Texte intégral
A juste titre, vous avez souhaité l'organisation d'un débat de politique européenne de la France. Je crois qu'en effet, il est tout à fait souhaitable, même nécessaire, que nous ayons régulièrement, comme nous l'avons déjà eu à plusieurs reprises l'occasion de faire le point ensemble sur l'évolution du processus européen. Je dirai que la date est bien choisie puisque nous sommes à quelques jours du 25 mars, anniversaire du traité de Rome. Dans trois mois, à Amsterdam, si tout va bien, la Conférence intergouvernementale devrait achever ses travaux à l'occasion du Conseil européen et enfin, à Madrid, les 8 et 9 juillet, seront décidés l'ensemble des chapitres qui relèvent de la sécurité en Europe à l'occasion d'un sommet de l'Alliance atlantique élargi à l'ensemble des pays d'Europe concernés par ce vaste sujet de la sécurité.
C'est vous dire si c'est bien, en effet, le moment de faire le point ensemble. Je voudrais une fois de plus rappeler que le gouvernement et la majorité ont eu maintes fois l'occasion de réaffirmer la détermination de l'engagement européen de la France. Cet engagement n'est pas simplement un mot, c'est un choix politique majeur. C'est même le choix politique majeur de la politique étrangère et de la diplomatie françaises. Ce n'est pas nouveau, il en est ainsi depuis 40 ans. Il est vrai en même temps que les événements changent, l'environnement n'est pas le même, les circonstances ont profondément évolué et c'est pourquoi nous devons être capables, nous qui sommes des Européens convaincus d'adapter notre réflexion et notre action à l'évolution que nous constatons autour de nous.
La France, vous le savez, souhaite un monde ouvert et s'ouvrir franchement sur l'extérieur. Notre pays conçoit le monde de demain comme respectueux des différences, organisé sur une base multilatérales, équilibré entre des pôles d'influence et non pas un monde dominé par une puissance unique, une langue unique, une pensée unique, voire des produits uniques.
Bien entendu, dans ce monde nouveau, nous voulons que notre pays ait toute sa place. Il est clair, que l'Europe est la condition de ce nouvel équilibre mondial. C'est en nous appuyant sur la construction patiente, parfois décevante mais toujours déterminée, de notre projet européen, que nous assurons le mieux la défense de nos intérêts, le rayonnement de notre continent et le nôtre propre à travers le monde. Or, beaucoup de choses ont changé, vous disais-je, mais d'abord, vous le voyez bien, l'ensemble des pays d'Europe centrale et orientale souhaitent entrer dans l'Union européenne. Ils ne sont pas tous prêts à le faire, mais ils sont tous ardemment désireux d'y parvenir et, à des titres divers, ils sont engagés dans des choix politiques et économiques, dans des efforts et parfois de lourds sacrifices pour y parvenir. Ce qui a changé aussi, c'est que devant la globalisation de l'économie mondiale, dont je persiste à penser qu'elle offre à notre pays des opportunités, des chances que nous sous-estimons, face à cette globalisation de l'économie mondiale, l'Europe est l'une des clefs de la réussite française et européenne dans cette économie en mouvement.
Voilà pourquoi, face à ces changements profonds - qui je le répète, changent le cadre dans lequel s'inscrit notre politique européenne, et forcément ont des conséquences importantes sur notre façon d'appréhender notre projet européen -, nous poursuivons quatre objectifs : réussir la monnaie unique, accueillir les pays associés d'Europe centrale et orientale, faire de l'Europe un espace plus juste et plus sûr mais faire aussi de l'Europe, une puissance en mesure d'assumer toutes ses responsabilités internationales.
Le premier de ces objectifs, bien entendu, c'est de réussir la monnaie unique. Il s'agit bien du grand projet européen de cette fin de siècle. C'est à la vérité, pas simplement un projet financier, monétaire, économique, c'est un vrai projet politique ; c'est même le vrai projet fédérateur européen ; il créera entre les pays concernés, des solidarités nouvelles et je n'en doute absolument pas, un mouvement, une dynamique nouvelle dont les conséquences sont encore insoupçonnées mais dont la perspective correspond très précisément au projet que depuis 40 ans, nous avons patiemment élaboré ensemble. Je vois bien ici et là des voix qui s'interrogent. Elles nous disent : "faudrait-il différer le calendrier ? faudrait-il assouplir les critères ?" La réponse est simple. Dans les deux cas, il faudrait modifier le Traité. Le calendrier et les critères ne sont pas des éléments dont nous pourrions discuter à chaque Conseil des ministres européens ou à chaque sommet . Si l'on veut s'abstraire du calendrier ou s'abstraire des exigences prévues en matière de critère, il faut négocier une nouvelle rédaction des traités. Vous sentez très bien que sur ces deux points, il n'y aurait pas aujourd'hui, au sein de l'Union européenne de disposition quelconque à modifier ces traités. C'est pourquoi, il n'y a, aux yeux du gouvernement français, qu'une seule voie qui soit ouverte, elle consiste à respecter les traités, c'est-à-dire le calendrier et les critères. Tout le Traité, bien entendu, rien que le Traité, mais tout le Traité ; en clair, pour la France et pour l'Allemagne qui sont les pivots de ce projet de la troisième phase de l'Union économique et monétaire. Ne pas être prêt en temps et en heure signifierait l'échec de la troisième phase de l'Union économique et monétaire car, sans nos deux pays, rien n'est possible. Pour les autres, cela signifie que leur candidature dépendra strictement et uniquement de leur aptitude à être comme nous le serons, prêts en temps et en heure. Pour ceux qui ne le seront pas, vous le savez, a été prévu et est en cours d'élaboration un mécanisme commun de change qui aura pour effet de faire en sorte que, au sein de l'Union européenne, s'organisent ainsi les éléments de la stabilité monétaire dont nous avons besoin pour combattre le chômage et mieux défendre notre force économique dans le monde et mieux défendre nos emplois.
Enfin, pour tous les participants à la troisième phase, pour ceux qui seront dans le cadre de cette monnaie unique, ont été convenus, non seulement un pacte de stabilité et de croissance par lequel les uns et les autres s'engagent à être demain aussi déterminés qu'aujourd'hui en vue de la stabilité et de la croissance de nos économies, sans qu'il y ait pour autant de lien mécanique, mais en même temps un conseil de stabilité et de croissance qui sera le lieu de ce travail en commun, de cette concertation, de ces discussions qui doivent permettre de mener ensemble des politiques économiques et financières propres à assurer le succès de ce vaste projet qu'est la monnaie unique européenne.
Je dois dire que la détermination française est connue de tous. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, vous observez que le monde entier considère qu'à l'échéance du 1er janvier 1999, il y aura bien cette nouvelle monnaie que nous avons décidé de baptiser Euro.
Notre seconde ambition, c'est d'accueillir des pays associés d'Europe centrale et orientale. Je vous rappelle qu'il s'agit pour nous d'assurer ce que nous n'avons jamais réussi à faire en Europe, c'est-à-dire l'unité du continent européen. De le faire non pas comme l'Histoire nous en a montré maints exemples, c'est-à-dire par la force ; l'Histoire européenne est émaillée de tentatives d'imposer la domination des uns sur les autres par la force, mais de le faire par la volonté des nations et par la décision des peuples. C'est donc un projet sans égal, sans précédent dans notre Histoire. Je voudrais d'abord insister une nouvelle fois sur la portée et l'ambition de ce projet de faire cette grande Europe qui réunira les 15 pays de l'Union européenne d'aujourd'hui et les 11 pays associés, candidats à l'Union européenne sans compter probablement, le jour venu, à condition qu'ils aient fait d'ici là les efforts multiples que cela suggère, les autres pays d'Europe qui sont encore aujourd'hui, en face de leurs propres problèmes ; je pense en particulier aux pays des Balkans auxquels la porte européenne sera naturellement ouverte le jour venu. Il s'agit d'un processus ouvert à tous. La France a insisté sur ce point dès le début des discussions parce qu'il ne saurait être question d'imaginer un dispositif dans lequel on ouvrirait la porte à deux ou trois pays, on voit bien lesquels et on la fermerait aux autres. Donc, six mois après l'achèvement des travaux de la conférence intergouvernementale, j'espère donc à l'occasion du Conseil de Luxembourg en décembre 1997, nous serons en état d'ouvrir le processus d'adhésion des 11 pays d'Europe centrale et orientale. Dans ce processus qui commence le même jour pour tous, il y aura des étapes et des différenciations. Forcément, il y aura ceux qui seront en état d'engager immédiatement un processus d'adhésion proprement dit et d'autres pour lesquels un délai supplémentaire sera nécessaire ; je veux insister devant vous sur la nécessité d'offrir à tous les pays du continent européen, la même perspective, les mêmes chances et l'assurance qu'ils seront au jour J sur la même ligne de départ. Après tout, les différences qui pourront exister dans le calendrier et dans les procédures seront uniquement dues à leur situation propres et non pas due à la volonté de l'Union qui, quant à elle doit être disposée à les accueillir tous d'un même pas et d'un même enthousiasme.
La France a proposé qu'en 1998 soit constituée ce que nous avons appelé la Conférence européenne, lieu de concertation et de dialogue entre les 15 et les 11, à 26 par conséquent propre à permettre que pendant toute cette période où ces différents partenaires de l'Europe centrale et orientale ne seront pas encore membres de l'Union européenne puisse se nouer un dialogue politique portant sur tous les sujets d'intérêts communs. Il ne s'agit pas que cette conférence soit de quelque façon que ce soit en charge de la procédure d'adhésion qui est, par définition, une procédure bilatérale entre tel état et l'Union européenne. Il s'agit d'avoir un lieu de dialogue entre les 26 états européens pendant toute cette période. Notre proposition est que cette conférence se réunisse une fois par an au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, une fois par an au niveau des ministres. Je peux vous annoncer aujourd'hui que nos partenaires de l'Union européenne ont adopté ce projet à Apeldoorn ce week-end. Nous en sommes par conséquent aujourd'hui, à l'examen en commun des modalités pratiques de ce projet qui sera désormais le projet européen.
C'est dans cette perspective que nous abordons la Conférence intergouvernementale. C'est dans la perspective de l'élargissement que nous devons regarder ce qu'il y a de plus important dans les discussions en cours au sein de la Conférence intergouvernementale. C'est pourquoi je voudrais, à propos de l'élargissement noter devant vous que trois points nous paraissent essentiels dans les débats de la Conférence intergouvernementale.
Le premier de ces points, c'est d'ajuster le poids respectifs des différents pays en fonction des réalités démographiques, économiques et politiques au sein des instances de l'Union européenne. Il est temps, en effet, de prendre conscience que, au fil des élargissements successifs, ce poids respectif a été, petit à petit dénaturé ; en particulier, le poids de la France. Le poids de la France s'est amenuisé, vous comprendrez que je m'en préoccupe. J'ai déjà très clairement indiqué qu'il nous paraît nécessaire pour que les institutions communautaires retrouvent toute leur légitimité, pour qu'elles soient capables demain de prendre des décision, pour que l'élargissement ne signifie pas paralysie. Il faut en particulier que la France, avec sa capacité d'influence, réclame légitimement, retrouve progressivement, dans les institutions européennes, la place qui est la sienne. Cela signifie notamment en matière de pondération des voix au sein du Conseil des ministres européens, que soit reconsidérée la pondération actuelle, dans la perspective de l'élargissement, de façon à ce que nous soyons demain en disposition de peser sur les décisions en fonction du poids que nous avons. Nous ne demandons pas plus mais ne voulons pas moins.
Je crois qu'il faut dire les choses comme elles sont. A partir du moment où il en est ainsi, il devient possible, ce que je crois nécessaire, de suggérer que les cas de votes de décisions prises à la majorité qualifiée soient étendus, car, dans un système à 15, on le voit déjà, mais dans un système à 26, on le verra encore mieux, le système de l'unanimité risque de paralyser toute décision. Il y a donc un lien très précis entre les propositions que fait la France, d'une part, d'élargir les capacités de décisions à la majorité qualifiée qui sont une nécessité s'il on veut demain être capable de prendre une décision, et notre aptitude à modifier la pondération des voix au sein du Conseil des ministres.
Je peux à ce sujet, bien que ce ne soit pas directement lié, évoquer devant vous les questions qui concernent le Parlement européen. Il en va de même, si vous regardez la composition du Parlement, au fur et à mesure des élargissements . Sur les bases actuelles, je ne me souviens plus du chiffre, mais nous arriverons à un Parlement de 12000 ou 13000 membres dans dix ou quinze ans lorsque la procédure d'élargissement sera arrivée à son terme. Qu'est-ce qu'un Parlement qui devient une foule ?
Il faut avoir à l'esprit que ce parlement devra forcément être plafonné à un chiffre raisonnable, je dirai 700. Par conséquent, il faudra, en fonction de cette perspective, réajuster les participations, les représentations des différents états membres. Là encore, nous serons attentifs à ce que chaque pays y ait une place qui soit proportionnée à son propre poids.
Le second objectif qui se rapporte à la Conférence intergouvernementale en lien avec l'élargissement concerne le principe de subsidiarité. Il est temps que nous soyons en état de marquer que la subsidiarité est pour nous un principe de base de l'organisation européenne. J'ai constaté que, jusqu'à présent, nous avions fait un progrès substantiel puisque dans le Traité, il y a, grâce à la France, un article qui l'évoque. C'est bien, mais je n'en aperçois jamais aucune application. C'est pourquoi, en dépit de toutes les réserves que j'ai bien vu exprimer par nos partenaires de l'Union européenne, de celles que je vois en France, je suis décidé à faire en sorte qu'il y ait une procédure qui permette de protéger l'application du principe de subsidiarité dans les institutions européennes. Enfin, nous avons souhaité introduire dans le débat de la Conférence intergouvernementale ce que nous avons appelé une clause de coopération renforcée, ce que d'autres appelleront clause de flexibilité. Qu'on l'appelle comme l'on voudra, l'idée est simple : elle est de permettre à ceux qui veulent aller plus vite et plus loin de le faire. Nous pouvons le faire en dehors de l'Union européenne. L'accord de Schengen est un bon exemple, montrant que l'on peut faire des progrès et prendre des initiatives en dehors de l'Union. La proposition française rejointe par les Allemands est devenue ainsi une proposition franco-allemande ; cette perspective de coopérations renforcées s'inscrit davantage au sein de l'Union européenne. Nous avons fait des propositions très précises et d'ailleurs, je constate qu'elles sont prises en considération avec un grand intérêt par la quasi totalité de nos partenaires. Il y a un point central que vous devez avoir à l'esprit parce qu'il sera jusqu'au dernier moment de la négociation, une question clef : nous n'accepterons pas l'idée qu'un projet de coopération renforcée devrait recevoir l'accord unanime des Etats membres de l'Union européenne, car, cette unanimité exigée aurait pour effet direct de tuer en réalité l'idée de coopération renforcée à quelqu'un. Pour que cette coopération renforcée soit ouverte, s'inscrive clairement dans le cadre de notre projet européen global, nous sommes prêts à proposer que quelques règles communes soient fixées, dès lors qu'elles ne seraient pas soumises à cette contrainte de l'accord unanime des uns et des autres. A partir de là, nous espérons parvenir à une Europe plus sûre et plus juste. Plus sûre, cela veut dire que dans la discussion de la Conférence intergouvernementale, nous avons souhaité parachever l'espace de liberté, de sécurité et de droit en Europe. Le débat est simple, oui nous sommes d'accord pour améliorer les conditions de la libre circulation des personnes au sein de l'Union européenne. Mais nous posons comme clef essentielle qu'au préalable, des progrès aient été accomplis dans le domaine de la sécurité intérieure de nos nations et de notre Union. Des progrès sont indispensables en matière de lutte contre la drogue, de lutte contre le terrorisme, de lutte contre la criminalité. Quand ces progrès auront été fait et qu'ils auront été constatés à l'unanimité des Etats membres, on peut imaginer, dans un délai de quelques années, trois quatre ou cinq ans, en tirer la conclusion que nous pouvons assouplir les règles concernant la liberté de circulation en l'intérieur de l'Union. Une Europe plus sûre, une Europe plus juste, vous le savez, le débat va porter autour du protocole social européen. Nous souhaitons que ce protocole social européen qui est aujourd'hui, une annexe au Traité, qui a une portée juridique mais que l'un des états membres a refusé d'accepter, prenne désormais toute sa place, qu'il soit accepté par l'ensemble des Etats membres et qu'il nous permette ainsi de progresser dans ce domaine où les circonstances de l'actualité témoignent très bien et hélas, de façon plutôt malheureuse combien la fixation de normes européennes, l'encouragement du dialogue social européen, sont aujourd'hui des nécessités essentielles si l'on veut que les peuples européens aient les sentiment d'appartenir à une communauté de destin dans laquelle les risques et les règles sont les mêmes pour tous. J'ajoute que, s'agissant de cette Europe plus juste, nous souhaitons que la place des services publics y soit reconnue, et aussi que nos régions d'Outre-mer s'y voient reconnues avec toute leur importance, associés que nous sommes dans cette perspective avec notamment l'Espagne et le Portugal.
Enfin, nous voudrions que l'Europe soit demain une puissance capable de défendre ses intérêts dans le monde. Partout où je vais, je suis frappé de l'attente qu'il y a envers l'Europe. Le président de la République est revenu ce matin d'un long périple en Amérique du Sud qui a été un succès remarquable pour notre pays. Je suis frappé de l'attente qu'il y a dans ce continent d'Amérique latine, comme la même attente que j'ai rencontré en Asie à l'égard du continent européen et dans ce continent tout particulièrement soyez-en sûr à l'égard d'un pays comme la France dont l'Histoire, la culture, le poids politique et l'efficacité économique sont autant d'éléments d'attrait. Encore faut-il pour cela que les Européens s'organisent pour assumer pleinement les responsabilités qui s'offrent à eux. C'est la raison pour laquelle nous proposons que l'Europe ait une politique étrangère et de sécurité commune. Je voudrais clarifier en quelques instants ce point. Il ne s'agit nullement d'abandonner la politique étrangère française à une autorité commune européenne. Chacun sent bien que nos nations ont leur poids, leur tradition, nous avons nous-mêmes notre ambition à laquelle nous n'entendons pas renoncer. Mais en même temps, il est bien clair que, sur un certain nombre de sujets, à un moment donné, il peut et même il sera nécessaire d'agir en commun. Ainsi le faisons-nous aujourd'hui, au Proche-Orient grâce à la désignation d'un envoyé européen M. Moratinos qui fait d'ailleurs de l'excellent travail. La politique étrangère européenne, c'est cela. C'est permettre au Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement de confier, de décider de partager, de mettre en commun une action, un champ, dans un moment donné pour l'action commune, et confier ensuite aux ministres des Affaires étrangères la mise en oeuvre de cette décision. Naturellement, la décision de base est prise par les chefs d'Etat et de gouvernement. La mission doit être définie à l'unanimité, quitte ensuite, à ce que les ministres, dans la mise en oeuvre, puissent agir selon des majorités qualifiées.
Cela veut dire aussi que, s'il peut y avoir des procédures originales dites d'abstention constructive" qui permette à tel ou tel pays, sans s'associer à cette action de rester en dehors si pour une raison ou une autre, il en juge ainsi. C'est pour cette raison aussi que nous souhaitons qu'à côté de la Présidence, il y ait une personnalité, un haut représentant, - mais sur l'appellation naturellement, on peut discuter-, qui soit alors en charge de la mise en oeuvre des décisions qui seraient prises par les chefs d'Etat et par les ministres. Les circonstances du moment, la crise en Albanie, les difficultés que connaît la République fédérale de Yougoslavie et la Serbie sont autant de circonstances qui montrent combien il serait nécessaire d'avoir un processus plus clair, plus net, plus déterminant pour marquer en commun quelles sont les ambitions mondiales de l'Europe qu'elle est aujourd'hui en état d'avoir et que, sans aucun doute le monde attend qu'elle prenne.
Voilà ce que, à l'ouverture de ce débat, je souhaitais livrer à vos réflexions. L'Europe est souvent un sujet d'interrogation, et n'étant ni aveugle ni sourd, j'ai bien compris que, dans notre pays, pas seulement dans notre pays, en réalité dans l'Europe entière monte une espèce d'euro-sceptisisme comme l'on dit maintenant, de doute à l'égard du projet européen. Sans doute ce scepticisme est-il ce qu'il y a de plus dangereux, car, s'il y a du scepticisme en Europe, il n'y en a pas dans le monde. Le monde ne doute pas que l'Europe devrait être l'un des premiers ensembles régionaux du monde au XXIème siècle. Non seulement, le monde n'en doute pas, mais il le souhaite ! Qu'attendons-nous pour avoir la détermination, l'esprit de vision, la lucidité qui nous permette de mener ce projet à son terme ? C'est sur cette interrogation, que je voudrais interrompre mes propos et consacrer mon temps à vous écouter. Merci.
Le ministre répond aux questions des sénateurs.
Merci de ce débat extrêmement intéressant. Après les très fortes tensions du référendum qui pour la première fois ont brisé le consensus français sur l'Europe et donné un regard fortement négatif à l'Europe - car c'est de là que date, pour une part, la montée de l'euroscepticisme en Europe -, je constate dans les années récentes un rassemblement, un accord global, largement majoritaire, autour du projet européen.
Si les déceptions ne manquent pas dans nos travaux et nos séjours à Bruxelles, comme, souvent, à Strasbourg, nous n'avons en vue que l'intérêt supérieur de la France. Il faut en effet vivre dans le monde réel et y prendre toute notre place : la construction européenne y pourvoit, formidable amplificateur de puissance pour une nation comme la nôtre. Si nous cédions à la tentation du repli, notre destin serait scellé : une petite nation du monde, certes respectable mais sans la capacité d'influence sur le sort de la planète. Avec la construction européenne, nous nous affirmons comme un élément majeur du plus grand ensemble régional mondial susceptible de devenir, s'il le veut, la première puissance économique et politique du monde.
Toutes vos interventions ont été d'importantes contributions à nos travaux, elles enrichissent utilement le débat national. Pour la monnaie unique, il n'est toutefois pas de doute possible : chacun sait qu'il y a une monnaie mondiale, de puissantes monnaies régionales (le mark, le yen) et des monnaies locales, dont certaines en voie de disparition pure et simple. Nous avons le projet sans précédent de créer une monnaie mondiale par nation. Cela va changer la notion des choses. Je puis dire que l'Allemagne, comme la France, sera prête en temps et en heure. Pour le reste je n'en sais rien, la France et l'Allemagne sont déterminées à être prêtes le jour venu. Le président Chirac et le chancelier Kohl ont une vision du destin de leur pays qui conforte cette détermination.
Quant à la Conférence intergouvernementale, j'avais émis une appréciation plus réservée sur le document de travail du sommet de Dublin auquel vous vous êtes référé. Le document préparatoire n'était pas à la hauteur du document final. La France est déterminée. Si ne figurent pas dans le texte des dispositions relatives au vote à la majorité qualifiée, à la pondération, des voix, à la Commission, nous ne céderons pas et il n'y aura un traité ni élargissement.
S'agissant de la PESC, de subsidiarité, des éléments de réponse ont été apportés déjà : tout ne sera pas parfait peut-être mais saluons les réels progrès accomplis.
Pour être agréable à ses partenaires, la France acceptera que l'on ajoute telle ou telle disposition. Il serait important, ainsi, de rédiger une disposition sur l'environnement. Je ne doute pas que l'on parvienne à un résultat tenant compte des préoccupations de chacun. Mais sur ce qui est essentiel à l'intérêt général de la France, à l'intérêt général de l'Europe, notre pays n'est pas prêt à des concessions.
J'en viens à l'élargissement : la route devant nous est immense et le visage de l'Europe va profondément changer. A vingt-six, voire trente nations dans quinze ans, on ne pourra fonctionner comme à six. Dès lors, il est évident que, progressivement, sur le socle commun de l'Europe élargie, de la grande Europe, quelque chose d'autre se bâtira, réunissant quelques pays qui iront beaucoup plus loin.
Ceux qui, dès l'origine, pensaient qu'il fallait partager beaucoup pour progresser beaucoup, participeront à ce projet. L'élargissement de l'Europe à tout un continent s'accompagnera inévitablement et heureusement de la construction d'une fusée à deux étages, dans laquelle je l'espère nous serons
toujours en tête.
Quant aux fonds structurels et la PAC, évoqués par M. Fourcade, il s'agit de problèmes que les experts, les gouvernements, peuvent tout à fait résoudre - et ils s'y emploieront. Mais souvenez-vous, combien le Sud-ouest de la France redoutait le déferlement des produits agricoles d'outre-Pyrénées quand l'Espagne a été admise dans la Communauté européenne. Or, c'est la meilleure affaire que cette région ait jamais faite !
L'adhésion de la Hongrie, de la Tchéquie, de la Pologne aura le même effet d'entraînement. Nous aurions tort de considérer nos frontières comme devant être gardées par des rondes quotidiennes. Nous devons au contraire partir à la conquête de l'Europe, du monde !
L'Europe sociale, j'en conviens, est en retard, parce qu'on n'a jamais pu entrer sur ce terrain miné. Mais des événements tels que le drame de Vilvoorde agissent comme des catalyseurs de la réflexion que vont mener les dirigeants politiques, industriels, syndicaux. Il n'est plus possible de diriger un grand groupe européen sans un cadre juridique, social, conventionnel, humain organisé au niveau européen. Nous ne sommes plus très loin, je m'en réjouis, d'entrer dans la voie de l'Europe sociale qui en était demeurée jusqu'alors aux balbutiements.
À ceux qui ont concouru à l'action politique du général de Gaulle, je veux dire que la seule question qui vaille, en définitive, est celle de la volonté.
Voyons-nous pour notre nation un grand destin, un grand projet ? Il n'y en a qu'un - pas deux - pour la jeunesse de demain : faire l'Europe, non pas mollement, comme souvent, mais avec force, énergie, détermination. Je suis sûr que pour cela le Sénat entier sera d'accord.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 octobre 2001)
C'est vous dire si c'est bien, en effet, le moment de faire le point ensemble. Je voudrais une fois de plus rappeler que le gouvernement et la majorité ont eu maintes fois l'occasion de réaffirmer la détermination de l'engagement européen de la France. Cet engagement n'est pas simplement un mot, c'est un choix politique majeur. C'est même le choix politique majeur de la politique étrangère et de la diplomatie françaises. Ce n'est pas nouveau, il en est ainsi depuis 40 ans. Il est vrai en même temps que les événements changent, l'environnement n'est pas le même, les circonstances ont profondément évolué et c'est pourquoi nous devons être capables, nous qui sommes des Européens convaincus d'adapter notre réflexion et notre action à l'évolution que nous constatons autour de nous.
La France, vous le savez, souhaite un monde ouvert et s'ouvrir franchement sur l'extérieur. Notre pays conçoit le monde de demain comme respectueux des différences, organisé sur une base multilatérales, équilibré entre des pôles d'influence et non pas un monde dominé par une puissance unique, une langue unique, une pensée unique, voire des produits uniques.
Bien entendu, dans ce monde nouveau, nous voulons que notre pays ait toute sa place. Il est clair, que l'Europe est la condition de ce nouvel équilibre mondial. C'est en nous appuyant sur la construction patiente, parfois décevante mais toujours déterminée, de notre projet européen, que nous assurons le mieux la défense de nos intérêts, le rayonnement de notre continent et le nôtre propre à travers le monde. Or, beaucoup de choses ont changé, vous disais-je, mais d'abord, vous le voyez bien, l'ensemble des pays d'Europe centrale et orientale souhaitent entrer dans l'Union européenne. Ils ne sont pas tous prêts à le faire, mais ils sont tous ardemment désireux d'y parvenir et, à des titres divers, ils sont engagés dans des choix politiques et économiques, dans des efforts et parfois de lourds sacrifices pour y parvenir. Ce qui a changé aussi, c'est que devant la globalisation de l'économie mondiale, dont je persiste à penser qu'elle offre à notre pays des opportunités, des chances que nous sous-estimons, face à cette globalisation de l'économie mondiale, l'Europe est l'une des clefs de la réussite française et européenne dans cette économie en mouvement.
Voilà pourquoi, face à ces changements profonds - qui je le répète, changent le cadre dans lequel s'inscrit notre politique européenne, et forcément ont des conséquences importantes sur notre façon d'appréhender notre projet européen -, nous poursuivons quatre objectifs : réussir la monnaie unique, accueillir les pays associés d'Europe centrale et orientale, faire de l'Europe un espace plus juste et plus sûr mais faire aussi de l'Europe, une puissance en mesure d'assumer toutes ses responsabilités internationales.
Le premier de ces objectifs, bien entendu, c'est de réussir la monnaie unique. Il s'agit bien du grand projet européen de cette fin de siècle. C'est à la vérité, pas simplement un projet financier, monétaire, économique, c'est un vrai projet politique ; c'est même le vrai projet fédérateur européen ; il créera entre les pays concernés, des solidarités nouvelles et je n'en doute absolument pas, un mouvement, une dynamique nouvelle dont les conséquences sont encore insoupçonnées mais dont la perspective correspond très précisément au projet que depuis 40 ans, nous avons patiemment élaboré ensemble. Je vois bien ici et là des voix qui s'interrogent. Elles nous disent : "faudrait-il différer le calendrier ? faudrait-il assouplir les critères ?" La réponse est simple. Dans les deux cas, il faudrait modifier le Traité. Le calendrier et les critères ne sont pas des éléments dont nous pourrions discuter à chaque Conseil des ministres européens ou à chaque sommet . Si l'on veut s'abstraire du calendrier ou s'abstraire des exigences prévues en matière de critère, il faut négocier une nouvelle rédaction des traités. Vous sentez très bien que sur ces deux points, il n'y aurait pas aujourd'hui, au sein de l'Union européenne de disposition quelconque à modifier ces traités. C'est pourquoi, il n'y a, aux yeux du gouvernement français, qu'une seule voie qui soit ouverte, elle consiste à respecter les traités, c'est-à-dire le calendrier et les critères. Tout le Traité, bien entendu, rien que le Traité, mais tout le Traité ; en clair, pour la France et pour l'Allemagne qui sont les pivots de ce projet de la troisième phase de l'Union économique et monétaire. Ne pas être prêt en temps et en heure signifierait l'échec de la troisième phase de l'Union économique et monétaire car, sans nos deux pays, rien n'est possible. Pour les autres, cela signifie que leur candidature dépendra strictement et uniquement de leur aptitude à être comme nous le serons, prêts en temps et en heure. Pour ceux qui ne le seront pas, vous le savez, a été prévu et est en cours d'élaboration un mécanisme commun de change qui aura pour effet de faire en sorte que, au sein de l'Union européenne, s'organisent ainsi les éléments de la stabilité monétaire dont nous avons besoin pour combattre le chômage et mieux défendre notre force économique dans le monde et mieux défendre nos emplois.
Enfin, pour tous les participants à la troisième phase, pour ceux qui seront dans le cadre de cette monnaie unique, ont été convenus, non seulement un pacte de stabilité et de croissance par lequel les uns et les autres s'engagent à être demain aussi déterminés qu'aujourd'hui en vue de la stabilité et de la croissance de nos économies, sans qu'il y ait pour autant de lien mécanique, mais en même temps un conseil de stabilité et de croissance qui sera le lieu de ce travail en commun, de cette concertation, de ces discussions qui doivent permettre de mener ensemble des politiques économiques et financières propres à assurer le succès de ce vaste projet qu'est la monnaie unique européenne.
Je dois dire que la détermination française est connue de tous. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, vous observez que le monde entier considère qu'à l'échéance du 1er janvier 1999, il y aura bien cette nouvelle monnaie que nous avons décidé de baptiser Euro.
Notre seconde ambition, c'est d'accueillir des pays associés d'Europe centrale et orientale. Je vous rappelle qu'il s'agit pour nous d'assurer ce que nous n'avons jamais réussi à faire en Europe, c'est-à-dire l'unité du continent européen. De le faire non pas comme l'Histoire nous en a montré maints exemples, c'est-à-dire par la force ; l'Histoire européenne est émaillée de tentatives d'imposer la domination des uns sur les autres par la force, mais de le faire par la volonté des nations et par la décision des peuples. C'est donc un projet sans égal, sans précédent dans notre Histoire. Je voudrais d'abord insister une nouvelle fois sur la portée et l'ambition de ce projet de faire cette grande Europe qui réunira les 15 pays de l'Union européenne d'aujourd'hui et les 11 pays associés, candidats à l'Union européenne sans compter probablement, le jour venu, à condition qu'ils aient fait d'ici là les efforts multiples que cela suggère, les autres pays d'Europe qui sont encore aujourd'hui, en face de leurs propres problèmes ; je pense en particulier aux pays des Balkans auxquels la porte européenne sera naturellement ouverte le jour venu. Il s'agit d'un processus ouvert à tous. La France a insisté sur ce point dès le début des discussions parce qu'il ne saurait être question d'imaginer un dispositif dans lequel on ouvrirait la porte à deux ou trois pays, on voit bien lesquels et on la fermerait aux autres. Donc, six mois après l'achèvement des travaux de la conférence intergouvernementale, j'espère donc à l'occasion du Conseil de Luxembourg en décembre 1997, nous serons en état d'ouvrir le processus d'adhésion des 11 pays d'Europe centrale et orientale. Dans ce processus qui commence le même jour pour tous, il y aura des étapes et des différenciations. Forcément, il y aura ceux qui seront en état d'engager immédiatement un processus d'adhésion proprement dit et d'autres pour lesquels un délai supplémentaire sera nécessaire ; je veux insister devant vous sur la nécessité d'offrir à tous les pays du continent européen, la même perspective, les mêmes chances et l'assurance qu'ils seront au jour J sur la même ligne de départ. Après tout, les différences qui pourront exister dans le calendrier et dans les procédures seront uniquement dues à leur situation propres et non pas due à la volonté de l'Union qui, quant à elle doit être disposée à les accueillir tous d'un même pas et d'un même enthousiasme.
La France a proposé qu'en 1998 soit constituée ce que nous avons appelé la Conférence européenne, lieu de concertation et de dialogue entre les 15 et les 11, à 26 par conséquent propre à permettre que pendant toute cette période où ces différents partenaires de l'Europe centrale et orientale ne seront pas encore membres de l'Union européenne puisse se nouer un dialogue politique portant sur tous les sujets d'intérêts communs. Il ne s'agit pas que cette conférence soit de quelque façon que ce soit en charge de la procédure d'adhésion qui est, par définition, une procédure bilatérale entre tel état et l'Union européenne. Il s'agit d'avoir un lieu de dialogue entre les 26 états européens pendant toute cette période. Notre proposition est que cette conférence se réunisse une fois par an au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, une fois par an au niveau des ministres. Je peux vous annoncer aujourd'hui que nos partenaires de l'Union européenne ont adopté ce projet à Apeldoorn ce week-end. Nous en sommes par conséquent aujourd'hui, à l'examen en commun des modalités pratiques de ce projet qui sera désormais le projet européen.
C'est dans cette perspective que nous abordons la Conférence intergouvernementale. C'est dans la perspective de l'élargissement que nous devons regarder ce qu'il y a de plus important dans les discussions en cours au sein de la Conférence intergouvernementale. C'est pourquoi je voudrais, à propos de l'élargissement noter devant vous que trois points nous paraissent essentiels dans les débats de la Conférence intergouvernementale.
Le premier de ces points, c'est d'ajuster le poids respectifs des différents pays en fonction des réalités démographiques, économiques et politiques au sein des instances de l'Union européenne. Il est temps, en effet, de prendre conscience que, au fil des élargissements successifs, ce poids respectif a été, petit à petit dénaturé ; en particulier, le poids de la France. Le poids de la France s'est amenuisé, vous comprendrez que je m'en préoccupe. J'ai déjà très clairement indiqué qu'il nous paraît nécessaire pour que les institutions communautaires retrouvent toute leur légitimité, pour qu'elles soient capables demain de prendre des décision, pour que l'élargissement ne signifie pas paralysie. Il faut en particulier que la France, avec sa capacité d'influence, réclame légitimement, retrouve progressivement, dans les institutions européennes, la place qui est la sienne. Cela signifie notamment en matière de pondération des voix au sein du Conseil des ministres européens, que soit reconsidérée la pondération actuelle, dans la perspective de l'élargissement, de façon à ce que nous soyons demain en disposition de peser sur les décisions en fonction du poids que nous avons. Nous ne demandons pas plus mais ne voulons pas moins.
Je crois qu'il faut dire les choses comme elles sont. A partir du moment où il en est ainsi, il devient possible, ce que je crois nécessaire, de suggérer que les cas de votes de décisions prises à la majorité qualifiée soient étendus, car, dans un système à 15, on le voit déjà, mais dans un système à 26, on le verra encore mieux, le système de l'unanimité risque de paralyser toute décision. Il y a donc un lien très précis entre les propositions que fait la France, d'une part, d'élargir les capacités de décisions à la majorité qualifiée qui sont une nécessité s'il on veut demain être capable de prendre une décision, et notre aptitude à modifier la pondération des voix au sein du Conseil des ministres.
Je peux à ce sujet, bien que ce ne soit pas directement lié, évoquer devant vous les questions qui concernent le Parlement européen. Il en va de même, si vous regardez la composition du Parlement, au fur et à mesure des élargissements . Sur les bases actuelles, je ne me souviens plus du chiffre, mais nous arriverons à un Parlement de 12000 ou 13000 membres dans dix ou quinze ans lorsque la procédure d'élargissement sera arrivée à son terme. Qu'est-ce qu'un Parlement qui devient une foule ?
Il faut avoir à l'esprit que ce parlement devra forcément être plafonné à un chiffre raisonnable, je dirai 700. Par conséquent, il faudra, en fonction de cette perspective, réajuster les participations, les représentations des différents états membres. Là encore, nous serons attentifs à ce que chaque pays y ait une place qui soit proportionnée à son propre poids.
Le second objectif qui se rapporte à la Conférence intergouvernementale en lien avec l'élargissement concerne le principe de subsidiarité. Il est temps que nous soyons en état de marquer que la subsidiarité est pour nous un principe de base de l'organisation européenne. J'ai constaté que, jusqu'à présent, nous avions fait un progrès substantiel puisque dans le Traité, il y a, grâce à la France, un article qui l'évoque. C'est bien, mais je n'en aperçois jamais aucune application. C'est pourquoi, en dépit de toutes les réserves que j'ai bien vu exprimer par nos partenaires de l'Union européenne, de celles que je vois en France, je suis décidé à faire en sorte qu'il y ait une procédure qui permette de protéger l'application du principe de subsidiarité dans les institutions européennes. Enfin, nous avons souhaité introduire dans le débat de la Conférence intergouvernementale ce que nous avons appelé une clause de coopération renforcée, ce que d'autres appelleront clause de flexibilité. Qu'on l'appelle comme l'on voudra, l'idée est simple : elle est de permettre à ceux qui veulent aller plus vite et plus loin de le faire. Nous pouvons le faire en dehors de l'Union européenne. L'accord de Schengen est un bon exemple, montrant que l'on peut faire des progrès et prendre des initiatives en dehors de l'Union. La proposition française rejointe par les Allemands est devenue ainsi une proposition franco-allemande ; cette perspective de coopérations renforcées s'inscrit davantage au sein de l'Union européenne. Nous avons fait des propositions très précises et d'ailleurs, je constate qu'elles sont prises en considération avec un grand intérêt par la quasi totalité de nos partenaires. Il y a un point central que vous devez avoir à l'esprit parce qu'il sera jusqu'au dernier moment de la négociation, une question clef : nous n'accepterons pas l'idée qu'un projet de coopération renforcée devrait recevoir l'accord unanime des Etats membres de l'Union européenne, car, cette unanimité exigée aurait pour effet direct de tuer en réalité l'idée de coopération renforcée à quelqu'un. Pour que cette coopération renforcée soit ouverte, s'inscrive clairement dans le cadre de notre projet européen global, nous sommes prêts à proposer que quelques règles communes soient fixées, dès lors qu'elles ne seraient pas soumises à cette contrainte de l'accord unanime des uns et des autres. A partir de là, nous espérons parvenir à une Europe plus sûre et plus juste. Plus sûre, cela veut dire que dans la discussion de la Conférence intergouvernementale, nous avons souhaité parachever l'espace de liberté, de sécurité et de droit en Europe. Le débat est simple, oui nous sommes d'accord pour améliorer les conditions de la libre circulation des personnes au sein de l'Union européenne. Mais nous posons comme clef essentielle qu'au préalable, des progrès aient été accomplis dans le domaine de la sécurité intérieure de nos nations et de notre Union. Des progrès sont indispensables en matière de lutte contre la drogue, de lutte contre le terrorisme, de lutte contre la criminalité. Quand ces progrès auront été fait et qu'ils auront été constatés à l'unanimité des Etats membres, on peut imaginer, dans un délai de quelques années, trois quatre ou cinq ans, en tirer la conclusion que nous pouvons assouplir les règles concernant la liberté de circulation en l'intérieur de l'Union. Une Europe plus sûre, une Europe plus juste, vous le savez, le débat va porter autour du protocole social européen. Nous souhaitons que ce protocole social européen qui est aujourd'hui, une annexe au Traité, qui a une portée juridique mais que l'un des états membres a refusé d'accepter, prenne désormais toute sa place, qu'il soit accepté par l'ensemble des Etats membres et qu'il nous permette ainsi de progresser dans ce domaine où les circonstances de l'actualité témoignent très bien et hélas, de façon plutôt malheureuse combien la fixation de normes européennes, l'encouragement du dialogue social européen, sont aujourd'hui des nécessités essentielles si l'on veut que les peuples européens aient les sentiment d'appartenir à une communauté de destin dans laquelle les risques et les règles sont les mêmes pour tous. J'ajoute que, s'agissant de cette Europe plus juste, nous souhaitons que la place des services publics y soit reconnue, et aussi que nos régions d'Outre-mer s'y voient reconnues avec toute leur importance, associés que nous sommes dans cette perspective avec notamment l'Espagne et le Portugal.
Enfin, nous voudrions que l'Europe soit demain une puissance capable de défendre ses intérêts dans le monde. Partout où je vais, je suis frappé de l'attente qu'il y a envers l'Europe. Le président de la République est revenu ce matin d'un long périple en Amérique du Sud qui a été un succès remarquable pour notre pays. Je suis frappé de l'attente qu'il y a dans ce continent d'Amérique latine, comme la même attente que j'ai rencontré en Asie à l'égard du continent européen et dans ce continent tout particulièrement soyez-en sûr à l'égard d'un pays comme la France dont l'Histoire, la culture, le poids politique et l'efficacité économique sont autant d'éléments d'attrait. Encore faut-il pour cela que les Européens s'organisent pour assumer pleinement les responsabilités qui s'offrent à eux. C'est la raison pour laquelle nous proposons que l'Europe ait une politique étrangère et de sécurité commune. Je voudrais clarifier en quelques instants ce point. Il ne s'agit nullement d'abandonner la politique étrangère française à une autorité commune européenne. Chacun sent bien que nos nations ont leur poids, leur tradition, nous avons nous-mêmes notre ambition à laquelle nous n'entendons pas renoncer. Mais en même temps, il est bien clair que, sur un certain nombre de sujets, à un moment donné, il peut et même il sera nécessaire d'agir en commun. Ainsi le faisons-nous aujourd'hui, au Proche-Orient grâce à la désignation d'un envoyé européen M. Moratinos qui fait d'ailleurs de l'excellent travail. La politique étrangère européenne, c'est cela. C'est permettre au Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement de confier, de décider de partager, de mettre en commun une action, un champ, dans un moment donné pour l'action commune, et confier ensuite aux ministres des Affaires étrangères la mise en oeuvre de cette décision. Naturellement, la décision de base est prise par les chefs d'Etat et de gouvernement. La mission doit être définie à l'unanimité, quitte ensuite, à ce que les ministres, dans la mise en oeuvre, puissent agir selon des majorités qualifiées.
Cela veut dire aussi que, s'il peut y avoir des procédures originales dites d'abstention constructive" qui permette à tel ou tel pays, sans s'associer à cette action de rester en dehors si pour une raison ou une autre, il en juge ainsi. C'est pour cette raison aussi que nous souhaitons qu'à côté de la Présidence, il y ait une personnalité, un haut représentant, - mais sur l'appellation naturellement, on peut discuter-, qui soit alors en charge de la mise en oeuvre des décisions qui seraient prises par les chefs d'Etat et par les ministres. Les circonstances du moment, la crise en Albanie, les difficultés que connaît la République fédérale de Yougoslavie et la Serbie sont autant de circonstances qui montrent combien il serait nécessaire d'avoir un processus plus clair, plus net, plus déterminant pour marquer en commun quelles sont les ambitions mondiales de l'Europe qu'elle est aujourd'hui en état d'avoir et que, sans aucun doute le monde attend qu'elle prenne.
Voilà ce que, à l'ouverture de ce débat, je souhaitais livrer à vos réflexions. L'Europe est souvent un sujet d'interrogation, et n'étant ni aveugle ni sourd, j'ai bien compris que, dans notre pays, pas seulement dans notre pays, en réalité dans l'Europe entière monte une espèce d'euro-sceptisisme comme l'on dit maintenant, de doute à l'égard du projet européen. Sans doute ce scepticisme est-il ce qu'il y a de plus dangereux, car, s'il y a du scepticisme en Europe, il n'y en a pas dans le monde. Le monde ne doute pas que l'Europe devrait être l'un des premiers ensembles régionaux du monde au XXIème siècle. Non seulement, le monde n'en doute pas, mais il le souhaite ! Qu'attendons-nous pour avoir la détermination, l'esprit de vision, la lucidité qui nous permette de mener ce projet à son terme ? C'est sur cette interrogation, que je voudrais interrompre mes propos et consacrer mon temps à vous écouter. Merci.
Le ministre répond aux questions des sénateurs.
Merci de ce débat extrêmement intéressant. Après les très fortes tensions du référendum qui pour la première fois ont brisé le consensus français sur l'Europe et donné un regard fortement négatif à l'Europe - car c'est de là que date, pour une part, la montée de l'euroscepticisme en Europe -, je constate dans les années récentes un rassemblement, un accord global, largement majoritaire, autour du projet européen.
Si les déceptions ne manquent pas dans nos travaux et nos séjours à Bruxelles, comme, souvent, à Strasbourg, nous n'avons en vue que l'intérêt supérieur de la France. Il faut en effet vivre dans le monde réel et y prendre toute notre place : la construction européenne y pourvoit, formidable amplificateur de puissance pour une nation comme la nôtre. Si nous cédions à la tentation du repli, notre destin serait scellé : une petite nation du monde, certes respectable mais sans la capacité d'influence sur le sort de la planète. Avec la construction européenne, nous nous affirmons comme un élément majeur du plus grand ensemble régional mondial susceptible de devenir, s'il le veut, la première puissance économique et politique du monde.
Toutes vos interventions ont été d'importantes contributions à nos travaux, elles enrichissent utilement le débat national. Pour la monnaie unique, il n'est toutefois pas de doute possible : chacun sait qu'il y a une monnaie mondiale, de puissantes monnaies régionales (le mark, le yen) et des monnaies locales, dont certaines en voie de disparition pure et simple. Nous avons le projet sans précédent de créer une monnaie mondiale par nation. Cela va changer la notion des choses. Je puis dire que l'Allemagne, comme la France, sera prête en temps et en heure. Pour le reste je n'en sais rien, la France et l'Allemagne sont déterminées à être prêtes le jour venu. Le président Chirac et le chancelier Kohl ont une vision du destin de leur pays qui conforte cette détermination.
Quant à la Conférence intergouvernementale, j'avais émis une appréciation plus réservée sur le document de travail du sommet de Dublin auquel vous vous êtes référé. Le document préparatoire n'était pas à la hauteur du document final. La France est déterminée. Si ne figurent pas dans le texte des dispositions relatives au vote à la majorité qualifiée, à la pondération, des voix, à la Commission, nous ne céderons pas et il n'y aura un traité ni élargissement.
S'agissant de la PESC, de subsidiarité, des éléments de réponse ont été apportés déjà : tout ne sera pas parfait peut-être mais saluons les réels progrès accomplis.
Pour être agréable à ses partenaires, la France acceptera que l'on ajoute telle ou telle disposition. Il serait important, ainsi, de rédiger une disposition sur l'environnement. Je ne doute pas que l'on parvienne à un résultat tenant compte des préoccupations de chacun. Mais sur ce qui est essentiel à l'intérêt général de la France, à l'intérêt général de l'Europe, notre pays n'est pas prêt à des concessions.
J'en viens à l'élargissement : la route devant nous est immense et le visage de l'Europe va profondément changer. A vingt-six, voire trente nations dans quinze ans, on ne pourra fonctionner comme à six. Dès lors, il est évident que, progressivement, sur le socle commun de l'Europe élargie, de la grande Europe, quelque chose d'autre se bâtira, réunissant quelques pays qui iront beaucoup plus loin.
Ceux qui, dès l'origine, pensaient qu'il fallait partager beaucoup pour progresser beaucoup, participeront à ce projet. L'élargissement de l'Europe à tout un continent s'accompagnera inévitablement et heureusement de la construction d'une fusée à deux étages, dans laquelle je l'espère nous serons
toujours en tête.
Quant aux fonds structurels et la PAC, évoqués par M. Fourcade, il s'agit de problèmes que les experts, les gouvernements, peuvent tout à fait résoudre - et ils s'y emploieront. Mais souvenez-vous, combien le Sud-ouest de la France redoutait le déferlement des produits agricoles d'outre-Pyrénées quand l'Espagne a été admise dans la Communauté européenne. Or, c'est la meilleure affaire que cette région ait jamais faite !
L'adhésion de la Hongrie, de la Tchéquie, de la Pologne aura le même effet d'entraînement. Nous aurions tort de considérer nos frontières comme devant être gardées par des rondes quotidiennes. Nous devons au contraire partir à la conquête de l'Europe, du monde !
L'Europe sociale, j'en conviens, est en retard, parce qu'on n'a jamais pu entrer sur ce terrain miné. Mais des événements tels que le drame de Vilvoorde agissent comme des catalyseurs de la réflexion que vont mener les dirigeants politiques, industriels, syndicaux. Il n'est plus possible de diriger un grand groupe européen sans un cadre juridique, social, conventionnel, humain organisé au niveau européen. Nous ne sommes plus très loin, je m'en réjouis, d'entrer dans la voie de l'Europe sociale qui en était demeurée jusqu'alors aux balbutiements.
À ceux qui ont concouru à l'action politique du général de Gaulle, je veux dire que la seule question qui vaille, en définitive, est celle de la volonté.
Voyons-nous pour notre nation un grand destin, un grand projet ? Il n'y en a qu'un - pas deux - pour la jeunesse de demain : faire l'Europe, non pas mollement, comme souvent, mais avec force, énergie, détermination. Je suis sûr que pour cela le Sénat entier sera d'accord.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 octobre 2001)