Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, dans "Le Figaro" le 28 juin 2002, sur la revalorisation du SMIC, la réforme des retraites et la refonte des règles de la négociation collective.

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Le Figaro-Economie.- Même si vous n'avez pas obtenu satisfaction sur la hausse du SMIC, l'harmonisation proposée par le gouvernement ouvre-t-elle une perspective de négociations ?
Bernard Thibault : Le gouvernement ne dit même pas ça. Il n'y a pas aujourd'hui un engagement politique ferme pour accélérer le retour à un Smic unique. Il y a l'application mécanique de la revalorisation du Smic, 2,4 %, les promesses d'un rendez-vous en septembre où on abordera la question de l'harmonisation. Le panier est particulièrement vide.
- Vous seriez satisfait d'une promesse d'harmonisation ?
Elle existe déjà dans la loi pour l'horizon 2005. Accélérer le processus dès maintenant aurait pu permettre de livrer un autre signe que celui d'aujourd'hui. Tout le monde, et pas seulement nous, avait mis en évidence les risques au-delà de l'injustice, d'une rupture avec le Smic unique. Malheureusement le législateur a décidé de retenir une autre formule socialement ingérable tant pour les syndicats que pour le patronat. Comment justifier que des salariés à compétence comparable, exerçant des métiers similaires aient un niveau de rémunération qui dépende uniquement de la date de négociations de l'accord sur la réduction du temps de travail. La sortie du dispositif est certes compliquée mais il n'y a pas d'autre issue, de notre point de vue, que d'en sortir par le haut.
- Une sortie par le haut, c'est beaucoup d'argent, notamment pour les entreprises...
Les entreprises ont été financièrement largement accompagnées. Regardez les aides accordées, elles sont inversement proportionnelles au tarif du Smic pratiqué pour les salariés. Ceux qui sont passés plus tôt aux 35 heures, ont un niveau de Smic le plus bas ! La CGT n'est pas hostile à ouvrir un débat sur les moyens de favoriser le développement économique des entreprises mais pas en partant de l'idée que c'est le " coût " social qui est la variable d'ajustement, permanente, systématique, primordiale, de toute politique économique. Continuer dans cette voie c'est entretenir la spirale qui joue contre la croissance. Elle ne peut pas reposer uniquement sur le pouvoir d'achat et la capacité de consommation d'un cercle réduit de consommateurs. La tendance lourde depuis des années c'est pour les salariés, une faible rémunération et la précarité au travail qui conduisent à une insécurité sociale prégnante en France mais aussi en Europe.
- Cette dimension européenne ne vous oblige-t-elle pas à rentrer dans une logique de négociations sur la réforme des fonds de pension, sur la réforme de la protection sociale, comme tous les autres syndicats l'ont fait et l'ont accepté ?
Nous ne sommes pas pour la sauvegarde de l'acquis comme s'il n'y avait pas de problème. Nous ne nions pas la réalité du problème des retraites. Il y a d'ailleurs déjà une dégradation de la situation des pensions pour les retraités aujourd'hui. On doit renégocier le système mais pas sur des petits morceaux ou en envisageant des formules qui laisseraient croire par exemple, au hasard, qu'en alignant la durée de cotisations de fonctionnaires sur celle du privé, on a résolu le problème de l'avenir des retraites. C'est entièrement faux et c'est démagogique. Il faut qu'on négocie sur l'ensemble de la problématique : durée de cotisation, mécanisme ouvrant aux droits, niveau des retraites. Nous proposons de commencer à cumuler des droits à la retraite dès l'âge de 18 ans.
- Faut-il rester sur un système uniquement calé sur la masse salariale alors que d'autres revenus, notamment financiers, sont exonérés ? Autre question. Voilà un débat qui est aussi de portée européenne.
Aujourd'hui la CGT est impliquée sans aucun réserve dans le syndicalisme européen et si les conditions sont réunies dans le cadre normal de renouvellement et de rotation dans les responsabilités, il n'est d'ailleurs pas impossible que la CGT s'investisse encore davantage dans la Confédération Européenne des Syndicats. Nous ne faisons pas l'impasse des différences d'approche des analyses qu'il peut y avoir entre syndicats sur la manière de s'attaquer à telle ou telle question sociale. Ce qui nous préoccupe les uns et les autres, c'est le sens donné à la construction européenne.
La montée très préoccupante des mouvements populistes, extrémistes, xénophobes, racistes démontre que les attentes sociales ne sont pas satisfaites par la construction européenne. Il y a un risque politique majeur que cette Europe "explose" en plein vol.
- Que proposez-vous pour concrètement lutter contre cette tendance ?
On ne s'en sortira pas uniquement par des réformes au plan européen. Il faudrait, entre autres, accorder une importance beaucoup plus forte à la charte des droits sociaux fondamentaux qui a été adoptée à Nice et faire respecter ces droits par les Etats et les entreprises en Europe, tout en laissant des modalités d'application dans chacun des pays. Par exemple, il faut une protection sociale élevée pour tous en laissant à chacun des Etats le soin d'organiser sa mise en oeuvre concrète. Ce serait un moyen de faire en sorte que l'espace européen ne soit pas socialement irresponsable.
- Mais comment vous faites vis-à-vis des pays qui sont candidats à l'élargissement ?
Nous sommes pour l'élargissement de l'Union européenne à condition que cette démarche ne soit pas vécue comme un recul ou un sacrifice pour les salariés.
Les syndicats, la Confédération européenne, se plaignent de plus en plus de ne pas être écoutés à ce propos comme sur tant d'autres sujets.
- L'évolution de la montée des populismes ne va-t-elle pas vous obliger à hausser le ton ?
Non, ce n'est pas parce que les mécontentements débouchent aujourd'hui sur des attitudes délibérément racistes ou xénophobes que la CGT va glisser sur ce genre de positionnement. Nos prises de position récentes nous ont valu quelques cartes rendues, mais ça on en assumera les conséquences jusqu'au bout. L'action contre le racisme et l'antisémitisme sont inscrites dans les statuts de l'organisation. Nous ne reviendrons pas là-dessus, mais il faut être attentif aux raisons du mécontentement.
C'est pour cela que je suis inquiet en voyant qu'au Sommet de Séville certains ont souhaité traiter de l'immigration sous le seul angle des clandestins. Comme si l'Europe pouvait se concevoir en bunker assiégé.
- Pour revenir à la situation française, comment votre syndicat peut-il s'inscrire dans le nouveau paysage politique ?
La CGT ne s'inscrit pas aujourd'hui dans une démarche politique au sens où elle aurait la responsabilité de préparer une alternance politique. Mais, ce n'est pas pour autant que la CGT va renoncer à sa mission de défense des intérêts des salariés.
On ne lui demande pas de contribuer de quelque manière que ce soit à jouer un rôle structurant dans le paysage politique. Ce n'est pas parce que, dans certains pays européens, on continue à inscrire la démarche syndicale au service d'un parti ou d'une coalition politique quelle qu'elle soit, qu'il faut qu'en France, on ait le même raisonnement.
- Le problème du syndicalisme français, c'est aussi son éparpillement. Est-ce que vous demanderez au nouveau gouvernement de relancer l'idée des accords majoritaires pour valider les négociations ?
C'est déjà fait. Pour nous c'est l'un des chantiers prioritaires. Il ne faut en aucun cas ajouter à la crise de représentation politique une crise de représentation syndicale. Nous l'avions dit au précédent gouvernement. Il faut ouvrir le chantier de la démocratie sociale, de la représentativité syndicale, du respect du droit syndical dans notre pays.
Et, à ce titre-là, oui, on a dit qu'il fallait réviser les modalités de validation des accords collectifs pour aller vers le principe de l'accord majoritaire. J'ai pris une initiative : je me suis adressé aux quatre autres responsables des confédérations, par courrier, pour leur proposer qu'on y travaille ensemble. J'ai trois réponses positives, nous allons nous y mettre.
- Est-ce que c'est limité à la bande des cinq ?
Non, pas du tout, mais les confédérations ont des choses particulières à se dire.
- Vous voulez donc faire sauter la présomption de représentativité des cinq syndicats ?
Ah ! oui, oui. La règle qui fait que depuis 1966 il y a cinq organisations et point final, c'est dépassé, ce n'est pas la peine d'y revenir. Il faut mettre un terme à cette situation qui permet à une seule des 5 confédérations d'engager, par sa seule signature, l'avenir de tous les salariés. Ça n'a aucun sens. Quand on parle de ça à nos homologues européens, on nous prend pour des extraterrestres.
Il faut tenir compte de la représentativité des uns et des autres à chacun des niveaux où il y a un espace pertinent pour la négociation, c'est-à-dire où il y a déjà un effectif suffisant pour négocier au sein d'une entreprise, d'une même branche. De ce point de vue là on est d'accord avec la CFDT pour favoriser une dynamique en organisant les élections d'une même branche à une période donnée. Une confédération doit rassembler une proportion significative de suffrages dans un nombre donné d'entreprises ou de branches. C'est aux salariés de décider de leur représentation syndicale.
- Le nouveau gouvernement a manifesté sa volonté de relancer le dialogue social. Qu'attendez-vous concrètement ?
Déjà, qu'il n'y ait pas une 2ème mi-temps comparable à celle du Smic, ensuite que l'on n'ait pas le sentiment de prêcher dans le désert et enfin, c'est bien d'appeler au dialogue social, c'est mieux de faire respecter le libre engagement des salariés dans le syndicat de leur choix et c'est loin d'être le cas dans beaucoup d'entreprises françaises. On peut faire sur ce point des comparaisons européennes qui ne seront pas flatteuses pour nous.
On est toujours sur un rythme de 15 000 élus et mandatés licenciés par an pour des raisons qui ne sont pas toujours qu'économiques. Il faut sortir de cette situation. Et si un gouvernement dit être pour le dialogue, j'espère qu'il trouvera les moyens aussi pour que, garant de l'ordre public, il renforce les moyens d'assurer le respect de ce droit pour les salariés.
(source http://www.cgt.fr, le 2 juillet 2002)