Interview de M. Léon Bertrand, secrétaire d'Etat au tourisme, à "France 2" le 28 novembre 2002, sur la baisse de la fréquentation touristique dans les DOM-TOM, sur la préparation d'une loi-programme et d'un plan d'urgence, par notamment la défiscalisation pour la restauration et la maintenance d'équipements hôteliers, et sur la volonté gouvernementale de rapprocher développement durable et économie du tourisme.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde -. Nous allons parler du tourisme en France, en métropole et puis aussi dans les DOM-TOM. Avant, un mot de cette décision des ambassades américaine, canadienne et australienne : fermer leur représentation aux Philippines parce qu'il y a, semble-t-il, ce week-end, un risque majeur d'attentats. Est-ce qu'effectivement, nous avons aussi, en France, des craintes de cet ordre ?
- "Pour l'instant, il n'y a pas de craintes de cet ordre. Mais il est clair que, lorsque certaines ambassades ferment dans certains lieux, c'est un signal négatif en direction des tours-opérateurs. Bien entendu, il y a des incidences négatives dans le domaine touristique."
Envisagez-vous, d'une façon ou d'une autre, de donner des consignes ? On sait que là, c'est une fête essentiellement américaine ce week-end, c'est Thanksgiving. Mais bientôt il y aura les vacances de Noël, une période où les Français voyagent beaucoup. On envisage, que ce soit au ministère du Tourisme, en relation avec le Quai d'Orsay, le ministère de l'Intérieur, de voir quelles sont les zones éventuellement à éviter ou celles à recommander ?
- "Pour l'instant, nous n'avons pas ce genre de recommandations. Simplement, ce que je puis dire, c'est que nous avons mis dans notre ministère une cellule de veille permanente, en relation avec les réseaux diplomatiques, de façon à pouvoir accueillir toutes les informations possibles réactives et intervenir si c'est nécessaire. Mais ce n'est pas le cas pour l'instant."
Comment évolue le tourisme depuis cette montée de l'inquiétude autour des attentats ? Est-ce que cela veut dire que les Français restent davantage en France, que les étrangers viennent moins chez nous, tout cela mélangé ?
- "C'est vrai que depuis le 11 septembre, nous avons vu des changements de comportement puisque les touristes que nous appelons "à forte contribution financière" qui sont les Asiatiques et notamment les Américains, sont moins venus chez nous. Mais, en compensation, les Européens sont davantage venus en France, et surtout les Français sont restés en France et se sont dispersés sur l'ensemble du territoire. Donc, effectivement, des changements de comportement importants."
Et ont découvert des régions qu'ils ne connaissent pas ?
- "Tout à fait."
Vous partez, ce soir, pour Mayotte et La Réunion. Vous irez ensuite, le 18 et le 23 aux Antilles. Comment se présente ce voyage à Mayotte et à La Réunion, c'est la tournée habituelle du ministre du Tourisme ?
- "C'est ma première tournée après celle que j'ai effectuée, il y a quelques semaines en Guyane. Je me rends, ce soir, à Mayotte et quelques jours après à La Réunion. Tout simplement, parce que j'ai envie d'abord d'aller voir comment le tourisme se porte là-bas, peut-être le relancer, notamment à Mayotte, avec certainement une problématique tout à fait particulière. Puisque, comme vous le savez, Mayotte est un département avec une forte communauté musulmane. Donc, il faudra trouver un consensus entre la tradition et le développement touristique. Et puis j'irai aussi, bien entendu, à La Réunion, qui est une île qui ne se porte pas mal d'ailleurs dans le domaine touristique, mais qui a des projets. Donc, aller voir comment les soutenir."
Aux Antilles, on a beaucoup parlé de la crise de fréquentation, avec une baisse assez importante d'ailleurs ?
- "Moins 20 % pour l'année 2002."
Les facteurs sont essentiellement les conflits sociaux, l'accueil qui n'est pas à la hauteur de ce qu'il devrait être, est-ce que ce sont des fausses visions que l'on a de métropole ?
- "Je pense qu'il faut mettre cela sur le compte de plusieurs éléments. Certes, des équipements qui commencent à vieillir, suite à la fin du dispositif de défiscalisation, mais peut-être des problèmes de formation. Et puis aussi, il faut le dire surtout pour la Guadeloupe, des grèves à répétition qui finissent pas exaspérer la clientèle touristique. On se rappelle tous de ce 31 décembre 2001, où les gens ont été privés d'électricité, d'eau potable, etc. Il est clair que, dans ces conditions, on ne peut pas justement attirer des gens convenablement. Et donc, tout cela fait, qu'aujourd'hui, il y a une baisse sensible du tourisme."
Le groupe ACCOR avait annoncé qu'il se retirerait, qu'il fermerait ses hôtels en Guadeloupe. Vous avez demandé qu'ils revoient leur jugement. Où en est-on ?
- "Je crois qu'ils m'ont entendu, ainsi que B. Girardin. La preuve, hier soir j'étais encore avec les dirigeants, nous sommes en train de discuter. Ils sont prêts à revenir autour de la table - pas plus eux que d'autres d'ailleurs - à condition que, bien entendu, les choses puissent évoluer positivement - défiscalisation, etc. -, mais surtout le climat social. Et c'est l'objet de la visite que j'effectuerai à partir du 18 décembre aux Antilles."
Donc, aujourd'hui le groupe ACCOR ne ferme plus ses portes en Guadeloupe ?
- "Le groupe ACCOR ne ferme plus ses portes en Guadeloupe, on peut le dire. Simplement, il faut maintenant que chacun se dise "mobilisons-nous". Quand je dis "chacun" c'est, à la fois, les élus, les syndicats, bien entendu, les professionnels, pour un tourisme intéressant aux Antilles."
On sait que vous êtes en train de préparer une loi-programme et un plan d'urgence. Vous parlez de "'défiscalisation". Il y a dans le dispositif quelque chose qui ressemblerait à ce qu'a été la loi Pons, avec ses incitation à investir, à défiscaliser massivement dans les Caraïbes ou ça pourrait être quelque chose d'approchant ?
- "C'est quelque chose d'approchant. Je dois préciser d'ailleurs que ce n'est pas ma loi-programme, c'est celle de ma collègue de l'Outre-mer. Mais, bien entendu, il y a des incidences sur le tourisme et la direction consisterait justement à introduire la défiscalisation pour la restauration, la maintenance d'équipements hôteliers. Ce qui n'était pas le cas auparavant."
La loi Pons c'était uniquement l'investissement neuf.
- "Oui, et puis quelques années après, malheureusement, les hôteliers se trouvaient devant l'impossibilité de poursuivre parce la même manne n'existait pas."
Et donc, là, elle serait réintroduite pour...
- "Pour la maintenance, pour la restauration des équipements, c'est tout à fait nouveaux. Et puis il y a d'autres dispositif comme l'exonération de charges sociales, par exemple, et puis surtout une formation, soit donnée sur place soit ici, dans l'Hexagone."
Aujourd'hui, le Gouvernement tient un séminaire sur le développement durable. Vous allez évidemment y assister. Comment fait-on pour protéger, à la fois l'environnement, se préoccuper du développement durable et avoir une activité économique touristique ?
- "C'est tout l'enjeu, effectivement, du séminaire d'aujourd'hui qui consiste à créer des comportements - pas plus pour le tourisme que pour d'autres secteurs. Prenons le cas du tourisme : je pense à la Nouvelle-Calédonie où ils ont un choix douloureux à faire entre la protection de la barrière de corail et puis le développement d'Unitel. Dans le cas de la Guyane, c'est un choix entre un parc national, qui permet de préserver la nature dont on a besoin et en même temps, le développement de l'orpaillage, développement économique. Il s'agit justement, à partir de là, d'inspirer des comportements nouveaux pour permettre de protéger ce qui attire et qui, demain, peut être un facteur de développement."
Et puis on voit qu'il y a des zones qui attirent un maximum de touristes...
- "Tout à fait."
Et des zones qui sont un peu moins recherchées ?
- "C'est exactement ce que nous vivons, ici, en France. Quand on sait que 80 % des touristes sont sur 20 % seulement du territoire. C'est une pression toujours aux mêmes endroits. Il faut donc diversifier les produits pour étaler la production touristique sur l'ensemble du territoire, et bien entendu disperser aussi la clientèle."
Une question un peu plus personnelle : cela fait environ six mois maintenant que vous êtes dans le Gouvernement ; cela se passe comment ?
- "Cela se passe de mieux en mieux. Entre un élu local, sur le terrain tous les jours, j'allais dire "la main dans le cambouis", et puis être aujourd'hui au Gouvernement, il y a un sacré changement. Mais c'est passionnant."
Vous êtes élu en Guyane, vous avez le temps de retourner régulièrement ?
- "J'ai un deal avec le Gouvernement, qui me permet - c'est la France d'en bas, et chez nous la France de loin - de me rendre une fois, une semaine par mois, pour être plongé dans les réalités locales. Et donc, je reviens d'ailleurs de la Guyane où j'ai passé quelques jours."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 novembre 2002)