Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, sur l'organisation des manifestations pour la célébration de l'an 2000, notamment la mise en réseau des établissements scolaires et les droits de l'enfance, Paris le 3 avril 1997.

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Circonstance : Conférence de presse sur les célébrations de l'an 2000 à Paris le 3 avril 1997

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, quel meilleur endroit que la salle Cassini de l'Observatoire de Paris pour parler d'un événement tout à fait exceptionnel qui sera vécu presque au même moment par plusieurs milliards d'êtres humains, - même si ce n'est pas toute l'humanité -, le franchissement d'une borne chronologique inhabituelle dans un peu plus de 1000 jours.
Dans un peu plus de 1000 jours, en effet, ceux qui sont d'un côté de cette méridienne matérialisée sous nos yeux le long de cette salle seront déjà dans le troisième millénaire, ceux qui seront de l'autre côté ne l'auront pas encore atteint.
J'aperçois déjà quelques réactions indignées de scientifiques qui sont nombreux dans cette salle et qui se posent à juste titre quelques questions sur la rigueur de mon propos. Il est vrai que le changement de millénaire n'interviendra que dans la nuit du 31 décembre de l'an 2000 au 1er janvier de l'an 2001. Mais pour nos concitoyens, comme d'ailleurs pour tous ceux qui de par le monde s'apprêtent à célébrer l'an 2000, l'an 2000 commencera de facto en 2000. L'an 2000, changement d'année, changement de décennie, changement de siècle, changement de millénaire, date chargée d'un formidable potentiel de rêves.
La nature humaine aime les symboles et c'est précisément parce que ce nombre est chargé d'une forte puissance symbolique qu'il a été retenu. J'espère que la communauté scientifique ne nous en voudra pas trop d'avoir pris quelque liberté avec la rigueur des lois de la chronologie.
Mesdames et messieurs, je voudrai avant toute chose remercier l'Observatoire de Paris, son président, Michel Combes, le président directeur et ses collaborateurs de nous recevoir en ce site magnifique. Les remerciements du Gouvernement vont également aux responsables de la mission de la Célébration de l'an 2000 qui ont accompli, d'ores et déjà, depuis plusieurs mois, un très important travail.
Lorsqu'il s'agit de célébrer un événement majeur, on veut toujours faire mieux que les fois précédentes.
Vous comprendrez comme moi que s'agissant de celui qui nous réunit aujourd'hui, l'originalité tient précisément au fait qu'il n'existe aujourd'hui que peu de précédents. Les historiens contemporains se sont en effet penchés sur l'avènement de l'an 1000. Force est de constater que cet événement n'a guère été célébré, sauf peut-être dans quelques abbayes comptant dans leur communauté quelques moines savants, et que nous n'en avons conservé que des traces infirmes.
Certes, au 19ème siècle, Jules Michelet qui était davantage un remarquable dramaturge de l'Histoire qu'un historien scientifique, aimait les fables et les légendes ; il avait laissé vagabonder son imagination, en racontant, selon lui, l'avènement de l'an 1000, dans sa monumentale Histoire de France. "C'était une croyance universelle au Moyen-Age que le monde devait finir à l'An mil de l'incarnation" ; et Michelet de décrire ses prétendues terreurs précédant cette année fatidique, dans une relation très personnelle qui renvoie aux croyances eschatologiques, mais qui n'avait qu'un lointain rapport avec la réalité historique.
Les historiens savent aujourd'hui que nos ancêtres n'ont pas vécu ces terreurs là ; ils en avaient, les malheureux, bien d'autres à affronter. À l'exception de quelques monastères, je le disais, et de rares monarques éclairés, quasiment aucun habitant de notre terre n'a réellement vécu cette arrivée dans le nouveau millénaire. L'an mil n'a donc été célébré ni dans la peur ni dans la joie, il n'a pas été célébré du tout. Près de dix siècles plus tard, nous avons le modeste avantage de vouloir et de pouvoir célébrer de manière heureuse ce passage symbolique, chargé d'émotion, dans le troisième millénaire, en le nourrissant de nos espoirs, en en faisant un moment de fête, bien sûr, mais aussi de prise de conscience.
La France, comme de nombreux autres pays, a choisi le début de l'an 2000 pour organiser d'importantes manifestations. Ce " changement de millénaire " est vécu, pour la première fois, consciemment par une très grande partie de l'humanité.
Si les Français, à en juger par les enquêtes conduites auprès d'eux, au début de cette année, ont souhaité que l'État soit l'organisateur principal des manifestations qui se dérouleront, ils ont émis le vu d'être avant tout les acteurs principaux de cet instant exceptionnel et de célébrer ensemble le passage du vingtième au vingt-et-unième siècle comme un grand moment de fraternité et de réconciliation entre les générations.
Je partage pleinement cette aspiration. Un tel événement doit être, me semble-t-il, l'occasion pour chacun de se trouver associé aussi à sa conception, à sa préparation et, cela va de soi, à sa célébration.
La fête ne doit oublier personne, et elle pourrait être aussi l'occasion pour tous les Français de réfléchir ; de réfléchir sur le monde dans lequel nous vivons, et sur celui que nous voulons construire ensemble.
L'avènement de l'an 2000 pourrait être l'occasion d'une invitation à la réflexion sur notre propre devenir. Réfléchir, innover, faire la fête, bien sûr, inventer et rêver, autant de thèmes qui ont été retenus et auxquels, dans un même élan, les Français sont tous invités à participer à compter du 6 avril prochain, date de l'ouverture de la campagne des "mille jours pour célébrer l'an 2000".
L'initiative de fêter l'an 2000 en France revient au Président de la République qui m'a demandé de veiller personnellement à associer l'ensemble de nos concitoyens pour apporter au monde entier la contribution française à cette célébration. Une mission pour l'an 2000 a été constitué autour de Jean-Jacques Aillagon. Elle est placée sous la tutelle du ministre de la Culture qui exerce en la matière une coordination interministérielle.
Comment allons-nous financer cette opération ? J'ai souhaité que les responsables de la mission fassent appel à toutes les contributions possibles et que soient imaginées de nouvelles façons de financement d'initiatives publiques.
C'est ainsi que j'ai demandé au ministre de la Culture et au ministre du Budget de mettre en place une participation financière de la Française des Jeux d'environ 500 millions de francs (soit la moitié du coût prévisible des célébrations) en veillant, bien sûr, à ce que ni les joueurs ni l'Etat ne soient perdants. Cette contribution sera une première pour la culture, entendue au sens le plus large. Je suis persuadé que ce sera un succès et que cette initiative pourra être renouvelée chaque fois qu'une cause exceptionnelle le justifiera. C'est une piste que le Président de la République souhaite voir explorée pour l'acquisition future de "trésor nationaux".
Dans quelques instants, vont vous être exposées les grandes orientations de cette célébration.
Quelle en est l'inspiration générale ? Je retiendrai trois axes principaux :
1) Tous les Français pourront, s'ils le souhaitent, participer à la préparation des manifestations proposées.
Les individus bien sûr mais aussi les collectivités territoriales et toutes les associations dont les contributions créatrices sont très attendues.
2) C'est l'ensemble du territoire français qui sera concerné. A la différence de ses voisins européens, la France a fait un choix décentralisé. C'est donc à travers un réseau de cent sites, répartis sur tout le territoire, y compris bien entendu l'outre-mer, que se déroulera la célébration.
3) La célébration de l'an 2000 aura, bien évidemment, une dimension mondiale.
Parce que la voix de la France est écoutée et souvent attendue à travers le monde, que son message universel de liberté, de tolérance et de fraternité s'adresse à toute l'humanité, les cents sites français de la célébration seront jumelés avec cent sites étrangers.
C'est dire le caractère exceptionnel de cet événement : symbole, fête, espoir. D'autres grands pays ont pris des initiatives pour saluer ce tournant. La France devrait, avec force, marquer ce seuil. A sa manière, prenant la mesure de ce qui fait nos solidarités et mobilisant les ressources de sa vocation à l'universel pour faire entendre clairement son message.
Le message que la France veut délivrer à tous, au moment où la planète s'interroge, est résolument positif. Nous devons rassembler, nous devons expliquer, surtout nous devons faire voir ce que les hommes ont déjà fait.
"La France, l'Europe, le monde, un nouveau souffle" ; la formule invite spontanément à reconnaître une unité de ces trois communautés. Aucune ne saurait rester isolée. Le message de la France est celui de la solidarité, au sein même d'un monde perplexe et souvent déchiré. Cette solidarité, nous devons l'exercer plus particulièrement à l'égard des jeunes. Ce sont eux qui auront à vivre et à construire ce troisième millénaire. Notre tâche est de les y préparer avec les meilleurs atouts. Dans cette perspective, je souhaite fixer deux objectifs gouvernementaux pour l'an 2000 :
- Le premier a déjà été évoqué il y a quelques semaines par le Président de la République : la mise en réseau des établissements scolaires de notre pays pour l'an 2000. Il s'agira non seulement de fournir des outils pédagogiques nouveaux pour les élèves, mais aussi de faire de l'école un lieu de proximitré ouvert, qui permettra à nos compatriotes de bénéficier après les cours, d'une formation continue à distance. J'ai demandé au ministre de la Culture de constituer avec ses collègues, le ministre de l'Education nationale et les ministre chargé des Télécommunications, une équipe interministérielle qui devra mobiliser toutes les initiatives publiques et privées. La mission An 2000 devra bien évidemment être associée à cette équipe.
- Le second objectif concerne les droits de l'enfance. En 2000, la convention des Nations Unies sur les droits de l'enfance aura dix ans. Vous savez l'attention toute particulière que le Gouvernement porte à la protection de l'enfance en France et dans le monde. Je voudrais lancer aujourd'hui la proposition suivante : chaque enfant de France devrait s'associer à un enfant de pays étranger du même âge, pour préparer avec lui "l'an 2000 des droits de l'enfant". Je propose également la tenue, dans notre pays, d'un Sommet mondial des droits de l'enfant qui aura pour tâche de dresser le bilan des dix premières années d'application de la convention des Nations Unies et, à partir des suggestions des enfants, de dresser une charte des droits de l'enfant pour le troisième millénaire.
Voilà brièvement, Mesdames et Messieurs, ce que je souhaitais vous dire aujourd'hui. Avant de laisser la parole aux uns et aux autres, je voudrais terminer mon propos par une interrogation. Quel jugement l'an 3000 portera sur la manière dont l'humanité aura célébrer l'an 2000 ? Même sans réponse, la question mérite, me semble-t-il, d'être posée. Lorsque nous serons devenus, à notre tour, un sujet d'Histoire, quelle empreinte aimerions-nous avoir laissée ? A la différence de nos lointains ancêtres de l'An 1000, il restera des témoignages lisibles et je l'espère encore visibles, de ce que furent notre monde et ses civilisations.
Que nos très lointains successeurs aient de nous une image généreuse, volontaire, confiants dans l'avenir de l'humanité, et résolus pour avancer sur le chemin du progrès et de la justice, constituerait - à titre posthume il est vrai - un compliment appréciable. Je vous remercie.