Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la lutte de l'Union européenne contre le blanchiment des capitaux et la délinquance financière et sur le bilan du Conseil européen de Tampere (Finlande), Paris le 20 octobre 1999.

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Circonstance : Audition de M. Moscovici, par la Commission d'information de l'Assemblée nationale relative aux obstacles, au contrôle, à la répression de la délinquance financière, à Paris le 20 octobre 1999-conseil européen de Tampere les 15 et 16 octobre 1999

Texte intégral

Monsieur le Président, Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Je veux tout d'abord vous remercier de m'avoir convié à intervenir devant vous et vous féliciter pour la mise en place de cette Commission d'information relative aux obstacles, au contrôle et à la répression de la délinquance financière et au blanchiment des capitaux . Elle doit beaucoup, je le sais, à la persévérance de son président et de ses rapporteurs et je ne doute pas qu'elle aboutira à des résultats instructifs et à des propositions pertinentes.
Je sais que vous avez déjà eu l'occasion d'entendre sur ces sujets la ministre de la Justice, Elisabeth Guigou, ainsi que le ministre de l'Economie et des Finances, Dominique Strauss-Kahn. Je suis très heureux de pouvoir intervenir à mon tour sur ces questions qui sont de toute première importance, pour mettre l'accent sur la dimension spécifiquement européenne de notre action dans ces domaines.
L'actualité s'y prête puisque le sujet qui vous intéresse était au coeur des travaux du Conseil européen qui s'est tenu, à Tampere, en Finlande, les 15 et 16 octobre.
Il s'agissait, comme vous le savez, du premier Conseil européen consacré aux affaires intérieures et de justice.
L'idée d'organiser un tel sommet avait été lancée lors du Conseil européen informel de Pörtschach, en Autriche, il y a un an. Le Sommet de Tampere avait pour objectif de définir des orientations politiques au plus haut niveau pour la mise en place de l'espace de sécurité, de liberté et de justice, au moment même où le Traité d'Amsterdam, qui offre un cadre juridique profondément renouvelé à l'action de l'Union dans ce domaine, commence à être mis en oeuvre.
La présidence finlandaise avait inscrit trois grands thèmes à l'ordre du jour :
- les migrations et asile,
- la mise en place d'un espace judiciaire européen,
- la lutte contre la criminalité transfrontière.
Nous avions, pour notre part, indiqué très tôt à la présidence que nous souhaitions qu'une partie substantielle des discussions soit consacrée à la question du blanchiment. Elle l'a été dans le cadre de la "troisième corbeille", le blanchiment d'argent étant au coeur de la criminalité organisée. Je crois que nous pouvons dire, sans autosatisfaction, que les résultats, sur le sujet qui vous intéresse, comme sur les autres d'ailleurs, sont plutôt bons, et conformes à la vision défendue en commun par le président de la République et le Premier ministre, même si les conclusions, bien sûr, ne sont pas toujours parfaitement à la hauteur de nos attentes. En tout état de cause, nous avons pu faire valoir un certain nombre d'éléments importants auxquels nous tenions.
J'ai eu l'occasion d'en dire quelques mots hier, lors de la séance de questions d'actualité. J'y reviens donc plus en détail, tout en me limitant aux résultats concernant directement ou indirectement la lutte contre le blanchiment.
Si nous avons souhaité que ce sujet figure en bonne place à l'ordre du jour des travaux des chefs d'Etat et de gouvernement, c'est qu'il est apparu nécessaire de donner une impulsion nouvelle à l'action menée à Quinze dans ce domaine, essentiellement pour deux raisons : d'abord parce que les phénomènes de blanchiment se développent de manière inquiétante, ensuite parce que l'Union européenne ne saurait devenir un véritable espace de sécurité, de liberté et de justice si elle ne se dotait pas des instruments adéquats pour lutter contre ces phénomènes qui touchent directement des Etats voisins, dont certains seront bientôt membres de l'Union.
Qu'on ne se méprenne pas sur le sens de mes propos : je ne veux pas dire que l'Union européenne est restée jusqu'ici inactive dans un domaine aussi important. Au contraire, l'Union a même été pionnière en matière de lutte contre le blanchiment, et l'introduction de la libre circulation des capitaux, en 1990, s'est accompagnée, dès 1991, de la mise en place d'un cadre juridique destiné à prévenir le blanchiment : je veux parler de la directive de 1991, sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir.
Le développement rapide des phénomènes de blanchiment a conduit le Conseil européen à demander au Conseil, en 1996, d'envisager une stratégie globale de lutte contre la criminalité organisée. Elle s'est traduite par le Plan d'action adopté par le Conseil européen à Amsterdam, en juin 1997. La lutte contre le blanchiment y figure déjà en bonne place.
A la suite de l'adoption de ce Plan d'action, les Etats membres ont commencé à compléter leur dispositif juridique. Ainsi, en 1998, une action commune concernant l'identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime a été adoptée. Par ce texte, les Etats membres s'engageaient à ne formuler aucune réserve sur l'article 6 de la Convention du Conseil de l'Europe, dite Convention européenne de Strasbourg de 1990, relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime - qui est l'instrument international de référence en la matière -. L'article 6 de cette convention concerne, vous vous en doutez, les infractions liées au blanchiment.
Mais la diversité des ressorts sur lesquels s'appuie le blanchiment exige aujourd'hui de décloisonner davantage l'action des Etats membres au niveau international, ainsi que l'action des services qui, au plan interne, doivent concourir, à un titre ou à un autre, à la lutte contre le blanchiment, en établissant des passerelles d'information et en élaborant des actions concertées.
Vous connaissez l'état des lieux : il est préoccupant. En effet, selon les dernières estimations du FMI, le volume annuel d'intégration dans le système financier international de capitaux issus d'activités criminelles représentent environ 1000 milliards d'euros, soit l'équivalent du budget des Etats-Unis ! Le développement des nouvelles technologies de communication démultiplie la rapidité et les capacités d'intervention des organisations criminelles. leur action, par nature transfrontière, exige, pour être contrée, une étroite coordination entre les Etats et une parfaite conjugaison de nos moyens d'action, tant en termes juridiques qu'opérationnels.
Conscient de cette situation et de l'urgence d'y remédier, le Conseil européen a décidé de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité organisée transfrontière et de mener une action spécifique contre le blanchiment.
Il a rappelé tout d'abord la nécessité, pour les Etats membres, de mettre en oeuvre intégralement - y compris dans tous leurs territoires dépendants - les textes essentiels que sont la directive de 1991, la convention de Strasbourg de 1990 et les recommandations du Groupe d'action financière international (GAFI) sur le blanchiment des capitaux.
En engageant les Etats membres à appliquer ces textes sur leur territoire- y compris dans tous les territoires dépendants, le Conseil européen les invite ainsi à soumettre les centres "off shore" présents sur leur territoire ou sur des territoires sous leur contrôle à de strictes obligations de transparence.
S'agissant plus particulièrement de la directive européenne de 1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux, le Conseil européen a engagé le Conseil et le Parlement européen à adopter dès que possible une nouvelle directive renforçant le cadre adopté en 1991.
Un projet est déjà sur la table du Conseil : il vise non seulement à actualiser la directive de 1991, mais aussi à étendre sa portée. Les principales propositions de modifications sont l'élargissement de l'interdiction du blanchiment de capitaux, en vue de couvrir non seulement le trafic de drogues, mais également la criminalité organisée ; l'extension des obligations contenues dans la directive à certaines activités et professions non financières et, enfin, l'obligation pour les autorités nationales de coopérer en vue de combattre les activités illicites portant atteinte aux intérêts financiers des communautés européennes.
L'examen de ce texte a à peine commencé au niveau des experts. Notre première impression est positive. Nous pourrons y revenir plus en détail dans la discussion si vous le souhaitez.
Le Conseil européen de Tampere a également souligné qu'il convenait d'améliorer la transparence des transactions financières et de la provenance du capital des sociétés. Il a demandé que les autorités judiciaires et les cellules de renseignements financiers soient mises en mesure de recevoir les informations nécessaires dans le cadre d'enquêtes sur le blanchiment d'argent quelles que soient les dispositions en matière de confidentialité applicables aux activités bancaires et aux autres activités commerciales. En d'autres termes, le Conseil adoptera des mesures visant à rendre totalement effective la levée automatique du secret bancaire dans les enquêtes judiciaires, principe actuellement affiché mais souvent mis à mal en pratique.
Le Conseil européen a également recommandé le rapprochement des législations pénales (droit et procédures) relatives au blanchiment. En particulier, le champ des activités criminelles constitutives d'infractions doit devenir uniforme et suffisamment large dans tous les Etats membres. Ce rapprochement des législations est essentiel pour permettre une coopération efficace entre les services répressifs des Etats membres et mieux lutter contre les activités de blanchiment.
S'agissant de l'action opérationnelle sur le terrain, le Conseil européen a invité le Conseil à étendre les compétences de l'Office européen de police (Europol) au blanchiment, quel que soit le type d'infraction à l'origine des produits blanchis.
Il a demandé que des normes soient élaborées pour empêcher le recours à des sociétés-écrans susceptibles de dissimuler et de blanchir le produit d'activités criminelles. Le Conseil européen a également demandé, afin de renforcer l'entraide judiciaire et de lutter, de façon efficace et déterminée contre les circuits de dissimulation et de blanchiment, que des actions soient sans délai engagées en direction des pays tiers abritant des centres off shore.
Enfin, dans le cadre de l'action extérieure de l'Union, le Conseil européen a souligné qu'il appuyait la coopération régionale entre les Etats membres et les pays tiers limitrophes de l'Union en matière de lutte contre la criminalité organisée.
Ainsi, comme vous le voyez, la question du blanchiment a été traitée de manière approfondie. Chacun a fait des efforts et certaines réticences ont pu être surmontées. C'est très encourageant pour la suite.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 octobre 1999)
Il appartient désormais au Conseil, dans ses formations compétentes (Affaires générales, Justice et Affaires intérieures et Economie et Finances) de mettre en oeuvre ces orientations sur la base des instruments que lui donnent les traités.
J'ajoute qu'un mécanisme de suivi a été prévu, sous la double forme d'un tableau de bord et d'un calendrier et que rendez-vous a été pris pour refaire le point sur la mise en oeuvre de ces conclusions à la fin 2001.
Je voudrais ajouter un point, car il me paraît essentiel et je sais qu'il vous préoccupe. L'action que mène l'Union en matière de lutte contre la criminalité organisée, tant en son sein que dans ses relations avec des pays tiers, et ce, quelles que soient les formes que revêt la criminalité, concerne aussi les Etats qui seront demain de nouveaux membres de l'Union.
Vous savez comme moi que les pays de l'ancien bloc soviétique, la Russie, notamment, mais aussi d'autres pays, aujourd'hui candidats à l'adhésion, sont la proie d'organisations criminelles à caractère mafieux. C'est pour cette raison que nous veillons, s'agissant des pays candidats, à les aider au mieux à reprendre l'acquis de l'Union en la matière - l'acquis communautaire, mais aussi les dispositions adoptées dans le 3ème pilier depuis 1993 -.
Surtout, nous les aidons à se mettre en mesure d'appliquer cet acquis. Car c'est là qu'est la principale difficulté. Il ne servirait à rien, en effet, que ces Etats se dotent d'un arsenal juridique complet, s'ils ne mettent pas en place un dispositif pour l'appliquer, c'est à dire des administrations qui fonctionnent, des juridictions, des tribunaux et des services spécialisés dans la lutte contre le crime organisé.
A cet égard, je voudrais souligner que le Conseil européen de Tampere a décidé de créer une école européenne de formation de policiers qui fonctionnerait en réseau à partir des instituts de formation existant dans les Etats membres et qui serait ouverte aux agents des pays candidats. Ceci permettra de compléter les actions de formation d'ores et déjà menées dans le cadre des programmes de préparation à l'adhésion, notamment au travers des jumelages institutionnels.
De même, l'unité de procureurs et de magistrats, Eurojust, qui sera créée d'ici la fin 2001, sera naturellement ouverte aux futurs Etats membres. Leur présence dans cette unité, comme au sein d'Europol, sera non seulement possible, mais obligatoire. On voit mal en effet, comment de nouveaux Etats membres pourraient ne pas être pleinement partie prenante dans de tels dispositifs.
J'ai dit tout à l'heure que l'Union européenne avait été pionnière en matière de lutte contre le blanchiment de l'argent. Elle doit être aujourd'hui le fer de lance de cette politique en montrant l'exemple et en se dotant d'instruments efficaces pour lutter contre ce fléau. Soyez assurés que la France restera vigilante pour que les orientations arrêtées à Tampere trouvent rapidement une traduction concrète dans les dispositions qui seront adoptées à Quinze. Notre présidence, au second semestre 2000, nous donnera l'occasion de faire avancer ces dossiers. Nous comptons bien la saisir.
Je vous remercie de votre attention et suis prêt maintenant à répondre à vos questions.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 octobre 1999)