Texte intégral
R. Elkrief Certains ont dit ce matin que le style Raffarin était un peu l'anti-Juppé, l'anti-Fabius. Vous appréciez ?
- "Je n'ai pas entendu cela. J'ai évidemment entendu le discours ; il y a le fond, et il y a la forme. Sur la forme, j'ai trouvé cela - pour le spectateur que j'étais - assez long..."
Oui mais sur les mots, un peu anti-techno ?
- "Cela fait partie du langage convenu, mais j'ai trouvé cela long, parce qu'au-delà de 45 minutes, on n'écoute plus. En plus, à l'Assemblée, on est mal assis, on a mal aux fesses... C'était trop long. Mais il y a une excuse ou une explication à cela, qui est que d'habitude, le Premier ministre dans son discours de politique générale, ne fait que résumer ce qu'a dit le président de la République pendant la campagne présidentielle, et ce sur quoi il a été élu. Là, cela s'est passé autrement, parce que Chirac n'a pas été élu sur son programme, il a été élu contre l'extrême droite. Donc, il revenait à Raffarin de définir le programme sur lequel il avait été jugé. C'est son explication ou son excuse. Sur le fond - et c'est cela l'essentiel -, beaucoup de choses convenues : les attaques contre l'administration, contre les fonctionnaires, la défense de la simplification, etc... Mais ce qui m'a frappé en particulier, ce sont quatre impasses. La première impasse, c'est celle dont parlait A. Duhamel - et on va revenir là-dessus pendant cinq ans -, c'est l'Europe. Il n'y avait quasiment rien sur l'Europe dans le message de monsieur Chirac la veille, et là, cela fait une minute et demi sur une heure et demi. Ce n'est même pas une question de temps : l'Europe, on va la rencontrer tout le temps. Et on ne sait pas quelle est la position du Gouvernement français là-dessus. Donc, je mets déjà en garde : on va avoir ce problème européen massif dans les cinq ans qui viennent. La deuxième impasse, c'est sur l'innovation. C'est un Gouvernement qui se dit voulant être tourné vers le futur : pas un mot sur les biotechnologies, pas un mot sur les nouvelles technologies..."
Mais on ne peut pas parler de tout !
- "On ne peut pas parler de tout, mais c'est fondamental si on veut avoir une France qui innove et qui crée ! Troisièmement : rien sur la régulation internationale. On en parlera peut-être avec l'histoire Vivendi, l'histoire Messier. Mais enfin, c'est fondamental ! Et en ce moment, les gens sont peut-être plus préoccupés de ce qui se passe à Vivendi que du discours de Raffarin. Et quatrième point : c'est tout ce qui concerne le renouveau démocratique. On a vu quand même dans les élections que les gens voulaient de nouveaux éléments pour participer..."
Il propose la décentralisation...
- "La décentralisation, c'est une chose très intéressante. En tant qu'homme de gauche, je ne vais pas lui faire le reproche d'y venir. Il y a quelques années, la droite était vent debout contre la décentralisation, maintenant, on retrouve ce thème. Donc, très bien. Mais la question reste entière, parce que quelle décentralisation va-t-on faire ? Le grand problème de la décentralisation, c'est qu'il faut à la fois rendre les décisions plus proches du terrain, mais [aussi] garder la solidarité, sinon c'est l'injustice à l'état pur. Et cela, on ne le sait pas."
J'ai noté aussi quelques éléments qui ont pu vous convenir, vous intéresser : vous ne cachiez pas, quand vous étiez ministre de l'Economie, que vous étiez favorable à l'ouverture du capital d'EDF-GDF. Pendant que la réforme de la loi de modernisation sociale sur les licenciements a été votée pour faire plaisir au Parti communiste, vous laissiez entendre en même temps une petite musique qui disait qu'elle était un peu trop contraignante pour les entreprises. Les retraites, etc... Il y a quelques éléments.
- "Prenons ces points..."
Non, on ne va peut-être pas les prendre l'un après l'autre...
- "Si, parce qu'on ne peut pas faire la question sans attendre la réponse. En ce qui concerne les retraites, non : j'ai toujours dit que le pilier même de la retraite devait être la répartition. Et là, on verra. Je ne veux pas faire de procès d'intention, mais j'ai le sentiment que le Gouvernement cherche quand même à diminuer la répartition par rapport à la capitalisation. On verra bien. Sur la loi de modernisation sociale, il y a plusieurs aspects dans cette loi..."
Sur le durcissement des licenciements...
- "Il y a des choses qui sont excellentes, notamment tout ce qui est redéveloppement des territoires, obligations de prendre en compte les intérêts des salariés. Simplement, il y avait un problème d'hésitation juridique. J'avais dit, personnellement, qu'il y avait des choses qui me paraissaient tellement complexes que cela pouvait paralyser ; on va voir ce qui est proposé. Quant aux entreprises dont Raffarin, d'ailleurs, n'a pas cité le nom, EDF et GDF, je fais une distinction entre les deux. D'abord, nous, les socialistes, ne sommes pas favorables à la privatisation : la privatisation, c'est descendre en dessous de 50 % du capital. Sur GDF, je pense qu'il y a des possibilités d'ouverture du capital. En revanche, sur EDF, le Gouvernement, s'il va dans le sens qu'il a dit hier, s'engage dans une direction sans issue, et qui va créer des réactions extrêmement dures, y compris dans l'entreprise."
Parlons de Vivendi, le feuilleton qui passionne et qui pose un certain nombre de questions. J.-R. Fourtou a remplacé J.-M. Messier hier soir, on parle d'une indemnité de départ pour J.-M. Messier de 19 millions d'euros. Comment appréciez-vous cette...?
- "Cela choque énormément de monde. Quand vous voyez la différence de traitement - dans tous les sens du mot "traitement" -, entre d'un côté, les dirigeants, les chefs d'entreprise qui ont quand même failli - parce que c'est un échec stratégique lamentable - , et d'autre part, le traitement des salariés - 380 000 salariés dans ce groupe - et des actionnaires, dont beaucoup ont vu leurs actions complètement s'effondrer, c'est extrêmement choquant. Il y a trois grands chocs dans cette affaire, qui est une espèce de mauvais film de Hollywood, qui finit d'ailleurs très mal. D'abord, un groupe magnifique risque d'être démantelé avec des conséquences extrêmement lourdes pour les salariés et pour les actionnaires ; cela ne se fait pas par hasard, il y a eu des défaillances stratégiques, il y a eu des insuffisances de contrôle, il y a eu beaucoup d'arrogance. Deuxièmement : un énorme contraste très choquant entre les traitements des uns et des autres et une image de la France et de la réalité économique française qui est désastreuse. Cela va avoir des répercussions économiques, non seulement sur ce qui se passe en Bourse, mais [aussi sur] ce qui se passe sur les entreprises. Que va devenir Vivendi Environnement ? Que va devenir Canal Plus ? Que va devenir Cégétel ?
Quand vous étiez ministre de l'Economie - ce n'est pas si vieux, il y a à peine deux mois -, vous étiez informé d'un certain nombre de dérapages, de dérives ? Dans ces cas-là, intervient-on ? Passe-t-on des messages quand on sent que cela peut déraper et en arriver là ?
- "Bien sûr, pour autant qu'on a l'information. J'ai vu des dirigeants, dans la période récente, à deux reprises, pour leur dire ce que je pensais."
...J.-M. Messier lui-même ?
- "Oui. Premièrement, lorsque ce projet qui, stratégiquement, était intéressant - rapprocher la partie environnement, la partie Canal Plus et de se présenter en Amérique... -, là, Messier est venu voir à la fois Jospin, moi-même et d'autres pour dire : voilà ce que j'entends faire stratégiquement. Et cela avait un sens stratégiquement, à condition bien sûr, que l'affaire soit menée sans boulimie. La deuxième fois, - j'avais dit à monsieur Messier directement ce que j'en pensais -, c'est lorsque pris à la gorge par des opérations financières - la rumeur m'était venue à l'oreille qu'il voulait vendre Vivendi Environnement, c'est-à-dire tout ce qui est l'eau, etc... -, je lui avais dit, même si je n'avais pas de possibilités juridiques, que le Gouvernement français n'accepterait pas."
Vous étiez intervenu en quelque sorte. Au Parti socialiste, il y a eu une sorte de fronde "TSF" : cela s'appelait "Tout sauf Fabius", quand il a été question que vous soyez porte-parole...
- "Cela a été très efficace, puisque maintenant, je suis numéro deux du Parti socialiste. Je voudrais revenir en arrière, parce que je ne voudrais pas qu'on oublie l'essentiel : dans le propos de monsieur Raffarin hier, deux choses me frappent : d'une part, on voit des contradictions évidentes entre les promesses d'avant l'élection et ce qui arrive maintenant, - notamment sur le pouvoir d'achat : beaucoup pensaient que cela allait s'améliorer, ce n'est pas le cas. Et il y a des contradictions énormes, quand on vous dit qu'on va à la fois augmenter les dépenses, réduire les recettes et diminuer les déficits..."
C'est ce que vous aviez dit pendant la campagne : "il n'y arrivera pas".
- "Oui, et c'est ce qu'on est en train de constater."
On reparlera du Parti socialiste la prochaine fois.
- "Volontiers. Quand vous voulez."
Vous n'avez pas été blessé par ce qui s'est passé ?
- "Non. Il y a une vertu qui est très importante en politique, et malheureusement trop rare, c'est l'humour."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 juillet 2002)
- "Je n'ai pas entendu cela. J'ai évidemment entendu le discours ; il y a le fond, et il y a la forme. Sur la forme, j'ai trouvé cela - pour le spectateur que j'étais - assez long..."
Oui mais sur les mots, un peu anti-techno ?
- "Cela fait partie du langage convenu, mais j'ai trouvé cela long, parce qu'au-delà de 45 minutes, on n'écoute plus. En plus, à l'Assemblée, on est mal assis, on a mal aux fesses... C'était trop long. Mais il y a une excuse ou une explication à cela, qui est que d'habitude, le Premier ministre dans son discours de politique générale, ne fait que résumer ce qu'a dit le président de la République pendant la campagne présidentielle, et ce sur quoi il a été élu. Là, cela s'est passé autrement, parce que Chirac n'a pas été élu sur son programme, il a été élu contre l'extrême droite. Donc, il revenait à Raffarin de définir le programme sur lequel il avait été jugé. C'est son explication ou son excuse. Sur le fond - et c'est cela l'essentiel -, beaucoup de choses convenues : les attaques contre l'administration, contre les fonctionnaires, la défense de la simplification, etc... Mais ce qui m'a frappé en particulier, ce sont quatre impasses. La première impasse, c'est celle dont parlait A. Duhamel - et on va revenir là-dessus pendant cinq ans -, c'est l'Europe. Il n'y avait quasiment rien sur l'Europe dans le message de monsieur Chirac la veille, et là, cela fait une minute et demi sur une heure et demi. Ce n'est même pas une question de temps : l'Europe, on va la rencontrer tout le temps. Et on ne sait pas quelle est la position du Gouvernement français là-dessus. Donc, je mets déjà en garde : on va avoir ce problème européen massif dans les cinq ans qui viennent. La deuxième impasse, c'est sur l'innovation. C'est un Gouvernement qui se dit voulant être tourné vers le futur : pas un mot sur les biotechnologies, pas un mot sur les nouvelles technologies..."
Mais on ne peut pas parler de tout !
- "On ne peut pas parler de tout, mais c'est fondamental si on veut avoir une France qui innove et qui crée ! Troisièmement : rien sur la régulation internationale. On en parlera peut-être avec l'histoire Vivendi, l'histoire Messier. Mais enfin, c'est fondamental ! Et en ce moment, les gens sont peut-être plus préoccupés de ce qui se passe à Vivendi que du discours de Raffarin. Et quatrième point : c'est tout ce qui concerne le renouveau démocratique. On a vu quand même dans les élections que les gens voulaient de nouveaux éléments pour participer..."
Il propose la décentralisation...
- "La décentralisation, c'est une chose très intéressante. En tant qu'homme de gauche, je ne vais pas lui faire le reproche d'y venir. Il y a quelques années, la droite était vent debout contre la décentralisation, maintenant, on retrouve ce thème. Donc, très bien. Mais la question reste entière, parce que quelle décentralisation va-t-on faire ? Le grand problème de la décentralisation, c'est qu'il faut à la fois rendre les décisions plus proches du terrain, mais [aussi] garder la solidarité, sinon c'est l'injustice à l'état pur. Et cela, on ne le sait pas."
J'ai noté aussi quelques éléments qui ont pu vous convenir, vous intéresser : vous ne cachiez pas, quand vous étiez ministre de l'Economie, que vous étiez favorable à l'ouverture du capital d'EDF-GDF. Pendant que la réforme de la loi de modernisation sociale sur les licenciements a été votée pour faire plaisir au Parti communiste, vous laissiez entendre en même temps une petite musique qui disait qu'elle était un peu trop contraignante pour les entreprises. Les retraites, etc... Il y a quelques éléments.
- "Prenons ces points..."
Non, on ne va peut-être pas les prendre l'un après l'autre...
- "Si, parce qu'on ne peut pas faire la question sans attendre la réponse. En ce qui concerne les retraites, non : j'ai toujours dit que le pilier même de la retraite devait être la répartition. Et là, on verra. Je ne veux pas faire de procès d'intention, mais j'ai le sentiment que le Gouvernement cherche quand même à diminuer la répartition par rapport à la capitalisation. On verra bien. Sur la loi de modernisation sociale, il y a plusieurs aspects dans cette loi..."
Sur le durcissement des licenciements...
- "Il y a des choses qui sont excellentes, notamment tout ce qui est redéveloppement des territoires, obligations de prendre en compte les intérêts des salariés. Simplement, il y avait un problème d'hésitation juridique. J'avais dit, personnellement, qu'il y avait des choses qui me paraissaient tellement complexes que cela pouvait paralyser ; on va voir ce qui est proposé. Quant aux entreprises dont Raffarin, d'ailleurs, n'a pas cité le nom, EDF et GDF, je fais une distinction entre les deux. D'abord, nous, les socialistes, ne sommes pas favorables à la privatisation : la privatisation, c'est descendre en dessous de 50 % du capital. Sur GDF, je pense qu'il y a des possibilités d'ouverture du capital. En revanche, sur EDF, le Gouvernement, s'il va dans le sens qu'il a dit hier, s'engage dans une direction sans issue, et qui va créer des réactions extrêmement dures, y compris dans l'entreprise."
Parlons de Vivendi, le feuilleton qui passionne et qui pose un certain nombre de questions. J.-R. Fourtou a remplacé J.-M. Messier hier soir, on parle d'une indemnité de départ pour J.-M. Messier de 19 millions d'euros. Comment appréciez-vous cette...?
- "Cela choque énormément de monde. Quand vous voyez la différence de traitement - dans tous les sens du mot "traitement" -, entre d'un côté, les dirigeants, les chefs d'entreprise qui ont quand même failli - parce que c'est un échec stratégique lamentable - , et d'autre part, le traitement des salariés - 380 000 salariés dans ce groupe - et des actionnaires, dont beaucoup ont vu leurs actions complètement s'effondrer, c'est extrêmement choquant. Il y a trois grands chocs dans cette affaire, qui est une espèce de mauvais film de Hollywood, qui finit d'ailleurs très mal. D'abord, un groupe magnifique risque d'être démantelé avec des conséquences extrêmement lourdes pour les salariés et pour les actionnaires ; cela ne se fait pas par hasard, il y a eu des défaillances stratégiques, il y a eu des insuffisances de contrôle, il y a eu beaucoup d'arrogance. Deuxièmement : un énorme contraste très choquant entre les traitements des uns et des autres et une image de la France et de la réalité économique française qui est désastreuse. Cela va avoir des répercussions économiques, non seulement sur ce qui se passe en Bourse, mais [aussi sur] ce qui se passe sur les entreprises. Que va devenir Vivendi Environnement ? Que va devenir Canal Plus ? Que va devenir Cégétel ?
Quand vous étiez ministre de l'Economie - ce n'est pas si vieux, il y a à peine deux mois -, vous étiez informé d'un certain nombre de dérapages, de dérives ? Dans ces cas-là, intervient-on ? Passe-t-on des messages quand on sent que cela peut déraper et en arriver là ?
- "Bien sûr, pour autant qu'on a l'information. J'ai vu des dirigeants, dans la période récente, à deux reprises, pour leur dire ce que je pensais."
...J.-M. Messier lui-même ?
- "Oui. Premièrement, lorsque ce projet qui, stratégiquement, était intéressant - rapprocher la partie environnement, la partie Canal Plus et de se présenter en Amérique... -, là, Messier est venu voir à la fois Jospin, moi-même et d'autres pour dire : voilà ce que j'entends faire stratégiquement. Et cela avait un sens stratégiquement, à condition bien sûr, que l'affaire soit menée sans boulimie. La deuxième fois, - j'avais dit à monsieur Messier directement ce que j'en pensais -, c'est lorsque pris à la gorge par des opérations financières - la rumeur m'était venue à l'oreille qu'il voulait vendre Vivendi Environnement, c'est-à-dire tout ce qui est l'eau, etc... -, je lui avais dit, même si je n'avais pas de possibilités juridiques, que le Gouvernement français n'accepterait pas."
Vous étiez intervenu en quelque sorte. Au Parti socialiste, il y a eu une sorte de fronde "TSF" : cela s'appelait "Tout sauf Fabius", quand il a été question que vous soyez porte-parole...
- "Cela a été très efficace, puisque maintenant, je suis numéro deux du Parti socialiste. Je voudrais revenir en arrière, parce que je ne voudrais pas qu'on oublie l'essentiel : dans le propos de monsieur Raffarin hier, deux choses me frappent : d'une part, on voit des contradictions évidentes entre les promesses d'avant l'élection et ce qui arrive maintenant, - notamment sur le pouvoir d'achat : beaucoup pensaient que cela allait s'améliorer, ce n'est pas le cas. Et il y a des contradictions énormes, quand on vous dit qu'on va à la fois augmenter les dépenses, réduire les recettes et diminuer les déficits..."
C'est ce que vous aviez dit pendant la campagne : "il n'y arrivera pas".
- "Oui, et c'est ce qu'on est en train de constater."
On reparlera du Parti socialiste la prochaine fois.
- "Volontiers. Quand vous voulez."
Vous n'avez pas été blessé par ce qui s'est passé ?
- "Non. Il y a une vertu qui est très importante en politique, et malheureusement trop rare, c'est l'humour."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 juillet 2002)