Texte intégral
POINT DE PRESSE CONJOINT AVEC LE MINISTRE ISRAELIEN M.DAVID LEVY à Tel-Aviv, le 7 octobre 1999
Mesdames et Messieurs,
M. David Lévy, mon homologue et mon ami a fort bien rendu compte du climat de nos conversations, je me retrouve tout à fait dans cette description. Je suis venu ici, quelques jours après l'excellente visite de M. Barak à Paris, pour, précisément, poursuivre ce dialogue qu'il relançait d'une façon très dense, très complète et, je crois, très prometteuse. Nos amis israéliens connaissent bien l'engagement de longue date de la France dans la recherche de la paix au Proche-Orient. Nous avons défendu pendant longtemps et, parfois, avec un peu d'avance même, certaines idées sur lesquelles tout le monde travaille maintenant. Nous nous sentons donc particulièrement en phase pour échanger nos idées, pour manifester notre présence et notre disponibilité dans ce nouveau moment important du processus de paix dans ses différentes composantes. Nos amis israéliens connaissent bien d'autre part les rapports étroits que nous avons avec les Syriens, avec les Libanais, avec les Palestiniens, avec les Jordaniens, les Egyptiens. Cette présence de la France dans cette région, cette diplomatie dynamique, est une chose qui ne peut être qu'utile pour la suite des événements. Je remercie ici, devant vous, David Lévy pour l'analyse très intéressante qu'il m'a faite de l'état des choses en ce qui concerne justement le processus de paix dans ses différents volets. Je sors de cette rencontre avec un optimisme raisonnable, raisonné, en tout cas à ce stade. Pas renforcé par rapport à hier, mais certainement renforcé par rapport à il y a quelques mois. En tout cas je crois que nous allons pouvoir travailler ensemble très utilement sur ce sujet. Mais je voudrais dire devant vous que nous avons parlé d'autres sujets et que nos échanges ne se limitent pas à cette conversation très passionnante sur le processus de paix. Nous avons parlé d'autres sujets internationaux qui nous préoccupent, soit régionaux au sens large, soit mondiaux.
Et nous avons parlé également du développement de cette relation bilatérale en cette phase nouvelle. Elle a son importance en soit. Et tous les échanges entre la France et Israël ne peuvent pas être organisés qu'autour de la seule question du processus de paix, même si elle est décisive. Il y a d'ailleurs dans les mois qui viennent un ensemble de visites déjà programmées soit de ministres, soit de hauts responsables français, politiques ou économiques en Israël. C'est une très bonne chose, je crois, et naturellement leurs homologues israéliens seront les bienvenus en France. En ce qui concerne M. Lévy, il est le bienvenu quand il le souhaite.
Q - Quel doit être à votre avis le rôle de la France dans d'éventuelles négociations entre Israël et la Syrie ?
R - M. David Lévy - Naturellement, la France est intéressée à la paix, non seulement avec les Palestiniens mais avec la Syrie. Elle a un attachement historique vis à vis du Liban. Donc elle voudrait voir enfin la fin, comme nous d'ailleurs, de cette tragédie. La France peut contribuer à faire passer naturellement des messages ou ses impressions, mais aussi son voeu de voir toutes les parties faire tout ce qui est possible afin d'arriver enfin à la paix. Notre dialogue franc, tel qu'il a été et tel qu'il sera à l'avenir, j'en suis sûr, contribuera aussi à cette voie qui est aussi la nôtre.
R - M. Hubert Védrine - J'ajouterai que je suis très heureux de cette réponse parce que je suis convaincu que nous pouvons être utiles, nous n'avons pas d'autre but d'ailleurs, nous voulons être utiles à cette paix, à ce processus de paix, aussi bien du côté syrien et libanais que du côté palestinien. Je crois que dans le passé, même si à certains moments cela a été mal compris, parce que l'heure n'était pas encore aux compromis, nous avons été très utiles pour préparer les esprits, les aider à certaines évolutions mais, naturellement, il appartient aux premiers responsables, aux premiers protagonistes, de prendre leur responsabilité historique dans la phase qui s'annonce ; mais nous serons là, présents, proches, amicaux, disponibles et engagés.
Q - Quelles sont vos réactions après les résultats des élections en Autriche ? En avez-vous parlé ?
R - M. Hubert Védrine - Je dirais simplement que tous les populismes, les extrémismes, qui se nourrissent de l'exploitation de craintes imaginaires en plus, sont de toute façon détestables.
ENTRETIEN AVEC KOL ISRAEL à Jérusalem le 7 octobre 1999
Q - Monsieur le Ministre, on parle d'une nouvelle page dans les relations franco-israéliennes. Comment cela se traduit-il dans les faits?
R - Cette nouvelle page a été ouverte par l'élection de M. Barak. La France est très attachée, très engagée, à la fois politiquement et affectivement, intellectuellement, dans la recherche de la paix au Proche-Orient. La France a dit beaucoup de choses, depuis longtemps, sur les évolutions nécessaires, les compromis inévitables, elle l'a dit parfois avec un peu d'avance, ce qui a pu froisser certaines sensibilités, mais aujourd'hui nous les retrouvons au contraire très en phase. Donc, M. Barak veut essayer de régler le problème, de trouver une solution durable et sérieuse, du côté palestinien, du côté syrien. Nous en sommes réjouis. Nous avons très bien accueilli ces déclarations, nous l'avons très bien reçu à Paris. Nous voulons à cette occasion relancer le dialogue franco-israélien qui n'avait jamais été interrompu mais qui s'était étiolé, du point de vue du contexte politique antérieur, et c'est dans ce cadre que je suis venu ici pour alimenter les discussions, parler, pour affiner nos analyses et nos évaluations. On ne peut pas voir cela que depuis Paris. Disons que nous voulons être disponibles, si nous pouvons être utiles à quoi que ce soit dans les processus de paix qui sont relancés. La meilleure façon de l'être, c'est d'être présent ici, comprendre les choses sur place. Voilà le contexte de cette nouvelle page, de cette visite, et il y en aura d'ailleurs dans les mois qui viennent de nombreuses autres. Le Premier ministre M. Jospin devrait venir lui-même au début de l'an prochain. Il a accepté l'invitation de M. Barak.
Q - Sur le rôle que compte jouer la France dans les processus de la région, il semble qu'il y ait un malentendu. Pouvez-vous éclaircir.
R - Non, je pense qu'il y a eu des malentendus dans le passé. Je ne crois pas du tout qu'il y ait des malentendus aujourd'hui. Je crois qu'aujourd'hui, notre action est très bien comprise des Israéliens, comme des Palestiniens et des autres. Il y a eu un malentendu dans le passé quand la France disait : "Les Israéliens devront bien parler un jour à l'OLP, il y aura un jour un Etat palestinien; l'Etat palestinien sera non pas un problème mais une solution". C'était lié à des moments où l'opinion israélienne n'était pas prête à entendre cela, ne cherchait pas des solutions de compromis et attendait de l'extérieur simplement un soutien inconditionnel. Donc cela froissait, et ce n'était pas le but. Finalement les choses ont été plutôt dans notre sens, parce que les propos que nous tenions depuis longtemps sont devenus des concepts politiques acceptés par presque tout le monde aujourd'hui. Quand nous disions aux Palestiniens qu'il faudrait tirer toutes les conséquences de l'existence d'Israël en reconnaissant son droit à la sécurité, les moyens de sa sécurité, il y avait le même froissement. Tout cela est, je crois, aujourd'hui dépassé dans le contexte actuel et chacun au Proche-Orient comprend que la France ne cherche pas à se substituer aux protagonistes, ne cherche pas à négocier à la place des négociateurs. Ce n'est pas nous qui prendrons la responsabilité historique des compromis qui fonderont l'accord définitif, aussi bien du côté israélien que du côté syrien. Mais nous voulons en revanche être présents, être disponibles, accompagner le processus, cela veut dire parler, discuter, circuler, échanger les informations utiles, cela veut dire faire des suggestions le cas échéant, faire de vraies propositions organisées si on nous le demande ou si nous pensons avoir une idée vraiment utile à un moment donné. Cela veut dire se dire prêt à participer à telle ou telle forme de garanties. Le président Chirac s'est déclaré disponible à propos d'un accord qui pourrait être passé concernant du Liban. C'est un exemple, il pourrait y en avoir d'autres. Vous voyez qu'il y a toute une gamme de façons d'intervenir que nous mettrons en avant en fonction des situations.
Q - Est-ce que la France pourrait intervenir dans le cadre d'un retrait israélien du Liban, en envoyant par exemple une force d'interposition, une force d'observateurs ?
R - C'est sur ce point que le président Chirac s'était exprimé en indiquant la disponibilité de la France à participer, y compris militairement sur le terrain, à une garantie dans le cadre d'un accord, qui d'ailleurs serait préférable pour tout le monde, pour les Israéliens comme pour les Libanais, car la situation serait évidemment plus stable, plus sûr. Si c'est le cas, si on s'achemine vers un accord, à ce moment là nous pourrons entamer les discussions sur les formes précises que pourront prendre ces garanties françaises. Il n'y aura d'ailleurs pas que la France.
Q - Restons sur le volet libano-syrien de ces négociations. Cette semaine, le conseiller du président Moubarak, Ossama el-Baz, a déclaré au ministre israélien Yossi Beilin, que le président Assad craignait peut-être un accord de paix avec Israël, car cela l'obligerait ensuite à quitter le Liban, à retirer les forces syriennes du Liban comme le réclame d'ailleurs la résolution 425.
R - Si vous permettez, je m'abstiendrai de commenter les déclarations des uns et des autres parce que l'actualité politique au Proche-Orient est toujours extrêmement riche. Les uns commentent les déclarations des autres et réciproquement. Je me concentrerai sur l'essentiel. Je crois qu'il y a une volonté d'arriver à une solution du côté de M. Barak et qu'il a une volonté du côté palestinien. Je pense qu'il y a également une volonté du côté syrien d'aboutir à une solution. Evidemment, les solutions que les uns et les autres proposent ne sont pas tout à fait les mêmes, mais nous avons des raisons de penser en France que les Syriens recherchent aussi une solution. Lesquelles ? Comment ? C'est la question de la négociation. C'est tout ce qui nous intéresse, que les choses avancent dans le bon sens et c'est le dénominateur commun de toutes nos actions diplomatiques.
Q - Une dernière question, Monsieur le Ministre, par rapport à la présence culturelle française à Jérusalem. Après la fermeture de l'Alliance française, il a été décidé d'ouvrir un Centre culturel français à Jérusalem-Ouest. Or, il a été décidé d'éviter de prendre des mesures unilatérales, notamment à Jérusalem, pendant les négociations. Ne pensez-vous pas qu'une telle décision encourage de facto une partition de Jérusalem ?
R - Tout cela n'a aucun rapport. D'abord la première décision chronologique s'est présenté dans l'autre sens. La première idée, que nous avons depuis longtemps d'ailleurs, est de renforcer notre présence culturelle à Jérusalem, parce qu'il y a une demande forte et un désir. D'où l'idée d'un Centre culturel. Un Centre culturel, cela se prépare sérieusement, cela ne se crée pas du jour au lendemain. Il faut une préfiguration, nous avons nommé quelqu'un qui en est chargé, il faut que le travail commence. Cela, c'est une chose. Il ne s'agit pas du tout de changer quoi que ce soit des modalités juridiques qui ne dépendent pas de nous. Il ne s'agit ni d'anticiper sur des solutions ni de les contrarier. C'est totalement distinct, en fait. Il ne faut pas se méprendre sur notre projet qui ne devrait gêner personne.
Q - Justement, cela prête à confusion.
R - Cela prête à confusion, sauf si on indique, comme je l'ai fait à maintes occasions, qu'il n'y a pas lieu de confondre les deux choses. Quant à l'Alliance française, c'est tout à fait différent. On est obligé de constater malheureusement que, pour de nombreuses raisons, cette Alliance française ne fonctionne pas bien, périclite. Il faut donc en tirer les conséquences comme on le ferait n'importe où en Asie, en Amérique latine. Ce n'est pas du tout lié à la situation au proche-orient. Quant à l'affaire du Centre culturel, il n'y a encore une fois aucune espèce interprétation politique à en tirer, sauf le souhait français de renforcer sa présence culturelle, que chacun, me semble-t-il, devrait accueillir positivement,
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le13 octobre 1999)
ENTRETIEN AVEC LA PREMIERE CHAINE DE LA TELEVISION ISRAELIENNE "TV1" à Jérusalem le 7 octobre 1999
Q - Monsieur Védrine, la France a une relation privilégiée avec la Syrie. Pour le moment, rien ne bouge. Est-ce que malgré tout vous voyez quelque chose à l'horizon ?
R - D'abord, je suis là parce que nous avons des relations privilégiées avec Israël. Il est vrai que nous avons une relation étroite aussi avec la Syrie, le Liban et les Palestiniens, et cet ensemble est utile, a déjà été utile dans le passé et j'entends qu'il puisse l'être à nouveau. Sur la question syrienne, c'est un des sujets à propos desquels j'ai fait le point avec mes interlocuteurs toute la journée et j'ai vu qu'en effet ils étaient préoccupés, indécis par la non-réponse parce qu'il y a une différence d'interprétation entre Syriens et Israéliens sur la façon de recommencer la négociation. Les Syriens ne le veulent pas, si nous comprenons bien, avant que certains problèmes soient réglés alors que les Israéliens estiment que c'est à la négociation de régler ces problèmes. J'ai tendance à penser que dès lors que les uns et les autres estiment que c'est leur intérêt stratégique d'aboutir à une solution sur le Golan, ce problème qui apparaît comme un gros blocage aujourd'hui sera surmonté. Quand et comment ? Je ne sais pas exactement.
Q - Dans ce contexte on parle à nouveau d'une participation française à une solution en ce qui concerne le Liban. On parle notamment d'une présence militaire française au Sud-Liban lorsque Israël se sera retiré de cette région sur ses frontières internationales. Qu'en pensez-vous ?
R - Je voudrais être assez précis sur ce point. Le président Chirac avait eu l'occasion d'exprimer la disponibilité française à participer, à fournir des garanties, y compris au sol, y compris militaires concernant le sud du Liban dans le cadre d'un accord. Depuis nous n'avons pas changé cette position. Donc pour nous l'objectif à atteindre c'est que cela se fasse dans le cadre d'un accord .
Q - Mais s'il y a un accord, il pourrait y avoir une présence militaire française ?
R - Nous pensons que c'est l'intérêt des Israéliens comme des Libanais et des Syriens. Il est clair que si cela se passe dans le cadre d'un accord se sera beaucoup plus stable, cela générera des relations beaucoup plus solides, sûres, pour la suite.
Q - Est-ce que la France est d'accord avec la thèse palestinienne d'un démarrage de la négociation sur le statut définitif, sur un règlement global, à partir du plan de partage de 1947 ?
R - Je ne veux pas me substituer ni aux uns ni aux autres. Je n'ai pas épousé une thèse israélienne ou palestinienne. Notre position n'est pas tout à fait celle là. Nous sommes évidemment très impliqués, très engagés dans la recherche d'une solution. C'est un sujet qui passionne les Français depuis très longtemps. Les choses convergent maintenant et les idées que nous avons mises en avant depuis très très longtemps sont assez largement admises. On est mieux compris aussi par les uns et par les autres. Donc nous ne sommes pas les protagonistes, nous ne sommes pas les négociateurs, mais nous ne sommes pas non plus les antagonistes. Ce n'est pas nous qui allons nous substituer aux Israéliens ou aux Palestiniens pour prendre les décisions historiques qu'ils devront prendre, c'est leur responsabilité. Nous sommes proches, présents, amicaux, disponibles, animés par le désir d'être utiles. Cela ne consiste pas à trancher chaque point à leur place. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas d'idées. Nous nous réserverons la possibilité de nous exprimer s'il y a des moments difficiles ou des blocages et si l'on a le sentiment qu'une expression forte est quelque chose de constructif à un moment donné. On ne va pas commenter au jour le jour les positions de chacun sur chaque point.
Q - Mais vous savez bien que la perception de la politique française en Israël est que chaque fois que vous exprimez une idée, c'est une idée qui est celle de la partie arabe, sur Jérusalem, sur les réfugiés, sur les frontières. C'est à dire que pour accéder aux compliments que vous faites à la politique israélienne aujourd'hui il faut finalement faire des concessions, aller de concessions en concessions. Est-ce que c'est cela que vous attendez d'Israël ?
R - Cette image de la politique française est assez fausse parce qu'en réalité la politique française a été un peu prémonitoire sur certains plans. Je le dis sans aucune prétention, c'est peut-être plus facile quand on n'est pas dans le coeur du débat, le coeur du problème, de la tragédie, de s'exprimer comme cela. Mais pendant des années nous disions aux Israéliens qu'il faudrait bien parler aux Palestiniens et donc à l'OLP, qu'il y aura un Etat palestinien. Nous disions aux Palestiniens qu'il fallait bien évidemment tirer toutes les conséquences de l'existence d'Israël notamment sur le plan de la sécurité et des moyens de la sécurité. Cela énervait un peu de part et d'autre. Donc il y a une sorte d'agressivité par rapport à la politique française et cette espèce d'image entretenue dans une partie de l'opinion israélienne d'une politique française qui prend le contre-pied, systématiquement. Je trouve cette image fausse.
Q - Vous êtes à égale distance ?
R - Non parce qu'il y a tellement de sujets en même temps qu'on ne peut pas dire qu'on est tout le temps à égale distance. Cela dépend des moments. On est animé par le désir de voir le Proche-Orient progresser vers la paix. Donc selon les cas il peut nous arriver de trouver que les Palestiniens ont raison, que les Israéliens sont trop durs ou qu'au contraire les Israéliens font des demandes légitimes et que les Palestiniens doivent s'adapter. On est donc dans une dynamique, on ne peut pas raisonner de façon statique sur tout cela. Regardez à quel point les Israéliens et les Palestiniens ont changé en dix-quinze ans, ne serait-ce qu'à travers les termes du débat. Nous voulons donc avoir une politique d'incitation amicale, d'encouragement, de disponibilité en parlant aux uns et autres. Encore une fois, nous n'avons pas d'autre intérêt stratégique que la paix. A l'égard de la paix cela suppose en même temps une vraie souplesse dans les prises de positions. On ne répète pas les mêmes positions toute la journée sur tous les sujets, on s'adapte au mouvement qui se développe et aujourd'hui ce qui est encourageant et prometteur, depuis l'arrivée au pouvoir de M. Barak, c'est que les choses se sont remises en marche. En même temps on voit très bien que cela reste extraordinairement difficile, donc on est animé par l'idée d'être utiles.
Q - Vous continuez à voir la position israélienne comme une position intransigeante.
R - Je crois qu'à l'heure actuelle, sur un point précis, c'est à dire les différents sujets dit du statut final, les positions des Israéliens et des Palestiniens sont intransigeantes. Je ne le dirai pas sur l'application des engagements pris dans le passé puisqu'il y a eu le mémorandum de Charm-el-Cheikh. Il y a eu un accord qui, justement, a permis de passer d'une situation dans laquelle les accords passés n'étaient pas observés, n'étaient pas respectés, à une phase dans laquelle il y a un engagement et cet engagement est mis en oeuvre et on le voit. Il n'est donc pas possible de parler d'intransigeance des uns ou des autres. Au contraire l'esprit de compromis constructif l'a emporté. Par contre sur le statut final, alors que nous sommes avant le début de la discussion, on voit bien que les uns et les autres affichent des positions fermes, intransigeantes, apparemment sans concessions. Si l'on s'en tenait à cela et que l'on oublait la dynamique historique qui est à l'oeuvre à nouveau, on se dirait qu'on ne voit pas où le compromis va se faire. Ce n'est pas notre vision. Nous pensons justement, qu'il y a un mouvement qui va faire bouger tout cela et qu'à un moment donné on se rapprochera d'un compromis qui supposera un vrai courage de part et d'autre. Tous mes interlocuteurs aujourd'hui m'ont dit : "Nous n'obtiendrons pas satisfaction à cent pour cent". Les Palestiniens n'obtiendront pas satisfaction à cent pour cent, c'est très vrai. C'est évident. Le jour où un chef politique doit dire "voilà un compromis, je l'assume, je vais l'expliquer à ma base, à mon opinion publique", c'est un moment difficile.
Q - Vous savez que le mot compromis est un mot qui a été utilisé par tous les gouvernements de gauche israéliens qui, au plan territorial, parlaient de "compromis territorial". Est-ce que la France est favorable à un compromis territorial, notamment sur la Cisjordanie ou sur le Golan puisque de part et d'autre, aussi bien les Palestiniens que les Syriens, exigent un retour aux frontières du 4 juin 1967 ?
R - Le compromis est en cours. Sinon il n'y aurait pas eu tout ce qui va de Oslo à Charm-el-Cheikh. Il est en cours, il est évolutif, il n'est pas terminé, c'est vrai.. Nous nous trouvons dans une logique politique de compromis constructif où les uns et les autres obtiennent des choses qui ne correspondent pas à ce dont ils rêvaient, à ce qu'ils souhaitaient vraiment en réalité. Ils signent des compromis, ils ont fait la balance entre une solution qui ne leur plaît qu'à moitié, et l'absence de solution, et ils choisissent la solution qui ne leur plaît qu'à moitié. Je pense qu'il en sera comme cela pour la suite. L'essentiel est de savoir si le processus avance ou s'il est bloqué. C'est la distinction fondamentale. Aujourd'hui on sent qu'on est dans un Proche-Orient où les choses avancent. Notamment dans la dimension israélo-palestinienne. J'en ai parlé toute la journée avec les responsables israéliens. Je verrai M. Barak demain matin, demain ensuite je verrai M. Arafat et les responsables palestiniens. J'aurai exactement le même discours et la même attitude d'encouragement constructif.
Q - Une question si vous le permettez sur l'Europe. Vous savez qu'Israël est préoccupé par le résultat des élections autrichiennes, la montée d'un parti xénophobe, néofasciste. Vous partagez cette préoccupation ?
R - Je trouve tout à fait détestables toutes les politiques, tous les partis politiques qui vivent de l'exploitation - presque de l'encouragement - de craintes réelles ou imaginaires, imaginaires d'ailleurs en l'espèce. Donc c'est un type de politique, comme tout extrémisme d'ailleurs, qui est tout à fait détestable, qu'il faut écarter, et contre lequel il faut se prémunir.
Q - L'Autriche est en Europe.
R - L'Autriche, comme tous les pays européens, est engagée dans une série de conventions, de textes, de politiques communes, de projets qui sont ceux de toute l'Europe. Et je ne crois pas du tout en réalité à la capacité d'un tel gouvernement mais ce n'est même par le cas puisque ce parti n'est pas dans le gouvernement. C'est une expression politique qui préoccupe beaucoup ici, et je le comprends mais si on veut analyser la situation en Europe, je ne pense pas qu'une poussée populiste dans un des pays d'Europe puisse quoi que ce soit contre l'engagement de quinze pays d'Europe, sur tous les plans, à commencer par la démocratie, à commencer par les droits de l'homme, à commencer par tous les projets qu'a l'Europe d'aujourd'hui en matière sociale, en matière de paix dans le monde. Je crois en la force de cette Europe.
Q - Et si le parti de M. Haider vient au pouvoir. Comme partie prenante, comme membre de la coalition gouvernementale Comprendriez-vous la décision israélienne de rompre ses relations diplomatiques avec l'Autriche ? Quelle serait votre réaction à ce moment là ?
R - Ce sont des spéculations sur des spéculations parce que le gouvernement n'est pas formé. Rien ne dit que cette force politique en fera partie. J'ai vu ce qu'a annoncé M. David Lévy. Je crois que le plus sage et le plus raisonnable actuellement est de regarder comment nos amis Autrichiens font face à ce problème, qui est un problème sérieux, et de leur faire confiance pour leur capacité à le maîtriser.
Q - Cela m'amène à ma dernière question sur l'Allemagne. Une vague de publications en France ces derniers temps, notamment dans les milieux intellectuels, sur les dangers que ferait courir l'Allemagne à l'Union européenne, d'une mainmise, d'une prépondérance allemande, de la puissance économique de l'Allemagne. C'est quoi cela ?
R - D'abord "vague", c'est beaucoup dire. Il y a trois publications.
Q - Vous savez qu'en journalisme, au-delà de deux, c'est une "vague".
R - Non, ce n'est pas une "vague". D'abord, sur les trois livres, un des trois est un livre de souvenirs d'un responsable des services secrets de 1980-1982, qui est un pur tissu d'âneries. Les deux autres, ce sont des thèses parmi d'autres. Ce n'est pas une vague. Cela ne représente rien. On n'est pas dans une situation de ce genre. Il y a longtemps que les émois qu'ont éprouvé certains, en France, quand l'Allemagne s'est réunifiée, se sont à mon avis dissipés. Aujourd'hui, la question du rapport de force relatif entre la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Espagne et les autres, n'a absolument plus la signification qu'elle avait à d'autres époques. On ne peut donc pas analyser l'Europe de 1999 comme celle des années trente ou celle du 19ème siècle. Le problème des pays d'Europe aujourd'hui n'est pas celui-là. Le seul point, s'agissant des pays d'Europe, est de savoir comment ils peuvent à la fois gérer l'élargissement de l'Europe et en même temps poursuivre l'élaboration d'une Europe forte, qui soit un pôle de stabilité dans le monde, ce qui nous paraît souhaitable dans un monde unipolaire et un monde multipolaire. C'est cela le problème, notre capacité à travailler ensemble, c'est déjà assez difficile à quinze. Telle est la question de l'efficacité des institutions européennes, de leur réforme éventuelle.
Q - Y-a-t-il besoin d'un pôle latin, franco-italo-espagnol, pour contrebalancer, faire contrepoids à l'influence allemande ?
R - Il n'y a pas d'influence allemande à contrebalancer. Regardez l'affaire de la monnaie. Si Helmut Kohl et François Mitterrand notamment, Jacques Delors et d'autres historiquement, n'avaient pas eu l'intelligence politique de faire tout ce qui fallait pour qu'on arrive à une monnaie unique, on aurait une zone mark, en effet, là on pourrait se dire : "Face à la zone mark, qu'est-ce qu'on fait ?". Nous avons l'euro, et tous les pays participants ont retrouvé là une part de souveraineté qui au niveau national leur avait échappé auparavant. Nous avons reconstitué une part de souveraineté au niveau européen, nous l'exerçons en commun. On est donc pas dans ce phénomène allemand de prétendue domination qui appellerait une prétendue compensation. Ce sont des schémas et des concepts d'avant-hier en réalité. Il ne faut pas se tromper de siècle, de problème, de siècle et de remède, par conséquent. Donc, je ne crois pas qu'on ait besoin d'une compensation. Je crois, en revanche, à cette diversité, à la géométrie variable à l'intérieur de cette Europe qui se construit. C'est à dire qu'il y a des sujets que nous partageons complètement (politique commune, solidarité) et il y a un certain nombre de sujets sur lesquels deux, trois, quatre, cinq pays ayant des affinités particulières, ont des politiques plus originales. Il y a par exemple une dimension qui intéresse les Allemands, les Danois, les Suédois et quelques autres. La Méditerranée, il est évident que ça intéresse plus certains pays. Ils ont été moteur du processus de Barcelone, par exemple. Quelques pays peuvent insuffler, introduire de l'énergie dans la discussion européenne sur certains sujets qui nous tiennent vraiment à coeur.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le13 octobre 1999)
Mesdames et Messieurs,
M. David Lévy, mon homologue et mon ami a fort bien rendu compte du climat de nos conversations, je me retrouve tout à fait dans cette description. Je suis venu ici, quelques jours après l'excellente visite de M. Barak à Paris, pour, précisément, poursuivre ce dialogue qu'il relançait d'une façon très dense, très complète et, je crois, très prometteuse. Nos amis israéliens connaissent bien l'engagement de longue date de la France dans la recherche de la paix au Proche-Orient. Nous avons défendu pendant longtemps et, parfois, avec un peu d'avance même, certaines idées sur lesquelles tout le monde travaille maintenant. Nous nous sentons donc particulièrement en phase pour échanger nos idées, pour manifester notre présence et notre disponibilité dans ce nouveau moment important du processus de paix dans ses différentes composantes. Nos amis israéliens connaissent bien d'autre part les rapports étroits que nous avons avec les Syriens, avec les Libanais, avec les Palestiniens, avec les Jordaniens, les Egyptiens. Cette présence de la France dans cette région, cette diplomatie dynamique, est une chose qui ne peut être qu'utile pour la suite des événements. Je remercie ici, devant vous, David Lévy pour l'analyse très intéressante qu'il m'a faite de l'état des choses en ce qui concerne justement le processus de paix dans ses différents volets. Je sors de cette rencontre avec un optimisme raisonnable, raisonné, en tout cas à ce stade. Pas renforcé par rapport à hier, mais certainement renforcé par rapport à il y a quelques mois. En tout cas je crois que nous allons pouvoir travailler ensemble très utilement sur ce sujet. Mais je voudrais dire devant vous que nous avons parlé d'autres sujets et que nos échanges ne se limitent pas à cette conversation très passionnante sur le processus de paix. Nous avons parlé d'autres sujets internationaux qui nous préoccupent, soit régionaux au sens large, soit mondiaux.
Et nous avons parlé également du développement de cette relation bilatérale en cette phase nouvelle. Elle a son importance en soit. Et tous les échanges entre la France et Israël ne peuvent pas être organisés qu'autour de la seule question du processus de paix, même si elle est décisive. Il y a d'ailleurs dans les mois qui viennent un ensemble de visites déjà programmées soit de ministres, soit de hauts responsables français, politiques ou économiques en Israël. C'est une très bonne chose, je crois, et naturellement leurs homologues israéliens seront les bienvenus en France. En ce qui concerne M. Lévy, il est le bienvenu quand il le souhaite.
Q - Quel doit être à votre avis le rôle de la France dans d'éventuelles négociations entre Israël et la Syrie ?
R - M. David Lévy - Naturellement, la France est intéressée à la paix, non seulement avec les Palestiniens mais avec la Syrie. Elle a un attachement historique vis à vis du Liban. Donc elle voudrait voir enfin la fin, comme nous d'ailleurs, de cette tragédie. La France peut contribuer à faire passer naturellement des messages ou ses impressions, mais aussi son voeu de voir toutes les parties faire tout ce qui est possible afin d'arriver enfin à la paix. Notre dialogue franc, tel qu'il a été et tel qu'il sera à l'avenir, j'en suis sûr, contribuera aussi à cette voie qui est aussi la nôtre.
R - M. Hubert Védrine - J'ajouterai que je suis très heureux de cette réponse parce que je suis convaincu que nous pouvons être utiles, nous n'avons pas d'autre but d'ailleurs, nous voulons être utiles à cette paix, à ce processus de paix, aussi bien du côté syrien et libanais que du côté palestinien. Je crois que dans le passé, même si à certains moments cela a été mal compris, parce que l'heure n'était pas encore aux compromis, nous avons été très utiles pour préparer les esprits, les aider à certaines évolutions mais, naturellement, il appartient aux premiers responsables, aux premiers protagonistes, de prendre leur responsabilité historique dans la phase qui s'annonce ; mais nous serons là, présents, proches, amicaux, disponibles et engagés.
Q - Quelles sont vos réactions après les résultats des élections en Autriche ? En avez-vous parlé ?
R - M. Hubert Védrine - Je dirais simplement que tous les populismes, les extrémismes, qui se nourrissent de l'exploitation de craintes imaginaires en plus, sont de toute façon détestables.
ENTRETIEN AVEC KOL ISRAEL à Jérusalem le 7 octobre 1999
Q - Monsieur le Ministre, on parle d'une nouvelle page dans les relations franco-israéliennes. Comment cela se traduit-il dans les faits?
R - Cette nouvelle page a été ouverte par l'élection de M. Barak. La France est très attachée, très engagée, à la fois politiquement et affectivement, intellectuellement, dans la recherche de la paix au Proche-Orient. La France a dit beaucoup de choses, depuis longtemps, sur les évolutions nécessaires, les compromis inévitables, elle l'a dit parfois avec un peu d'avance, ce qui a pu froisser certaines sensibilités, mais aujourd'hui nous les retrouvons au contraire très en phase. Donc, M. Barak veut essayer de régler le problème, de trouver une solution durable et sérieuse, du côté palestinien, du côté syrien. Nous en sommes réjouis. Nous avons très bien accueilli ces déclarations, nous l'avons très bien reçu à Paris. Nous voulons à cette occasion relancer le dialogue franco-israélien qui n'avait jamais été interrompu mais qui s'était étiolé, du point de vue du contexte politique antérieur, et c'est dans ce cadre que je suis venu ici pour alimenter les discussions, parler, pour affiner nos analyses et nos évaluations. On ne peut pas voir cela que depuis Paris. Disons que nous voulons être disponibles, si nous pouvons être utiles à quoi que ce soit dans les processus de paix qui sont relancés. La meilleure façon de l'être, c'est d'être présent ici, comprendre les choses sur place. Voilà le contexte de cette nouvelle page, de cette visite, et il y en aura d'ailleurs dans les mois qui viennent de nombreuses autres. Le Premier ministre M. Jospin devrait venir lui-même au début de l'an prochain. Il a accepté l'invitation de M. Barak.
Q - Sur le rôle que compte jouer la France dans les processus de la région, il semble qu'il y ait un malentendu. Pouvez-vous éclaircir.
R - Non, je pense qu'il y a eu des malentendus dans le passé. Je ne crois pas du tout qu'il y ait des malentendus aujourd'hui. Je crois qu'aujourd'hui, notre action est très bien comprise des Israéliens, comme des Palestiniens et des autres. Il y a eu un malentendu dans le passé quand la France disait : "Les Israéliens devront bien parler un jour à l'OLP, il y aura un jour un Etat palestinien; l'Etat palestinien sera non pas un problème mais une solution". C'était lié à des moments où l'opinion israélienne n'était pas prête à entendre cela, ne cherchait pas des solutions de compromis et attendait de l'extérieur simplement un soutien inconditionnel. Donc cela froissait, et ce n'était pas le but. Finalement les choses ont été plutôt dans notre sens, parce que les propos que nous tenions depuis longtemps sont devenus des concepts politiques acceptés par presque tout le monde aujourd'hui. Quand nous disions aux Palestiniens qu'il faudrait tirer toutes les conséquences de l'existence d'Israël en reconnaissant son droit à la sécurité, les moyens de sa sécurité, il y avait le même froissement. Tout cela est, je crois, aujourd'hui dépassé dans le contexte actuel et chacun au Proche-Orient comprend que la France ne cherche pas à se substituer aux protagonistes, ne cherche pas à négocier à la place des négociateurs. Ce n'est pas nous qui prendrons la responsabilité historique des compromis qui fonderont l'accord définitif, aussi bien du côté israélien que du côté syrien. Mais nous voulons en revanche être présents, être disponibles, accompagner le processus, cela veut dire parler, discuter, circuler, échanger les informations utiles, cela veut dire faire des suggestions le cas échéant, faire de vraies propositions organisées si on nous le demande ou si nous pensons avoir une idée vraiment utile à un moment donné. Cela veut dire se dire prêt à participer à telle ou telle forme de garanties. Le président Chirac s'est déclaré disponible à propos d'un accord qui pourrait être passé concernant du Liban. C'est un exemple, il pourrait y en avoir d'autres. Vous voyez qu'il y a toute une gamme de façons d'intervenir que nous mettrons en avant en fonction des situations.
Q - Est-ce que la France pourrait intervenir dans le cadre d'un retrait israélien du Liban, en envoyant par exemple une force d'interposition, une force d'observateurs ?
R - C'est sur ce point que le président Chirac s'était exprimé en indiquant la disponibilité de la France à participer, y compris militairement sur le terrain, à une garantie dans le cadre d'un accord, qui d'ailleurs serait préférable pour tout le monde, pour les Israéliens comme pour les Libanais, car la situation serait évidemment plus stable, plus sûr. Si c'est le cas, si on s'achemine vers un accord, à ce moment là nous pourrons entamer les discussions sur les formes précises que pourront prendre ces garanties françaises. Il n'y aura d'ailleurs pas que la France.
Q - Restons sur le volet libano-syrien de ces négociations. Cette semaine, le conseiller du président Moubarak, Ossama el-Baz, a déclaré au ministre israélien Yossi Beilin, que le président Assad craignait peut-être un accord de paix avec Israël, car cela l'obligerait ensuite à quitter le Liban, à retirer les forces syriennes du Liban comme le réclame d'ailleurs la résolution 425.
R - Si vous permettez, je m'abstiendrai de commenter les déclarations des uns et des autres parce que l'actualité politique au Proche-Orient est toujours extrêmement riche. Les uns commentent les déclarations des autres et réciproquement. Je me concentrerai sur l'essentiel. Je crois qu'il y a une volonté d'arriver à une solution du côté de M. Barak et qu'il a une volonté du côté palestinien. Je pense qu'il y a également une volonté du côté syrien d'aboutir à une solution. Evidemment, les solutions que les uns et les autres proposent ne sont pas tout à fait les mêmes, mais nous avons des raisons de penser en France que les Syriens recherchent aussi une solution. Lesquelles ? Comment ? C'est la question de la négociation. C'est tout ce qui nous intéresse, que les choses avancent dans le bon sens et c'est le dénominateur commun de toutes nos actions diplomatiques.
Q - Une dernière question, Monsieur le Ministre, par rapport à la présence culturelle française à Jérusalem. Après la fermeture de l'Alliance française, il a été décidé d'ouvrir un Centre culturel français à Jérusalem-Ouest. Or, il a été décidé d'éviter de prendre des mesures unilatérales, notamment à Jérusalem, pendant les négociations. Ne pensez-vous pas qu'une telle décision encourage de facto une partition de Jérusalem ?
R - Tout cela n'a aucun rapport. D'abord la première décision chronologique s'est présenté dans l'autre sens. La première idée, que nous avons depuis longtemps d'ailleurs, est de renforcer notre présence culturelle à Jérusalem, parce qu'il y a une demande forte et un désir. D'où l'idée d'un Centre culturel. Un Centre culturel, cela se prépare sérieusement, cela ne se crée pas du jour au lendemain. Il faut une préfiguration, nous avons nommé quelqu'un qui en est chargé, il faut que le travail commence. Cela, c'est une chose. Il ne s'agit pas du tout de changer quoi que ce soit des modalités juridiques qui ne dépendent pas de nous. Il ne s'agit ni d'anticiper sur des solutions ni de les contrarier. C'est totalement distinct, en fait. Il ne faut pas se méprendre sur notre projet qui ne devrait gêner personne.
Q - Justement, cela prête à confusion.
R - Cela prête à confusion, sauf si on indique, comme je l'ai fait à maintes occasions, qu'il n'y a pas lieu de confondre les deux choses. Quant à l'Alliance française, c'est tout à fait différent. On est obligé de constater malheureusement que, pour de nombreuses raisons, cette Alliance française ne fonctionne pas bien, périclite. Il faut donc en tirer les conséquences comme on le ferait n'importe où en Asie, en Amérique latine. Ce n'est pas du tout lié à la situation au proche-orient. Quant à l'affaire du Centre culturel, il n'y a encore une fois aucune espèce interprétation politique à en tirer, sauf le souhait français de renforcer sa présence culturelle, que chacun, me semble-t-il, devrait accueillir positivement,
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le13 octobre 1999)
ENTRETIEN AVEC LA PREMIERE CHAINE DE LA TELEVISION ISRAELIENNE "TV1" à Jérusalem le 7 octobre 1999
Q - Monsieur Védrine, la France a une relation privilégiée avec la Syrie. Pour le moment, rien ne bouge. Est-ce que malgré tout vous voyez quelque chose à l'horizon ?
R - D'abord, je suis là parce que nous avons des relations privilégiées avec Israël. Il est vrai que nous avons une relation étroite aussi avec la Syrie, le Liban et les Palestiniens, et cet ensemble est utile, a déjà été utile dans le passé et j'entends qu'il puisse l'être à nouveau. Sur la question syrienne, c'est un des sujets à propos desquels j'ai fait le point avec mes interlocuteurs toute la journée et j'ai vu qu'en effet ils étaient préoccupés, indécis par la non-réponse parce qu'il y a une différence d'interprétation entre Syriens et Israéliens sur la façon de recommencer la négociation. Les Syriens ne le veulent pas, si nous comprenons bien, avant que certains problèmes soient réglés alors que les Israéliens estiment que c'est à la négociation de régler ces problèmes. J'ai tendance à penser que dès lors que les uns et les autres estiment que c'est leur intérêt stratégique d'aboutir à une solution sur le Golan, ce problème qui apparaît comme un gros blocage aujourd'hui sera surmonté. Quand et comment ? Je ne sais pas exactement.
Q - Dans ce contexte on parle à nouveau d'une participation française à une solution en ce qui concerne le Liban. On parle notamment d'une présence militaire française au Sud-Liban lorsque Israël se sera retiré de cette région sur ses frontières internationales. Qu'en pensez-vous ?
R - Je voudrais être assez précis sur ce point. Le président Chirac avait eu l'occasion d'exprimer la disponibilité française à participer, à fournir des garanties, y compris au sol, y compris militaires concernant le sud du Liban dans le cadre d'un accord. Depuis nous n'avons pas changé cette position. Donc pour nous l'objectif à atteindre c'est que cela se fasse dans le cadre d'un accord .
Q - Mais s'il y a un accord, il pourrait y avoir une présence militaire française ?
R - Nous pensons que c'est l'intérêt des Israéliens comme des Libanais et des Syriens. Il est clair que si cela se passe dans le cadre d'un accord se sera beaucoup plus stable, cela générera des relations beaucoup plus solides, sûres, pour la suite.
Q - Est-ce que la France est d'accord avec la thèse palestinienne d'un démarrage de la négociation sur le statut définitif, sur un règlement global, à partir du plan de partage de 1947 ?
R - Je ne veux pas me substituer ni aux uns ni aux autres. Je n'ai pas épousé une thèse israélienne ou palestinienne. Notre position n'est pas tout à fait celle là. Nous sommes évidemment très impliqués, très engagés dans la recherche d'une solution. C'est un sujet qui passionne les Français depuis très longtemps. Les choses convergent maintenant et les idées que nous avons mises en avant depuis très très longtemps sont assez largement admises. On est mieux compris aussi par les uns et par les autres. Donc nous ne sommes pas les protagonistes, nous ne sommes pas les négociateurs, mais nous ne sommes pas non plus les antagonistes. Ce n'est pas nous qui allons nous substituer aux Israéliens ou aux Palestiniens pour prendre les décisions historiques qu'ils devront prendre, c'est leur responsabilité. Nous sommes proches, présents, amicaux, disponibles, animés par le désir d'être utiles. Cela ne consiste pas à trancher chaque point à leur place. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas d'idées. Nous nous réserverons la possibilité de nous exprimer s'il y a des moments difficiles ou des blocages et si l'on a le sentiment qu'une expression forte est quelque chose de constructif à un moment donné. On ne va pas commenter au jour le jour les positions de chacun sur chaque point.
Q - Mais vous savez bien que la perception de la politique française en Israël est que chaque fois que vous exprimez une idée, c'est une idée qui est celle de la partie arabe, sur Jérusalem, sur les réfugiés, sur les frontières. C'est à dire que pour accéder aux compliments que vous faites à la politique israélienne aujourd'hui il faut finalement faire des concessions, aller de concessions en concessions. Est-ce que c'est cela que vous attendez d'Israël ?
R - Cette image de la politique française est assez fausse parce qu'en réalité la politique française a été un peu prémonitoire sur certains plans. Je le dis sans aucune prétention, c'est peut-être plus facile quand on n'est pas dans le coeur du débat, le coeur du problème, de la tragédie, de s'exprimer comme cela. Mais pendant des années nous disions aux Israéliens qu'il faudrait bien parler aux Palestiniens et donc à l'OLP, qu'il y aura un Etat palestinien. Nous disions aux Palestiniens qu'il fallait bien évidemment tirer toutes les conséquences de l'existence d'Israël notamment sur le plan de la sécurité et des moyens de la sécurité. Cela énervait un peu de part et d'autre. Donc il y a une sorte d'agressivité par rapport à la politique française et cette espèce d'image entretenue dans une partie de l'opinion israélienne d'une politique française qui prend le contre-pied, systématiquement. Je trouve cette image fausse.
Q - Vous êtes à égale distance ?
R - Non parce qu'il y a tellement de sujets en même temps qu'on ne peut pas dire qu'on est tout le temps à égale distance. Cela dépend des moments. On est animé par le désir de voir le Proche-Orient progresser vers la paix. Donc selon les cas il peut nous arriver de trouver que les Palestiniens ont raison, que les Israéliens sont trop durs ou qu'au contraire les Israéliens font des demandes légitimes et que les Palestiniens doivent s'adapter. On est donc dans une dynamique, on ne peut pas raisonner de façon statique sur tout cela. Regardez à quel point les Israéliens et les Palestiniens ont changé en dix-quinze ans, ne serait-ce qu'à travers les termes du débat. Nous voulons donc avoir une politique d'incitation amicale, d'encouragement, de disponibilité en parlant aux uns et autres. Encore une fois, nous n'avons pas d'autre intérêt stratégique que la paix. A l'égard de la paix cela suppose en même temps une vraie souplesse dans les prises de positions. On ne répète pas les mêmes positions toute la journée sur tous les sujets, on s'adapte au mouvement qui se développe et aujourd'hui ce qui est encourageant et prometteur, depuis l'arrivée au pouvoir de M. Barak, c'est que les choses se sont remises en marche. En même temps on voit très bien que cela reste extraordinairement difficile, donc on est animé par l'idée d'être utiles.
Q - Vous continuez à voir la position israélienne comme une position intransigeante.
R - Je crois qu'à l'heure actuelle, sur un point précis, c'est à dire les différents sujets dit du statut final, les positions des Israéliens et des Palestiniens sont intransigeantes. Je ne le dirai pas sur l'application des engagements pris dans le passé puisqu'il y a eu le mémorandum de Charm-el-Cheikh. Il y a eu un accord qui, justement, a permis de passer d'une situation dans laquelle les accords passés n'étaient pas observés, n'étaient pas respectés, à une phase dans laquelle il y a un engagement et cet engagement est mis en oeuvre et on le voit. Il n'est donc pas possible de parler d'intransigeance des uns ou des autres. Au contraire l'esprit de compromis constructif l'a emporté. Par contre sur le statut final, alors que nous sommes avant le début de la discussion, on voit bien que les uns et les autres affichent des positions fermes, intransigeantes, apparemment sans concessions. Si l'on s'en tenait à cela et que l'on oublait la dynamique historique qui est à l'oeuvre à nouveau, on se dirait qu'on ne voit pas où le compromis va se faire. Ce n'est pas notre vision. Nous pensons justement, qu'il y a un mouvement qui va faire bouger tout cela et qu'à un moment donné on se rapprochera d'un compromis qui supposera un vrai courage de part et d'autre. Tous mes interlocuteurs aujourd'hui m'ont dit : "Nous n'obtiendrons pas satisfaction à cent pour cent". Les Palestiniens n'obtiendront pas satisfaction à cent pour cent, c'est très vrai. C'est évident. Le jour où un chef politique doit dire "voilà un compromis, je l'assume, je vais l'expliquer à ma base, à mon opinion publique", c'est un moment difficile.
Q - Vous savez que le mot compromis est un mot qui a été utilisé par tous les gouvernements de gauche israéliens qui, au plan territorial, parlaient de "compromis territorial". Est-ce que la France est favorable à un compromis territorial, notamment sur la Cisjordanie ou sur le Golan puisque de part et d'autre, aussi bien les Palestiniens que les Syriens, exigent un retour aux frontières du 4 juin 1967 ?
R - Le compromis est en cours. Sinon il n'y aurait pas eu tout ce qui va de Oslo à Charm-el-Cheikh. Il est en cours, il est évolutif, il n'est pas terminé, c'est vrai.. Nous nous trouvons dans une logique politique de compromis constructif où les uns et les autres obtiennent des choses qui ne correspondent pas à ce dont ils rêvaient, à ce qu'ils souhaitaient vraiment en réalité. Ils signent des compromis, ils ont fait la balance entre une solution qui ne leur plaît qu'à moitié, et l'absence de solution, et ils choisissent la solution qui ne leur plaît qu'à moitié. Je pense qu'il en sera comme cela pour la suite. L'essentiel est de savoir si le processus avance ou s'il est bloqué. C'est la distinction fondamentale. Aujourd'hui on sent qu'on est dans un Proche-Orient où les choses avancent. Notamment dans la dimension israélo-palestinienne. J'en ai parlé toute la journée avec les responsables israéliens. Je verrai M. Barak demain matin, demain ensuite je verrai M. Arafat et les responsables palestiniens. J'aurai exactement le même discours et la même attitude d'encouragement constructif.
Q - Une question si vous le permettez sur l'Europe. Vous savez qu'Israël est préoccupé par le résultat des élections autrichiennes, la montée d'un parti xénophobe, néofasciste. Vous partagez cette préoccupation ?
R - Je trouve tout à fait détestables toutes les politiques, tous les partis politiques qui vivent de l'exploitation - presque de l'encouragement - de craintes réelles ou imaginaires, imaginaires d'ailleurs en l'espèce. Donc c'est un type de politique, comme tout extrémisme d'ailleurs, qui est tout à fait détestable, qu'il faut écarter, et contre lequel il faut se prémunir.
Q - L'Autriche est en Europe.
R - L'Autriche, comme tous les pays européens, est engagée dans une série de conventions, de textes, de politiques communes, de projets qui sont ceux de toute l'Europe. Et je ne crois pas du tout en réalité à la capacité d'un tel gouvernement mais ce n'est même par le cas puisque ce parti n'est pas dans le gouvernement. C'est une expression politique qui préoccupe beaucoup ici, et je le comprends mais si on veut analyser la situation en Europe, je ne pense pas qu'une poussée populiste dans un des pays d'Europe puisse quoi que ce soit contre l'engagement de quinze pays d'Europe, sur tous les plans, à commencer par la démocratie, à commencer par les droits de l'homme, à commencer par tous les projets qu'a l'Europe d'aujourd'hui en matière sociale, en matière de paix dans le monde. Je crois en la force de cette Europe.
Q - Et si le parti de M. Haider vient au pouvoir. Comme partie prenante, comme membre de la coalition gouvernementale Comprendriez-vous la décision israélienne de rompre ses relations diplomatiques avec l'Autriche ? Quelle serait votre réaction à ce moment là ?
R - Ce sont des spéculations sur des spéculations parce que le gouvernement n'est pas formé. Rien ne dit que cette force politique en fera partie. J'ai vu ce qu'a annoncé M. David Lévy. Je crois que le plus sage et le plus raisonnable actuellement est de regarder comment nos amis Autrichiens font face à ce problème, qui est un problème sérieux, et de leur faire confiance pour leur capacité à le maîtriser.
Q - Cela m'amène à ma dernière question sur l'Allemagne. Une vague de publications en France ces derniers temps, notamment dans les milieux intellectuels, sur les dangers que ferait courir l'Allemagne à l'Union européenne, d'une mainmise, d'une prépondérance allemande, de la puissance économique de l'Allemagne. C'est quoi cela ?
R - D'abord "vague", c'est beaucoup dire. Il y a trois publications.
Q - Vous savez qu'en journalisme, au-delà de deux, c'est une "vague".
R - Non, ce n'est pas une "vague". D'abord, sur les trois livres, un des trois est un livre de souvenirs d'un responsable des services secrets de 1980-1982, qui est un pur tissu d'âneries. Les deux autres, ce sont des thèses parmi d'autres. Ce n'est pas une vague. Cela ne représente rien. On n'est pas dans une situation de ce genre. Il y a longtemps que les émois qu'ont éprouvé certains, en France, quand l'Allemagne s'est réunifiée, se sont à mon avis dissipés. Aujourd'hui, la question du rapport de force relatif entre la France, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Espagne et les autres, n'a absolument plus la signification qu'elle avait à d'autres époques. On ne peut donc pas analyser l'Europe de 1999 comme celle des années trente ou celle du 19ème siècle. Le problème des pays d'Europe aujourd'hui n'est pas celui-là. Le seul point, s'agissant des pays d'Europe, est de savoir comment ils peuvent à la fois gérer l'élargissement de l'Europe et en même temps poursuivre l'élaboration d'une Europe forte, qui soit un pôle de stabilité dans le monde, ce qui nous paraît souhaitable dans un monde unipolaire et un monde multipolaire. C'est cela le problème, notre capacité à travailler ensemble, c'est déjà assez difficile à quinze. Telle est la question de l'efficacité des institutions européennes, de leur réforme éventuelle.
Q - Y-a-t-il besoin d'un pôle latin, franco-italo-espagnol, pour contrebalancer, faire contrepoids à l'influence allemande ?
R - Il n'y a pas d'influence allemande à contrebalancer. Regardez l'affaire de la monnaie. Si Helmut Kohl et François Mitterrand notamment, Jacques Delors et d'autres historiquement, n'avaient pas eu l'intelligence politique de faire tout ce qui fallait pour qu'on arrive à une monnaie unique, on aurait une zone mark, en effet, là on pourrait se dire : "Face à la zone mark, qu'est-ce qu'on fait ?". Nous avons l'euro, et tous les pays participants ont retrouvé là une part de souveraineté qui au niveau national leur avait échappé auparavant. Nous avons reconstitué une part de souveraineté au niveau européen, nous l'exerçons en commun. On est donc pas dans ce phénomène allemand de prétendue domination qui appellerait une prétendue compensation. Ce sont des schémas et des concepts d'avant-hier en réalité. Il ne faut pas se tromper de siècle, de problème, de siècle et de remède, par conséquent. Donc, je ne crois pas qu'on ait besoin d'une compensation. Je crois, en revanche, à cette diversité, à la géométrie variable à l'intérieur de cette Europe qui se construit. C'est à dire qu'il y a des sujets que nous partageons complètement (politique commune, solidarité) et il y a un certain nombre de sujets sur lesquels deux, trois, quatre, cinq pays ayant des affinités particulières, ont des politiques plus originales. Il y a par exemple une dimension qui intéresse les Allemands, les Danois, les Suédois et quelques autres. La Méditerranée, il est évident que ça intéresse plus certains pays. Ils ont été moteur du processus de Barcelone, par exemple. Quelques pays peuvent insuffler, introduire de l'énergie dans la discussion européenne sur certains sujets qui nous tiennent vraiment à coeur.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le13 octobre 1999)