Texte intégral
Mesdames et Messieurs, je viens à ce conclave organisé par la présidence hollandaise, à la fois satisfait, disponible et interrogatif. Satisfait parce que je voudrais saluer l'efficacité de la présidence néerlandaise qui assume avec beaucoup de détermination une phase difficile, la phase difficile de la Conférence intergouvernementale, celle qui doit conduire à des décisions, alors qu'il faut bien le dire, la période précédente avait été plus floue. Elle le fait avec beaucoup de détermination et notamment elle a accédé à la demande française que j'avais présentée à plusieurs reprises. On se décide enfin à parler des institutions, puisqu'aussi bien, c'est un point qui nous est toujours apparu important dans les travaux de cette Conférence intergouvernementale. Je suis donc heureux que nous soyons réunis à Noordwijk pour en parler de façon sérieuse. C'est ce que nous faisons d'ailleurs depuis le début de l'après-midi de façon très intéressante.
Ensuite, je suis disponible, car s'il est vrai que la France a des positions assez précises sur ces questions, nous souhaitons naturellement parvenir à une conclusion de cette Conférence intergouvernementale à Amsterdam. Nous avons une pleine disponibilité française pour atteindre l'objectif que s'est fixé la présidence néerlandaise, et que d'ailleurs, les chefs d'Etat et de gouvernement avaient eux-mêmes fixé, c'est-à-dire terminer nos travaux au Sommet d'Amsterdam puisqu'il faut bien sûr chercher les solutions aux problèmes qui se posent. Nous discutons abondamment sur la question de la Commission. C'est le sujet qui nous occupe pour l'instant et on voit bien toutes les difficultés que cela soulève. Je pense que néanmoins on ne peut pas échapper à la question et je crois qu'il n'y a pas de problème sans solution.
Enfin, interrogatif, je le resterai jusqu'au bout puisque certains membres décidemment que cette Conférence intergouvernementale permette de prendre les décisions pour que nous en sortions avec des progrès réels en matière institutionnelle comme dans d'autres domaines, comme ceux du deuxième pilier et troisième pilier. Cela est à notre portée. Cela dépend de la volonté politique des Etats membres et je dirais de leur fidélité à l'esprit des fondateurs de l'Union européenne.
Voilà ce que je veux dire sur les travaux et où nous en sommes, quitte à répondre avec la meilleure volonté à toutes les questions que vous pourriez avoir à l'esprit.
Q - Comment résumez-vous les positions présentes ? On connaît les positions françaises à la Commission ...
R - Les choses sont assez simples. Un certain nombre d'Etats sont d'accord sur un objectif simple : il faut réduire le nombre des membres de la Commission, au moment où l'Union européenne va s'élargir et où l'application des règles actuelles, qui sont les règles initiales d'ailleurs, ont déjà produit un élargissement, un accroissement déjà peu raisonnable du nombre des membres de la Commission. Et donc il y a un certain nombre de pays qui sont d'accord sur cet objectif. Je force peut-être un peu la nature en disant qu'en réalité, tout le monde le serait. Mais certains pays s'inquiètent à l'idée que, si l'on fait cela, il se pourrait qu'ils ne soient plus représentés au sein de la Commission à un moment donné - à un moment donné - donc pas définitivement, et que tout tourne autour de cela. Alors du coup, il y a des différences. Plusieurs pays sont prêts à considérer le chiffre proposé par la France, et qui est d'ailleurs le chiffre proposé par la Commission. Il paraît que la Commission elle-même a dit qu'il y avait dix ou douze fonctions à assumer. C'est ce que nous disons exactement. Mais cette idée-là progresse.
Q - Et progresse jusqu'où Monsieur ?
R - Je vous dirai cela à Amsterdam.
Q - Je compte dix petits Etats membres qui veulent garder leur commissaire et j'entendais tout à l'heure que la position de la Commission était acceptable, donc la France n'est pas vraiment suivie.
R - Ce n'est pas comme ça que cela se présente. Je crois vous dire que les quinze pays membres ont donné leur accord à la proposition française. Ce que je peux dire, c'est que cette idée qu'il faut réduire le nombre des commissaires, sensiblement en dessous du nombre des Etats membres, c'est une idée qu'un certain nombre de pays - je dirai sans doute les plus grands mais pour une part aussi, ceux qui ont de l'ancienneté dans la maison - considèrent comme raisonnable et sérieuse. Mais en même temps, il y a en effet de la part d'un certain nombre de pays, notamment les petits pays - cela dépend lesquels, mais certains - qui tiennent un langage un peu plus nuancé que ce que vous venez d'exprimer. Ils s'inquiètent de cette idée qu'ils pourraient ne pas être autour de la table de la Commission. Et grâce au travail de négociation et de réflexion, il s'agit de concilier ces deux points de vue. La France a fait le pas maximum puisqu'elle a dit : "nous avons deux commissaires, nous voulons bien, si l'on réduit - si l'on réduit, bien sûr - imaginer un système de rotation pure et simple" dans lequel il y a donc égalité des Etats. C'est une énorme concession. L'Allemagne a exprimé un point de vue un peu plus nuancé, puisqu'elle a dit "en tout cas, cela nous est difficile de renoncer à nos deux commissaires. Il nous en faudrait au moins un, nous sommes un pays important...". Alors écoutons, discutons. Voyez là, nous entrons dans les réalités concrètes. C'est ce que je ressens. On voit bien qu'il faut faire quelque chose. Il y a une prise de conscience que cette idée de dix ou douze fonctions à remplir est raisonnable, et qu'il y a un embarras - et l'embarras est réel, je ne le conteste pas - il mérite du travail. Eh bien, travaillons !
Q - Monsieur le Ministre vous nous avez parlé, parmi divers sujets de politique étrangère de la situation au Proche-Orient. Quel rôle attribuez-vous à cette réunion de Bruxelles demain ? Est-ce que vos partenaires sont d'accord et comment l'Europe peut-elle avoir un rôle utile au moment des rencontres de Washington ?
R - Comme vous le savez, cette réunion, qui aura lieu demain à Bruxelles, est une réunion qui a été demandée par la France. C'est la France qui en a pris l'initiative parce que nous pensons que dans cette phase de crise aigüe du processus de paix il faut qu'il y ait l'action convergente de tous, y compris, cela va de soi, de l'Union européenne. C'est pourquoi nous avons demandé qu'il y ait une réunion des directeurs compétents à Bruxelles. Elle a lieu demain. J'aurais préféré qu'elle ait lieu plus tôt, mais enfin, nous pensons que l'Union européenne fait déjà un excellent travail grâce à la présence de son envoyé spécial M. Moratinos, sur le terrain, qui est, comme vous le constatez, au coeur du débat. Chaque fois je tiens à rappeler le chemin parcouru en un an. Il y a un an, l'Europe, la France, étaient en dehors de toutes ces discussions. Aujourd'hui, personne ne conteste l'utilité de l'Union européenne, le caractère positif du rôle que joue M. Moratinos en son nom et il y a de la part de l'ensemble des parties une demande adressée à l'Union européenne. Nous ferons valoir demain un certain nombre d'idées et je les exprimerai d'ailleurs tout à l'heure, car cela m'étonnerait que nous n'en parlions pas à l'occasion du dîner. Je crois qu'il serait souhaitable que la présidence de l'Union européenne adresse un message au président Clinton dans les heures qui viennent - la conclusion des travaux aura lieu demain matin -, afin de rendre nos initiatives et nos actions, celles des Etats-Unis et de l'Europe, convergentes et complémentaires. Nous souhaitons en particulier, que dans cette période, on fixe, on établisse les bases d'un nouveau départ, de façon à mettre fin à cette impasse dans laquelle se trouve le processus de paix. Quelles pourraient être les bases de ce nouveau départ ? Je crois que ce serait le fait de réitérer de la part de toutes les parties leur acceptation de se référer aux Accords signés à Madrid, Oslo, Taba. Il convient également que des mesures de confiance puissent être prises, notamment le retour, en ce qui concerne le blocus imposé à Gaza et à la Cisjordanie, à la situation qui prévalait il y a quelques semaines avant l'attentat de Tel Aviv, et la suspension des confiscations innacceptables des cartes d'identité des Palestiniens de Jérusalem. Il faudrait naturellement que l'on s'engage à suspendre les travaux de Har Homa et que, de leur côté, les Palestiniens confirment leur engagement à renforcer le dispositif de lutte contre le terrorisme. Je pense qu'il faut trouver un certain nombre de faits concrets qui permettent de rétablir la confiance entre les parties et de faire redémarrer le processus de paix. Rien n'est plus dangereux que l'impasse dans laquelle on se trouve. Elle comporte de grands risques pour l'ensemble des parties. Comme on le voit, lorsque le processus de paix s'arrête, la violence reprend. La sécurité et la paix vont de pair.
Q - Pour revenir à la CIG, si j'ai bien compris, ici cela ne sera pas plus qu'une revue d'effectifs...
R - Vous savez, de toutes façons, un conclave n'est pas un lieu de décisions. C'est un lieu où on travaille. Il est probable que sur ces questions qui sont des questions très importantes, la négociation ne s'achève qu'à Amsterdam. Mais la France exprime ses vues avec la clarté et la sérénité qui nous viennent notamment du fait que nous avons la conviction de défendre l'intérêt général. Nous parlons de la Commission. Dans cette affaire de Commission, nous exprimons, je crois, la agesse même. Comment élargir l'Union si on n'a pas mis au point auparavant un dispositif raisonnable, pratique pour la Commission, qui lui permette d'être, non pas je ne sais quel organe intergouvernemental, mais d'être ce qu'elle a toujours été, dans l'esprit de ses fondateurs, c'est-à-dire un organisme sui generis qui a joué un rôle extrêmement important dans la construction de l'Europe. Donc nous sommes extrêmement sereins, et je vous le rappelle, nous sommes disponibles parce qu'il y a certainement des solutions raisonnables à tout cela.
Q - Sur le système de rotation, la France soumet-elle des propositions précises ?
R - Oui, nous avons dit des choses simples. Nous sommes prêts - sur la base d'une Commission restreinte - à dire que nous organisons un système de rotation qui devra être ouvert. D'autres Etats soulèvent des questions, regardons-les ; il y a peut-être d'autres formules.
Q - Vous pensez qu'à l'issue de la réunion il y aura un calendrier plus clair des prochaines étapes jusqu'à Amsterdam ?
R - Je crois que sur tout cela la présidence a des idées. Elle a envisagé un sommet fin mai, et un conclave auparavant. Ce sur quoi tout le monde est tombé d'accord, lors de mon intervention, c'était qu'on ne pouvait pas reporter les affaires institutionnelles de semaine en semaine, de mois en mois, avec l'idée que ce serait l'affaire des chefs d'Etat et de gouvernement. Je remercie une fois encore la présidence d'avoir mis cette affaire sur la table. Pourquoi ? En fait on peut dire aux chefs d'Etat et de gouvernement qu'il faut répondre à deux questions : est-ce dix commissaires ou bien est-ce vingt-cinq ? On peut leur dire qu'il faut décider entre ces deux alternatives. Les chefs d'Etat peuvent évidemment faire ça. On peut demander aux chefs d'Etat et de gouvernement de dire que la présidence de la Commission a telle ou telle autorité nouvelle sur les commissaires. On peut demander aux chefs d'Etat et de gouvernement de prendre des décisions. Elles doivent avoir été préparées, limitées, de telle sorte que le débat soit simple, sinon les chefs d'Etat et de gouvernement ne sortiront pas de la salle d'Amsterdam avec une décision, je vous l'annonce à l'avance. J'en suis persuadé. Ils prendront une décision générale, et ils diront aux ministres : arrangez-nous cela. C'est-à-dire qu'on repartira de zéro. Je crois que tout le monde est bien d'accord, la présidence la première d'ailleurs, et c'est pour cela qu'elle met le sujet sur la table. Elle cherche en effet à cerner le débat et faire avancer les choses.
Q - Qu'est-ce que vous prévoyez ce soir quant à la discussion sur la Chine ?
R - Qu'est-ce que vous voulez que je prévoie avec la Chine ?
Q - Sur le problème des Droits de l'Homme...
R - Ce sera sûrement très intéressant. Mais, je ne sais pas encore de quoi on parlera. Enfin, je suis disponible.
Q - Que pensez-vous de l'attitude de la présidence néerlandaise qui dit je bloque le dépôt d'autres résolutions, que ce soit, en ce qui concerne l'Iraq, l'Iran....
R - Cela pose un problème de principe. En fonction de règles démocratiques constantes, absolument constantes, la présidence met en oeuvre les décisions prises par les quinze ministres de l'Union européenne. Le mois dernier il n'y avait pas de position de l'Union européenne sur la question des Droits de l'Homme, puisque nous avions décidé de reporter notre décision.
Q - On nous dit que le texte avait été accordé....
R - Alors là, vous me prenez en défaut, c'est possible, je ne sais pas, je n'ai pas suivi malheureusement ce qui avait été dit. Cela avait été un discours qui n'était certainement donc pas en contradiction avec l'état des réflexions de l'Union européenne.
Q - Pour revenir sur le Proche-Orient, ce message que vous souhaitez envoyer au président Clinton, est-ce que vos partenaires sont d'accord ?
R - Oui, je n'ai pas fait de sondage, mais vous savez l'Union européenne a toujours été sur une même ligne depuis maintenant 20 ans, s'agissant du Proche-Orient. Je suis confiant.
Je crois que c'est le moment pour l'Union européenne. Je peux vous dire que les contacts que j'ai avec mes partenaires au Proche-Orient, me démontrent qu'il y a une vraie attente à l'égard de l'Union européenne. Elle a toujours été présente, elle s'est toujours exprimée dans les moments importants. Aujourd'hui elle est présente dans le processus. Je pense à la destination de son envoyé spécial. C'est le moment qu'il y ait une initiative européenne qui fasse suite à la proposition française.
Q - Le message pour le président Clinton sera-t-il envoyé demain ?
R - Le message sera envoyé lorsqu'il aura été établi.
Q - Par les directeurs politiques ?
R : Oui. Vous savez c'est un conclave, ce n'est pas un Conseil. Nous ne prenons
pas de décision.....
Q - Pour revenir au conclave sur la CIG, sur l'UEO, sur le chapitre sur
l'emploi, vous avez déjà des choses à nous dire ?
R - Non, il y a une position d'un certain nombre de pays sur les liens entre l'Union européenne et l'UEO qui est exprimée par M. Kinkel. On verra ce qui va se passer. En tout cas le climat est très agréable, détendu, et je trouve, intéressant. On fait du bon travail.
La France est dans cette affaire extrêmement sereine
J'aimerais simplement vous commenter nos derniers travaux depuis hier soir. Nous avons hier soir parlé assez longuement des questions intéressant la Politique étrangère et de sécurité commune. En réalité, on ne s'est concentré que sur une seule question, c'est-à-dire sur la proposition d'origine franco-allemande, mais qui a été reprise par la présidence, d'imaginer un mécanisme dit de "stratégie commune" qui permettrait à certaines questions de politique étrangère d'être délibérées et décidées à la majorité qualifiée. Le système, vous le connaissez, c'est un dispositif dans lequel, sur des questions précisément choisies, le Conseil européen arrêterait une stratégie commune, c'est-à-dire choisirait un sujet, fixerait des objectifs, dans le détail qu'il souhaiterait, fixerait le cas échéant un calendrier. Ces décisions seraient évidemment prises à l'unanimité, mais ensuite les ministres des Affaires étrangères auraient la possibilité d'en adopter les modalités d'application à la majorité qualifiée. Je voudrais bien préciser - puisque même dans le débat, tout cela ne paraissait pas d'une grande clarté - que c'est autant la proposition de la présidence, que celle de la France et de l'Allemagne. Il s'agit d'un outil supplémentaire mis à la disposition de l'Union européenne en matière de politique étrangère qui ne se substitue pas aux autres. Autrement dit, les travaux de politique étrangère de l'Union européenne pourraient continuer sur les bases actuelles, mais il y aurait la possibilité d'utiliser en plus cette technique nouvelle. Cela ne remplace donc pas les dispositions existantes dans le Traité. Cela s'y ajoute. Et c'est une modalité, je crois assez ingénieuse, assez pratique et assez conforme à ce qui est souhaitable. Face à une proposition de ce genre, je ne voudrais pas que vous ayez - parce qu'il y a peut-être eu des commentaires qui vont dans ce sens - une mauvaise impression. Il y a bien entendu quelques pays qui ne voudraient pas renoncer à l'unanimité, en matière de politique étrangère. Donc des pays qui ne voudraient pas de progrès en cette matière. Il y a quelques autres pays qui, au contraire, voudraient que toutes les décisions de politique étrangère puissent être prises à la majorité qualifiée. Il m'a semblé qu'en dépit de ces observations évidemment contraires, le dispositif proposé était au fond le dispositif moyen, le point d'équilibre le plus raisonnable. Et donc, bien que le débat n'ait pas été conclusif - l'objet de ce conclave n'était pas de conclure, mais il était d'éclairer les uns et les autres, et en particulier la présidence dans le travail qu'elle doit désormais poursuivre dans la perspective d'Amsterdam - il m'a semblé que, dans cette perspective, cette proposition représentait un point moyen, un point d'équilibre, qui somme toute serait probablement acceptable par les uns et par les autres, acceptable par ceux qui veulent plus de majorité qualifiée, comme étant ce qu'ils peuvent obtenir de mieux, et acceptable par ceux qui sont attachés au principe de l'unanimité en matière de politique étrangère, parce qu'une stratégie commune devrait d'abord être adoptée à l'unanimité par les chefs d'Etat et de gouvernement. Donc, ils auraient, à ce stade, la possibilité d'en contrôler le contenu, de s'y opposer le cas échéant, et même de faire en sorte que les modalités de cette stratégie commune éventuelle soient poussées dans un détail qui leur conviendrait. En dépit de grosses différences d'appréciation qui subsistent, il y a là quelque chose qui n'est pas très loin du point d'équilibre possible, voire probable, au terme des discussions. Voilà le premier point.
Ensuite, parlant toujours des questions de la CIG, nous avons évoqué ce matin la question de la pondération des voix. Là encore naturellement, vous pourriez dire que l'on n'a pas pris de décision, que tout est bloqué, et qu'il n'y a pas de changement. Je ne crois pas que ce soit tout à fait vrai. Je dois noter que la présidence néerlandaise - qui se confirme être une excellente présidence - pose les mêmes questions, anime très bien le débat, de sorte que l'on voit des progrès, des mouvements. Au lieu que chacun se cantonne à faire ce que nous avons fait pendant de longs mois, c'est-à-dire un tour de table, dans lequel les quinze Etats membres répètent inlassablement les mêmes propos convenus, rédigés par leurs diplomates, on se trouve enfin dans une vraie discussion. Les positions sont connues : il y a ceux, qui, comme la France, insistent sur le fait qu'il n'est pas possible d'aborder la phase d'élargissement dans une situation - phase d'élargissement qui est entièrement nouvelle, qui ouvre une étape complètement nouvelle de l'Union européenne - dans laquelle on irait vers des blocages croissants. On aurait alors un système dans lequel les décisions se prendraient toujours à l'unanimité. Et en effet, il n'y aura pas de changement sur ce point, s'il n'y a pas de changement sur la pondération, et par conséquent on s'acheminerait vers une Europe, certes élargie, mais bloquée, progressivement paralysée, une Europe qui ne décide rien. Donc il y a cette autre position qui dit : dans ces conditions, il faut envisager une nouvelle pondération qui prenne mieux en considération le poids respectif des nations. Il ne s'agit pas d'ailleurs d'une innovation mais plutôt de revenir, au moins pour une part, à la situation antérieure. Je vous rappelle que lorsqu'on était six, il fallait 70% de la population pour avoir la majorité qualifiée. Il ne s'agit pas de changer la règle de la majorité qualifiée, c'est un point très important, il n'était pas très clair ce matin dans l'esprit de certains de mes collègues. Il ne s'agit pas de changer la règle, il s'agit de modifier le poids de chaque pays dans le calcul de la règle. Quand on était six, c'était 70%. On ne pouvait pas prendre de décision sans les grands Etats. On est descendu progressivement à 58% et si on continue à élargir on va finir par se trouver à 50%. Ce n'est pas une majorité qualifiée. Notre position consiste à faire une partie du chemin. Et puis, il y a ceux qui sont attachés, naturellement, à ne rien changer, parce qu'ils ont peur de l'avenir. Mais entre l'affirmation de ces positions et le débat tel qu'il a lieu, je constate qu'il y a - comme il y avait sur la Commission - un débat complexe, un débat difficile, mais une prise de conscience que les questions en effet se posent. On ne peut pas les éluder parce que ce sont des questions raisonnables. Ce sont des questions sages, ce sont des questions inspirées par une idée positive de l'Europe qui doit être capable de continuer à avancer, donc à prendre des décisions, dans lesquelles les peuples aussi doivent se reconnaître. Certains pays nous disent : "nous avons le problème d'acceptabilité politique. Comment présenterons-nous cela devant nos peuples ou nos parlements ?". Si je dois revenir en disant : " Il n'y a pas de changement ", j'aurais moi-aussi les mêmes problèmes. Et donc ces questions sont sérieuses. La présidence a dit qu'il fallait alors répondre à la question : "préférez-vous un système de double majorité ou un système de repondération ?". J'ai répondu que nous préférions de très loin un système de repondération, d'abord, parce qu'il est simple, ensuite, parce qu'il est plus efficace. Une double majorité rend les décisions encore plus complexes, puisqu'il faut non seulement remplir la première condition de la majorité actuelle, mais en plus une deuxième. Donc évidemment on prendra encore moins de décisions. Alors que ces deux critères d'efficacité et simplicité - qui sont les critères invoqués par la présidence - penchent très nettement en faveur de la repondération. Et j'ai prêché que l'on pouvait trouver sur ce sujet une solution raisonnable, acceptable par tout le monde, inspirée par l'objectif de la sagesse européenne, qui ne cherche pas à imposer certains contre d'autres, mais qui cherche plutôt à rendre les décisions meilleures. Et d'ailleurs il ne faut jamais oublier quelque chose de très simple mais de très fondamental, c'est que jamais les décisions ne sont prises au sein de l'Union européenne contre les petits. Il n'y a pas un seul exemple dans l'Histoire européenne qui puisse dire : "il y a eu des décisions dans lesquelles il y avait les grands d'un côté et les petits de l'autre ". C'est toujours une combinaison complexe dans laquelle il y a des grands, des petits, des moyens d'un côté, et des grands, des moyens, des petits de l'autre. C'est un avis ou un autre, c'est le débat normal. Et encore une fois, même si en effet on ne peut pas arriver à une conclusion - et je répète ce n'était pas le lieu pour arriver à une conclusion, c'était le lieu d'essayer d'avancer, d'éclairer la présidence, de voir comment celle-ci pourrait rapprocher les points de vue, resserrer le débat, - il me semble qu'il y a un certain progrès et en tout cas, une prise de conscience assez évidente que cette question se pose et demande à être résolue. Comment, je ne le sais pas encore. C'est pourquoi je salue la présidence, parce que sa méthode de travail est bonne. Parce qu'enfin, on traite les questions cruciales du Traité. J'ai trouvé qu'en les traitant, en ne les fuyant pas - comme on l'a fait jusqu'à présent - on finira par trouver des solutions positives, j'en suis personnellement persuadé. Voilà pourquoi je pense que, sur ces questions qui ont été traitées, la Commission (hier après-midi je vous en ai déjà parlé), la politique étrangère hier soir, et la repondération des voix au Conseil ce matin, cette réunion de travail a été utile et positive.
Q - Tant sur le plan de la pondération des voix que sur la Commission, manifestement il n'y a pas d'accord franco-allemand. Est-ce que vous pensez qu'on va pouvoir réunir ces différences, ces divisions ?
R - Je vous ai dit, c'est comme toujours dans la vie : on peut mettre l'accent sur les différences ou sur les proximités. On peut considérer que le verre est à moitié vide ou à moitié plein. Vos lecteurs sont plus intéressés par la mise en évidence d'une difficulté que par la recherche d'une proximité. D'une manière générale, une bonne nouvelle n'est pas une nouvelle, ça je l'ai bien compris. Et je crois que - même si je ne veux pas contester certains éléments de votre analyse - l'analyse globale n'est pas bonne. Votre conclusion globale n'est pas la bonne. Qu'il y ait des différences d'appréciation entre les Français et les Allemands sur un sujet c'est prévu pour, c'est très fréquent. Dans l'Histoire de l'Europe, la France et l'Allemagne sont très souvent parties d'analyses différentes et sont toujours arrivées à des conclusions communes. Et vous verrez que ce sera pareil sur ces sujets-là. D'ailleurs, j'ai écouté avec beaucoup de soin Klaus Kinkel hier. Nous avions eu une conversation en tête à tête avant cette réunion et je crois qu' il n'y a pas de heurt de deux thèses, la thèse allemande contre la thèse française. Au contraire, il y a des dispositions ouvertes des uns et des autres, et Klaus Kinkel avait été, à l'origine, favorable à ce système de double majorité. Mais, nous, nous avons toujours été favorables au système de la repondération. Nous allons voir. Je crois qu'aujourd'hui Klaus Kinkel s'est exprimé de façon très ouverte. Donc, je ne veux pas gommer les choses. Je dois dire d'ailleurs que je n'y arriverais pas devant des experts aussi avisés que vous. Mais je ne crois pas qu'on puisse dire : "il y a des divergences franco-allemandes, il y a des problèmes franco-allemands ".
Q - Vos vues sont tout de même différentes sur le rôle que doivent avoir les grands pays et les petits pays. On a le sentiment qu'en Allemagne, on redoute ce qui pourrait sembler un directoire des grands, alors que somme toute, la France elle, semble....
R - Non, pas du tout, vous avez tout à fait tort. Je le répète, il n'y a pas l'idée que l'Europe marcherait parce que les grands imposeraient l'allure, les choix, les orientations contre les petits, qui en auraient une autre idée. Aucune décision européenne n'a jamais été prise selon cette configuration. Jamais. Si vous prenez n'importe quel sujet, la politique agricole commune, les questions budgétaires, les fonds régionaux et sociaux, la politique étrangère, les questions de défense, dans tous les cas, vous verrez que sur chacun de ces sujets, il y a d'un côté un certain nombre de pays - un certain nombre, évidemment - et la décision consiste à se rapprocher. Mais dans les deux groupes, vous avez les grands et les petits. Vous savez, sur les questions de l'UEO, vous avez la Grande-Bretagne d'un côté, la France et l'Allemagne de l'autre. Ce sont de grands pays. Donc, il ne s'agit pas d'avoir dans l'idée un directoire des grands. Nullement, en aucune façon. Ce ne serait acceptable pour personne, évidemment que non. Et ce ne serait même pas envisageable, parce que cela ne se présente pas comme ça. La géographie politique, en quelque sorte, montre que l'Europe n'est pas fondée sur une distinction entre les grands et
les petits.
Q - Dans l'optique d'Amsterdam, si les pays continuent à tenir des propos
divergents....
R - C'est-à-dire, si on ne fait rien ?
Q - l'UEO a été citée par exemple...
R - Naturellement, on voit bien la ligne de pente naturelle. Pour s'entendre, le plus simple est de ne rien décider. C'est une situation habituelle et si on veut changer quelque chose, c'est plus complexe. Mais je partage tout à fait le point de vue que l'on peut parvenir à une conclusion à Amsterdam. Pour l'instant, je ne vois pas qu'il y ait d'obstacle afin d'aboutir à des conclusions à Amsterdam. Et donc la France travaille en vue d'une fin de la Conférence intergouvernementale à Amsterdam. Franchement, comme je vous l'ai dit hier, nous sommes très sereins, nous pensons que c'est un objectif qui est à notre portée. Mais naturellement, cela supposera que chacun mette du sien. Nous ne pouvons pas imaginer que nous choisirons les uns et les autres de ne rien décider. Alors s'agissant de l'UEO, effectivement il y a un désaccord, je pense qu'il faut en parler, il faut rechercher les solutions qui tiennent compte des préoccupations des uns et des autres.
Q - Michel Barnier a bien envisagé il y a quelques jours la continuation, au-delà d'Amsterdam, de la CIG...
R - C'est possible mais cela n'est pas notre souhait, et ce n'est pas notre hypothèse de travail.
Q - Et le débat sur l'UEO ?
R - Il n'a pas eu lieu. Je le répète, il est beaucoup plus facile de ne pas prendre de décision. Et il faudra bien en prendre. J'en ai parlé hier, je ne vais pas recommencer à en parler aujourd'hui. Mais, j'ai eu le même sentiment que, s'agissant de la repondération -qui est un cas difficile- qui correspondait à l'intérêt général de l'Union européenne de ne pas avoir une Commission pléthorique, et qui va le devenir de plus en plus au fur et à mesure des élargissements. On ne pourra pas modifier les choses quand on aura fait l'élargissement, car ce qui était déjà difficile à décider à quinze va devenir impossible ultérieurement. Donc il faut le faire pour que ce soit raisonnable. Et la base sage et raisonnable consiste à rendre à la Commission son origine. Ce n'est pas très simple, parce que là aussi un certain nombre d'Etats voudraient garantir leur présence au sein de la Commission, cependant la France n'est pas dans ce cas. Mais dès lors qu'on a une très forte réduction du nombre des membres de la Commission - nous avons dit dix dans un premier temps, douze après l'élargissement - nous serons prêts à admettre l'idée qu'il n'y aurait des droits pour personne, y compris pour la France, à avoir un siège en la circonstance.
Q - Mais si le Conseil décide du nombre de portefeuilles, comment est-ce compatible avec la volonté du Conseil - affichée d'une manière assez générale - de renforcer les pouvoirs du président de la Commission ?
R - En effet, il faut préciser ce point. Il appartient au Conseil de fixer, c'est inscrit dans le Traité, le nombre des commissaires. Dix ou plus. Mais nous ne demandons pas qu'on fixe la liste des portefeuilles dans le Traité, parce que les affectations des portefeuilles peuvent varier d'une Commission à l'autre, sous la responsabilité de la présidence, de la Commission, en fonction de personnalités choisies, comme on compose un gouvernement. Dans un gouvernement, vous avez des postes qu'on retrouve toujours, l'Intérieur, les Affaires étrangères, les Finances. Ensuite, vous pouvez varier les configurations.
{^#200>^Chine - Droits de l'Homme - Situation au Proche-Orient -
Etats-Unis^}
Q - Sur la question des Droits de l'Homme en Chine...
R - Quel est le problème ? Je vais vous dire, c'est d'une grande simplicité. J'ai fait observer - petit détail au passage - que sur cette affaire de Droits de l'Homme en Chine, j'ai dit à mes collègues que quatre pays avaient une position sur ce sujet, quatre, pas un. La France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Cela fait 240 millions d'habitants ; rapporté à 350. C'est-à dire les deux tiers. Donc cela n'est pas une minorité, peut-être une minorité de pays, mais une très large majorité de la population représentée autour de la table. Ensuite, prenons cet exemple précis : première question, y aurait-il eu ou non une stratégie commune ? S'il y en avait eu - il aurait pu ne pas y en avoir - cela aurait dépendu des chefs d'Etat et de gouvernement. S'ils l'avaient décidé - ils n'étaient pas obligés de le faire, les actions communes ne couvrent pas tout le champ de la politique étrangère - ils l'auraient décidé avec un certain contenu, ils se seraient entendus sur un certain nombre de règles, un certain nombre de points plus ou moins détaillés. Donc je ne sais pas ce qu'ils auraient décidé. Mais s'ils l'avaient fait, on aurait pris des décisions aussi importantes au sein du Conseil Affaires générales, à la majorité qualifiée. Ce n'est pas plus compliqué que cela.
Q - Donc là, par exemple, il aurait pu y avoir un vote.
R - Il eut fallu qu'il y ait d'abord une stratégie commune adoptée à
l'unanimité par les chefs d'Etat.
Q - Pour ces questions, il pourrait y avoir une minorité de blocage...
R - Oui, c'est un exemple qui nous montre comment cela fonctionne. On prend un sujet, on décide ou non. Si on ne décide pas, on continue à faire comme avant au Conseil Affaires générales. Les ministres des Affaires étrangères prennent constamment des décisions de politique étrangère. Mais s'ils avaient décidé une stratégie, son contenu aurait été X ou Y, je l'ignore. Si aujourd'hui on me demandait d'établir une stratégie sur la Chine, je ne serais pas contre. Simplement elle aurait un contenu dans l'esprit de la France, et ensuite dans ce cadre-là on aurait pu prendre des décisions dans lesquelles les Pays-Bas auraient été mis en minorité.
Q - Comment envisager une stratégie sur la Chine, sachant qu'elle n'est pas
bloquée sur dix ans, sur vingt ans, et qu'on a envie de changer de stratégie ?
R - Oui, mais cette stratégie, rien ne vous dit à l'avance qu'elle sera fixée
dans le marbre pour l'éternité.
Q - Si, effectivement elle sera dans le marbre pour l'éternité, puisqu'il
faudra l'unanimité...
R - Mais ne prenez pas, à l'avance, les chefs d'Etat et de gouvernement pour
plus bêtes qu'ils ne sont.
Q - Mais cette unanimité pourrait bloquer toute la politique étrangère...
R - Oui, mais ce que je voudrais vous dire c'est que, dans leur infinie
sagesse, les chefs d'Etat et de gouvernement définissent une stratégie commune
dans un délai donné. Pour un délai donné. Par conséquent, au terme de ce délai,
il faut la renouveler.
Q - Est-ce qu'il s'est dégagé quelque chose de commun au niveau du
Proche-Orient ?
R - Oui, comme vous le savez, la France a demandé la réunion des experts chargés des questions intéressant le Proche-Orient, aujourd'hui même à Bruxelles. C'est une réunion qui se tient ce matin, et à la demande de la France. La France y arrive avec des propositions précises, suggérant que l'Union européenne est à un moment crucial, où elle doit exprimer son opinion et agir pour encourager la reprise du processus de paix, à un moment de crise aiguë, et de perte grave de confiance des différentes parties au débat. Il s'agit donc de prendre un certain nombre de mesures, nous proposons un paquet de mesures. M. Moratinos a appelé cela un code de conduite, cette expression me convient bien. Nous suggérons que nous devrions exprimer notre position aux parties, c'est-à-dire les parties israélienne et palestinienne, et que l'Europe devrait proposer aux Etats-Unis, par exemple par une lettre du Premier ministre néerlandais, car les Pays-Bas sont en charge de la présidence, au président Clinton en vue d'organiser une action concertée de l'Europe et des Etats-Unis, à laquelle il me paraîtrait sage d'associer la Russie, co-parrain du processus de paix : une action de pression et de conviction auprès des deux parties pour une reprise du processus de paix. Ce scénario général m'a paru rencontrer l'assentiment général. Ce sont les experts qui travaillent sur le calendrier le plus adapté, mais la position de la France est très claire : il est temps pour l'Union européenne d'agir, à la fois parce que le processus de paix israelo-palestinien connaît une crise grave et parce qu'il y a une situation dans laquelle l'Europe est désormais attendue.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2001)