Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur la vision culturelle des enjeux urbains, notamment la politique d'agglomérations, Paris le 22 juin 2000.

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Circonstance : Rencontres nationales des agglomérations à Paris le 22 juin 2000

Texte intégral

Je suis heureux de vous rejoindre à l'issue de cette journée d'échanges que mon emploi du temps ne m'a pas permis de suivre. Je sais les questions essentielles sur lesquelles vous avez travaillé.
Le Ministère de la Culture, Catherine Tasca et moi-même sommes particulièrement attachés à la réussite des projets d'agglomération qui nous semblent le lieu d'une approche plus globale et plus cohérente des enjeux urbains. Je voudrais exprimer cinq points de vue du Ministère de la Culture.
Tout d'abord la nécessaire affirmation d'une approche culturelle de la ville.
Pour donner sens à cette approche globale, il est nécessaire de promouvoir au préalable une vision culturelle de la cité. Celle-ci devrait être placée au cur du discours politique.
Facteur de citoyenneté, elle permet de conjuguer mémoires et projets tant pour la partie historique de la ville que pour ses quartiers contemporains et d'appréhender les différentes échelles urbaines : de l'îlot à la place publique, du quartier à la commune jusqu'à l'agglomération en précisant la notion de projet d'intérêt communautaire : elle permet enfin de mieux cerner la pertinence du territoire politique par rapport au territoire de projets.
La promotion de cette vision culturelle des enjeux urbains appelle une " attitude " nouvelle des pouvoirs publics. La demande locale est forte à ce sujet.
Il s'agit bien de favoriser réflexions et débats sur la ville dont nous voulons. " Faire la ville sur la ville " n'est pas une opinion majoritaire en France, les gens veulent l'étalement urbain. Avoir un centre ville spécialisé dans l'accueil des touristes et conçu pour " la prise de photo " ne peut être accepté. De même le laisser faire commercial et publicitaire dans les entrées et périphéries des villes abandonnées au trafic automobile n'est pas admissible.
L'enjeu est bien culturel. Il renvoie à une approche qualitative, une pensée de qualité, des relations, des espaces, des usages... Il renvoie aussi à la notion de développement durable. Il n'est pas un hasard que les derniers entretiens du patrimoine aient porté sur la ville tout comme les prochains rendez-vous de l'architecture.
Le deuxième point que je voudrais souligner est la place du ministère de la culture comme partenaire des autres ministères dans les nouvelles politiques urbaines, et le nécessaire dialogue entre l'Etat et les collectivités locales.
Trois lois convergent pour l'affirmation de nouvelles logiques d'agglomération.
Plus que jamais, au niveau national, tous les départements ministériels concernés doivent être solidaires pour éviter de ne représenter chacun qu'une vision réductrice de la Ville : celle qui souffre, celle qui s'aménage et se développe, celle qui protège son patrimoine... Il en va de la réussite de la politique d'agglomération. C'est pourquoi la réponse ne peut être fragmentaire et technique et doit relever d'une logique de projet urbain à long terme. Elle est nécessairement complexe.
Le Ministère de la culture, dans toutes ses composantes, est très concerné par ces nouvelles dynamiques d'agglomération. Plusieurs directions dont la direction de l'architecture et du patrimoine (DAPA) et la délégation au développement et à l'action territoriale (DDAT) sont particulièrement mobilisées.
L'opération sites témoins visait notamment à innover dans le dialogue entre l'Etat et les collectivités locales. Avec un Etat considéré autant comme un partenaire que comme un expert, les services extérieurs du Ministère de la culture, DRAC et SDAP, ont en tout partenariat cette capacité de dialogue et d'expertise. Leurs approches sont d'abord territoriales et culturelles, mais elles peuvent nourrir et orienter, ensuite, la réponse interministérielle. Une circulaire ministérielle " culture et agglomération " sera prochainement adressée aux préfets en ce sens. Il conviendrait que les DRAC comme les SDAP soient à cet effet plus systématiquement associés par les préfets aux réflexions en cours sur les agglomérations.
Les uns comme les autres, doivent s'attacher à faire des outils existants (secteur sauvegardé, ZPPAUP, suivi des abords des monuments, label ville et pays d'art et d'histoire, mesure de protection et de signalement du patrimoine du XXème siècle, convention de ville pour l'architecture et le patrimoine ...) des outils au service de ces nouvelles dynamiques d'agglomération liées aux enjeux de l'architecture et du patrimoine.
En troisième lieu une approche globale et qualitative du développement des quartiers doit entrer dans le projet d'agglomération.
La ville patrimoniale, les zones industrielles et d'habitation pavillonnaire de la fin du XIXème siècle, les grands ensembles construits ces trente dernières années, les lotissements et les zones commerciales d'aujourd'hui... sont autant de composantes d'une agglomération. Mettre du projet dans la ville ancienne et de la mémoire dans la ville contemporaine s'avère nécessaire dans toutes les agglomérations. De même, veiller à une attention semblable pour l'aménagement et l'entretien du centre ancien comme des quartiers périphériques devrait désormais être une préoccupation constante. Mais équité, solidarité, mixité... peuvent aussi conduire à un risque d'homogénéité du territoire urbain. D'où l'importance d'études, de réflexions concertées, de débats. Aussi faut-il avancer dans quatre directions :
- impulser des démarches innovantes pour favoriser la qualité architecturale et urbaine. Certaines villes, encore très peu nombreuses, se sont dotées d'outils permettant de promouvoir des démarches qualitatives et concertées d'aménagement urbain ; un travail de sensibilisation est nécessaire ;
- savoir évaluer les conditions d'intégration des nouveaux projets de construction et d'aménagement en cours et à venir au niveau de l'agglomération : notamment les projets dits de renouvellement urbain et certains projets architecturaux particulièrement structurants, emblématiques ;
- déployer une réflexion sur la définition et le traitement des espaces publics, leur place et fonction dans la recherche d'une meilleure cohésion sociale d'agglomération ;
- s'attaquer à la question des entrées de ville qui mobilise encore trop peu d'élus et appelle une prise de conscience, une concertation et des actions, justement, à l'échelle de l'agglomération.
Dans cette perspective et quatrièmement, il faut accompagner l'évolution des pratiques professionnelles sur la ville.
Les architectes sont insuffisamment associés aux réflexions en cours. Ils ont pourtant, notamment, un rôle de médiateur indispensable à tenir à la croisée d'enjeux architecturaux, urbains, environnementaux, artistiques et culturels. Il conviendrait que les villes qui sont des maîtres d'ouvrages puissent disposer, dans le cadre de la fonction publique territoriale, d'architectes conseils. Cette préoccupation fait l'objet de négociations en cours avec les Ministères de l'Intérieur, de l'Equipement et du Budget. Pour sensibiliser les maires aux enjeux de la qualité architecturale et urbaine, la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (MIQCP) a conduit en 1999, en partenariat avec les CAUE et la DAPA, des actions exemplaires dans vingt et un départements. Les écoles d'architecture tentent également de participer et préparer les architectes à la définition des politiques urbaines. Dernièrement, en liaison avec Claude Bartolone, un programme expérimental impliquant les écoles d'architecture dans la politique de la ville a été lancé.
Enfin connaissance, mémoire, histoires, sensibilisation, formation... doivent se développer car les logiques d'agglomération sont encore très récentes. L'identité métropolitaine propre à chacune, la perception par les habitants des réalités intercommunales... vont requérir des actions de sensibilisation et des études d'un type nouveau convoquant tous les arts, toutes les disciplines artistiques. Déjà :
- les " maisons de ville ", de l'architecture, de banlieue, de l'habitat... comme lieu de présentation des projets de l'agglomération et de mise en débat,
- les conventions de ville pour l'architecture et le patrimoine, initiées par la DAPA, avec une dizaine de villes en France, permettant une meilleure mise en cohérence des réflexions et actions urbaines ,
- les services de l'inventaire comme certains laboratoires des écoles d'architecture, au travers de contrats avec les villes,
- de même la valorisation des archives des villes et la mobilisation des milieux de la recherche, permettent de fortes avancées. Les actions éducatives sont enfin capitales. Un programme dit " architecture au collège " permet de sensibiliser les jeunes à l'espace construit. De même, la DIV a mis en place avec la DAPA ? des classes de ville qui permettent aux jeunes d'un quartier donné de découvrir d'autres quartiers de l'agglomération.
Ce sont tous ces outils qui peuvent avoir un rôle clé en ces périodes de mutation et apporter des éclairages très utiles pour la définition des politiques d'agglomération et contribuer à la prise en compte de la solidarité et du développement durable de la Ville.

(Source http://www.culture.gouv.fr, le 27/06/2000)