Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur la préparation des négociations commerciales multilatérales dans le cadre de l'OMC, notamment les enjeux de l'exception culturelle, la notion de diversité culturelle et la libéralisation des services audiovisuels, Paris le 28 octobre 1999.

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Circonstance : Point presse OMC sur le mandat donné à la Commission européenne pour préserver l'exception culturelle à Paris le 28 octobre 1999

Texte intégral

Le mandat donné par les Etats membres à la Commission européenne, afin de préparer dans les meilleures conditions le nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales, a été formellement adopté mardi par le conseil des ministres des Etats membres de l'Union. Un accord avait en fait été trouvé dès vendredi dernier. Le sujet est complexe, c'est pourquoi j'ai pensé utile de vous réunir aujourd'hui. Je vous prie par avance de bien vouloir excuser la teneur parfois un peu technique de mon propos, mais le sujet l'impose.
Depuis plusieurs mois, je n'ai pas ménagé mes efforts pour préserver l'exception culturelle. J'ai exposé mes objectifs en la matière, très ambitieux, dès le mois de juillet 1999, lors d'un conseil des ministres de la culture en Finlande. C'était aussi la raison principale de mon déplacement au Mexique, à Oaxaca en septembre, qui m'a permis de sensibiliser 16 ministres de la culture du monde entier aux enjeux des prochaines négociations OMC, et de faire adopter un texte qui affirme le droit des Etats à mener librement leurs politiques culturelles et audiovisuelles. J'ai également rappelé ces objectifs lors d'une récente tribune dans " Le Monde ". (La déclaration et l'article sont dans le dossier de presse).
La principale difficulté consistait à convaincre l'ensemble de nos partenaires européens de la nécessité de donner un mandat précis à la Commission, qui sera chargée de conduire les négociations sous le contrôle des Etats membres.
Cet objectif a-t-il été atteint avec le texte finalement adopté ? Avons-nous mis de l'eau dans notre vin pour obtenir gain de cause ? Abandonnons-nous l'exception culturelle pour une notion plus diffuse de diversité culturelle ? Suis-je en clair satisfaite, en tant que ministre de la culture et de la communication, ayant bataillé pendant des mois afin d'obtenir la préservation de l'exception culturelle, du mandat donné à la Commission ?
Je vous le dis avec force, il est sans précédent que les Etats membres de l'Union européenne s'entendent aussi clairement pour que l'exception culturelle reste la règle. Nous sommes incontestablement mieux partis que lors du cycle précédent. Les acquis du cycle de Marrakech sont bons, mais ils ont été obtenus in extremis, au terme d'une bagarre avec le Commissaire Leon Brittan, qui n'avait qu'une idée en tête : que la Communauté européenne renonce à utiliser les possibilités offertes par l'accord OMC sur les services pour préserver des secteurs de la libéralisation. Ces possibilités sont doubles : celle de ne prendre aucun engagement de libéralisation, et celle de déposer des dérogations à la clause de la nation la plus favorisée afin de pouvoir traiter de manière préférentielle certains Etats.
A la question : avons-nous atteint notre objectif sans renoncer à l'une de nos exigences ? Je vous répond donc oui.
Il n'est peut être pas inutile d'en revenir aux textes et vous pourrez comparer les résultats avec les objectifs que les professionnels concernés, qui vous le savez sont attentifs et impliqués, et moi-même, nous sommes fixés. Relisez, si vous le souhaitez, mes discours et ma tribune qui ont précédé la négociation au conseil (dans le dossier de presse), relisez aussi le communiqué du " Comité de vigilance sur l'OMC et les négociations internationales " du 6 octobre 1999. Que souhaitait le comité de vigilance ?
Je cite : " que dans le cadre de la prochaine négociation OMC, l'Union européenne réaffirme son refus de prendre des engagements de libéralisations sur les services audiovisuels et maintienne ses exemptions à la clause de la nation la plus favorisée ". Ce comité se disait également " attaché à la pérennité de la position européenne au cours de ce nouveau cycle, quels qu'en soient les thèmes débattus (commerce électronique, subventions pour les services, investissements ...) ". Ces attentes ont je crois été entendues, et nous sommes bien partis pour les satisfaire.
Nous avons pris le risque, pour y parvenir, de ralentir la préparation de la conférence de Seattle en refusant un texte inacceptable lors du conseil des affaires générales du 11 octobre. Le conflit aurait pu se prolonger plus longtemps, mais heureusement, notre intransigeance et la pression conjuguée du calendrier ont porté leurs fruits. Les derniers réticents ont préféré ne pas prendre le risque de ruiner des mois d'efforts, par ailleurs très productifs, en s'opposant à nos légitimes revendications.
La version de " compromis " (c'est le jargon communautaire utilisé dès lors que l'on touche à un texte) que nous avons refusé d'accepter le 11 octobre était la suivante :
" Le conseil a souligné l'importance particulière de la diversité culturelle et du maintien de la capacité des Etats membres à promouvoir et développer cette diversité. L'Union travaillera dans cette direction durant les prochaines négociations OMC ".
Vous imaginez qu'une telle version ne pouvait nous satisfaire. La référence à la capacité des Etats de promouvoir la diversité culturelle était beaucoup trop vague. Ce que nous souhaitions, c'est avoir la garantie que les négociations seraient menées comme lors du précédent cycle de négociation. Car, pour certains Etats, des engagements de libéralisations partiels ne sont pas incompatibles avec la nécessité de préserver la diversité culturelle. Cette référence au précédent cycle de négociations a été difficile à faire admettre.
Nous souhaitions aussi un maintien de l'exception culturelle quels que soient les thèmes débattus. C'est pour cela que s'imposait le recours à une formule plus large que la seule référence au cycle d'Uruguay. Nous devions obtenir que les négociations ne porteraient pas atteinte à la capacité de l'Union et des Etats membres de définir et de mettre en uvre leurs politiques culturelles et audiovisuelles.
Je crois pouvoir dire, à la lecture du texte adopté dont je vais vous rappeler la teneur, que nous avons pleinement atteint notre objectif, sans compromis sur le fond. Ce texte est le suivant : " L'Union veillera, pendant les prochaines négociations de l'OMC, à garantir, comme dans le cycle d'Uruguay, la possibilité pour la Communauté et ses Etats membres de préserver et de développer leur capacité à définir et mettre en uvre leurs politiques culturelles et audiovisuelles pour la préservation de leur diversité culturelle ".
Nous précisions certes, dans la version initiale, que par politiques il fallait entendre les instruments réglementaires et de soutien, mais cela ne va-t-il pas de soi ? Aujourd'hui, les politiques en matière culturelle et audiovisuelle, dans les Etats et au sein de l'Union, comprennent nécessairement ces deux volets. Par " définition " des politiques on vise nécessairement la réglementation et, par mise en uvre, la gestion libre des instruments.
Il me semble dès lors inapproprié de prendre à la lettre le terme diplomatique de "compromis", au seul motif que le mot instruments disparaissait. Il sonnaient mal aux oreilles de certains de nos voisins mais, sur le fond, n'apporte aucune véritable garantie supplémentaire, sans quoi, croyez moi, il n'aurait pas disparu.
Les orientations arrêtées par le Conseil vendredi dernier répondent donc à nos trois exigences : l'affirmation d'un objectif général, la préservation de la diversité culturelle (je reviendrai sur ce terme controversé) ; des garanties sur les modalités de négociations que nous souhaitions identiques à celles, éprouvées, de Marrakech, et l'affirmation plus générale, compte tenu du champ des négociations, qui ne couvriront pas semble-t-il les seuls services, de la nécessité de préserver et de développer la capacité des Etats membres et de l'Union à définir et mettre en uvre les politiques culturelles.
Cela signifie en pratique une absence d'offre de libéralisation de l'Union européenne dans les secteurs de la culture ou de l'audiovisuel, et le maintien des précédentes exemptions à la clause de la nation la plus favorisée, afin de permettre le traitement préférentiel de certains Etats. Mais la formulation retenue nous offre des garanties plus larges encore, notamment si de nouveaux sujets devaient être abordés, tels l'investissement et les subventions.
Que l'on ne se trompe pas, l'exception culturelle n'a jamais signifié une exclusion juridique pour les 134 Etats membres de la culture et l'audiovisuel de l'OMC. Cette objectif aurait d'ailleurs été irréaliste et dangereux pour les politiques culturelles. Irréaliste car cela supposerait que tous les Etats membres de l'OMC se mettent d'accord. Il s'agit d'un traité liant des Etats souverains ; l'Union européenne ne peut donc disposer pour autrui. Une minorité d'Etats a souhaité libéraliser l'audiovisuel (19 Etats sur 134 ont fait des offres de libéralisation) et donc, pour eux, l'audiovisuel est dans l'OMC. Pour nous, en revanche, l'audiovisuel n'est pas, et ne sera pas dans les secteurs relevant de la juridiction de l'OMC, car nous n'avons pas effectué d'offres de libéralisation. En clair, l'OMC est une organisation à géométrie variable : elle ne lie pas uniformément tous les Etats sur les mêmes engagements.
En tout état de cause, rechercher l'exclusion et non l'exception aurait été dangereux. C'est pour cette raison que les professionnels concernés, et nous, avons préféré la formule éprouvée de l'absence d'engagements. Outre le fait qu'une exclusion suppose un accord à 134 pays sur ce qu'il faut entendre par culture et audiovisuel, avec le risque d'en rester au plus petit dénominateur commun, il y aurait de grand dangers à le faire. En effet, l'OMC pourrait alors retrouver la compétence dont nous avons voulu la priver pour clarifier les frontières du secteur exclu. Nous ne pouvons prendre le risque d'un contentieux (un panel en jargon OMC) qui statuerait sur le point de savoir si nous sommes oui ou non dans le secteur exclu.
En l'état actuel des choses, l'OMC ne peut rien contre nos politiques culturelles et audiovisuelles, car elle ne peut mesurer les restrictions au libre échange qu'au regard des engagements pris. S'il n'y a pas d'engagements, par définition il n'y à rien à mesurer et à sanctionner. L'exception culturelle n'a donc jamais signifié à mes yeux l'exclusion juridique, faute de quoi elle aurait sans doute été mise à mal.
Je souhaite évoquer un instant encore ce concept d' " exception culturelle ", auquel je n'ai guère renoncé. J'ai d'ailleurs intitulé à dessein ma tribune dans " Le Monde " : " L'exception culturelle n'est pas négociable ". Cette expression est née lors du précédent cycle de négociations multilatérales qui s'est achevé à Marrakech en 1994. Elle signifie que la Communauté européenne et la plupart des Etats membres de l'OMC (113) ont refusé de prendre des engagements de libéralisation dans le secteur audiovisuel, estimant qu'il était essentiel de préserver la capacité d'intervention des Etats contre d'éventuelles remises en cause par l'OMC. L'exception culturelle est donc la règle et doit le rester, la grande majorité des pays estimant que nous ne sommes pas en présence de marchandises comme les autres.
La notion de diversité culturelle ne se substitue pas à celle d'exception. Il n'y a ni glissement sémantique dissimulant une réalité occulte, ni a fortiori abandon. Tout simplement, ces deux notions ne se placent pas sur le même plan. Par " diversité culturelle ", il s'agit d'expliciter la finalité poursuivie dans la négociation. "L'exception culturelle" est donc le moyen, à mes yeux non négociable, d'atteindre l'objectif de diversité culturelle.
L'expression " diversité culturelle " est plus récente. Elle est le fruit de réflexions dans le cadre de l'UNESCO, depuis la conférence de Stockholm en 1998. Cette nouvelle notion est positive, elle exprime la volonté de préserver toutes les cultures du monde, et non seulement notre propre culture, contre les risques d'uniformisation. Elle n'est sans doute pas parfaite, mais elle a le mérite de sortir de la seule référence à l'exception culturelle, qui n'est qu'un moyen. Il y a des fins plus nobles dans leur expression que celles consistant à dire que l'on ne prendra pas d'engagement de libéralisation. C'est ce qui était recherché avec " diversité culturelle ". Peut-être faut-il encore réfléchir pour trouver une meilleure manière de qualifier l'objectif ?
Pour ce qui est du moyen, je reste très attachée à l'expression " exception culturelle ", même si elle n'a jamais figuré en tant que telle dans aucun traité. C'est à ce précieux moyen que l'on pense par la formule : " conduire les négociations, comme lors du précédent cycle ". Il s'agit de ne pas permettre à l'OMC d'avoir un droit de regard sur les politiques audiovisuelles et culturelles européennes, ce que le mandat donné à la Commission garantit.
Une dernier point me semble important à clarifier : menons-nous un combat inutile en préservant les acquis de Marrakech, alors que les défis seraient ailleurs et que nous les aurions sous estimés ?
A croire Jack Valenti, talentueux président de la Motion Picture Association of América qui s'exprimait ce week-end à Beaune, les Etats Unis n'auraient désormais aucune mauvaise intention à notre égard : ils accepteraient de nous laisser subventionner librement l'audiovisuel. En revanche, si d'aventure nous devions discuter de commerce électronique, sphère qui selon Jack Valenti n'aurait rien à voir, dans ce cas, il ne serait pas question de nous laisser la moindre marge de manoeuvre pour entraver le libre échange de marchandises immatérielles sur le réseau.
Ce discours est dangereux et, croyez moi, les pièges ne nous ont pas échappé : il faut à la fois préserver l'existant qui, contrairement à ses allégations, est bien menacé, et aussi veiller aux risques de contournements, notamment via le commerce électronique.
Pour l'existant, je vous laisse apprécier la pression qu'exercent en ce moment même les Etats-Unis sur les Etats qui demandent leur accession à l'OMC, pour qu'ils prennent des engagements de libéralisation concernant l'audiovisuel. Il s'agit évidemment, pour ce qui concerne les Etats qui auront vocation à rejoindre l'Union européenne dans le cadre de l'élargissement, de faire en sorte que leurs engagements OMC soient incompatibles avec le respect des acquis communautaires en matière audiovisuelle. Si la directive TVSF, ne pose soit disant plus de problème, pourquoi alors une telle pression ?
Pour les nouveaux enjeux et notamment le commerce électronique, croyez bien que nous sommes vigilants. Relisez le membre de phrase "garantir la possibilité pour la Communauté et ses Etats membres de préserver et de développer leur capacité à définir et mettre en uvre leurs politiques culturelles et audiovisuelles " à cette lumière.
C'est justement pour prévenir des risques de contournement sur des sujets de ce type que nous souhaitions une formule large, qui permette de ménager des marges de manoeuvre pour l'avenir, afin de permettre la mise en place et la gestion libre des instruments des politiques audiovisuelles : réglementation et financement de la radiodiffusion, notamment publique, soutien aux industries de programmes, sous toutes leurs formes. Il est de même essentiel de préserver les différents outils d'aide à la création mis en place en Europe (directive Télévision sans Frontières, programme MEDIA, Eurimages), et les accords de co-production préférentiels.
Quant au développement du commerce électronique, il constitue un enjeu important dans les négociations à venir, et je voudrais l'évoquer en conclusion, pour vous dire combien j'y suis attentive, et combien nous l'avions à l'esprit dans la négociation du mandat.
Il n'est pas certain que des négociations aient lieu dans ce domaine. Mais, si tel était le cas, certains Etats seraient, sans nul doute, tentés d'exclure les services offerts via internet du régime des services, en soutenant que nous sommes en présence de biens virtuels, de marchandises immatérielles en quelque sorte. Les transactions relèveraient alors du GATT qui va plus loin dans la libéralisation que le GATS.
L'Union européenne défend au contraire l'idée, avec le soutien très actif de la France, que le mode de transmission d'un service ne modifie en rien la nature de ce dernier. Dès lors, ces transactions électroniques doivent être qualifiées de services.
Ce principe de neutralité technologique est fondamental. Il a été consacré lors du précédent cycle de négociation dès lors que l'ensemble des services audiovisuels, quel que soit leur mode de diffusion, et donc à priori via Internet sont couverts. De même, ce principe a été confirmé par l'accord de 1997 sur les télécommunications de base, qui distingue nettement le régime des services et celui des supports .
C'est aussi pourquoi, il était important de faire acter notre attachement à l'acquis du précédent cycle, et de ménager toutes les marges de manoeuvre nécessaires pour nos politiques en faveur des contenus audiovisuels, sur tous supports (comme cela est prévu dans l'accord de Marrakech).
C'est l'intérêt de toutes les industries de contenu. Les opérateurs concernés devraient prendre conscience outre-atlantique, que cette qualification doit être préservée. Il est compréhensible que les industries qui véhiculent ces contenus se montrent plus favorables à la qualification la plus libérale, celles de biens. Mais, pour les industries de contenu, ne faut-il pas veiller scrupuleusement à la protection des oeuvres contre le piratage, au respect du droit de la propriété intellectuelle, qui garantissent l'intégrité et la valeur des oeuvres ? Or, seule la qualification de services permet le respect des droits afférents aux oeuvres audiovisuelles. On ne saurait réclamer pour de simples marchandises le même degré de protection que pour des services audiovisuels.
Nous partons donc dans cette négociation sur de bonnes bases : un mandat pour préserver l'exception culturelle qui légitimera la Commission dans sa résistance aux inévitables pressions. Nous sommes donc bien partis. Cela ne m'empêchera pas, bien sûr, de rester vigilante. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à me rendre à Seattle.
Je crois aussi souhaitable de sensibiliser le maximum d'Etats à la nécessité de ne pas céder sur l'exception culturelle. C'est pourquoi j'ai aussi accepté de coprésider, avec mon homologue canadienne Sheila Copps, une conférence à l'UNESCO, mardi prochain 2 novembre, sur le thème de la culture face à la mondialisation, en présence d'une quarantaine de ministres de la culture.
Il est important que l'UNESCO devienne un forum sur ces enjeux, afin que l'exception culturelle reste la règle pour les 113 Etats qui n'ont pas pris d'engagements à l'OMC, et pour tous ceux qui postulent à l'OMC et sont soumis à de fortes pressions. Mon combat pour l'exception culturelle n'est donc pas terminé.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 1 décembre 1999)