Texte intégral
CONFERENCE DE PRESSE à Jérusalem, le 7 octobre 1999
Mesdames, Messieurs, je vais répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.
Auparavant je vous dirais que je suis extrêmement satisfait, que j'ai été extrêmement intéressé par cette journée passée à Jérusalem, par les nombreux entretiens que j'ai eus avec M. Lévy, l'audience chez le président Weizman, mon déjeuner avec M. Shimon Pérès, mes entretiens avec le président de la Knesset et le président de la Commission des Affaires étrangères de la Knesset, l'entretien que je viens d'avoir avec M. Ben-Ami, en attendant l'audience chez le Premier ministre, M. Barak, demain matin.
J'ai déjà expliqué dans quel esprit s'inscrivait ce voyage. L'arrivée au pouvoir de M. Barak a créé une situation nouvelle. C'est, comme premier résultat, la relance des relations entre les Israéliens et les Palestiniens sous la forme d'un engagement : confirmer et appliquer les décisions qui avaient été prises antérieurement mais qui n'étaient pas appliquées. Cela, c'est le mémorandum de Charm el-Cheikh, qui est un élément très important mais qui concerne les décisions prises antérieurement. Ce qui est très important maintenant, est de savoir quand et comment les Israéliens et les Palestiniens vont pouvoir s'engager dans cette très importante négociation dite du statut final en définissant le cadre, puis en négociant de façon concrète sur chacun des points. Tout cela a changé complètement de sens à partir du moment où un gouvernement israélien déclare vouloir aller de l'avant, et à partir du moment où on n'a plus affaire à des responsables qui cherchent des prétextes pour arrêter les discussions, à ne pas les commencer, à ne pas tenir les engagements prévus.
Ce nouveau contexte a été initié récemment par la visite de M. Barak à Paris, qui s'est passée de façon excellente, et mon voyage s'inscrit dans la suite de ces rencontres. Il y a deux objectifs : un objectif bilatéral : relancer cette relation bilatérale franco-israélienne. Après mon voyage il y aura d'autres voyages de ministres, Mme Demessine, M. Gayssot, M. Strauss-Kahn dont les dates ne sont pas encore fixées. Le Premier ministre, M. Jospin, devrait venir sans doute au début de l'an prochain, mais, là encore, le calendrier n'est pas arrêté mais le Premier ministre a accepté l'invitation de M. Barak. Il y a d'autres personnalités, comme M. Vauzelle, le président de la région PACA, ou comme la délégation du MEDEF conduite par M. Sellière, je crois. Un courant important de relations dans tous les domaines se développe et c'est un objectif en soi.
L'autre grand sujet auquel je consacre l'essentiel de mes rencontres avec mes interlocuteurs israéliens, c'est le processus de paix. Pas sous l'angle de la mise en oeuvre des engagements pris antérieurement. Cela c'est très important, cela contribue à créer ce climat différent. Mais sur la suite, la suite c'est le processus israélo-palestinien et c'est la question israélo-syrienne, et subséquemment, la question israélo-libanaise. Par rapport à cela, mon évaluation est confirmée, sous réserve de l'entretien que j'aurai avec M. Barak, naturellement, qui est essentiel. Mais cela confirme mon impression qu'il a été relativement facile de relancer les relations avec les Palestiniens qui n'avaient jamais été complètement interrompues mais qui s'étaient vidées de tout contenu réel. Cela a été relativement facile sur la question de l'application des engagements antérieurs mais, en revanche, la suite des négociations va être extraordinairement difficile.
Les positions annoncées et affichées, de part et d'autre, sur les questions de Jérusalem, sur les questions des réfugiés, sur les questions des colonies, sur les questions de l'eau, sur les questions du contour, du statut du futur Etat palestinien, étaient une évidence pour la France depuis bientôt vingt ans. Sur tous ces points, on observe un très grand écart entre les positions annoncées. Il faut sans doute tenir compte du calendrier. Il s'agit précisément de positions avant que les discussions aient commencé ne serait-ce que sur le cadre, mais je me dois de noter ce point. Je suis convaincu de la volonté des uns et des autres de négocier et de trouver une solution mais on ne peut pas se cacher la difficulté. On ne peut pas s'attendre à ce que cela se passe aisément.
En ce qui concerne la dimension syrienne, là, les choses me paraissent un peu différentes dans la mesure où c'est surtout le redémarrage qui pose problème, ou le démarrage, qui me paraît concentrer en lui-même toutes les difficultés, beaucoup plus que la question en soi. La question en soi n'est pas insoluble. On peut avoir différentes idées. Enfin, j'ai trouvé chez tous mes interlocuteurs une très grande ouverture d'esprit par rapport à l'action et à la présence de la France, cette attitude de proximité, de disponibilité, montrant que nous sommes là.
La France est très passionnée par cette question du processus de paix, attend ardemment et depuis très longtemps une vraie paix au Proche-Orient, a essayé d'y contribuer de différentes façons. Elle est encore disponible. Nous sommes là mais on ne peut pas négocier à la place des protagonistes, on ne peut pas conclure avec eux et on ne peut pas à leur place prendre les décisions historiques et courageuses qu'ils devront prendre un jour, pas très éloigné, pour fonder les vraies et les grandes décisions.
Q - La presse israélienne a exprimé des craintes ou des inquiétudes sur la position de la France. Avez-vous ressenti cette inquiétude malgré les nombreuses visites en Israël de ministres français que vous avez énumérées ? Avez-vous ressenti cette inquiétude et êtes-vous parvenu à la dissiper, si elle existe ? Cela permettra-t-il à la France d'être plus engagée et d'avoir un rôle plus utile dans le processus de paix ?
R - Je ne sais pas sur quoi la presse israélienne se fonde pour dire cela. Je n'ai pas eu spécialement l'occasion d'en parler avec des journalistes israéliens. Je n'ai absolument pas ressenti ce sentiment chez mes interlocuteurs. Je les ai trouvés ouverts à la discussion, intéressés par les idées françaises. Intéressés par la discussion, en étant d'accord ou pas d'accord, selon les cas, comme je l'étais moi-même. Vous avez entendu M. Lévy ce matin, après notre entretien, il parlait de l'action de la France dans des termes que j'ai trouvés à la fois sympathiques et positifs. Cela ne peut donc que nous encourager dans cette direction. J'ai abordé moi-même ce problème, car cela ne m'avait pas échappé, avec certains de mes interlocuteurs (mais ce n'était pas des journalistes israéliens, c'étaient des responsables politiques) ; j'ai fait remarqué que la France avait exprimé à certaines époques des formules de compromis ou des principes comme la reconnaissance mutuelle, la reconnaissance de l'autre comme interlocuteur nécessaire, et donc pour les Israéliens l'obligation d'avoir un jour à parler avec l'OLP, mise en avant des principes de l'Etat palestinien dès 1982.
De même que la France parlait à ses amis arabes de la nécessaire reconnaissance de l'existence d'Israël naturellement, mais aussi de son droit à la sécurité, de son droit aux moyens nécessaires à cette sécurité. Donc, pendant une longue période, la France a dit, en étant en somme précurseur, un certain nombre de choses fortes qui ont pu heurter la sensibilité des uns et des autres, selon les moments. Mais j'observe que les esprits ont évolué. C'était peut-être plus facile pour nous, de l'extérieur, de le dire avec un relatif recul, en tout cas géographique. Dans ces affaires, c'est peut-être plus facile pour nous d'ouvrir des voies avec un petit peu de recul, d'habituer les esprits à certaines choses, et c'est cela qui a certainement nourri des incompréhensions, ou des inquiétudes, voire une agressivité bien injuste, par rapport à nos positions.
Je crois donc que la France a fait un travail extrêmement utile à travers toutes ces années. Aujourd'hui la situation est différente parce que, le fait que les Israéliens et les Palestiniens se parlent entre eux est devenu non pas complètement une banalité, mais c'est devenu un élément de la vie quotidienne de la politique israélienne et de la politique palestinienne ; cela ne peut plus choquer ni irriter personne.
La question de l'Etat palestinien est encore abordée avec certaines précautions par les uns et les autres mais elle est aussi une évidence et il est évident que nous avions raison quand nous pensions que cela ne serait pas un problème mais une solution. Nous nous trouvons donc dans une phase qui est beaucoup plus propice à ce que nous travaillions avec les uns et les autres puisque notre pays a la chance extraordinaire, d'être dans un rapport étroit et ancien aussi bien avec les Israéliens qu'avec les Palestiniens, les Syriens et les Libanais, sans parler des excellentes relations que nous avons avec les Jordaniens et les Egyptiens. C'est une position privilégiée. Il faut qu'elle soit utile et féconde et profitable à tous, et à la paix dans la phase qui s'annonce, comme nous avons su l'être je crois pendant les années écoulées.
Q - Monsieur le Ministre, je vais ouvrir une petite parenthèse qui n'a rien à voir ici avec Israël et les Palestiniens. Le juge Jean-Louis Bruguière a décidé d'ouvrir une instruction contre le colonel Khadafi suite aux plaintes des familles des victimes. Qu'elle est votre réaction à cela et est-ce que vous pensez que cela risque de compromettre la normalisation entre Paris et Tripoli ?
R - Je n'ai aucun commentaire à faire. C'est une décision purement judiciaire.
Q - Monsieur le Ministre, je voudrais avoir votre appréciation de la position israélienne en ce qui concerne les dossiers syrien et libanais. D'un côté, une promesse d'un retrait unilatéral ou avec accord le 7 juillet de l'an prochain, d'autre part une vague de bombardements intensifs sur le sud-Liban ces dernières semaines. Comment voyez-vous cette position israélienne ?
R - Ce qui nous intéresse dans cette affaire, comme dans le volet palestinien : c'est ce qui permet de faire avancer les choses. Si on examine ces questions israélo-syriennes, ou alors israélo-palestiniennes de façon statique, on se dit "Jamais on ne trouvera de solution, jamais on n'avancera". Si on les examine de façon dynamique, avec une perspective historique, et si on se rappelle qu'elle était la position des uns et des autres, il y a cinq ans, dix ans ou quinze ans, là, naturellement, on retrouve une espérance, qui est par ailleurs justifiée par le fait que, manifestement, les choses bougent en ce moment.
Sur les questions israélo-libanaises, encore une fois, je ne veux pas me substituer - et ce n'est pas notre rôle - aux uns et aux autres, pour définir exactement les lignes, l'emplacement et les références, etc.. Ce qui nous intéresse nous, ce que nous soutenons, ce que nous encourageons, ce que nous sommes prêts à aider, c'est que les protagonistes parviennent à se mettre d'accord sur les conditions de redémarrage de la négociation et sur la conclusion de la négociation. Nous pensons que cette question du Golan est soluble. Qu'il est possible de la traiter en répondant aux intérêts légitimes des uns et des autres, dans des conditions de sécurité qui soient rassurantes pour les uns et pour les autres à l'avenir. Et j'étends ce raisonnement naturellement au Liban.
Il ne faut pas seulement examiner la situation actuelle au Liban. La France a été très active depuis des années notamment à travers son rôle dans les accords du Sud-Liban et je crois qu'elle a énormément contribué à limiter les escalades, à faire en sorte que, à quelques très rares exceptions près, cette situation de tension extrême ne déborde sur les civils. Mais de toute façon c'est un problème fâcheux et c'est une solution de transition. Il faut aller vers un règlement de fond. Vous connaissez notre position. Pour nous les choses sont liées, il vaut mieux un bon accord qu'un retrait pur et simple. Je crois qu'ici, d'après ce que j'ai compris, tout le monde souhaite que ce soit dans le cadre d'un bon accord.
Il me semble que la bonne combinaison, c'est l'accord israélo-syrien plus l'accord israélo-libanais. Donc, nous encouragerons cela, mais je ne suis pas négociateur, je ne suis pas venu avec des cartes pour comparer les options et, de plus, la discussion entre eux n'a même pas repris. Donc, si nous avons un avis à exprimer, à un moment donné, sur la solution qui pourrait être la solution de consensus, on le fera plus tard, au moment opportun.
Q - Etes-vous inquiet de cette position du Premier ministre israélien qui réitère presque tous les trois jours que le 7 juillet de l'an 2000, Israël se retirera du Liban, sans préciser si ce sera dans le cadre d'un accord ou non ?
R - Non, nous n'avons pas à être inquiet. C'est leur droit le plus strict et c'est leur responsabilité propre. Les Israéliens étaient au Sud-Liban pour des raisons de sécurité. Selon eux, ils estiment devoir en sortir, c'est leur choix. Sur un plan général, puisque les Israéliens sont les premiers à reconnaître que la France, par ses liens avec la Syrie, par ses liens avec le Liban, peut certainement être utile à tout cela, nous faisons remarquer que ce sera encore plus satisfaisant et encore plus stable comme arrangement, et donc plus profitable à tout le monde, si cela s'inscrit dans le cadre d'un accord. C'est un souhait. Donc il n'y a pas à exprimer d'inquiétudes à ce stade, simplement l'espérance que tout cela puisse se débloquer puisque la question du point de départ de la discussion israélo-syrienne n'est pas réglé à ce jour, et nous espérons donc que cela puisse entraîner d'autre part une solution sur le volet libanais. Je formule des voeux et des souhaits et à ce stade, pas de regrets.
Q - Monsieur le Ministre, on se souvient que vous aviez qualifié la politique de Benyamin Nétanyahou dans le cadre du processus de paix catastrophique à l'époque. Est-ce que vous avez une formule aussi percutante pour définir la politique de paix de son successeur, Ehud Barak ? C'est ma première question.
Et, deuxième question, qui concerne en particulier la communauté des Israéliens francophones qui, vous le savez peut-être, est assez importante ici. Il a été publié dans le Journal officiel du mois de septembre, une information selon laquelle le Centre culturel français qui doit se créer à Jérusalem, serait en fait une annexe du Centre culturel qui se trouve à Cheikh Jarah, c'est à dire dans la partie Est de Jérusalem. Est-ce que vous confirmez cette information ou voulez-vous apporter un rectificatif ?
R - Sur le premier point, je ne cherche pas à faire de déclarations fracassantes pour le plaisir, encore que sur le plan de l'écho, c'est toujours très facile de les faire reprendre si elles sont fracassantes. Mais il faut résister à cette tentation. Quand je m'étais exprimé sur la politique de l'ancien Premier ministre israélien, c'était en septembre 97 et tout le monde avait pu constater qu'en effet, cette politique aboutissait à un blocage. Et j'avais dit quelque chose que, je crois, tout le monde pensait sans le dire. Et puis la suite n'a pas tout à fait contredit cette déclaration. J'avais parlé des conséquences catastrophiques pour les Palestiniens, pour les pays de la région, et pour les Israéliens également.
A l'heure actuelle, je me garderai bien de faire une déclaration fracassante à propos d'un Premier ministre qui vient d'arriver. Ce serait absurde de vouloir juger au bout de quelques mois. Mais de toute façon, nous avons déjà dit ce que cela nous inspire et tout ce qui a été fait et dit par M. Barak jusqu'à maintenant nous parait prometteur et encourageant. C'est tout ce qu'on a dit jusqu'à maintenant.
Les problèmes qui restent sont extraordinairement compliqués. Et tout ce qu'on regroupe sous le chapeau de statut final, est particulièrement difficile. D'où d'ailleurs la relance que cela a entraîné aussitôt dans les relations entre Israël et la France, mais aussi Israël et la plupart des pays européens, Israël et les Etats-Unis, etc. C'est le cadre général, mais n'oublions jamais l'extrême difficulté des questions qui sont à traiter maintenant.
Seconde question : le point ne se pose pas du tout comme ça. Le projet du ministère des Affaires étrangères français est de développer la présence française à Jérusalem et il y a donc un projet de centre culturel. L'autre question qui se pose est celle d'une alliance française qui ne fonctionne pas bien et cette question, comme partout dans le monde, totalement indépendante de la localisation est à l'étude.
Je souligne contrairement à certains commentaires de presse que précisément le thème de ma démarche, est de renforcer la présence française à Jérusalem, avec un centre culturel qui ait une totale autonomie de programmation. Nous sommes au début du projet, il va se développer, vous en serez informés. Je crois qu'il correspond aux attentes et aux désirs qui ont été exprimés très souvent.
Q - Mais c'est mentionné au journal officiel.
R - Oui, mais je pense qu'il y a des malentendus sur les termes techniques peut-être. En tout cas, l'idée est simple. Elle est de renforcer cette présence.
Q - Vous avez fait état à plusieurs reprises de la disponibilité de la France et de l'accueil favorable réservé par des interlocuteurs israéliens à cette posture. Avez-vous acquis la conviction que l'on met côté israélien et côté français les mêmes choses derrière les mêmes mots ? Et en clair que signifie la disponibilité ? Est-ce un rôle d'émissaire, de force de proposition, d'arbitre éventuel, ou de force de contrôle dans l'accord futur ultérieur ? Pouvez-vous préciser un peu ce concept ?
R - Tout ce que vous avez cité est possible. Selon les moments, selon les circonstances. C'est en partie une question de fond, et c'est en partie une question de ton, de ton et de style, de méthode et de manière. Je crois que nous comprenons tous de quoi il s'agit. Cela tient au fait que la France soit présente dans cette région depuis très longtemps, qu'elle ait des relations très étroites avec la plupart des protagonistes. Cela n'est contesté par personne. Et ensuite, selon les périodes et selon les difficultés rencontrées, c'est plutôt les uns ou les autres qui demandent un appui, une intervention extérieure, ou qui disent au contraire "cela va très bien, on peut se débrouiller tout seuls". Donc je ne peux pas répondre globalement. Nous voulons une intervention qui soit la plus adaptée possible à la situation, la plus adaptée possible au problème.
Les problèmes que j'ai énumérés ne se présentent pas de la même façon. Il en existe sur lesquels nous n'avons peut-être pas de proposition particulière à faire, sur lesquels nous aurons des propositions à faire, donc nous ne renoncerons d'avance à aucune des attitudes que vous citiez. Cela peut aller du simple fait d'être présent au sens de venir dans la région, d'être informé, de ne pas se limiter aux analyses que l'on peut faire depuis Paris. Cela peut consister à faire passer des informations, à faire circuler des messages, à faire des suggestions. Cela peut aller plus loin. Cela peut consister à faire, à tel ou tel moment, de réelles propositions pour débloquer des situations. Cela peut aller plus loin en indiquant sous quelle forme la France, ou l'Europe d'ailleurs, une dialectique entre les deux pourrait intervenir et fournir telle ou telle garantie dans un accord en préparation, on peut imaginer qu'à un moment donné cela puisse être décisif dans une négociation d'accord.
A Charm el-Cheikh par exemple, les Palestiniens ont demandé à l'Europe, via M. Moratinos, une lettre de garantie qui est venue compléter et équilibrer en quelque sorte la lettre de garantie américaine. Je ne dis pas qu'il faut brandir cela hors de propos tous les matins sans savoir à quoi ça s'applique. Ensuite il faut distinguer sujet par sujet. Et comme je le disais depuis le début, la situation n'est pas la même en ce qui concerne la négociation israélo-syrienne qui n'a pas repris tandis que la négociation palestinienne a repris.
Ensuite, il faut affiner ce que nous pouvons avoir à dire ou à faire d'utile à propos de Jérusalem, les réfugiés, les frontières, les colonies, l'eau, tout cela est différent. Nous allons essayer d'être le plus utiles possible, ce qui nous impose d'être le plus adaptés possible. Et pas simplement d'invoquer les principes généraux de politique qui sont connus, qu'on rappelle périodiquement : la légalité internationale, nos déclarations, nos aspirations, nos attentes. Il faut essayer d'introduire une valeur ajoutée sur chaque sujet, ce qui suppose de suivre de très près les évolutions. Dans un avenir proche, il y aura beaucoup de visites ici, et toujours autant de contacts, ou à New York, ou partout où cela sera nécessaire. C'est le cadre général, la réponse plus détaillée viendra avec les actes même, que nous pourrons analyser et commenter au fur et à mesure.
Q - Sur le volet syrien encore, Monsieur le Ministre, si vous permettez, on a l'impression depuis quelque temps ici en Israël qu'il y a une certaine irritation face au refus syrien de reprendre les négociations de paix. Ce matin, David Lévy a dit qu'il ne voulait pas mendier cette reprise. Est-ce que vous avez encore des raisons d'espérer une reprise rapide de ces négociations ?
R - J'ai noté chez mes interlocuteurs en tout cas une interrogation sur le thème "est-ce que les Syriens veulent ou non reprendre ces négociations ?" Il m'a semblé qu'avec cette interrogation, à côté d'un début d'impatience, prédominait quand même l'idée que la Syrie, le président Assad pour être plus précis, recherchait un accord malgré tout, c'était quand même l'analyse qui restait dominante. Maintenant, il est clair qu'il y a une attente par rapport à ce redémarrage. Nous avons des raisons de penser que la Syrie est intéressée par une solution. Mais après, chaque pays a sa conception de la solution, naturellement.
Q - Ici, on dit par exemple que le président Assad actuellement a d'autres préoccupations plus internes. Est-ce que vous avez pu rassurer les Israéliens de ce côté là ?
R - Je n'ai pas à rassurer les Israéliens. On discute, on échange nos analyses, c'est intéressant dans les deux sens. Comme je l'ai dit, ils s'interrogent : est-ce que le président Assad veut un accord ou pas? Ils pensent quand même plutôt que oui mais ils attendent. Par ailleurs, mais pas dans la même position, notre analyse est plutôt que oui. La Syrie est intéressée à un accord, pour différentes raisons. Mais les choses n'ont pas débouché puisqu'il y a cet échange auquel vous pouvez assister entre les Israéliens et les Syriens, où les Syriens demandent un certain nombre de choses avant de reprendre la négociation alors que les Israéliens pensent que cela ne peut découler que de la poursuite, de la conclusion des négociations. J'ai plutôt tendance à penser que ce blocage sera surmonté.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous avez trouvé les dirigeants israéliens aussi fermés sur la question des réfugiés palestiniens que sur Jérusalem? Et comment voyez-vous à long terme une solution pour tous ces réfugiés ?
R - La position israélienne me paraît intransigeante et dure sur Jérusalem, sur les réfugiés, sur les frontières, les colonies, etc... Comme je l'ai dit tout à l'heure. La position palestinienne me paraît également intransigeante et dure. Là aussi, j'ai tendance à penser que c'est lié au calendrier. La discussion n'a pas commencé sur le statut final. Donc je ne connaît pas de négociation dans laquelle les protagonistes annoncent les concessions avant d'avoir commencé. Donc je n'ai pas tendance à interpréter tout cela strictement au pied de la lettre. Je pense qu'il y a une volonté israélo-palestinien de négocier. Je pense qu'il y a un intérêt stratégique de part et d'autre à négocier et que les choses se développeront après. J'ai entendu en même temps de la part de plusieurs de mes interlocuteurs la phrase suivante : "Les Palestiniens doivent savoir qu'ils n'obtiendront pas satisfaction à 100%". Ca, je crois qu'ils le savent déjà. Mais on m'a dit aussi : "et nous non plus, les Israéliens, nous n'aurons pas satisfaction à 100%". Alors quel est le pourcentage de non satisfaction, c'est à dire de compromis au bon sens du terme, de compromis intelligents, pour fonder la suite qui sera la relation définitive, durable entre Israéliens et Palestiniens. C'est à eux de le dire avant tout, le moment venu.
Ce moment viendra, il y aura un moment de vérité, de part et d'autre. Vous voyez bien que la difficulté n'est pas la même pour les uns, pour les autres. Mais ce sera le travail des négociateurs, aidés, si nous avons des bonnes idées à leur apporter, par tous les autres qui sont autour et qui forment une sorte de cercle amical autour du processus de paix et qui souffleront sur les braises au bon moment. Mais c'est objectivement difficile. On ne peut pas non plus prendre au pied de la lettre l'affirmation des positions actuelles. Je renvoie à ce que j'ai dit tout à l'heure. Il ne faut pas interpréter ces questions de façon statique mais dans leur dynamique.
Q - Sur le principe d'un Etat palestinien dont le principe semble acquis même du côté israélien, est-ce que vous avez été amené en présence de vos interlocuteurs à énumérer un certain nombre de principes qui sont chers à la diplomatie française sur la manière dont cet Etat palestinien devra être créé, que ce soit en terme de continuité territoriale, de frontières communes avec le reste des états arabes voisins ? Est-ce que ce sont des points que vous avez abordés aujourd'hui ?
R - Non, pas encore. Mais j'ai bien l'intention de le faire dans la suite de ce dialogue. Ce n'est pas un dialogue qui a lieu une journée et qui s'arrête. Un des plus longs thème de discussion a été consacré à ce dont nous avons parlé. L'analyse de la situation israélo-syrienne vue du côté israélien et puis l'analyse de la préparation de la discussion sur le statut final. Il y a beaucoup de sujets à l'intérieur de la discussion sur le statut final et on a encore beaucoup de choses à se dire. On a beaucoup de choses à entendre. On a beaucoup de choses à leur dire. On a beaucoup d'échanges à avoir comme eux en ont d'ailleurs beaucoup à dire avec les Palestiniens que je verrai demain. Je ne dis pas du tout que la discussion épuise le sujet. Cela dit, nos idées sont bien connues. Elles sont exprimées régulièrement et notamment sur l'Etat palestinien puisque j'ai rappelé que la France a été le premier grand pays occidental à se prononcer clairement sur le sujet depuis 1982, donc nos positions sont bien connues. J'ai senti du côté israélien qu'en plus, la discussion sur l'Etat en tant que tel, était dans leur approche une sorte de récapitulation des autres sujets.
Q - Vous avez dit avoir des raisons de penser que la Syrie aspire à une solution. Pourtant les Syriens ont durci leur position ces dernières semaines. Quelle est votre analyse ?
R - Je ne vais pas faire d'analyse trop détaillée, au jour le jour, à deux semaines d'intervalle. Ce n'est pas possible. D'abord parce que je crois qu'on n'a pas d'éléments, donc cela resterait des spéculations. Il faut essayer de dégager la ligne générale. Sur le plan de l'analyse stratégique, je répète que nous estimons à Paris que la Syrie est intéressée par une solution.
ENTRETIEN AVEC LES RADIOS FRANCAISES à Jérusalem, 7 octobre 1999
Q - Monsieur le Ministre, vous nous disiez hier que vous veniez ici en Israël pour sentir l'atmosphère ; êtes-vous satisfait des entretiens que vous avez eu aujourd'hui ?
R - Ce qui m'a passionné tout au long de la journée d'aujourd'hui, d'abord longuement avec mon homologue M. David Levy, ensuite avec le président, avec M. Peres et également avec le président de la Knesset en attendant mon entretien demain avec M. Barak, c'est que tout le monde est dans la problématique du processus de paix. On en parle, ils en parlent entre eux, ils font très bon accueil au ministre français qui est là, il n'y a aucune espèce de problème concernant le rôle et la place de la France. Il leur paraît tout à fait naturel de faire le point, d'échanger les idées, de recueillir des suggestions, de réfléchir à haute voix sur la suite du processus, c'est déjà une chose qui est très positive et qui s'inscrit dans la suite de cette relance que l'on a pu constater depuis l'arrivée au pouvoir de M. Barak et après sa non moins remarquable visite à Paris.
Sur les dossiers eux-mêmes, évidemment, nous entamons la relance mais les dossiers sont extrêmement compliqués. Du côté syro-israélien, la reprise des négociations est difficile ; les deux parties discutent encore de façon directe ou indirecte de la façon de redémarrer et sur quelles bases. Ensuite, c'est une question touchant au Golan : comment assurer la sécurité pour les uns et pour les autres.
Quant à la question israélo-palestinienne, les deux parties n'avaient jamais complètement rompu, ce n'était pas des relations totalement vides même lorsqu'elle représentait peu il s'agissait de relancer les négociations.
Ils les ont relancées, ils vont empêcher les discussions sur le statut final, dès que l'on ouvre le couvercle et que l'on regarde le contenu qui comprend Jérusalem, les réfugiés, les colonies, les frontières, de multiples sujets. Sur tous ces points, il y a une position stable affichée tant par M. Barak que par Yasser Arafat qui ont des positions apparemment antagonistes. Si nous raisonnions en termes fixes, en termes statiques, on se dirait que l'on ne peut pas y arriver. Si on raisonne avec une vue historique, en regardant d'où ils viennent, en pensant qu'Israël a combattu pendant des années la simple idée d'un dialogue avec l'OLP ou l'Etat palestinien, que les Palestiniens ont combattu pendant des décennies le même Etat d'Israël, à ce moment-là, on retrouve espoir et on se dit qu'aucune difficulté n'est insurmontable.
Q - Avez-vous évoqué la libération des prisonniers qui devrait avoir lieu demain ?
R - Non, parce que je ne veux pas me substituer aux négociations entre les deux parties, je ne suis pas responsable palestinien ni israélien, ceci concerne la mise en oeuvre des dispositions qu'ils se sont engagés à appliquer à Charm el-Cheikh pour appliquer Wye River bloqué, je ne peux pas interférer avec cela. J'essaie de me projeter dans les conversations, dans l'avenir proche, l'ouverture de la négociation du statut final, l'avenir à plus long terme mais je l'espère pas trop éloigné, c'est-à-dire la solution à ces questions. Et c'est là-dessus que j'ai fait réagir mes interlocuteurs en leur montrant l'intérêt, la présence, la disponibilité de la France et en essayant d'y voir plus clair sur ce qu'ils veulent faire eux-mêmes et sur les points où passeront des compromis.
Q - Concernant le volet syrien, les Israéliens comptent-ils sur vous ?
R - Les Israéliens comptent sur tout pays ami capable de faire entendre leur analyse des choses à Damas et qui serait à même de favoriser le franchissement de ce premier obstacle qui est un obstacle préalable. Les Syriens demandent en quelque sorte que les questions de fond soient réglées avant que cela ne recommence et les Israéliens disent que ce n'est qu'en recommençant qu'on les réglera.
Voilà où nous en sommes encore et c'est pour cela que je dis que dans l'affaire du Golan, dans l'affaire israélo-syrienne qui commande la question libanaise pour la suite, nous sentons qu'ils tournent en rond. Alors que, lorsque cela aura commencé, on peut penser que cela ira plus vite sur le volet palestinien car le contenu est moins compliqué.
Q - Pensez-vous que des ouvertures, comme des éventuelles libérations de prisonniers sont des signes positifs dans ce processus ?
R - C'est un signe positif d'application des engagements pris. C'est toute la différence avec la situation dans laquelle nous étions sous le gouvernement précédent sous M. Netanyahou, dans laquelle les engagements n'étaient pas pris, ou lorsqu'ils étaient pris n'étaient pas tenus, et lorsqu'ils étaient tenus, étaient aussitôt arrêtés et remplacés par autre chose. La situation présente est tout à fait différente. Mais, cela concerne le passé, c'est un bon signe parce que c'est un élément de crédibilité qui doit renforcer la confiance mutuelle entre Israéliens et Palestiniens, mais cela n'a rien à voir avec le problème du statut final. Là, nous en sommes encore avant le commencement et c'est plutôt dans cet avenir proche que j'ai essayé de me projeter et de positionner notre pays pour qu'il soit le plus utile possible.
Q - Comment interprétez-vous le fait que, depuis quelques mois, on sent chez les Israéliens comme chez les Syriens d'ailleurs, la volonté d'aller très vite ?
R - En tout cas, la volonté de déboucher. La différence chez les Israéliens, c'est le passage de M. Netanyahou à M. Barak. M. Netanyahou cherchait plutôt des prétextes pour ne pas avancer, pour ne pas tenir les engagements pris, ils cherchaient surtout à ne pas en prendre de nouveaux. M. Barak arrive, il veut régler les problèmes, c'est une volonté politique, elle a été ratifiée par l'électorat israélien dans des proportions fortes, et il dit vouloir aller vite parce que, me semble-t-il, sous réserve de mon entretien avec lui, il veut profiter d'un moment à saisir et c'est également l'état d'esprit des Palestiniens. Les Israéliens pensent que, du point de vue du président Assad, aussi, le moment est opportun pour conclure. C'est cela qu'ils sont en train de tester. Je vous dis cela après mes entretiens du côté israélien qu'il faut compléter et enrichir avec les autres parties. Il y a une volonté d'avancer le plus loin possible, il y a des dates, un calendrier pour, en quelque sorte, maintenir une dynamique ; mais il faut régler les questions de fonds qui ne le sont pas encore. Si nous pouvons les aider, nous le ferons.
Q - Votre voyage continue, vous allez partir également à Damas, à Beyrouth pour continuer la semaine de la mission de la France ?
R - C'est plutôt une disponibilité qu'une mission d'autant que cela fait partie du travail de la diplomatie française que d'être présent. Etre présent, par définition, cela veut dire être présent sur place. S'il y a des difficultés, on les résout d'autant mieux qu'elle sont exprimées à Jérusalem, à Ramallah, à Damas ou ailleurs. Ceci complète les passages fréquents à Paris des dirigeants qui sont reçus par le Président et par le Premier ministre, les rencontres à New York, cela forme un tout.
Q - Sur le problème de Jérusalem, que pensez-vous de la position israélienne, pensez-vous que nous pouvons évoluer ?
R - Jérusalem, comme la question des réfugiés, des colonies, celle des frontières, du statut des modifications à apporter aux attributions du futur Etat palestinien, cela fait partie des questions très compliquées que l'on englobe sous le terme de négociation sur le statut final. C'est l'un des éléments, et l'on voit bien qu'entre la position israélienne et la position palestinienne, il est clair qu'il y a incompatibilité.
Q - Quelle est la position de la France dans ce domaine ?
R - La position de la France est d'encourager les uns et les autres à trouver une solution. Ce n'est pas d'imposer une solution comme cela, qui tomberait du ciel. Il faut les encourager à trouver une solution, il faut qu'ils se parlent et ce que je sais, c'est qu'à un moment ou à un autre, il faudra qu'ils trouvent un compromis sur ce point comme sur les autres. Je ne crois pas qu'il faille isoler une des questions du statut final maintenant, alors que les protagonistes n'ont pas encore commencé à discuter. L'urgence actuelle est d'encourager les Israéliens et les Palestiniens à entrer dans cette discussion sur le statut final le plus tôt possible. Dans un premier temps, il faut débattre sur les bases de la discussion. Où ils vont se réunir, de quoi parle-t-on ? de quoi ne parle-t-on pas ? c'est cela qui va définir le périmètre de la négociation. Mais, il peut y avoir un blocage, il ne faut pas le cacher; C'est très compliqué.
Q - Etes-vous confiant ?
R - Je suis confiant à long terme, historiquement, lorsque je regarde ce qui s'est passé depuis 50 ans, lorsque je regarde comment les positions évoluent, auparavant, elles étaient critiquées et rejetées par tout le monde, aujourd'hui elles sont la base, les concepts sur lesquels tout le monde travaille, je suis confiant sur cette évolution d'esprit.
S'il faut raisonner en termes de semaines ou de mois, je suis plus réservé parce que je suis convaincu qu'il y aura des blocages et des impasses. Mais, je crois qu'ils auront le besoin, la volonté d'en sortir et d'avancer quand même. Dans cette situation, il est très important qu'ils sentent la présence, la proximité d'un soutien disponible. Nous verrons sous quelle forme cela pourra se concrétiser./.
( Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 1999)
Mesdames, Messieurs, je vais répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.
Auparavant je vous dirais que je suis extrêmement satisfait, que j'ai été extrêmement intéressé par cette journée passée à Jérusalem, par les nombreux entretiens que j'ai eus avec M. Lévy, l'audience chez le président Weizman, mon déjeuner avec M. Shimon Pérès, mes entretiens avec le président de la Knesset et le président de la Commission des Affaires étrangères de la Knesset, l'entretien que je viens d'avoir avec M. Ben-Ami, en attendant l'audience chez le Premier ministre, M. Barak, demain matin.
J'ai déjà expliqué dans quel esprit s'inscrivait ce voyage. L'arrivée au pouvoir de M. Barak a créé une situation nouvelle. C'est, comme premier résultat, la relance des relations entre les Israéliens et les Palestiniens sous la forme d'un engagement : confirmer et appliquer les décisions qui avaient été prises antérieurement mais qui n'étaient pas appliquées. Cela, c'est le mémorandum de Charm el-Cheikh, qui est un élément très important mais qui concerne les décisions prises antérieurement. Ce qui est très important maintenant, est de savoir quand et comment les Israéliens et les Palestiniens vont pouvoir s'engager dans cette très importante négociation dite du statut final en définissant le cadre, puis en négociant de façon concrète sur chacun des points. Tout cela a changé complètement de sens à partir du moment où un gouvernement israélien déclare vouloir aller de l'avant, et à partir du moment où on n'a plus affaire à des responsables qui cherchent des prétextes pour arrêter les discussions, à ne pas les commencer, à ne pas tenir les engagements prévus.
Ce nouveau contexte a été initié récemment par la visite de M. Barak à Paris, qui s'est passée de façon excellente, et mon voyage s'inscrit dans la suite de ces rencontres. Il y a deux objectifs : un objectif bilatéral : relancer cette relation bilatérale franco-israélienne. Après mon voyage il y aura d'autres voyages de ministres, Mme Demessine, M. Gayssot, M. Strauss-Kahn dont les dates ne sont pas encore fixées. Le Premier ministre, M. Jospin, devrait venir sans doute au début de l'an prochain, mais, là encore, le calendrier n'est pas arrêté mais le Premier ministre a accepté l'invitation de M. Barak. Il y a d'autres personnalités, comme M. Vauzelle, le président de la région PACA, ou comme la délégation du MEDEF conduite par M. Sellière, je crois. Un courant important de relations dans tous les domaines se développe et c'est un objectif en soi.
L'autre grand sujet auquel je consacre l'essentiel de mes rencontres avec mes interlocuteurs israéliens, c'est le processus de paix. Pas sous l'angle de la mise en oeuvre des engagements pris antérieurement. Cela c'est très important, cela contribue à créer ce climat différent. Mais sur la suite, la suite c'est le processus israélo-palestinien et c'est la question israélo-syrienne, et subséquemment, la question israélo-libanaise. Par rapport à cela, mon évaluation est confirmée, sous réserve de l'entretien que j'aurai avec M. Barak, naturellement, qui est essentiel. Mais cela confirme mon impression qu'il a été relativement facile de relancer les relations avec les Palestiniens qui n'avaient jamais été complètement interrompues mais qui s'étaient vidées de tout contenu réel. Cela a été relativement facile sur la question de l'application des engagements antérieurs mais, en revanche, la suite des négociations va être extraordinairement difficile.
Les positions annoncées et affichées, de part et d'autre, sur les questions de Jérusalem, sur les questions des réfugiés, sur les questions des colonies, sur les questions de l'eau, sur les questions du contour, du statut du futur Etat palestinien, étaient une évidence pour la France depuis bientôt vingt ans. Sur tous ces points, on observe un très grand écart entre les positions annoncées. Il faut sans doute tenir compte du calendrier. Il s'agit précisément de positions avant que les discussions aient commencé ne serait-ce que sur le cadre, mais je me dois de noter ce point. Je suis convaincu de la volonté des uns et des autres de négocier et de trouver une solution mais on ne peut pas se cacher la difficulté. On ne peut pas s'attendre à ce que cela se passe aisément.
En ce qui concerne la dimension syrienne, là, les choses me paraissent un peu différentes dans la mesure où c'est surtout le redémarrage qui pose problème, ou le démarrage, qui me paraît concentrer en lui-même toutes les difficultés, beaucoup plus que la question en soi. La question en soi n'est pas insoluble. On peut avoir différentes idées. Enfin, j'ai trouvé chez tous mes interlocuteurs une très grande ouverture d'esprit par rapport à l'action et à la présence de la France, cette attitude de proximité, de disponibilité, montrant que nous sommes là.
La France est très passionnée par cette question du processus de paix, attend ardemment et depuis très longtemps une vraie paix au Proche-Orient, a essayé d'y contribuer de différentes façons. Elle est encore disponible. Nous sommes là mais on ne peut pas négocier à la place des protagonistes, on ne peut pas conclure avec eux et on ne peut pas à leur place prendre les décisions historiques et courageuses qu'ils devront prendre un jour, pas très éloigné, pour fonder les vraies et les grandes décisions.
Q - La presse israélienne a exprimé des craintes ou des inquiétudes sur la position de la France. Avez-vous ressenti cette inquiétude malgré les nombreuses visites en Israël de ministres français que vous avez énumérées ? Avez-vous ressenti cette inquiétude et êtes-vous parvenu à la dissiper, si elle existe ? Cela permettra-t-il à la France d'être plus engagée et d'avoir un rôle plus utile dans le processus de paix ?
R - Je ne sais pas sur quoi la presse israélienne se fonde pour dire cela. Je n'ai pas eu spécialement l'occasion d'en parler avec des journalistes israéliens. Je n'ai absolument pas ressenti ce sentiment chez mes interlocuteurs. Je les ai trouvés ouverts à la discussion, intéressés par les idées françaises. Intéressés par la discussion, en étant d'accord ou pas d'accord, selon les cas, comme je l'étais moi-même. Vous avez entendu M. Lévy ce matin, après notre entretien, il parlait de l'action de la France dans des termes que j'ai trouvés à la fois sympathiques et positifs. Cela ne peut donc que nous encourager dans cette direction. J'ai abordé moi-même ce problème, car cela ne m'avait pas échappé, avec certains de mes interlocuteurs (mais ce n'était pas des journalistes israéliens, c'étaient des responsables politiques) ; j'ai fait remarqué que la France avait exprimé à certaines époques des formules de compromis ou des principes comme la reconnaissance mutuelle, la reconnaissance de l'autre comme interlocuteur nécessaire, et donc pour les Israéliens l'obligation d'avoir un jour à parler avec l'OLP, mise en avant des principes de l'Etat palestinien dès 1982.
De même que la France parlait à ses amis arabes de la nécessaire reconnaissance de l'existence d'Israël naturellement, mais aussi de son droit à la sécurité, de son droit aux moyens nécessaires à cette sécurité. Donc, pendant une longue période, la France a dit, en étant en somme précurseur, un certain nombre de choses fortes qui ont pu heurter la sensibilité des uns et des autres, selon les moments. Mais j'observe que les esprits ont évolué. C'était peut-être plus facile pour nous, de l'extérieur, de le dire avec un relatif recul, en tout cas géographique. Dans ces affaires, c'est peut-être plus facile pour nous d'ouvrir des voies avec un petit peu de recul, d'habituer les esprits à certaines choses, et c'est cela qui a certainement nourri des incompréhensions, ou des inquiétudes, voire une agressivité bien injuste, par rapport à nos positions.
Je crois donc que la France a fait un travail extrêmement utile à travers toutes ces années. Aujourd'hui la situation est différente parce que, le fait que les Israéliens et les Palestiniens se parlent entre eux est devenu non pas complètement une banalité, mais c'est devenu un élément de la vie quotidienne de la politique israélienne et de la politique palestinienne ; cela ne peut plus choquer ni irriter personne.
La question de l'Etat palestinien est encore abordée avec certaines précautions par les uns et les autres mais elle est aussi une évidence et il est évident que nous avions raison quand nous pensions que cela ne serait pas un problème mais une solution. Nous nous trouvons donc dans une phase qui est beaucoup plus propice à ce que nous travaillions avec les uns et les autres puisque notre pays a la chance extraordinaire, d'être dans un rapport étroit et ancien aussi bien avec les Israéliens qu'avec les Palestiniens, les Syriens et les Libanais, sans parler des excellentes relations que nous avons avec les Jordaniens et les Egyptiens. C'est une position privilégiée. Il faut qu'elle soit utile et féconde et profitable à tous, et à la paix dans la phase qui s'annonce, comme nous avons su l'être je crois pendant les années écoulées.
Q - Monsieur le Ministre, je vais ouvrir une petite parenthèse qui n'a rien à voir ici avec Israël et les Palestiniens. Le juge Jean-Louis Bruguière a décidé d'ouvrir une instruction contre le colonel Khadafi suite aux plaintes des familles des victimes. Qu'elle est votre réaction à cela et est-ce que vous pensez que cela risque de compromettre la normalisation entre Paris et Tripoli ?
R - Je n'ai aucun commentaire à faire. C'est une décision purement judiciaire.
Q - Monsieur le Ministre, je voudrais avoir votre appréciation de la position israélienne en ce qui concerne les dossiers syrien et libanais. D'un côté, une promesse d'un retrait unilatéral ou avec accord le 7 juillet de l'an prochain, d'autre part une vague de bombardements intensifs sur le sud-Liban ces dernières semaines. Comment voyez-vous cette position israélienne ?
R - Ce qui nous intéresse dans cette affaire, comme dans le volet palestinien : c'est ce qui permet de faire avancer les choses. Si on examine ces questions israélo-syriennes, ou alors israélo-palestiniennes de façon statique, on se dit "Jamais on ne trouvera de solution, jamais on n'avancera". Si on les examine de façon dynamique, avec une perspective historique, et si on se rappelle qu'elle était la position des uns et des autres, il y a cinq ans, dix ans ou quinze ans, là, naturellement, on retrouve une espérance, qui est par ailleurs justifiée par le fait que, manifestement, les choses bougent en ce moment.
Sur les questions israélo-libanaises, encore une fois, je ne veux pas me substituer - et ce n'est pas notre rôle - aux uns et aux autres, pour définir exactement les lignes, l'emplacement et les références, etc.. Ce qui nous intéresse nous, ce que nous soutenons, ce que nous encourageons, ce que nous sommes prêts à aider, c'est que les protagonistes parviennent à se mettre d'accord sur les conditions de redémarrage de la négociation et sur la conclusion de la négociation. Nous pensons que cette question du Golan est soluble. Qu'il est possible de la traiter en répondant aux intérêts légitimes des uns et des autres, dans des conditions de sécurité qui soient rassurantes pour les uns et pour les autres à l'avenir. Et j'étends ce raisonnement naturellement au Liban.
Il ne faut pas seulement examiner la situation actuelle au Liban. La France a été très active depuis des années notamment à travers son rôle dans les accords du Sud-Liban et je crois qu'elle a énormément contribué à limiter les escalades, à faire en sorte que, à quelques très rares exceptions près, cette situation de tension extrême ne déborde sur les civils. Mais de toute façon c'est un problème fâcheux et c'est une solution de transition. Il faut aller vers un règlement de fond. Vous connaissez notre position. Pour nous les choses sont liées, il vaut mieux un bon accord qu'un retrait pur et simple. Je crois qu'ici, d'après ce que j'ai compris, tout le monde souhaite que ce soit dans le cadre d'un bon accord.
Il me semble que la bonne combinaison, c'est l'accord israélo-syrien plus l'accord israélo-libanais. Donc, nous encouragerons cela, mais je ne suis pas négociateur, je ne suis pas venu avec des cartes pour comparer les options et, de plus, la discussion entre eux n'a même pas repris. Donc, si nous avons un avis à exprimer, à un moment donné, sur la solution qui pourrait être la solution de consensus, on le fera plus tard, au moment opportun.
Q - Etes-vous inquiet de cette position du Premier ministre israélien qui réitère presque tous les trois jours que le 7 juillet de l'an 2000, Israël se retirera du Liban, sans préciser si ce sera dans le cadre d'un accord ou non ?
R - Non, nous n'avons pas à être inquiet. C'est leur droit le plus strict et c'est leur responsabilité propre. Les Israéliens étaient au Sud-Liban pour des raisons de sécurité. Selon eux, ils estiment devoir en sortir, c'est leur choix. Sur un plan général, puisque les Israéliens sont les premiers à reconnaître que la France, par ses liens avec la Syrie, par ses liens avec le Liban, peut certainement être utile à tout cela, nous faisons remarquer que ce sera encore plus satisfaisant et encore plus stable comme arrangement, et donc plus profitable à tout le monde, si cela s'inscrit dans le cadre d'un accord. C'est un souhait. Donc il n'y a pas à exprimer d'inquiétudes à ce stade, simplement l'espérance que tout cela puisse se débloquer puisque la question du point de départ de la discussion israélo-syrienne n'est pas réglé à ce jour, et nous espérons donc que cela puisse entraîner d'autre part une solution sur le volet libanais. Je formule des voeux et des souhaits et à ce stade, pas de regrets.
Q - Monsieur le Ministre, on se souvient que vous aviez qualifié la politique de Benyamin Nétanyahou dans le cadre du processus de paix catastrophique à l'époque. Est-ce que vous avez une formule aussi percutante pour définir la politique de paix de son successeur, Ehud Barak ? C'est ma première question.
Et, deuxième question, qui concerne en particulier la communauté des Israéliens francophones qui, vous le savez peut-être, est assez importante ici. Il a été publié dans le Journal officiel du mois de septembre, une information selon laquelle le Centre culturel français qui doit se créer à Jérusalem, serait en fait une annexe du Centre culturel qui se trouve à Cheikh Jarah, c'est à dire dans la partie Est de Jérusalem. Est-ce que vous confirmez cette information ou voulez-vous apporter un rectificatif ?
R - Sur le premier point, je ne cherche pas à faire de déclarations fracassantes pour le plaisir, encore que sur le plan de l'écho, c'est toujours très facile de les faire reprendre si elles sont fracassantes. Mais il faut résister à cette tentation. Quand je m'étais exprimé sur la politique de l'ancien Premier ministre israélien, c'était en septembre 97 et tout le monde avait pu constater qu'en effet, cette politique aboutissait à un blocage. Et j'avais dit quelque chose que, je crois, tout le monde pensait sans le dire. Et puis la suite n'a pas tout à fait contredit cette déclaration. J'avais parlé des conséquences catastrophiques pour les Palestiniens, pour les pays de la région, et pour les Israéliens également.
A l'heure actuelle, je me garderai bien de faire une déclaration fracassante à propos d'un Premier ministre qui vient d'arriver. Ce serait absurde de vouloir juger au bout de quelques mois. Mais de toute façon, nous avons déjà dit ce que cela nous inspire et tout ce qui a été fait et dit par M. Barak jusqu'à maintenant nous parait prometteur et encourageant. C'est tout ce qu'on a dit jusqu'à maintenant.
Les problèmes qui restent sont extraordinairement compliqués. Et tout ce qu'on regroupe sous le chapeau de statut final, est particulièrement difficile. D'où d'ailleurs la relance que cela a entraîné aussitôt dans les relations entre Israël et la France, mais aussi Israël et la plupart des pays européens, Israël et les Etats-Unis, etc. C'est le cadre général, mais n'oublions jamais l'extrême difficulté des questions qui sont à traiter maintenant.
Seconde question : le point ne se pose pas du tout comme ça. Le projet du ministère des Affaires étrangères français est de développer la présence française à Jérusalem et il y a donc un projet de centre culturel. L'autre question qui se pose est celle d'une alliance française qui ne fonctionne pas bien et cette question, comme partout dans le monde, totalement indépendante de la localisation est à l'étude.
Je souligne contrairement à certains commentaires de presse que précisément le thème de ma démarche, est de renforcer la présence française à Jérusalem, avec un centre culturel qui ait une totale autonomie de programmation. Nous sommes au début du projet, il va se développer, vous en serez informés. Je crois qu'il correspond aux attentes et aux désirs qui ont été exprimés très souvent.
Q - Mais c'est mentionné au journal officiel.
R - Oui, mais je pense qu'il y a des malentendus sur les termes techniques peut-être. En tout cas, l'idée est simple. Elle est de renforcer cette présence.
Q - Vous avez fait état à plusieurs reprises de la disponibilité de la France et de l'accueil favorable réservé par des interlocuteurs israéliens à cette posture. Avez-vous acquis la conviction que l'on met côté israélien et côté français les mêmes choses derrière les mêmes mots ? Et en clair que signifie la disponibilité ? Est-ce un rôle d'émissaire, de force de proposition, d'arbitre éventuel, ou de force de contrôle dans l'accord futur ultérieur ? Pouvez-vous préciser un peu ce concept ?
R - Tout ce que vous avez cité est possible. Selon les moments, selon les circonstances. C'est en partie une question de fond, et c'est en partie une question de ton, de ton et de style, de méthode et de manière. Je crois que nous comprenons tous de quoi il s'agit. Cela tient au fait que la France soit présente dans cette région depuis très longtemps, qu'elle ait des relations très étroites avec la plupart des protagonistes. Cela n'est contesté par personne. Et ensuite, selon les périodes et selon les difficultés rencontrées, c'est plutôt les uns ou les autres qui demandent un appui, une intervention extérieure, ou qui disent au contraire "cela va très bien, on peut se débrouiller tout seuls". Donc je ne peux pas répondre globalement. Nous voulons une intervention qui soit la plus adaptée possible à la situation, la plus adaptée possible au problème.
Les problèmes que j'ai énumérés ne se présentent pas de la même façon. Il en existe sur lesquels nous n'avons peut-être pas de proposition particulière à faire, sur lesquels nous aurons des propositions à faire, donc nous ne renoncerons d'avance à aucune des attitudes que vous citiez. Cela peut aller du simple fait d'être présent au sens de venir dans la région, d'être informé, de ne pas se limiter aux analyses que l'on peut faire depuis Paris. Cela peut consister à faire passer des informations, à faire circuler des messages, à faire des suggestions. Cela peut aller plus loin. Cela peut consister à faire, à tel ou tel moment, de réelles propositions pour débloquer des situations. Cela peut aller plus loin en indiquant sous quelle forme la France, ou l'Europe d'ailleurs, une dialectique entre les deux pourrait intervenir et fournir telle ou telle garantie dans un accord en préparation, on peut imaginer qu'à un moment donné cela puisse être décisif dans une négociation d'accord.
A Charm el-Cheikh par exemple, les Palestiniens ont demandé à l'Europe, via M. Moratinos, une lettre de garantie qui est venue compléter et équilibrer en quelque sorte la lettre de garantie américaine. Je ne dis pas qu'il faut brandir cela hors de propos tous les matins sans savoir à quoi ça s'applique. Ensuite il faut distinguer sujet par sujet. Et comme je le disais depuis le début, la situation n'est pas la même en ce qui concerne la négociation israélo-syrienne qui n'a pas repris tandis que la négociation palestinienne a repris.
Ensuite, il faut affiner ce que nous pouvons avoir à dire ou à faire d'utile à propos de Jérusalem, les réfugiés, les frontières, les colonies, l'eau, tout cela est différent. Nous allons essayer d'être le plus utiles possible, ce qui nous impose d'être le plus adaptés possible. Et pas simplement d'invoquer les principes généraux de politique qui sont connus, qu'on rappelle périodiquement : la légalité internationale, nos déclarations, nos aspirations, nos attentes. Il faut essayer d'introduire une valeur ajoutée sur chaque sujet, ce qui suppose de suivre de très près les évolutions. Dans un avenir proche, il y aura beaucoup de visites ici, et toujours autant de contacts, ou à New York, ou partout où cela sera nécessaire. C'est le cadre général, la réponse plus détaillée viendra avec les actes même, que nous pourrons analyser et commenter au fur et à mesure.
Q - Sur le volet syrien encore, Monsieur le Ministre, si vous permettez, on a l'impression depuis quelque temps ici en Israël qu'il y a une certaine irritation face au refus syrien de reprendre les négociations de paix. Ce matin, David Lévy a dit qu'il ne voulait pas mendier cette reprise. Est-ce que vous avez encore des raisons d'espérer une reprise rapide de ces négociations ?
R - J'ai noté chez mes interlocuteurs en tout cas une interrogation sur le thème "est-ce que les Syriens veulent ou non reprendre ces négociations ?" Il m'a semblé qu'avec cette interrogation, à côté d'un début d'impatience, prédominait quand même l'idée que la Syrie, le président Assad pour être plus précis, recherchait un accord malgré tout, c'était quand même l'analyse qui restait dominante. Maintenant, il est clair qu'il y a une attente par rapport à ce redémarrage. Nous avons des raisons de penser que la Syrie est intéressée par une solution. Mais après, chaque pays a sa conception de la solution, naturellement.
Q - Ici, on dit par exemple que le président Assad actuellement a d'autres préoccupations plus internes. Est-ce que vous avez pu rassurer les Israéliens de ce côté là ?
R - Je n'ai pas à rassurer les Israéliens. On discute, on échange nos analyses, c'est intéressant dans les deux sens. Comme je l'ai dit, ils s'interrogent : est-ce que le président Assad veut un accord ou pas? Ils pensent quand même plutôt que oui mais ils attendent. Par ailleurs, mais pas dans la même position, notre analyse est plutôt que oui. La Syrie est intéressée à un accord, pour différentes raisons. Mais les choses n'ont pas débouché puisqu'il y a cet échange auquel vous pouvez assister entre les Israéliens et les Syriens, où les Syriens demandent un certain nombre de choses avant de reprendre la négociation alors que les Israéliens pensent que cela ne peut découler que de la poursuite, de la conclusion des négociations. J'ai plutôt tendance à penser que ce blocage sera surmonté.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous avez trouvé les dirigeants israéliens aussi fermés sur la question des réfugiés palestiniens que sur Jérusalem? Et comment voyez-vous à long terme une solution pour tous ces réfugiés ?
R - La position israélienne me paraît intransigeante et dure sur Jérusalem, sur les réfugiés, sur les frontières, les colonies, etc... Comme je l'ai dit tout à l'heure. La position palestinienne me paraît également intransigeante et dure. Là aussi, j'ai tendance à penser que c'est lié au calendrier. La discussion n'a pas commencé sur le statut final. Donc je ne connaît pas de négociation dans laquelle les protagonistes annoncent les concessions avant d'avoir commencé. Donc je n'ai pas tendance à interpréter tout cela strictement au pied de la lettre. Je pense qu'il y a une volonté israélo-palestinien de négocier. Je pense qu'il y a un intérêt stratégique de part et d'autre à négocier et que les choses se développeront après. J'ai entendu en même temps de la part de plusieurs de mes interlocuteurs la phrase suivante : "Les Palestiniens doivent savoir qu'ils n'obtiendront pas satisfaction à 100%". Ca, je crois qu'ils le savent déjà. Mais on m'a dit aussi : "et nous non plus, les Israéliens, nous n'aurons pas satisfaction à 100%". Alors quel est le pourcentage de non satisfaction, c'est à dire de compromis au bon sens du terme, de compromis intelligents, pour fonder la suite qui sera la relation définitive, durable entre Israéliens et Palestiniens. C'est à eux de le dire avant tout, le moment venu.
Ce moment viendra, il y aura un moment de vérité, de part et d'autre. Vous voyez bien que la difficulté n'est pas la même pour les uns, pour les autres. Mais ce sera le travail des négociateurs, aidés, si nous avons des bonnes idées à leur apporter, par tous les autres qui sont autour et qui forment une sorte de cercle amical autour du processus de paix et qui souffleront sur les braises au bon moment. Mais c'est objectivement difficile. On ne peut pas non plus prendre au pied de la lettre l'affirmation des positions actuelles. Je renvoie à ce que j'ai dit tout à l'heure. Il ne faut pas interpréter ces questions de façon statique mais dans leur dynamique.
Q - Sur le principe d'un Etat palestinien dont le principe semble acquis même du côté israélien, est-ce que vous avez été amené en présence de vos interlocuteurs à énumérer un certain nombre de principes qui sont chers à la diplomatie française sur la manière dont cet Etat palestinien devra être créé, que ce soit en terme de continuité territoriale, de frontières communes avec le reste des états arabes voisins ? Est-ce que ce sont des points que vous avez abordés aujourd'hui ?
R - Non, pas encore. Mais j'ai bien l'intention de le faire dans la suite de ce dialogue. Ce n'est pas un dialogue qui a lieu une journée et qui s'arrête. Un des plus longs thème de discussion a été consacré à ce dont nous avons parlé. L'analyse de la situation israélo-syrienne vue du côté israélien et puis l'analyse de la préparation de la discussion sur le statut final. Il y a beaucoup de sujets à l'intérieur de la discussion sur le statut final et on a encore beaucoup de choses à se dire. On a beaucoup de choses à entendre. On a beaucoup de choses à leur dire. On a beaucoup d'échanges à avoir comme eux en ont d'ailleurs beaucoup à dire avec les Palestiniens que je verrai demain. Je ne dis pas du tout que la discussion épuise le sujet. Cela dit, nos idées sont bien connues. Elles sont exprimées régulièrement et notamment sur l'Etat palestinien puisque j'ai rappelé que la France a été le premier grand pays occidental à se prononcer clairement sur le sujet depuis 1982, donc nos positions sont bien connues. J'ai senti du côté israélien qu'en plus, la discussion sur l'Etat en tant que tel, était dans leur approche une sorte de récapitulation des autres sujets.
Q - Vous avez dit avoir des raisons de penser que la Syrie aspire à une solution. Pourtant les Syriens ont durci leur position ces dernières semaines. Quelle est votre analyse ?
R - Je ne vais pas faire d'analyse trop détaillée, au jour le jour, à deux semaines d'intervalle. Ce n'est pas possible. D'abord parce que je crois qu'on n'a pas d'éléments, donc cela resterait des spéculations. Il faut essayer de dégager la ligne générale. Sur le plan de l'analyse stratégique, je répète que nous estimons à Paris que la Syrie est intéressée par une solution.
ENTRETIEN AVEC LES RADIOS FRANCAISES à Jérusalem, 7 octobre 1999
Q - Monsieur le Ministre, vous nous disiez hier que vous veniez ici en Israël pour sentir l'atmosphère ; êtes-vous satisfait des entretiens que vous avez eu aujourd'hui ?
R - Ce qui m'a passionné tout au long de la journée d'aujourd'hui, d'abord longuement avec mon homologue M. David Levy, ensuite avec le président, avec M. Peres et également avec le président de la Knesset en attendant mon entretien demain avec M. Barak, c'est que tout le monde est dans la problématique du processus de paix. On en parle, ils en parlent entre eux, ils font très bon accueil au ministre français qui est là, il n'y a aucune espèce de problème concernant le rôle et la place de la France. Il leur paraît tout à fait naturel de faire le point, d'échanger les idées, de recueillir des suggestions, de réfléchir à haute voix sur la suite du processus, c'est déjà une chose qui est très positive et qui s'inscrit dans la suite de cette relance que l'on a pu constater depuis l'arrivée au pouvoir de M. Barak et après sa non moins remarquable visite à Paris.
Sur les dossiers eux-mêmes, évidemment, nous entamons la relance mais les dossiers sont extrêmement compliqués. Du côté syro-israélien, la reprise des négociations est difficile ; les deux parties discutent encore de façon directe ou indirecte de la façon de redémarrer et sur quelles bases. Ensuite, c'est une question touchant au Golan : comment assurer la sécurité pour les uns et pour les autres.
Quant à la question israélo-palestinienne, les deux parties n'avaient jamais complètement rompu, ce n'était pas des relations totalement vides même lorsqu'elle représentait peu il s'agissait de relancer les négociations.
Ils les ont relancées, ils vont empêcher les discussions sur le statut final, dès que l'on ouvre le couvercle et que l'on regarde le contenu qui comprend Jérusalem, les réfugiés, les colonies, les frontières, de multiples sujets. Sur tous ces points, il y a une position stable affichée tant par M. Barak que par Yasser Arafat qui ont des positions apparemment antagonistes. Si nous raisonnions en termes fixes, en termes statiques, on se dirait que l'on ne peut pas y arriver. Si on raisonne avec une vue historique, en regardant d'où ils viennent, en pensant qu'Israël a combattu pendant des années la simple idée d'un dialogue avec l'OLP ou l'Etat palestinien, que les Palestiniens ont combattu pendant des décennies le même Etat d'Israël, à ce moment-là, on retrouve espoir et on se dit qu'aucune difficulté n'est insurmontable.
Q - Avez-vous évoqué la libération des prisonniers qui devrait avoir lieu demain ?
R - Non, parce que je ne veux pas me substituer aux négociations entre les deux parties, je ne suis pas responsable palestinien ni israélien, ceci concerne la mise en oeuvre des dispositions qu'ils se sont engagés à appliquer à Charm el-Cheikh pour appliquer Wye River bloqué, je ne peux pas interférer avec cela. J'essaie de me projeter dans les conversations, dans l'avenir proche, l'ouverture de la négociation du statut final, l'avenir à plus long terme mais je l'espère pas trop éloigné, c'est-à-dire la solution à ces questions. Et c'est là-dessus que j'ai fait réagir mes interlocuteurs en leur montrant l'intérêt, la présence, la disponibilité de la France et en essayant d'y voir plus clair sur ce qu'ils veulent faire eux-mêmes et sur les points où passeront des compromis.
Q - Concernant le volet syrien, les Israéliens comptent-ils sur vous ?
R - Les Israéliens comptent sur tout pays ami capable de faire entendre leur analyse des choses à Damas et qui serait à même de favoriser le franchissement de ce premier obstacle qui est un obstacle préalable. Les Syriens demandent en quelque sorte que les questions de fond soient réglées avant que cela ne recommence et les Israéliens disent que ce n'est qu'en recommençant qu'on les réglera.
Voilà où nous en sommes encore et c'est pour cela que je dis que dans l'affaire du Golan, dans l'affaire israélo-syrienne qui commande la question libanaise pour la suite, nous sentons qu'ils tournent en rond. Alors que, lorsque cela aura commencé, on peut penser que cela ira plus vite sur le volet palestinien car le contenu est moins compliqué.
Q - Pensez-vous que des ouvertures, comme des éventuelles libérations de prisonniers sont des signes positifs dans ce processus ?
R - C'est un signe positif d'application des engagements pris. C'est toute la différence avec la situation dans laquelle nous étions sous le gouvernement précédent sous M. Netanyahou, dans laquelle les engagements n'étaient pas pris, ou lorsqu'ils étaient pris n'étaient pas tenus, et lorsqu'ils étaient tenus, étaient aussitôt arrêtés et remplacés par autre chose. La situation présente est tout à fait différente. Mais, cela concerne le passé, c'est un bon signe parce que c'est un élément de crédibilité qui doit renforcer la confiance mutuelle entre Israéliens et Palestiniens, mais cela n'a rien à voir avec le problème du statut final. Là, nous en sommes encore avant le commencement et c'est plutôt dans cet avenir proche que j'ai essayé de me projeter et de positionner notre pays pour qu'il soit le plus utile possible.
Q - Comment interprétez-vous le fait que, depuis quelques mois, on sent chez les Israéliens comme chez les Syriens d'ailleurs, la volonté d'aller très vite ?
R - En tout cas, la volonté de déboucher. La différence chez les Israéliens, c'est le passage de M. Netanyahou à M. Barak. M. Netanyahou cherchait plutôt des prétextes pour ne pas avancer, pour ne pas tenir les engagements pris, ils cherchaient surtout à ne pas en prendre de nouveaux. M. Barak arrive, il veut régler les problèmes, c'est une volonté politique, elle a été ratifiée par l'électorat israélien dans des proportions fortes, et il dit vouloir aller vite parce que, me semble-t-il, sous réserve de mon entretien avec lui, il veut profiter d'un moment à saisir et c'est également l'état d'esprit des Palestiniens. Les Israéliens pensent que, du point de vue du président Assad, aussi, le moment est opportun pour conclure. C'est cela qu'ils sont en train de tester. Je vous dis cela après mes entretiens du côté israélien qu'il faut compléter et enrichir avec les autres parties. Il y a une volonté d'avancer le plus loin possible, il y a des dates, un calendrier pour, en quelque sorte, maintenir une dynamique ; mais il faut régler les questions de fonds qui ne le sont pas encore. Si nous pouvons les aider, nous le ferons.
Q - Votre voyage continue, vous allez partir également à Damas, à Beyrouth pour continuer la semaine de la mission de la France ?
R - C'est plutôt une disponibilité qu'une mission d'autant que cela fait partie du travail de la diplomatie française que d'être présent. Etre présent, par définition, cela veut dire être présent sur place. S'il y a des difficultés, on les résout d'autant mieux qu'elle sont exprimées à Jérusalem, à Ramallah, à Damas ou ailleurs. Ceci complète les passages fréquents à Paris des dirigeants qui sont reçus par le Président et par le Premier ministre, les rencontres à New York, cela forme un tout.
Q - Sur le problème de Jérusalem, que pensez-vous de la position israélienne, pensez-vous que nous pouvons évoluer ?
R - Jérusalem, comme la question des réfugiés, des colonies, celle des frontières, du statut des modifications à apporter aux attributions du futur Etat palestinien, cela fait partie des questions très compliquées que l'on englobe sous le terme de négociation sur le statut final. C'est l'un des éléments, et l'on voit bien qu'entre la position israélienne et la position palestinienne, il est clair qu'il y a incompatibilité.
Q - Quelle est la position de la France dans ce domaine ?
R - La position de la France est d'encourager les uns et les autres à trouver une solution. Ce n'est pas d'imposer une solution comme cela, qui tomberait du ciel. Il faut les encourager à trouver une solution, il faut qu'ils se parlent et ce que je sais, c'est qu'à un moment ou à un autre, il faudra qu'ils trouvent un compromis sur ce point comme sur les autres. Je ne crois pas qu'il faille isoler une des questions du statut final maintenant, alors que les protagonistes n'ont pas encore commencé à discuter. L'urgence actuelle est d'encourager les Israéliens et les Palestiniens à entrer dans cette discussion sur le statut final le plus tôt possible. Dans un premier temps, il faut débattre sur les bases de la discussion. Où ils vont se réunir, de quoi parle-t-on ? de quoi ne parle-t-on pas ? c'est cela qui va définir le périmètre de la négociation. Mais, il peut y avoir un blocage, il ne faut pas le cacher; C'est très compliqué.
Q - Etes-vous confiant ?
R - Je suis confiant à long terme, historiquement, lorsque je regarde ce qui s'est passé depuis 50 ans, lorsque je regarde comment les positions évoluent, auparavant, elles étaient critiquées et rejetées par tout le monde, aujourd'hui elles sont la base, les concepts sur lesquels tout le monde travaille, je suis confiant sur cette évolution d'esprit.
S'il faut raisonner en termes de semaines ou de mois, je suis plus réservé parce que je suis convaincu qu'il y aura des blocages et des impasses. Mais, je crois qu'ils auront le besoin, la volonté d'en sortir et d'avancer quand même. Dans cette situation, il est très important qu'ils sentent la présence, la proximité d'un soutien disponible. Nous verrons sous quelle forme cela pourra se concrétiser./.
( Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 octobre 1999)