Entretien de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, avec le quotidien letton "Diena", le 23 mai 2000, notamment sur les priorités de la présidence française de l'Union européenne.

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Média : Diena

Texte intégral

Q - La France va prendre la présidence de l'Union européenne très prochainement. Quelles seront vos priorités pour la présidence ?
R - Notre première priorité est de faire progresser la construction d'une Europe solidaire, innovante et proche de ses citoyens. Cela veut dire que nous accorderons une attention particulière à tout ce qui peut contribuer à créer des emplois et à consolider la croissance dans nos pays, et que nous travaillerons à l'élaboration d'un véritable agenda social pour l'Europe.
La construction européenne suscite encore, chez nos concitoyens, des interrogations et c'est pour cela que nous voulons mieux prendre en compte leurs préoccupations quotidiennes, tant dans le domaine de la santé, que dans le domaine de la sécurité : sécurité alimentaire, sécurité juridique, sécurité intérieure. En somme, dans tous les domaines où il y a une attente, d'ailleurs tout à fait légitime.
Nous consacrerons aussi cette démarche politique par l'adoption de la Charte des droits fondamentaux, qui permettra de rendre plus lisible par les citoyens l'ensemble des droits que leur confère l'appartenance à l'Union.
Le deuxième volet majeur de notre présidence consistera dans la construction d'une Europe forte, capable de jouer pleinement son rôle sur la scène internationale.
Notre priorité, dans ce contexte, va naturellement à l'élargissement, à la fois défi considérable et chance historique pour l'Europe. Nous ne nous attacherons pas seulement à poursuivre le processus engagé, mais aussi à parvenir à des avancées concrètes, notamment en définissant une méthode permettant de faciliter la phase finale de la négociation avec chacun des pays candidats.
Mais avant tout, comme vous le savez, pour réussir l'élargissement, nous devons mettre l'Union en ordre de marche, c'est à dire mener à bien les réformes institutionnelles nécessaires. Parallèlement, nous poursuivons les travaux engagés dans le domaine de la Défense.
Voilà, comme vous le voyez, un programme assez chargé pour une présidence qui, comme toutes les présidences du second semestre, aura une durée effective raccourcie en raison des vacances d'été.
Q - Avoir un accord sur les réformes institutionnelles, est-ce cela que l'on attend de la CIG ? Quel est votre sentiment à ce moment par rapport aux différentes positions des Etats membres ? Y aura-t-il un compromis à Nice ?
R - Naturellement, la CIG qui a été lancée le 14 février dernier, doit aboutir à un accord aussi satisfaisant que possible, à Nice. C'est l'objectif qui a été fixé à Cologne. Nous entendons bien tout faire pour y parvenir.
A ce stade, on ne peut encore rien dire. Beaucoup de travail de "défrichage" a été accompli par la présidence portugaise, en particulier sur la majorité qualifiée.
Mais les questions à l'ordre du jour sont des questions difficiles - qu'il s'agisse du champ de la majorité qualifiée, de la taille de la Commission ou de la repondération des voix au Conseil. Il faut continuer à travailler intensivement.
J'espère que la volonté politique de parvenir à un accord existe chez tous nos partenaires et nous utiliserons le temps dont nous disposerons pour faire aboutir cette réforme indispensable.
Q - Vous-même avez dit que la France ne soutiendrait pas l'Autriche jusqu'à ce que le parti populiste de Jorg Haider sorte du gouvernement autrichien. Si l'Autriche répond en utilisant le veto lors de la CIG, comment imaginez-vous avoir un compromis ?
R - L'attitude de la France à l'égard de l'Autriche est celle qui a été agréée, en février dernier, par ses quatorze partenaires de l'Union. Nous nous sommes tenus rigoureusement aux orientations arrêtées par la présidence portugaise, parce que nous estimons qu'il est, en effet, très préoccupant qu'un Etat membre de l'Union européenne compte - qui plus est à parité - au sein de son gouvernement, un parti qui ne partage pas les valeurs et les principes sur lesquels s'est fondée, il y a 50 ans, notre Europe.
Ainsi, la France, pendant sa présidence, entend se conformer à la position arrêtée à quatorze qui, comme vous le savez, tout en étant ferme et claire, veille à ne pas gêner le fonctionnement des Institutions européennes.
Quant au gouvernement autrichien, s'il devait effectivement décider de bloquer le fonctionnement de l'Union, il en porterait la responsabilité et prouverait par là même le manque de solidité de son engagement européen. J'espère évidemment que la raison l'emportera.
Q - On a entendu certains Etats parler de la nécessité d'avoir une coopération renforcée dans l'Union après l'élargissement. Quelle est votre position et croyez-vous que ce projet obtiendra l'appui de vos partenaires ?
R - Le système des coopérations renforcées existe d'ores et déjà dans le Traité d'Amsterdam. C'est d'ailleurs, à l'origine, une idée franco-allemande. Depuis l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, ce dispositif n'a pas été utilisé. Cependant la notion de coopération renforcée, - qui vise à permettre à un petit groupe d'Etats membres de progresser vers plus d'intégration s'ils le souhaitent, tout en laissant la porte ouverte pour que les autres, le cas échéant, les rejoignent - était déjà une réalité avant Amsterdam. Il y avait la Convention de Schengen, créée en dehors du cadre institutionnel de l'Union et réintégrée depuis dans le traité, mais à laquelle l'Irlande et le Royaume-Uni ne participent pas encore. Et puis, il y a l'Union économique et monétaire. Onze Etats y participent, bientôt douze, avec la Grèce.
Nous considérons que cette formule est bonne et qu'elle constitue, dans la perspective d'une Europe à 25 ou 30 membres, un instrument essentiel pour permettre de faire la synthèse entre élargissement et approfondissement de la construction européenne.
Nous pensons donc qu'il faut envisager, lors de cette CIG, un assouplissement du dispositif actuel afin qu'il puisse être mis en uvre plus facilement.
De nombreux Etats membres y sont favorables. Il devrait donc être possible de progresser sur ce point.
Q - N'est-ce pas un commencement de nouvelle division de l'Europe, cette fois entre pays nordiques, Grande-Bretagne, Autriche, et peut-être, les autres pays ?
R - Il ne s'agit pas de créer de nouvelles divisions en Europe. Je rappelle que les Etats membres que vous citez ont ratifié le Traité d'Amsterdam qui contient déjà la formule des coopérations renforcées. Il s'agit, au contraire, d'éviter sa dilution. Pour cela, il faut que les Etats membres qui souhaitent poursuivre le grand projet lancé par les pères fondateurs, il y a 50 ans, puissent le faire. Naturellement nous souhaitons que le plus grand nombre d'Etats membres participent à ces coopérations renforcées, y compris, bien sûr, les futurs membres.
Q - Comment imaginez-vous les rapports entre les anciens Etats membres et les nouveaux pays membres après l'élargissement de l'UE ?
R - Je souhaite naturellement que l'intégration des nouveaux Etats membres se fasse dans les meilleures conditions et qu'ils se sentent d'emblée totalement parties prenantes à cette aventure historique qu'est la construction européenne. C'est un projet exigeant, qui comporte des droits pour les Etats membres, mais qui implique aussi de nombreux devoirs, en particulier celui de respecter les valeurs et les principes qui fondent notre Europe.
Les Etats candidats n'adhéreront pas tous en même temps, parce que certains seront prêts avant d'autres. Aussi cette intégration se fera progressivement, en bonne harmonie.
Quant aux rapports entre Etats membres lorsque l'Union en comptera 25, voire 30, ils dépendront du cadre institutionnel qui aura été mis en place. Cette question est complexe. Les réformes que nous entendons mener à bien d'ici le Conseil européen de Nice ne suffiront sans doute pas à la régler définitivement. Nous devons donc approfondir la réflexion pour l'avenir. Je compte d'ailleurs aussi sur notre présidence pour y contribuer. J'inviterai ainsi les Etats membres et les Etats candidats à débattre de ces questions, dans le cadre de la Conférence européenne fin novembre, à Sochaux (dans mon département du Doubs, dans le nord-est de la France).
Q - Le Commissaire de l'élargissement, M. Günther Verhengen, a dit récemment à Bruxelles qu'à la fin de cette année, il sera possible d'annoncer des dates plus concrètes pour l'entrée des premiers pays candidats ? Partagez-vous ce point de vue ?
R - Si cela est possible nous le ferons. Mais il est trop tôt pour le dire. Je rencontre prochainement Günther Verhengen et nous évoquerons naturellement cette question, entre autres. La fixation d'une date peut constituer un aiguillon puissant pour accélérer la préparation à l'adhésion.
Mais elle peut aussi être un piège, notamment si nous ne disposons pas d'une véritable vue d'ensemble. C'est pour cette raison que nous avons suggéré, à Helsinki, que l'Union se fixe une date pour être prête elle-même à accueillir les candidats. C'est ce qui a été fait, avec l'objectif d'avoir ratifié nos réformes institutionnelles internes pour le début de 2003.
Il faudra voir, le moment venu, lesquels sont véritablement prêts à conclure la négociation. Ce sera une décision politique et pas seulement technique. Honnêtement, à ce stade, il est très difficile d'établir un calendrier.
Q - Comme je suis moi-même de Lettonie, un pays qui se trouve dans le groupe Helsinki, je voudrais savoir si la France va continuer les négociations avec ce groupe à la même vitesse que le Portugal. Il nous avait été promis la possibilité de rattrapage. Pendant la présidence portugaise, 8 chapitres ont été ouverts. Quelles sont les perspectives pendant la présidence française ?
R - Les négociations d'adhésion progressent, en effet, à un bon rythme et nous avons l'intention de soutenir ce rythme. Nous espérons donc pouvoir poursuivre l'ouverture de nouveaux chapitres de négociation sur notre présidence.
Comme vous le savez, la négociation est préparée et conduite par la Commission. Nous verrons donc avec elle ce qu'il est possible de faire dans les mois qui viennent.
Comme avec les pays pour lesquels l'ouverture des négociations a été décidée à Luxembourg, nous avons commencé avec vous par les chapitres les plus faciles. Il est donc logique que la négociation progresse assez vite. Au fur et à mesure que l'on ouvre des chapitres difficiles, le rythme a tendance à ralentir. Cela est parfaitement normal, car chaque Etat partie à la négociation, y compris les candidats, souhaite que ses préoccupations soient prises en compte.
En tout état de cause, quelle que soit la date à laquelle un Etat commence à négocier, le principe de la différenciation doit s'appliquer. Cela veut dire que chaque Etat est jugé selon ses mérites propres et que, par conséquent, s'il est en mesure de rattraper, voire de dépasser d'autres Etats, il doit pouvoir le faire.
La Lettonie a déjà accompli des efforts importants dans sa préparation à l'adhésion. Si elle les poursuit au même rythme, alors je suis confiant dans le déroulement de ses négociations avec l'Union européenne. En tout état de cause, je souhaite bonne chance à la Lettonie. Elle peut compter sur nous./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 mai 2000)