Déclaration de M. Alain Juppé, Premier ministre, en réponse à une question sur le projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale, à l'Assemblée nationale le 15 avril 1997.

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Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés,
Somrnes nous décidés à tout faire pour que la France demeure une Nation rassemblée en une communauté solidaire ?
Sommes nous décidés à nous engager de toute la force de notre volonté pour renouveler le pacte social qui unit chacun à tous ?
Sommes nous décidés à bâtir ensemble une nouvelle démocratie pour l'an 2 000 qui assure la participation de tous les Français à la citoyenneté, avec de nouveaux droits et de nouveaux devoirs, dans la fidélité aux valeurs de la République ?
Voilà les véritables enjeux du débat qui nous réunit aujourd'hui autour du projet de loi d'orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale dons, conformément aux engagements du Président de la République, j'ai saisi votre assemblée.
J'ai la ferme conviction que l'idéal républicain dessine le cadre qui nous permettra de restaurer notre cohésion sociale et nationale. A condition d'imaginer des voies nouvelles, nous réussirons l'essentiel: que cheque Français ait sa place dans notre société.
C'est l'esprit de ce projet de loi qui abandonne les vieilles logiques,
II ne créa pas un droit pour les pauvres. II ne met pas en place des dispositifs qui sous prétexte d'aider, mettraient à l'écart, comme si souvent au cours de notre histoire sociale. II affirme au contraire la pleine citoyenneté de tous, en indiquant dans l'article 1er que la lutte contre les exclusions sociales constitue un impératif national basé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains.
Par là même, il affirme la volonté de changer le regard que nous portons sur les plus démunis. Trop souvent nous les regardons sans les voir. Comme s'ils étaient des hommes invisibles, transparents aux yeux d'autrui. Ce regard là nie la personne: même quand il vaut aider, il condamne et tend à transformer en faute ce qui n'est qu'accident de la vie.
Nous avons pour ambition de lui substituer un regard. Celui qui fait exister avec les autres et parmi les autres. Celui qui redonne à chacun sa propre vie et sa propre histoire. Celui qui respecte la dignité de chacun et ne désespère jamais de l'homme st des richesses dont il est porteur, en dépit de tous les aléas do l'existence. C'est cela que signifie l'affirmation de l'accès de tous aux droits de tous. La citoyenneté de tous. La citoyenneté pour tous
C'est bien pourquoi le projet de loi refuse d'ériger la pauvreté en statues, comme le réclament les zélateurs de l'assistance, qui ne voient de solutions que dans la multiplication des allocations. Ceux-là s'en tiennent précisément aux recettes du passé. Ils considèrent la précarité et l'exclusion comme des problèmes sociaux justifiant des solutions simplement réparatrices. Ils réduisent les obligations nées de notre pacte social à des devoirs minimum Revenu minimum, logement minimum, santé minimum, éducation minimum: ils se contentent d'une société "en service minimum".
Nous connaissons les résultats d'une telle politique, qui a été menée pendant tant d'années: les "trous noirs" de l'exclusion se vent continuellement élargis, et la fracture sociale au lieu de se réduire, s'est accrue.
Nous refusons cette logique d'une solidarité passive, réduite à l'aide financière. Et tout autant la logique des partisans d'un libéralisme sans concession et d'un individualisme qui n'est que la marque de l'égoïsme, Sous prétexte de refus d'une culture d'assistance, Ils laisseraient volontiers le soin à chacun de se sortir seul de ses difficultés, aussi inextricables scient-elles. Cela est. pour nous, clairement inacceptable . Tout simplement parce que c'est nier la fraternité qui est au fondement de la République.
A ces vieilles logiques du passe, le projet de loi de cohésion sociale entend substituer une approche différente et exigeante. Celle de la prévention et celle de l'insertion.
Celle qui se fonde sur une conviction: il n'y a pas de fatalité de l'exclusion, dès lors que peuvent être mis en oeuvre suffisamment en amont les mécanismes de prévention qui permettent d'éviter qu'un accident de l'existence ne fasse basculer dans la désinsertion
Celle qui se fonde sur la volonté d'agir concrètement. De lever les uns après les autres les obstacles et les difficultés qui, accumulés jours après jours, en particulier dans le domaine de l'emploi, du logement, de la santé, conduisent aux ruptures familiales, à la précarisation des conditions d'existence, et, pour finir, aux comportements d'errance, selon un engrenage infernal que travailleurs sociaux et associations constatent si souvent.
Celle qui se fonde enfin sur une méthode. Ne pas traiter séparément et au coup par coup les difficultés. Ne pas apporter de réponses isoles. Mais les insérer dans une démarche transversale, continue, et dynamique. Ne pas se contenter d'une aide ponctuelle, mais accompagner dans la durée pour casser la spirale de l'exclusion.
Prévenir, en n'hésitant pas à bousculer les procédures, institutions, et organisations. Agir, de façon concrète et cohérente, en sachant banaliser l'expérimental et expérimenter le banal, selon la forte expression d'un responsable associatif, et en substituant au cloisonnement des dispositifs une approche globale. Voila précisément l'ambition de ce projet de loi dons, dans un instant, Jacques BARROT et Xavier EMMANUELLI vous présenteront dans le détail tout l'aspect novateur.
Qu'il s'agisse de la création de nouveaux droits, et je pense en particulier au droit à une vie familiale normale dans les établissements d'accueil, au droit à â être aidé et secouru en situation de détresse sociale 24 H /24, au droit à l'information sur les aides des organismes sociaux.
Qu'il s'agisse du renforcement et de l'effectivité accrue des droits existants, et je pense en particulier aux progrès du droit au logement, par l'amélioration de la prévention des expulsions, la réforme do l'attribution des logements sociaux, la modernisation de la réquisition locative, ou encore aux nouvelles procédures pour la mise en oeuvre du droit de vote des personnel sans domicile fixe.
Qu'il s'agisse de l'effort sans précèdent pour transformer en salaires des prestations d'assistance, grâce à la création des contrats d'initiative locale, selon une démarche symbolique de cette approche nouvelle qui cherche à redonner à chacun sa dignité. Car le travail dans notre société est bien plus qu'un revenu. II donne à chacun un statut et une identité, et par lui-même, est créateur d'intégration.
Qu'il s'agisse de la réorganisation de la lutte contre l'exclusion au niveau départemental, pour un partenariat plus étroit entre l'Etat, les collectivités locales et les associations, dont le rôle est irremplaçable pour Imaginer des solutions qui demain feront école. Ce vent elles qui pour la plupart, ont inventé les dispositifs aujourd'hui repris par le projet de loi de cohésion sociale. De notre aptitude collective à mieux les aider et les soutenir dépend très largement la capacité de notre société à lutter plus efficacement contre l'exclusion.
Nous le savons bien, faire échec à l'exclusion n'exige pas seulement que la loi garantisse les droits fondamentaux des plus pauvres et organise leur mise en oeuvre effective. Elle suppose, selon l'expression du Président de la République, que la lutte contre la grande pauvreté et l'exclusion soit considérée comme en tête de toutes les politiques et au coeur de toute la politique".
Le projet de loi d 'orientation qui vous est soumis s'inscrit ainsi dans un effort continu et résolu de résorption de la fracture sociale mené dès la formation de mon Gouvernement, comme je m'y étais engagé devant vous le 23 mai 1995. Programme d'urgence pour le logement des plus défavorisés, contrat initiative-emploi, nouveau contrat pour l'école, pacte de relance pour la ville, mesures en faveur des associations, conférence pour l'emploi des Jeunes, conférence nationale de la famille vent autant de volets de ce pacte national contre l'exclusion que vient sceller le présent projet de loi
C'est bien aussi pour renforcer ce pacte que ce texte est accompagné d'un programme d'action dont je tiens à souligner devant vous toute l'importance. Adopté en Conseil des Ministres sous l'autorité du Président de la République le même jour que le projet de loi d'orientation, il précise celui-ci. II détermine en particulier des objectifs chiffres qui constituent pour le Gouvernement autant d'engagements devant la Nation. Je pense en particulier à la création de 300 000 contrats d'initiative locale et de 100 000 logements d'insertion en 5 ans, comme aussi à l'augmentation des capacités d'accueil dans les structures d'insertion par l'économique.
Année après année, budget après budget, les moyens nécessaires seront dégages pour réaliser ces objectifs, comme nous avons commence à le faire dès 1997, avec une augmentation de plus de 8 % des efforts financiers de l'état en faveur de la lutte contre l'exclusion, qui mobilise ainsi plus de 126 mds F.
Enfin, pour compléter le projet de loi d'orientation sur le chapitre de l'accès aux soins, le Gouvernement vous saisira prochainement du projet de loi relatif à l'assurance maladie universelle, comme je m'y suis engagé devant vous, de façon à rendre effectif l'accès de tous à l'assurance maladie et à reconnaître pleinement le droit aux soins comme un droit essentiel de notre temps.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui marque une étape décisive dans l'action gouvernementale contre l'exclusion. Mais bien au-delà, il s'agit d'une avancée essentielle de notre démocratie.
Car ce qui est en cause, en définitive, c'est la République elle-même et l'idée que nous nous faisons de la France.
La préparation de cette loi d'orientation, marque par une concertation sans précédent, a d'ores et déjà permis une prise de conscience accrue par l'opinion de la nécessité et des enjeux de la lutte contre l'exclusion.
Les débats qui s'ouvrent maintenant au sein de votre assemblée apporteront une contribution déterminante pour véritablement faire de la lutte contre la grande pauvreté et l'exclusion "la grande querelle de la Nation toute entière", comme l'avait souhaite le Président de la République.
Mais, au-delà, c'est un appel que j'entends lancer aux Français. Pour que se renforce encore l'immense élan qui monte de notre peuple pour faire reculer l'exclusion. Pour que chacun soit mieux partie prenante de notre société. Pour rouvrir l'avenir à ceux qui sont plongés dans la souffrance, l'isolement, ou l'errance. à
L'Etat est. au premier chef, le garant du lien social. Et c'est bien ce que signifie le dépôt par le Gouvernement, pour la première fois dans l'histoire de la République, de ce projet de loi d'orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale.
Mais, des Français, de leur engagement, de leurs initiatives, dépend la réussite de ce combat essentiel qui doit engager tout l'homme et tout homme.
Avec eux, j'ai confiance que nous le gagnerons. Avec eux, nous bâtirons en cette fin de 20ème siècle une société de fraternité.
Avec pour principe, le refus de l'exclusion sous toutes ses
Avec pour méthode, l'initiative et la responsabilité.
Avec pour exigence, l'espérance.
Je vous remercie de prendre toute votre part par votre vote dans la construction de cette France de demain dans la fidélité aux valeurs de la République .

(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 13 mai 2002)