Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'euro, les négociations pour l'élargissement de l'Union européenne, les rapports entre l'Union et la Turquie et sur la desserte de Strasbourg, Paris le 5 janvier 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Présentation des voeux aux membres français du Parlement européen à Paris le 5 janvier 1998

Texte intégral

Je suis heureux de vous accueillir dans cette maison. Ces voeux sont faits en mon nom propre bien sûr, mais aussi au nom d'Hubert Védrine et au nom de tout le gouvernement de Lionel Jospin.
Des voeux pour l'Europe, évidemment, cette année encore, j'espère qu'elle progressera et j'ai envie de dire, peut-être, cette année surtout, puisque 1998 est une année qui est marquée par un très grand nombre d'échéances européennes. Bien sûr, je pense à l'euro, à la confirmation de notre action en faveur de l'emploi, de l'action européenne, à tout le lancement du processus d'élargissement et à la poursuite du débat sur la réforme des politiques européennes.
Comment se présente cette année européenne ? Je dirai qu'elle est à la fois bien partie et, sans doute, assez complexe. L'euro se fera, c'est clair. On peut ici ou là en débattre. Mais je crois que la voie est tracée maintenant. L'euro se fera sur une base large, j'en ai la conviction. C'est vrai que treize ou quatorze pays pourraient remplir les critères. Tous ne voudront pas rentrer dans la monnaie unique, mais j'ai bon espoir que la monnaie unique se fasse, au cours du long week-end du 1er mai, avec onze monnaies et notamment avec les monnaies espagnole et italienne, ce qui est quelque chose de tout à fait fondamental pour l'équilibre et l'ampleur de cette construction monétaire. J'espère, je crois aussi que cette construction monétaire sera une construction plus équilibrée qu'elle ne semblait risquer l'être à un moment donné, plus équilibrée parce que je crois, maintenant c'est acquis, après le dernier Sommet de Luxembourg, face à, à côté de, avec la Banque centrale indépendante, ce qui est une bonne chose, il y aura une autorité politique qui sera à même de discuter de toutes les questions européennes intéressant l'euro. Ce Conseil de l'euro, qui a été obtenu de haute lutte à Luxembourg, de haute lutte, notamment avec nos amis britanniques, qui ont fait un pas important vers l'Europe, qui ont manifesté leur souhait d'adhérer, le moment venu à la monnaie unique, mais de façon un peu prématurée, souhaitaient être tout de suite dans le club, dans l'instance qui va avoir à en gérer les problèmes. C'est une bonne chose que le Conseil de l'euro existe, c'est une bonne chose que ce Conseil de l'euro soit une instance spécifique.
Cette monnaie unique sera également rééquilibrée par le rééquilibrage des politiques européennes elles-mêmes. Et je veux revenir un instant sur ce qu'a été le Sommet de Luxembourg I, le Sommet sur l'emploi, décevant pour certains, satisfaisant pour d'autres. Je crois qu'il faut l'aborder de façon réaliste, c'est un début. Ce n'est qu'un début, mais il a eu le mérite, je crois, de lancer un débat, de manifester un changement de perspectives et de priorités pour les Européens, de faire en sorte que désormais, ce soit l'emploi la première priorité. C'est une prise de conscience qui n'était pas évidente pour un certain nombre de nos partenaires. Comme vous le savez, il a, à la fois, lancé une perspective européenne, des objectifs ; il a aussi exigé que ces objectifs soient déclinés selon des plans d'action nationaux, et ce sera l'une des tâches de la présidence britannique, lors du Conseil européen de Cardiff, que de présenter ces plans nationaux. La France aura à coeur d'avoir le sien, mais je pense que dès ce moment-là, on verra, de façon un peu plus concrète, se dessiner les avantages de ce sommet sur l'emploi ou aussi, se manifester ses limites.
J'ai bon espoir que l'Europe avance sur ce plan-là. Donc, voilà ce que j'attends pour 1998 sur ce front. Une Europe qui avance, une Europe monétaire, mais aussi une Europe économique et une Europe qui mette l'emploi au coeur de ses priorités.
Mais, comme vous le savez, il y a aussi d'autres objectifs, d'autres priorités, d'autres sujets à l'agenda de 1998, qui sont des sujets complexes. Je dirai un mot sur le deuxième Sommet de Luxembourg. Contrairement à ce qui a pu sembler, l'euro n'était pas son sujet principal. Son sujet principal, c'était comment nous abordions l'élargissement futur de l'Union européenne, et aussi comment nous abordions la réforme à venir des réformes communautaires.
Sur la réforme des politiques communautaires, reconnaissons que l'apport de Luxembourg II est assez mince. Nous avons obtenu, là aussi de haute lutte, mais j'ai plutôt envie de dire, à l'usure, car manifestement, nos partenaires souhaitaient rentrer dans leur pays et donc nous avons pu, en séance, vers 18 heures le samedi, obtenir quelque chose sur la Politique agricole commune qui, je crois, préserve l'essentiel ; mais il n'y a pas eu de volonté de discuter encore du cadre financier futur ; c'est un chantier qui nous attend, et il est fortement " miné ". C'est clair, cela va être une des tâches principales du gouvernement de préserver les politiques auxquelles nous tenons, la Politique agricole commune, mais aussi les fonds structurels, et à l'intérieur de ces politiques européennes, de préserver nos intérêts nationaux. La partie n'est pas gagnée, même si encore une fois, sur la Politique agricole commune, je crois que les acquis de Luxembourg ne sont pas négligeables.
C'est sur l'élargissement que ce sommet a sans doute été le plus satisfaisant. La présidence luxembourgeoise, qui a été de bout en bout remarquable, a réussi à trouver une formule qui permet à la fois à tous les impétrants d'être sur la même ligne de départ et qui en même temps autorise la différenciation sans doute nécessaire. Ce qui fait qu'on va entamer tout de suite des négociations d'adhésion avec six pays candidats et qu'en même temps, les cinq autres se verront aussi accorder de véritables négociations et pas uniquement un partenariat d'adhésion. C'est important et cela manifeste aussi que le processus sera effectivement global, inclusif et souple, flexible. Flexible, bien sûr, dans le bon sens du terme, c'est-à-dire qu'il pourra y avoir des pays qui auront démarré après d'autres, qui éventuellement iraient plus vite ; on sera à même de le reconnaître et au fond, on ne peut pas dire, voilà, il y en a trois, ou six, on traite ceux-là, après on traite les autres. Ce sera quelque chose de beaucoup plus mobile et je crois que c'est extrêmement positif. Nous avons également obtenu lors de cette discussion que soit créée la Conférence européenne, qui se réunira fin mars à Londres.
Tout cela est bien. Je crois qu'il y a quand même une petite ombre au tableau, même une ombre importante, on le voit indirectement à travers la question kurde, qui est la façon dont les Européens ont traité la Turquie. Je sais que c'est un sujet qui peut-être très controversé, y compris au sein de ma famille politique. Il est très controversé, car la Turquie est à l'évidence un pays qui pose des problèmes importants, des problèmes des Droits de l'Homme, la question kurde, mais en même temps, on voit bien avec cette question kurde qui revient encore une fois, qu'il y a quelques contradictions à ne pas traiter la Turquie, à ne pas souhaiter qu'elle s'englobe dans un espace géopolitique qui s'articule autour de l'Europe, et en même temps de lui demander de régler ses problèmes. Il y a une contradiction qui risque fort de nous éclater au visage. Il est important de la résoudre et c'est pour cela que la diplomatie française, dans les mois qui viennent, s'emploiera à convaincre les Turcs que leur mauvaise humeur est très excessive et aussi à convaincre les Européens. Il faut avoir, vis-à-vis ce grand pays, un traitement autre que celui qui lui a été donné à Luxembourg, un traitement qui ne soit pas humiliant. La présidence luxembourgeoise avait été parfaite en tout point, je corrige mon propos, presque tous les points, car je crois que, là, il y a eu quelques mots qui ont crée une situation qui, à mon sens, n'est pas la bonne.
J'ai été des vôtres au Parlement européen que je connais bien, je sais à quel point son travail est important. Alors on dit beaucoup que la présence française y est trop faible pour tout un tas de raison. Jean-Louis Bourlanges avait une thèse là-dessus magistrale sur la dispersion entre les groupes. Cette question sera revue l'an prochain en 1999 ; on peut espérer un peu moins de dispersion, je le souhaite. Il y a d'autres problèmes qui se posent, d'éventuels retards dans les travaux de l'immeuble du Parlement européen numéro 4, de desserte de Strasbourg. Tout cela souffre encore une fois de dispersion. Nous essayons de trouver une solution. Nous essayons d'améliorer la desserte de Strasbourg ; je m'y emploie, je m'y investis. Nous surveillons l'avancement du chantier. Mais moi, ce que je constate malgré tout, c'est que la présence française est de qualité, est importante, sait se retrouver quand les intérêts nationaux sont en jeu, et tout cela est important, et je voulais vous en remercier.
Je remercie aussi d'ailleurs tous ceux qui sont ici, qui viennent du SGCI, du Quai d'Orsay, des différents services, des assemblées parlementaires, le Sénat et l'Assemblée nationale, et qui permettent au fond à cette famille qui gravite autour du Parlement européen de travailler ensemble dans de bonnes conditions. A l'Europe, à vous-mêmes, aux vôtres, je souhaite une très heureuse année 1998./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2001)