Interview de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer, à Europe 1" le 29 août 2002, sur l'enquête concernant l'accident du chalutier français, le Cistude, avec un navire norvégien, sur les priorités du budget 2003, et sur la restructuration de la compagnie aérienne Air Lib.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

E. Martichoux.- Vous êtes en charge du dossier de la mer au Gouvernement. Etes-vous sûr qu'en laissant partir ce chimiquier responsable de la mort de quatre marins français en début de semaine, vous n'avez pas pris quand même le risque que l'enquête soit bâclée ?
- "Non. Le risque eût été qu'il y ait d'abord, outre les faits mortels que vous venez de rappeler - la mort de deux marins et du second du navire en particulier -, de surcroît une pollution. Ce navire dégage des produits chimiques. Donc, il faut qu'il soit très vite dans une cale et dans un endroit où on puisse le traiter. Ce n'était pas possible à Dunkerque ; cela posait des problèmes de sécurité. Donc, il est parti à Rotterdam. Mais, comme vous l'avez vu, comme vous le savez, à Dunkerque, sont montés à bord des gendarmes, des officiers, un certain nombre de spécialistes. Donc, nous avons l'ensemble des éléments. Il y a une commission rogatoire internationale, il y a une procédure pénale internationale ; donc, les affaires seront suivies. Nous avons maintenant tous les éléments."
Mais une association écologiste, qui est tout à fait sérieuse et qui s'appelle "Robin des bois", disait d'ailleurs sur cette antenne, que lorsqu'un bateau - et il y a eu des précédents - part dans un autre pays, les enquêtes sont difficilement appréciables jusqu'au bout par la France. Et, en plus, le fait que cela se soit passé dans des eaux internationales fait que cela relève maintenant des autorités judiciaires norvégiennes...
- "C'est vrai que le fait que nous soyons dans des eaux internationales au moment de l'accident fait que cela relève du pays d'origine du navire en cause, c'est-à-dire le navire Bow Eagle. Mais si nous n'avions pas fait cette montée à bord à Dunkerque, nous n'aurions pas les éléments. Nous avons les éléments. Je vous rappelle que nous sommes à Rotterdam, on est en Europe, on est à quelques encablures ; Rotterdam est un des grands ports français, une grande partie du trafic maritime qui va en France se fait par l'intermédiaire de Rotterdam, nous sommes dans un port européen avec des magistrats européens, des procédures très au point entre la France et les Pays-Bas. Donc, il n'y a aucun problème sur l'enquête. Ce qu'il faut savoir, c'est que dans cette affaire, il y a eu des problèmes importants à bord du navire..."
Est-ce que vous avez des détails sur l'enquête, puisque pour l'instant, on n'a que des bribes du scénario ?
- "Ce qu'on peut dire déjà, c'est que les navires se voyaient ; ils étaient, depuis une heure à peu près, en vue, donc à proximité ; la mer était belle, il n'y avait pas de vent. On était certes la nuit, mais on était dans des conditions météo favorables ; il y avait normalement quelqu'un de quart à bord du chalutier Cistude et il y avait un officier philippin et un marin philippin de quart à bord du navire norvégien. Donc, tout aurait dû, normalement, bien se passer. Il y a donc eu un défaut, défaut de veille, et en plus un mensonge."
Il y a une responsabilité humaine ?
- "Responsabilité humaine très certainement. Ensuite, d'ailleurs, il y a eu un mensonge puisque, apparemment, l'officier de quart philippin et le marin philippin ont indiqué qu'ils n'avaient rien entendu. Est-il possible que l'ensemble de l'équipage n'ait pas été réveillé par le choc ? La question posée par "Robin des Bois" est une question judicieuse. Il faudra naturellement vérifier tout cela. Il y a également certainement quelque chose qui s'est passé sur le chalutier français Cistude ; en particulier on a très mal entendu la balise."
Parce qu'après la collision, les marins auraient pu encore être sauvés ?
- "Les marins ont joué de malchance. Ils n'ont pas pu appeler leurs canots de survie. Les canots de survie ont été lancés, la mer était pourtant modéré, il y avait un vent modéré, ils n'ont pas pu les attraper, alors ils se [sont] rattrapés à des bouées. Donc, ils se sont retrouvés en pleine eau de mer, de nuit, avec la froideur de la nuit. Apparemment - mais ça, l'enquête du bureau Enquête accidents de notre ministère le précisera - la balise n'a pas fonctionné, ou mal, parce que les piles étaient usagées. Apparemment non plus, les marins ne portaient pas de combinaisons flottantes de sécurité, ce qui est souvent le cas des marins qui ne le font pas, non pas par négligence, mais parce qu'ils sont pris dans leur travail - et pourtant c'est une garantie de survie importante. Donc, il y a eu toute la malchance, et surtout une malchance grave, car la pêche française, depuis le début de l'année, a payé un lourd tribut. Le Gouvernement est particulièrement attentif à tout cela et près des familles, car c'est un drame qui aurait dû être évité."
Je reviens à ma première question. Vous l'avez dit : les familles ont subi une perte irréparable. On parle de crime - c'est l'avocat de l'armateur du chalutier qui le disait. Vous leur dites aujourd'hui qu'il y aura une enquête qui ira jusqu'au bout et les "coupables" seront poursuivis jusqu'au bout ?
- "Le Gouvernement a marqué sa détermination, puisque le Premier ministre a obtenu que le bateau soit dérouté dans un port français, alors qu'il poursuivait normalement sa route sur Rotterdam. Nous avons trois enquêtes en cours : une enquête judiciaire menée par le Parquet des Sables d'Olonnes, une enquête de la Direction des Affaires maritimes de la Vendée, une enquête du bureau Enquête accidents. Nous sommes en contact permanent avec les autorités norvégiennes qui, d'ailleurs, jouent parfaitement le jeu de la coopération européenne en la matière. Nous serons en contact immédiatement, dès l'arrivée du navire à Rotterdam, avec les autorités hollandaises. L'ensemble des choses sera fait pour que justice soit faite et pour que de tels drames ne se reproduisent plus et que des marins français ne payent pas une nouvelle fois de leur vie l'exercice d'un métier difficile et périlleux."
Plus globalement sur ce dossier, cela fait des années qu'on entend dire qu'il y a des problèmes de sécurité en mer, comme l'Erika ou les conditions de travail. Je vous livre un extrait des propos d'un marin rapportés par l'AFP : "Tout le monde est surmené dans les cargos comme dans les chalutiers. Il y a une pression économique énorme. C'est la roulette russe. Des naufrages comme cela pourraient avoir lieu tous les jours".
- "Il y a de plus en plus de navires en mer. Lorsque vous regardez tout le trafic qui vient des Etats-Unis et qui passe au large d'Ouessant, et puis ensuite au large du Cotentin, qui va sur la Manche au large de Dunkerque et qui monte vers les grands ports du Nord, c'est vrai que le trafic est énorme. Nous devons mettre les moyens en place. Les moyens, ce sont les remorqueurs de haute mer, ce sont des balisages, ce sont des cross qui sont un peu les aiguilleurs de la mer qui sont installés sur l'ensemble du littoral français. L'Europe va également jouer un rôle important avec la mise en place de son propre système du GPS, le système Galileo. Et puis, il faut bien sûr améliorer la surveillance du travail, les combinaisons, le respect des procédures..."
C'est un dossier que vous allez explorer ?
- "Il y a un travail considérable. Juste un mot : 56 % du commerce de la France passe par la mer. Donc, la mer, c'est le poumon économique de la France. Il faut que les gens qui alimentent le poumon économique de la France soient dans les meilleures conditions de sécurité possible."
On l'espère pour eux. Premier Conseil des ministres, c'est votre rentrée et pour tous les membres du Gouvernement. Bonne rentrée ! Sauf que l'ambiance est quand même un petit peu gâchée, un peu lourde, avec cette communication pour le moins brouillonne sur les priorités budgétaires. Vous étiez plus guilleret en partant en vacances ?
- "Vous savez, quand on arrive à la rentrée, on a toujours un petit coup au coeur. On préfère les vacances, en tout cas les enfants. Le Gouvernement n'a pas changé son cap. Il tient ses engagements. Nous en avons trois : baisser l'impôt sur le revenu - ce sont des engagements du président de la République, naturellement -, baisser l'impôt sur les entreprises et alléger les charges. Tout cela nécessite des arbitrages et ces arbitrages sont en voie de finalisation."
Oui, mais c'est un petit peu rapide. Si vous lisez par exemple tous les commentaires dans la presse de province, ce matin...
- "Ne dites pas "province", parlez des "régions". C'est très parisien de parler des "provinces"."
Vous voyez ! Vous y êtes très sensible et monsieur Raffarin aussi. Vous verrez que ce n'est pas seulement des problèmes de communication, ce sont des hésitations qui révèlent quand même des failles dans la méthode aujourd'hui. Le Gouvernement ne sait pas très bien où il doit aller, compte tenu du budget.
- "Le Gouvernement est attentif à la conjoncture économique. On est parti sur des hypothèses de croissance aux alentours de 3 %. On est en train de regarder si ces hypothèses doivent être validées ou pas, ou si la croissance ne sera pas un peu plus basse. Regardez l'évolution récente de la situation économique de l'Allemagne, on la connaît mal. Il y a le problème des inondations, il y a les élections en Allemagne, il y a l'évolution de la situation économique américaine. Donc, on ne connaît pas toutes les données, ce qui fait qu'actuellement, en fonction de ces données, les arbitrages seront réalisés. Ce que je peux vous dire simplement, c'est que le Premier ministre réalisera ces arbitrages dans des délais extrêmement brefs, et en toute sérénité."
Et pour clore ce dossier, si c'était possible, est-ce que vous pouvez quand même consentir à l'idée qu'au début de la semaine, J.-P. Raffarin, à La Rochelle, a brouillé un peu le message en parlant de "curseur" et en laissant entendre que finalement, il pourrait abandonner la priorité que vous avez rappelée : la baisse de l'impôt ?
- "Les priorités sont au nombre de trois. J'étais à côté de J.-P. Raffarin à la Rochelle. Il y avait certes beaucoup d'embruns ; nous étions très inquiets pour nos marins français, car c'est au moment de la présence du Premier ministre à La Rochelle que nous avons appris le drame du Cistude et donc nous étions à l'écoute des informations qui nous parvenaient. Ce que je peux vous dire, c'est que le Premier ministre a rappelé à La Rochelle les engagements du Président. Je me permets de les rappeler : l'impôt, la baisse des charges des entreprises et l'impôt sur les entreprises."
C'est nous qui avons mal compris alors ?
- "Je ne me permettrai pas de dire cela. Simplement, le Premier ministre a dit qu'il jouerait sur les trois curseurs et que les trois curseurs fonctionneraient ensemble. Donc, il a rappelé les choses. Ensuite, chacun voit La Rochelle à sa porte. Le climat de La Rochelle - vous allez le voir à la fin de la semaine avec l'université d'été du PS - est toujours un climat un peu embrumé."
Donc, c'est La Rochelle, ce sont les journalistes qui ont mal compris...
- "Pas du tout ! Mais nous avons trois objectifs."
Vous avez jusqu'au 25 septembre pour éclaircir. Pour l'instant, ça ne l'est pas en tout cas.
- "Nous avons jusqu'au Conseil des ministres du 25 septembre."
Et en ouverture de ce Conseil des ministres, J. Chirac aura peut-être à coeur de rappeler que ses engagements doivent absolument être tenus. Il paraît qu'il était furieux de ce problème de communication.
- "Le Premier ministre a rappelé que nous avons trois engagements, ils seront tenus. Je pense que le Président y sera naturellement très attentif."
Vous êtes secrétaire d'Etat aux Transports. Le dossier Air Lib est sous votre responsabilité. Vous avez demandé à la compagnie de mettre en place un plan de restructuration. Ce matin, le président de la compagnie, J.-C. Corbet, vous répond, d'une certaine façon : "Nous allons faire des économies. Le Gouvernement ne va quand même pas nous demander de licencier" ?
- "Le Gouvernement ne demande surtout pas de licencier. Air Lib est une compagnie qui est devant un paysage aérien difficile au niveau français, au niveau mondial. Elle a perdu beaucoup d'argent, elle a eu beaucoup de difficultés. Elle a un parc d'avions qui n'est pas toujours à la hauteur de ses souhaits. Nous aidons Air Lib. Le Gouvernement a accordé le report d'un prêt important qui avait été fait à Air Lib. L'ensemble des charges qu'Air Lib doit à Aéroports de Paris, aux Assedic, etc. pour l'instant sont gelés. Donc, nous aidons Air Lib. Mais Air Lib ne peut pas être perpétuellement sous perfusion d'argent public."
Vous allez regarder attentivement les économies, pour voir si le plan de restructuration n'est finalement pas indispensable ?
- "Nous demandons à Air Lib de fonctionner sans le recours quotidien du contribuable. Naturellement, cela veut dire qu'Air Lib doit prendre les décisions à prendre, et je souhaite de tout coeur que ces décisions ne se traduisent pas par des licenciements. Ceci est de la responsabilité du président d'Air Lib. Mais à aucun moment, le Gouvernement ne souhaite qu'un plan social signifie pour Air Lib la perte d'une partie de son personnel. Nous souhaitons que cette compagnie fonctionne normalement, dans l'intérêt du paysage aérien français."
Et dans l'intérêt de la desserte vers le Dom-Tom, parce que finalement, c'est cela qui est le plus important ?
- "Oui, [l'intérêt de] la desserte vers les Dom-Tom, c'est de faire en sorte qu'il n'y ait pas de monopole, que nos concitoyens ultramarins puissent choisir entre un avion d'Air France naturellement, une compagnie locale ou une compagnie spécialisée dans l'Outre-mer. C'est ce que nous allons essayer de faire dans les semaines à venir, avec le concours de l'ensemble des régions d'Outre-mer."
Bon Conseil des ministres de rentrée !
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 août 2002)