Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, à LCI le 2 septembre 2002, sur la convergence des différents niveaux du SMIC, la réforme de la loi de modernisation sociale, l'allègement des charges sociales et l'assouplissement de la loi sur les 35 heures.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser.-Vous aussi, vous avez tenu vos universités d'été, la semaine dernière et, aujourd'hui, vous allez voir le ministre des Affaires sociales pour lui parler de quelques sujets qui vous fâchent - les 35 heures, les baisses des charges et peut-être les baisses d'impôts. Sur les 35 heures, vous souhaitiez un décret aménageant le nombre d'heures supplémentaires et le Gouvernement va certainement vous répondre "projet de loi" ?
- "On ne peut pas dire que l'on souhaite des décrets, mais il faut bien comprendre que, pendant des années, le Gouvernement précédent a construit un ensemble législatif et réglementaire sans consultation des partenaires sociaux, qui a établit avec force des limitations à la possibilité de travailler dans notre pays. Et les entrepreneurs de terrain - et nous avons pu le vérifier lors de notre université d'été qui en a rassemblé des milliers - disent qu'ils ont besoin de retrouver une capacité de travail. Ce n'est pas la négociation sociale qui peut la donner d'emblée. Il faut un assouplissement de la loi. D'ailleurs, elle figure au centre du programme politique du nouveau gouvernement. Et cet assouplissement de la loi implique une correction de la loi et du règlement, par la loi et par le règlement. Dieu sait que nous sommes partisans de la refondation sociale, puisque c'est nous qui l'avons lancée : souvenez-vous que l'ancien gouvernement ne voulait pas de négociations sociales. Là, nous avons un gouvernement qui veut la négociation sociale. Nous la voulons aussi. Il faut la rendre possible en assouplissant la loi et nous nous attendons à ce que le Gouvernement le fasse."
C'est ce qu'il a l'intention de faire. Il y a aussi un problème sur le nombre d'heures supplémentaires qui pourrait être autorisé. Vous souhaitez 200 heures et on va sans doute en autoriser 180 ?
- "Cela fait partie du domaine de la négociation, si c'est sur le contingent d'heures qu'il faut négocier entre les uns et les autres dans le cadre de cet assouplissement de la loi. Nous demandons 200 heures, parce que c'est ce que, d'une manière générale, on demande à la base. Cela permet de faire les commandes. Cela permet surtout aux salariés qui le souhaitent de faire des heures supplémentaires et donc d'avoir un pouvoir d'achat amélioré."
On dit que ces heures supplémentaires ne sont pas utilisées...
- "Je m'excuse, mais comme on les a bloquées, elles ne sont évidemment pas utilisées, car elles ne sont pas utilisables ! Actuellement, au-delà de 130 heures, on ne peut pas faire d'heures supplémentaires sans donner pour une heure supplémentaire de plus une heure de repos de plus. On a donc un blocage physique dans notre pays à 130 heures supplémentaires."
On vous reproche d'être un peu impatient. C'est ce que vous a dit le secrétaire d'Etat aux PME qui est venu vous voir la semaine dernière. Est-ce que vous sentez mal aimé par ce Gouvernement, dont vous souhaitiez finalement l'arrivée ?
- "Je crois qu'il monte du terrain - de chez les entrepreneurs des petites et moyennes entreprises qui sont légion : il y en a près de 2 millions en France - le sentiment, en effet, que le Gouvernement écoute tout le monde et surtout écoute beaucoup les syndicats qu'il a reçu les uns après les autres. Il écoute leurs arguments. Il écoute les policiers, les juges, les infirmières. Mais les entrepreneurs, jusqu'à présent, n'ont rien obtenu. Ils demandent actuellement des choses qu'on leur a promises dans la campagne électorale politique, elle, de l'alternance. Ils sont en droit d'attendre aujourd'hui qu'on leur donne la revendication minimum."
Tout, tout de suite ?
- "Nous avons demandé à faire cela début juillet"
Il a estimé qu'il fallait d'abord s'occuper de l'insécurité...
- "Peut-être. Nous ne contestons pas que le Gouvernement ait le droit de mettre en place des mesures selon son propre calendrier. C'est tout à fait normal. C'est de sa responsabilité politique. Mais nous sommes déjà en effet très en retard par rapport à ce que nous jugeons nécessaire. Encore une fois, pourquoi ? Pour pouvoir travailler dans les entreprises quand il y a des commandes et ne pas être dans ces circonstances décrites et sur-décrites, dans lesquelles les entreprises sont prises dans un réseau de contraintes qui les empêchent de travailler normalement. Si on veut la croissance et de l'emploi - et Dieu sait que l'on en veut et que les entrepreneurs veulent en donner en faisant des commandes -, il faut qu'ils puissent travailler plus et il faut que le Gouvernement en donne les moyens. C'est évident."
Il y a de la croissance ou est-ce qu'elle est ralentie ?
- "Actuellement, la croissance est extrêmement fragile. Et l'assurance qu'on semble se donner qu'il y aura une croissance à 3 % en 2003 est quelque chose qui, pour nous, n'est pas réaliste. Nous savons que la croissance va remonter, mais cela va être assez lent. Cela dépend beaucoup de la vitesse avec laquelle la croissance reprendra aux Etats-Unis. Nous sommes dépendants de la demande extérieure ; nous sommes dépendants aussi de la consommation, de l'investissement qui n'est pas fort et actuellement, il faut être très attentif. Si on ne donne pas aux entrepreneurs et aux entreprises la possibilité de travailler, et de travailler plus et mieux, avec bien entendu l'accord de leurs salariés, on n'aura pas la croissance à laquelle on aspire. Et donc, on ne pourra pas mettre en place le programme de réforme fondamental, auquel nous appelons également depuis des années et des années."
Une des promesses qui avait été faite était la baisse des charges : lorsqu'elle a été annoncée, vous avez dit que cela ne servirait à rien, puisque cela ne servirait qu'à compenser l'augmentation du Smic. Vous n'êtes pas un peu gourmand, là, quand même ?
- "C'est vraiment la réalité. Le Gouvernement n'a pas voulu prendre l'occasion et l'opportunité que nous lui présentions d'une réforme fondamentale du Smic, qui a volé en éclats avec la loi des 35 heures."
C'est un tabou en France.
- "Il n'y a pas de tabou quand on veut réformer. Si on veut réformer et qu'on regarde les choses en disant qu'il y a des tabous, ce n'est pas la peine de gouverner. Nous avons besoin d'un gouvernement qui ose. Nous l'avons déjà dit et cela est nécessaire. La réforme du Smic n'a pas été retenue et, en revanche, on suit tout à fait la voie indiquée par la loi de Madame Aubry, c'est-à-dire un relèvement très puissant du Smic dans les années qui viennent. Et le Gouvernement a suivi cette voie qui est dangereuse sur le plan de l'emploi, car quand vous aurez relevé le Smic de 5 % par an pendant trois ans, comme on le propose actuellement, vous allez avoir un problème d'emplois sur la main d'oeuvre peu qualifiée. C'est évident que lorsqu'on relève trop vite et trop fort l'heure peu qualifiée - il faut en tenir compte dans la hiérarchie des salaires -, cela conduit à un surenchérissement des coûts de l'entreprise et donc conduit à moins d'emplois. Le Gouvernement en a conscience et il veut réaménager les aides - notamment celles liées aux 35 heures - de façon à compenser, pour les entreprises, ce relèvement du Smic. Il n'y arrivera que pour partie et avec une gamme de cas qui fait que beaucoup d'entreprises auront un renchérissement de leur coût. Il n'y a pas de baisses de charges. Il y a compensation par le réaménagement des charges qui peut d'ailleurs coûter un peu plus cher au budget - c'est incontestable -, mais qui vient en compensation de ce qui a été décidé par le Gouvernement - à notre avis à tort -, c'est-à-dire un relèvement très puissant du Smic dans les années qui viennent. Ce qui - j'en suis heureux pour les gens qui sont au Smic bien sûr - malheureusement pèsera sur l'emploi peu qualifié. Ce qui est extrêmement regrettable."
Il y a quand même une chose dont vous allez vous féliciter, c'est la réforme de la loi de modernisation sociale. Hier, le nouveau secrétaire générale de la CFDT a dit qu'il était d'accord, le Gouvernement prépare également un projet dans ce domaine. Est-ce que vous aurez avec lui le même dialogue qu'avec N. Notat ?
- "Nous sommes, nous, demandeurs, depuis des années, que l'on passe par la négociation sociale pour aménager la vie des salariés des entreprises, la manière dont fonctionnent les entreprises, la formation professionnelle, la retraite complémentaire, l'Assurance-chômage, la santé au travail, le régime des cadres. Tout ceci doit être négocié dans l'entreprise. Nous sommes heureux de voir qu'il existe un syndicalisme réformateur - son mouvement est puissant - qui est demandeur de cela aussi. Nous sommes dans des conditions qui se normalisent pour pouvoir, avec les syndicats, construire ensemble dans notre domaine les voies et les moyens d'une réforme. Nous demandons au Gouvernement d'en donner la possibilité sur le plan de la loi et du règlement qui est de son ressort."
Un petit mot sur les scandales financiers qui ont secoué l'économie américaine : est-ce que l'on risque d'avoir le même genre de problèmes en France ?
- "Il n'est pas du tout impossible qu'il y ait un scandale financier en France, comme il en existe dans le monde entier. On n'est pas à l'abri d'une entreprise qui n'a pas suivi la règle. Mais c'est quand même beaucoup plus difficile chez nous qu'ailleurs. Je vous rappelle que nous avons deux commissaires aux comptes dans chaque entreprise, qui font chacun leur travail de leur côté et donc confrontent leurs points de vue. Les entreprises françaises ont, en terme de gouvernance et de clarté de leurs comptes, une rigueur qui est beaucoup plus forte que ce qu'elle peut être dans d'autres pays. Je dois dire notamment aux Etats-Unis, où on nous a fait beaucoup la leçon sur la gouvernance américaine. Nous voyons en France qu'actuellement, les choses sont mieux tenues."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 sept 2002)