pas y renoncer ! Mais vous savez, on a beaucoup nationalisé et maintenant on privatise beaucoup. Alors, on va faire beaucoup de 35 heures, ça c'est sûr parce que, politiquement, c'est la potion magique pour une majorité un peu fébrile. Cela va l'apaiser mais nous savons, nous, que c'est un poison diffus dans la société économique française. Et donc nous pensons qu'il n'y a pas de raison en effet que l'on ne se rende pas compte, assez rapidement, que c'est vraiment casser les bras à quelqu'un qui, par ailleurs, ne se sent pas mal.”
Q - Les baisses d'impôts, la baisse de la TVA, c'est bon pour le bâtiment. 30 000 emplois, nous annonce la Fédération française du bâtiment.
– “En tant que Medef, je regarde l'ensemble des entreprises françaises. Qu'est-ce qui se passe ? D'abord, c'est nous qui fournissons l'excédent d'impôts et je suis très frappé qu'en réalité, on rende actuellement, aux Français, du trop-perçu. C'est bien, le Gouvernement avoue : “Écoutez, là franchement j'en ai trop pris, je vais vous en rendre.” Ce n'est pas de la réduction de dépenses comme on l'a dit ce matin hier sur votre antenne, ce n'est pas cela. Ça, ce serait de la bonne cause de réduction d'impôts. Non. “On en a trop pris”, c'est une première chose. Deuxièmement, à qui a-t-on trop pris ? Eh bien aux entreprises, c'est tout à fait clair. Nous avons non seulement fourni, sous forme d'impôts de société, etc., l'excédent que l'on va rendre aux uns et aux autres mais, en plus de cela, nous avons devant nous trois nouveaux impôts. Moi je demande, aujourd'hui, au Gouvernement de la manière la plus solennelle, de renoncer à mettre en place les impôts nouveaux sur les entreprises qu'il institue pour financer les 35 heures, puisqu'il a de l'argent en trop. Ce serait bien le comble que pour les entreprises qui fournissent l'impôt on durcisse le régime fiscal.”
Q - Vous allez avoir tout de même la disparition de la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés, la réforme de la taxe professionnelle. Ce n'est pas mal !
– “La disparition de la surtaxe, c'est une chose qui était promise, c'était un relèvement d'impôt dont on avait bien daté le retour à…”
Q - Quelles suppressions vous voulez alors ?
– “Nous voulons que l'on ne mette pas en place l'écotaxe. Nous voulons que l'on ne mette pas en place le nouvel impôt sur les sociétés, pour financer les 35 heures. Et nous voulons que l'on ne mette pas en place, bien entendu, cette grotesque surtaxe sur les heures supplémentaires, qui n'ira pas aux salariés dans le cadre des 35-39 heures, mais qui ira à un fonds d'Etat budgété là aussi. Tout ceci n'a pas de sens. Donc, puisqu'il y a trop d'argent, puisque c'est nous qui le fournissons, eh bien que, au moins, on n'en mette pas de nouveaux, de nouvelles taxes en place.”
Q - Dans la guerre des banques, BNP/Société Générale, le marché a prévalu. Vous en êtes satisfait ?
– “Je suis administrateur de Société Générale, donc j'étais vraiment très engagé dans cette affaire et je vous dis en tant que tel, et pas du tout en tant que président du Medef, que la solution à laquelle on est parvenu est une solution qui, globalement, a tiré les conclusions de ce que le Gouvernement avait décidé et, dans le cadre des règles qui avaient été fixées par l'autorité administrative. Donc, je dirais qu'il y a eu de la confusion, des retards, cela a été complexe mais, en gros, tout ceci n'a pas mal fonctionné. La France, au fond, a laissé faire les marchés, comme cela se fait dans tous les pays du monde.”
Q - Oui mais la Société Générale précisément est aujourd'hui isolée. On dit qu'elle pourrait être rachetée par une banque étrangère.
– “C'est une immense banque qui avait le projet de s'associer avec Paribas.”
Q - C'est fini ça !
– “C'est fini. Elle trouvera bien entendu d'autres initiatives à prendre de façon à assurer son avenir stratégique…”
Q - Et si elle est rachetée par une banque étrangère ?
– “Écoutez, vous verrez bien ! On a fait l'euro, tout cela bouge beaucoup. Ce n'est absolument pas à l'ordre du jour. Elle est décidée à assurer son avenir personnel…”
Q - Mais vous ne regrettez pas que la France puisse perdre une de ses banques ?
– “Mais pas du tout ! Écoutez, vous redoutez quelque chose vous, quand Renault prend le contrôle de Nissan ? Cela se fait dans le monde : des entreprises qui se prennent les unes les autres dans le cadre de la mondialisation, c'est la règle du jeu. Il faut bien nous y mettre. D'ailleurs pour moi, ce qui s'est passé, c'est un grand pas en avant dans la normalisation de la conception française de la vie économique…”
Q - Quand J.-P. Chevènement dit : “Cette décision c'est un attentat contre l'international” ?
– “C'est vraiment très très excessif d'abord et puis, ensuite, je me souviens quand même que l'Etat avait nationalisé tout le système bancaire, il pouvait donc restructurer à sa manière, il n'a absolument rien fait. Il a même conduit le Crédit Lyonnais, comme vous le savez, au désastre. Alors, que l'on ne nous donne pas de grandes leçons du côté de l'Etat. L'Etat n'est pas banquier. L'Etat ne sait pas non plus organiser les entreprises. Il se mêle de ce qui ne le regarde pas et nous sommes bien heureux de voir que le monde qui l'entoure le contraint a un peu plus de sagesse.”
Q - À la fin de la semaine se tiennent les universités d'été du Medef. Quel est le nouveau visage du patronat français ?
– “Eh bien c'est une force montante qui va peser lourd dans la société civile, parce que l'entrepreneur et l'entreprise est au coeur de la réussite française et qu'il faut s'en rendre compte. Il faut que les gouvernements maintenant regardent l'entreprise comme un grand partenaire et donc les universités d'été montrent l'ouverture de notre mouvement, en même temps d'ailleurs qu'il s'est beaucoup rapproché du terrain. Il représente toutes les entreprises maintenant et il est décidé à se faire entendre, à se faire écouter, voire d'ailleurs à compter en rassemblant ses membres pour que l'on sache que dans notre pays les entrepreneurs c'est au coeur de la société française.”