Texte intégral
E. Martichoux.- Je voudrais avoir votre avis sur cette désormais presque célèbre barrière métallique qui a été installée à Cuincy, dans une localité du Nord, pour séparer une cité HLM d'un quartier pavillonnaire. N'est-ce pas précisément cela, le début de l'exclusion ?
- "Je ne connais pas précisément l'historique. Mais je pense que peut-être peut-on réfléchir. Je suppose que le maire a dû avoir la pression de ses administrés, car c'est comme cela que les élus réagissent lorsqu'ils reçoivent de nombreuses lettres de protestation. Je ne suis pas tout à fait sûre que la barrière soit une réelle solution définitive et efficace. Je crois toujours que le dialogue et la parole sont plus libérateurs. J'ai vu récemment dans une ville, dans laquelle il y avait des problèmes, comme ça, de cohabitation, d'incivilité, les papas d'une cité, des pères de famille, qui se sont regroupés dans une petite association. Ils ont mis en place un numéro de téléphone. Et lorsque quelqu'un subit une incivilité de la part d'un jeune, d'une bande, ils appellent, les papas y vont et ils font la morale, vont voir les parents etc. Cela a totalement pacifié... Et ils le font avec toute la vigueur qu'avaient autrefois nos parents, quand ils nous remontaient les bretelles."
Certains habitants du côté de la cité dénoncent une forme de "racisme social", qui les pénalise totalement. Est-ce que cette fameuse "dérive communautariste à l'américaine", des groupes de populations qui vivent de plus en plus repliés sur eux-mêmes, vous le craignez, vous le sentez, vous le percevez ?
- "Je ne crois pas qu'il y ait du racisme social. Je pense qu'il y a énormément d'individualismes et puis la société est très dure. C'est une société de solitude et les gens ont beaucoup de mal à se supporter les uns les autres. Les liens sociaux, les liens de solidarité ont énormément diminué, se sont distendus. Et il n'y a plus personne qui rappelle le cadre, qui rappelle la loi, au sens psychanalytique du terme, au sens positif. Ce sont les parents qui expliquent aux enfants comment l'on se comporte dans la société. Je crois donc qu'effectivement, il y a des gens qui ont peur. Je pense que la peur n'empêche pas le danger et je crois que le rôle des élus, des politiques c'est de favoriser les dialogues et les initiatives citoyennes."
Cela m'inspire une question concernant une actualité récente, qui concerne le Gouvernement. Vous parlez des parents, vous parlez de l'autorité. Il y a une disposition dans la loi Perben, votée fin juillet, qui prévoit la suppression des allocations familiales pour les parents dont un enfant serait placé en centre fermé. Cette suppression des allocations familiales, qu'en pensez-vous ?
- "Je ne crois pas que cette mesure sera appliquée systématiquement, de façon absolue. Dans certains cas, elle le sera. Je crois qu'elle le sera quand tout aura été tenté auparavant, c'est-à-dire aider les parents à être des parents, les aider à s'en sortir. Autrefois, la parentalité s'apprenait de parents à enfants. Et aujourd'hui, il nous faut développer toutes ces actions de parentalité. C'est ce que s'efforce de faire le ministre de la Famille."
A priori, on aide les parents avant de les punir ?
- "Oui, on aide les parents avant de les punir, c'est évident. La loi est là pour fixer le cadre. Ca, c'est la dernière mesure. On ne va pas faire cela systématiquement tout de suite. Les assistantes sociales, les éducateurs... Enfin, il y a une armada de gens qui sera autour de ces enfants. Ce sont des gamins multirécidivistes, ce sont des gamins sur qui tout a été essayé. Je connais bien les éducateurs et les travailleurs sociaux, parce que je viens de ce milieu et je sais qu'ils mettent tout leur coeur et toutes leurs tripes à essayer de sortir les gamins. Mais à un moment, il ne faut pas faire d'angélisme non plus, il faut savoir dire quand est-ce qu'on applique la loi. C'est cela qui est important, il faut bien distinguer les choses."
Il y a la lettre et puis ensuite, il y a l'application en recours ultime ?
- "Oui. Et la loi fonctionne de façon progressive. Evidemment, on ne sort pas des grandes mesures sans avoir tenté le dialogue, l'écoute, la psychologie, les thérapies etc. Je crois qu'il ne faut pas dramatiser la situation."
Autre sujet d'actualité, ce sont les demandeurs d'asile. N. Sarkozy a rappelé hier qu'une réforme du droit d'asile interviendrait bientôt. C'est un dossier que vous connaissez parfaitement bien, puisque vous avez eu beaucoup de contacts avec ces demandeurs d'asile lorsque vous étiez à la tête du Samu social. L'urgence - elle a été rappelée d'ailleurs par J. Chirac, il n'y pas longtemps - est de réduire le délai de traitement des dossiers. Comment fait-on dans la mesure où l'administration qui est saisie de ces dossiers est totalement embouteillée aujourd'hui ? C'est parfois jusqu'à deux à trois ans d'attente pour le règlement d'un dossier...
- "Oui. Ce qui s'est passé, c'est que depuis trois ans, il y a une arrivée massive de flux de demandeurs d'asile en France, mais également dans l'ensemble des pays européens. En France particulièrement, parce que nous étions le pays qui mettait le plus de temps à instruire les dossiers. La loi prévoyait six mois, or nous mettions deux ans voire trois ans, parce que les administrations ont été "embolisées" par les flux qui n'étaient pas prévisibles. Ensuite, effectivement, cette question de la demande d'asile n'a pas été traitée par le gouvernement précédent, qui n'a pas voulu prendre de position. Car cela implique de prendre des positions en matière de politique d'immigration, de savoir ce que l'on fait avec les gens, et cela implique de leur dire la vérité sur leur situation - vous pouvez rester ou pas. Je crois que c'est très important. Donc, le président de la République a fixé un cap, qui est un cap ambitieux, qui est de réduire à moins d'un mois la réponse que l'on donne aux gens."
Mais est-ce que la réduction est vraisemblable ?
- "Bien sûr."
C'est une ambition folle de passer de trois ans à un mois ! Comment fait-on ?
- "Non, pas du tout."
On gonfle, on double, on triple les effectifs de l'administration chargée de traiter les dossiers ?!
- "Evidemment, cela passe par une augmentation des effectifs et par une simplification des procédures également. C'est très important..."
Un guichet unique pour centraliser toutes les demandes ?
- "C'est en cours de travail. On l'expliquera à la rentrée, avec N. Sarkozy, le ministre de l'Intérieur, le ministre des Affaires étrangères etc. Il y a tout un travail qui se fait en interministériel. Mais on peut le faire si on le veut. Jusqu'à présent, il n'y avait pas de volonté politique. Je pense que c'est positif de le faire, car les gens vivent une grande souffrance, ils vivent une grande attente. On sait aussi que 85 % des demandeurs d'asile sont déboutés. Il faut donc aussi travailler... On ne pouvait pas faire, comme l'a fait le gouvernement précédent, comme si personnes n'existaient pas. Elles sont là et elles souffrent. On a un devoir de les aider, d'aider les pays de provenance, lorsqu'il n'y a pas de danger pour les personnes."
Que fait-on des 85 % de demandeurs déboutés ?
- "A ce jour, rien n'a été fait. A ce jour, les déboutés sont dans le néant, dans les dispositifs d'urgence qu'ils ont totalement "embolisés". Ils sont chez des amis, ils alimentent le travail au noir, la clandestinité, la prostitution. C'est ainsi que les réseaux de prostitution ont vu arriver des jeunes femmes qui sont victimes d'un système de traite d'êtres humains et ont pu faire rentrer ces jeunes femmes qu'ils exploitent par le biais de la demande d'asile. C'est une situation humainement tragique pour les jeunes femmes. Mais il faut être conscient qu'il y a des réseaux mafieux qui ont pu pénétrer en France, parce qu'il n'y a pas eu de politique claire et ferme. C'est pour cela qu'avec N. Sarkozy, nous nous rendons en Roumanie à la fin du mois. Pour deux choses : lui pour traiter avec son homologue toute ces questions, et moi, pour traiter avec mon homologue du Gouvernement roumain la question des enfants des rues, de petits enfants roumains, de 8 à 16 ans, qui sont pris par des réseaux mafieux qui les exploitent et qui les amènent dans nos pays."
On l'a vu cet été, avec la révélation de ces réseaux qui exploitent les mineurs handicapés roumains. La police, sous l'autorité de N. Sarkozy, tente de démanteler ces filières. Mais que fait-on pour ces mineurs ? Les met-on en prison ?
- "Pas du tout. Jusqu'à présent - je l'avais dénoncé lorsque j'étais à la tête du Samu social de Paris -, rien n'était fait pour ces enfants. Ce n'est pas si simple de dire qu'il y a en France des enfants mineurs de 8 à 12-16 ans, qui sont prostitués, parce que les consommateurs, eux, sont souvent des Français. Il faut donc pouvoir admettre qu'il y a des gens, des pédophiles consommateurs d'enfants. L'actualité nous montre des cas très tragiques un peu partout dans le monde en ce moment. Et il y a des gens qui ont cru qu'ils pouvaient consommer en toute impunité. Or, notre Gouvernement va à la fois agir en amont, sur les réseaux mafieux, en aval, sur les consommateurs, qui ne peuvent pas croire qu'ils peuvent consommer de jeunes enfants en toute impunité. Ils seront punis. La loi les punira comme il se doit. Quant aux enfants, ils sont des victimes qu'il nous faut protéger, mettre à l'abri. J'ai beaucoup travaillé depuis trois mois avec les associations et les institutions. Nous allons mettre en place un réseau de prise en charge de ces enfants par une plate-forme d'associations franco-roumaines, pour leur permettre de retrouver un espoir, un devenir, une part d'enfance, prioritairement dans leur pays, surtout si nous retrouvons leurs familles."
Ce sont des lieux d'accueil ?
- "Oui."
Vous aviez parlé, il y a quelques semaines, quelques mois, de lieux d'accueil pour les jeunes errants, en particulier à Paris et Marseille. Est-ce là la première étape ?
- "Oui. Il s'agit d'aller à leur rencontre, car ces enfants sont dans la rue, sont en errance et sont menacés par des mafieux qui les obligent à se prostituer ou à commettre des petits actes de délinquance."
Pour bien comprendre la perception que vous avez de ce sujet qui est sous votre autorité : on a beaucoup parlé dans l'actualité, au printemps dernier, des jeunes Roumains qui pillent les horodateurs. Ce sont des victimes ?
- "Là, il faut examiner au cas par cas. Pour moi, tous les enfants, de toute façon, sont des victimes, car ils sont exploités par des gens qui les menacent, qui les maltraitent, qui les obligent à se prostituer ou à commettre des petits actes de délinquance. Nous devons prendre en charge ces enfants, les protéger, les sécuriser, évaluer leur état de santé et trouver des familles d'accueil. En Roumanie, les familles, souvent d'origine rurale, ne savent pas que leurs enfants sont exploités comme cela. Ils pensent que les enfants vont chez des gens ou travaillent, mais n'imaginent pas que les enfants sont réduits à ce degré d'inhumanité. Nous avons un devoir de les protéger, de les mettre à l'abri et de leur rendre une part d'enfance. Si nous ne le faisons pas, ils peuvent devenir et ils deviendront sans doute de graves délinquants dans quelques années. Mais nous allons agir dès la rentrée et nous allons mettre en place tout un protocole de fonctionnement entre nos deux pays."
C'est pour cela que vous serez à Bucarest les 30 et 31 août avec N. Sarkozy.
- "Absolument."
Cet été, on a beaucoup vu de mendicité. C'est un phénomène qui a explosé. Des maires prennent des arrêtés anti-mendicité, une quinzaine de maires depuis le printemps dernier. Les associations dénoncent une espèce de carence des pouvoirs publics qui ne savent pas héberger ces SDF...
- "Il y a effectivement des maires qui, sous la pression de leurs administrés, ont pris différents arrêtés."
C'est la solution ?
- "Ce n'est pas la solution unique. Cela dépend. Les arrêtés ne sont légaux que s'ils sont limités dans le temps et dans l'espace. On a vu que dans les arrêtés qui ont été pris cet été, pas mal d'entre eux visaient les situations de prostitution et de racolage. C'est dire si la prostitution est un phénomène important et inquiétant. Concernant la prise en charge des personnes, nous avons un dispositif d'hébergement d'urgence qui a un potentiel de 36.500 places, qui est totalement saturé, qui est "embolisé", et sur lequel je suis actuellement en train de travailler pour le repenser. Mais il faut être conscient que nous sommes face à une gestion de crise permanente et que nous ne savons jamais à l'avance combien de personnes arriveront dans la rue. C'est pour cela que le dispositif est passé de 15.000 places il y a dix ans, à 36.000 places aujourd'hui. Et nous le réadapterons au fur et à mesure, en fonction des problèmes et des populations que nous rencontrerons dans la rue."
Vous serez aussi efficace au Gouvernement qu'à la tête d'une association ?
- "Je l'espère. En tout cas, je mettrai toute ma compétence, et surtout ma capacité de dialogue avec les associations, les institutions, pour trouver des solutions à une vraie question de société. Mais j'aimerais préciser qu'à mon sens, cette question de société - la lutte contre l'exclusion - ne sera résolue que si l'ensemble des forces de ce pays, c'est-à-dire les pouvoirs publics, les associations, les entreprises, les citoyens, se regroupent ensemble. Il y va du devenir de notre société."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 août 2002)
- "Je ne connais pas précisément l'historique. Mais je pense que peut-être peut-on réfléchir. Je suppose que le maire a dû avoir la pression de ses administrés, car c'est comme cela que les élus réagissent lorsqu'ils reçoivent de nombreuses lettres de protestation. Je ne suis pas tout à fait sûre que la barrière soit une réelle solution définitive et efficace. Je crois toujours que le dialogue et la parole sont plus libérateurs. J'ai vu récemment dans une ville, dans laquelle il y avait des problèmes, comme ça, de cohabitation, d'incivilité, les papas d'une cité, des pères de famille, qui se sont regroupés dans une petite association. Ils ont mis en place un numéro de téléphone. Et lorsque quelqu'un subit une incivilité de la part d'un jeune, d'une bande, ils appellent, les papas y vont et ils font la morale, vont voir les parents etc. Cela a totalement pacifié... Et ils le font avec toute la vigueur qu'avaient autrefois nos parents, quand ils nous remontaient les bretelles."
Certains habitants du côté de la cité dénoncent une forme de "racisme social", qui les pénalise totalement. Est-ce que cette fameuse "dérive communautariste à l'américaine", des groupes de populations qui vivent de plus en plus repliés sur eux-mêmes, vous le craignez, vous le sentez, vous le percevez ?
- "Je ne crois pas qu'il y ait du racisme social. Je pense qu'il y a énormément d'individualismes et puis la société est très dure. C'est une société de solitude et les gens ont beaucoup de mal à se supporter les uns les autres. Les liens sociaux, les liens de solidarité ont énormément diminué, se sont distendus. Et il n'y a plus personne qui rappelle le cadre, qui rappelle la loi, au sens psychanalytique du terme, au sens positif. Ce sont les parents qui expliquent aux enfants comment l'on se comporte dans la société. Je crois donc qu'effectivement, il y a des gens qui ont peur. Je pense que la peur n'empêche pas le danger et je crois que le rôle des élus, des politiques c'est de favoriser les dialogues et les initiatives citoyennes."
Cela m'inspire une question concernant une actualité récente, qui concerne le Gouvernement. Vous parlez des parents, vous parlez de l'autorité. Il y a une disposition dans la loi Perben, votée fin juillet, qui prévoit la suppression des allocations familiales pour les parents dont un enfant serait placé en centre fermé. Cette suppression des allocations familiales, qu'en pensez-vous ?
- "Je ne crois pas que cette mesure sera appliquée systématiquement, de façon absolue. Dans certains cas, elle le sera. Je crois qu'elle le sera quand tout aura été tenté auparavant, c'est-à-dire aider les parents à être des parents, les aider à s'en sortir. Autrefois, la parentalité s'apprenait de parents à enfants. Et aujourd'hui, il nous faut développer toutes ces actions de parentalité. C'est ce que s'efforce de faire le ministre de la Famille."
A priori, on aide les parents avant de les punir ?
- "Oui, on aide les parents avant de les punir, c'est évident. La loi est là pour fixer le cadre. Ca, c'est la dernière mesure. On ne va pas faire cela systématiquement tout de suite. Les assistantes sociales, les éducateurs... Enfin, il y a une armada de gens qui sera autour de ces enfants. Ce sont des gamins multirécidivistes, ce sont des gamins sur qui tout a été essayé. Je connais bien les éducateurs et les travailleurs sociaux, parce que je viens de ce milieu et je sais qu'ils mettent tout leur coeur et toutes leurs tripes à essayer de sortir les gamins. Mais à un moment, il ne faut pas faire d'angélisme non plus, il faut savoir dire quand est-ce qu'on applique la loi. C'est cela qui est important, il faut bien distinguer les choses."
Il y a la lettre et puis ensuite, il y a l'application en recours ultime ?
- "Oui. Et la loi fonctionne de façon progressive. Evidemment, on ne sort pas des grandes mesures sans avoir tenté le dialogue, l'écoute, la psychologie, les thérapies etc. Je crois qu'il ne faut pas dramatiser la situation."
Autre sujet d'actualité, ce sont les demandeurs d'asile. N. Sarkozy a rappelé hier qu'une réforme du droit d'asile interviendrait bientôt. C'est un dossier que vous connaissez parfaitement bien, puisque vous avez eu beaucoup de contacts avec ces demandeurs d'asile lorsque vous étiez à la tête du Samu social. L'urgence - elle a été rappelée d'ailleurs par J. Chirac, il n'y pas longtemps - est de réduire le délai de traitement des dossiers. Comment fait-on dans la mesure où l'administration qui est saisie de ces dossiers est totalement embouteillée aujourd'hui ? C'est parfois jusqu'à deux à trois ans d'attente pour le règlement d'un dossier...
- "Oui. Ce qui s'est passé, c'est que depuis trois ans, il y a une arrivée massive de flux de demandeurs d'asile en France, mais également dans l'ensemble des pays européens. En France particulièrement, parce que nous étions le pays qui mettait le plus de temps à instruire les dossiers. La loi prévoyait six mois, or nous mettions deux ans voire trois ans, parce que les administrations ont été "embolisées" par les flux qui n'étaient pas prévisibles. Ensuite, effectivement, cette question de la demande d'asile n'a pas été traitée par le gouvernement précédent, qui n'a pas voulu prendre de position. Car cela implique de prendre des positions en matière de politique d'immigration, de savoir ce que l'on fait avec les gens, et cela implique de leur dire la vérité sur leur situation - vous pouvez rester ou pas. Je crois que c'est très important. Donc, le président de la République a fixé un cap, qui est un cap ambitieux, qui est de réduire à moins d'un mois la réponse que l'on donne aux gens."
Mais est-ce que la réduction est vraisemblable ?
- "Bien sûr."
C'est une ambition folle de passer de trois ans à un mois ! Comment fait-on ?
- "Non, pas du tout."
On gonfle, on double, on triple les effectifs de l'administration chargée de traiter les dossiers ?!
- "Evidemment, cela passe par une augmentation des effectifs et par une simplification des procédures également. C'est très important..."
Un guichet unique pour centraliser toutes les demandes ?
- "C'est en cours de travail. On l'expliquera à la rentrée, avec N. Sarkozy, le ministre de l'Intérieur, le ministre des Affaires étrangères etc. Il y a tout un travail qui se fait en interministériel. Mais on peut le faire si on le veut. Jusqu'à présent, il n'y avait pas de volonté politique. Je pense que c'est positif de le faire, car les gens vivent une grande souffrance, ils vivent une grande attente. On sait aussi que 85 % des demandeurs d'asile sont déboutés. Il faut donc aussi travailler... On ne pouvait pas faire, comme l'a fait le gouvernement précédent, comme si personnes n'existaient pas. Elles sont là et elles souffrent. On a un devoir de les aider, d'aider les pays de provenance, lorsqu'il n'y a pas de danger pour les personnes."
Que fait-on des 85 % de demandeurs déboutés ?
- "A ce jour, rien n'a été fait. A ce jour, les déboutés sont dans le néant, dans les dispositifs d'urgence qu'ils ont totalement "embolisés". Ils sont chez des amis, ils alimentent le travail au noir, la clandestinité, la prostitution. C'est ainsi que les réseaux de prostitution ont vu arriver des jeunes femmes qui sont victimes d'un système de traite d'êtres humains et ont pu faire rentrer ces jeunes femmes qu'ils exploitent par le biais de la demande d'asile. C'est une situation humainement tragique pour les jeunes femmes. Mais il faut être conscient qu'il y a des réseaux mafieux qui ont pu pénétrer en France, parce qu'il n'y a pas eu de politique claire et ferme. C'est pour cela qu'avec N. Sarkozy, nous nous rendons en Roumanie à la fin du mois. Pour deux choses : lui pour traiter avec son homologue toute ces questions, et moi, pour traiter avec mon homologue du Gouvernement roumain la question des enfants des rues, de petits enfants roumains, de 8 à 16 ans, qui sont pris par des réseaux mafieux qui les exploitent et qui les amènent dans nos pays."
On l'a vu cet été, avec la révélation de ces réseaux qui exploitent les mineurs handicapés roumains. La police, sous l'autorité de N. Sarkozy, tente de démanteler ces filières. Mais que fait-on pour ces mineurs ? Les met-on en prison ?
- "Pas du tout. Jusqu'à présent - je l'avais dénoncé lorsque j'étais à la tête du Samu social de Paris -, rien n'était fait pour ces enfants. Ce n'est pas si simple de dire qu'il y a en France des enfants mineurs de 8 à 12-16 ans, qui sont prostitués, parce que les consommateurs, eux, sont souvent des Français. Il faut donc pouvoir admettre qu'il y a des gens, des pédophiles consommateurs d'enfants. L'actualité nous montre des cas très tragiques un peu partout dans le monde en ce moment. Et il y a des gens qui ont cru qu'ils pouvaient consommer en toute impunité. Or, notre Gouvernement va à la fois agir en amont, sur les réseaux mafieux, en aval, sur les consommateurs, qui ne peuvent pas croire qu'ils peuvent consommer de jeunes enfants en toute impunité. Ils seront punis. La loi les punira comme il se doit. Quant aux enfants, ils sont des victimes qu'il nous faut protéger, mettre à l'abri. J'ai beaucoup travaillé depuis trois mois avec les associations et les institutions. Nous allons mettre en place un réseau de prise en charge de ces enfants par une plate-forme d'associations franco-roumaines, pour leur permettre de retrouver un espoir, un devenir, une part d'enfance, prioritairement dans leur pays, surtout si nous retrouvons leurs familles."
Ce sont des lieux d'accueil ?
- "Oui."
Vous aviez parlé, il y a quelques semaines, quelques mois, de lieux d'accueil pour les jeunes errants, en particulier à Paris et Marseille. Est-ce là la première étape ?
- "Oui. Il s'agit d'aller à leur rencontre, car ces enfants sont dans la rue, sont en errance et sont menacés par des mafieux qui les obligent à se prostituer ou à commettre des petits actes de délinquance."
Pour bien comprendre la perception que vous avez de ce sujet qui est sous votre autorité : on a beaucoup parlé dans l'actualité, au printemps dernier, des jeunes Roumains qui pillent les horodateurs. Ce sont des victimes ?
- "Là, il faut examiner au cas par cas. Pour moi, tous les enfants, de toute façon, sont des victimes, car ils sont exploités par des gens qui les menacent, qui les maltraitent, qui les obligent à se prostituer ou à commettre des petits actes de délinquance. Nous devons prendre en charge ces enfants, les protéger, les sécuriser, évaluer leur état de santé et trouver des familles d'accueil. En Roumanie, les familles, souvent d'origine rurale, ne savent pas que leurs enfants sont exploités comme cela. Ils pensent que les enfants vont chez des gens ou travaillent, mais n'imaginent pas que les enfants sont réduits à ce degré d'inhumanité. Nous avons un devoir de les protéger, de les mettre à l'abri et de leur rendre une part d'enfance. Si nous ne le faisons pas, ils peuvent devenir et ils deviendront sans doute de graves délinquants dans quelques années. Mais nous allons agir dès la rentrée et nous allons mettre en place tout un protocole de fonctionnement entre nos deux pays."
C'est pour cela que vous serez à Bucarest les 30 et 31 août avec N. Sarkozy.
- "Absolument."
Cet été, on a beaucoup vu de mendicité. C'est un phénomène qui a explosé. Des maires prennent des arrêtés anti-mendicité, une quinzaine de maires depuis le printemps dernier. Les associations dénoncent une espèce de carence des pouvoirs publics qui ne savent pas héberger ces SDF...
- "Il y a effectivement des maires qui, sous la pression de leurs administrés, ont pris différents arrêtés."
C'est la solution ?
- "Ce n'est pas la solution unique. Cela dépend. Les arrêtés ne sont légaux que s'ils sont limités dans le temps et dans l'espace. On a vu que dans les arrêtés qui ont été pris cet été, pas mal d'entre eux visaient les situations de prostitution et de racolage. C'est dire si la prostitution est un phénomène important et inquiétant. Concernant la prise en charge des personnes, nous avons un dispositif d'hébergement d'urgence qui a un potentiel de 36.500 places, qui est totalement saturé, qui est "embolisé", et sur lequel je suis actuellement en train de travailler pour le repenser. Mais il faut être conscient que nous sommes face à une gestion de crise permanente et que nous ne savons jamais à l'avance combien de personnes arriveront dans la rue. C'est pour cela que le dispositif est passé de 15.000 places il y a dix ans, à 36.000 places aujourd'hui. Et nous le réadapterons au fur et à mesure, en fonction des problèmes et des populations que nous rencontrerons dans la rue."
Vous serez aussi efficace au Gouvernement qu'à la tête d'une association ?
- "Je l'espère. En tout cas, je mettrai toute ma compétence, et surtout ma capacité de dialogue avec les associations, les institutions, pour trouver des solutions à une vraie question de société. Mais j'aimerais préciser qu'à mon sens, cette question de société - la lutte contre l'exclusion - ne sera résolue que si l'ensemble des forces de ce pays, c'est-à-dire les pouvoirs publics, les associations, les entreprises, les citoyens, se regroupent ensemble. Il y va du devenir de notre société."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 août 2002)