Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire PS à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 6 seprembre 2002, sur l'assouplissement des 35 heures, l'harmonisation des différents smics et la préparation du budget 2003.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J. Dorville.- Ca y est, le décret pour assouplir les 35 heures vient d'être transmis aux partenaires sociaux. C'est un décret transitoire et ce sont les syndicats et le Medef qui devront ensuite négocier branche par branche. N'est-ce pas, finalement, la bonne méthode : celle du dialogue social ?
- "Le Gouvernement fait les choses à l'envers. Il a beaucoup parlé de dialogue. Là, il y a peut-être du dialogue, mais il n'y a pas de négociation, puisqu'il procède unilatéralement par décret, puis il appelle ensuite à la négociation. Cette négociation va être extrêmement difficile. Ce décret est le début de la fin des 35 heures. Parce que là, de fait, le Gouvernement dit clairement qu'il n'y aura plus d'aide pour les entreprises qui n'ont pas encore signé des accords sur les 35 heures, c'est-à-dire la moitié des entreprises françaises. Quant aux autres, elles vont s'empresser d'augmenter leurs contingents d'heures supplémentaires, au détriment de l'embauche, et au moment où le chômage remonte, c'est une mesure désastreuse. Il est important de le dire avec beaucoup d'honnêteté, car on fait porter aux 35 heures beaucoup de responsabilités. Mais les 35 heures, ce n'était pas une lubie d'idéologues, c'était le plus grand compromis social de ces trente dernières années pour vaincre le chômage."
Beaucoup de socialistes l'ont dit et reconnu : les 35 heures n'ont pas été pour rien dans vos défaites électorales ?
- "La moitié des salariés ne sont pas encore passés aux 35 heures, donc cela peut jouer aussi sur ce plan. Et puis, peut-être qu'un certain nombre d'accords ont été signés dans de mauvaises conditions. Mais globalement, cette loi a permis des milliers de négociations, des milliers d'accords, et la plupart des salariés qui sont aux 35 heures ne veulent absolument pas revenir en arrière. Et puis, je rappelle quand même que cela a été aussi une action volontariste pour la création d'emplois - plus 400.000 emplois - et dans beaucoup d'entreprises, l'occasion d'améliorer l'organisation du travail et la productivité. Donc, même s'il faut des adaptations, ce que j'admets tout à fait..."
Vous reconnaissez quand même qu'il fallait assouplir...
- "Oui, mais je crois que la négociation par branche, au départ, aurait été meilleure, alors que là, on est en train de bloquer le système. L'abandon des aides aux entreprises, des exonérations de cotisations sociales sans contreparties, c'est-à-dire sans négociation, c'est clair et on peut le dire sans aucun procès d'intention au Gouvernement, c'est sonner le glas des 35 heures. D'ailleurs, le ministre du ministre du Travail n'a pas hésité à lancer hier soir, à la télévision, une attaque en règle contre les 35 heures, qui ont été traitées d'inepties économiques et sociales."
On ne va pas refaire l'histoire. Mais c'est vrai que la façon dont M. Aubry - le gouvernement Jospin - avait imposé les 35 heures, ce n'était pas non plus sans doute un exemple de négociation ?
- "On peut dire cela, mais je crois que c'est assez injuste. D'abord, souvenez-vous qu'en 1997, la priorité des priorités pour le gouvernement Jospin, c'était la lutte contre le chômage. Aujourd'hui, ça reste d'actualité, mais je ne sais pas si le Gouvernement est conscient de la situation dans laquelle nous sommes. Mais il y avait une décision volontariste de la part de la majorité et du gouvernement de l'époque d'agir fortement pour faire reculer le chômage. Donc, il y a eu effectivement le pilotage de la politique économique, qui a encouragé la croissance et notamment la consommation. Il y a eu les 35 heures, mais il y a eu aussi les emplois-jeunes qui sont eux-mêmes remis en cause. Et avec les 35 heures - je reviens sur le dialogue social -, il n'y avait jamais eu autant de négociations dans les entreprises en France qu'à cause des 35 heures. Donc, je crois qu'il faut rappeler les effets positifs. Avec le recul, on va s'en rendre compte un petit peu plus. Encore une fois, je ne suis ni sourd ni aveugle, je suis conscient de la nécessité d'une adaptation notamment dans un certain nombre de branches. Et donc, la négociation par branche aurait été le préalable avant de signer un décret."
L'autre décision du Gouvernement, c'est l'harmonisation par le haut des différents Smics issus des 35 heures ?
- "Il fallait le faire. Les syndicats ont commencé les discussions, j'espère qu'elles aboutiront à des choses positives. J'ai quand même une inquiétude : je rappelle quand même que 60 % des salariés payés au Smic ne seront pas concernés par cette harmonisation. Et dans le même temps où le Gouvernement annonce une harmonisation, il décide quand même le gel du Smic, il ne faut pas oublier cela. D'un côté, harmonisation, de l'autre côté, il n'y aura plus d'augmentation du Smic au-delà de l'indice Insee. Cela veut dire pour 60 % des salariés, il n'y aura plus d'amélioration du pouvoir d'achat avant 2005. Il faut quand même être conscient aussi des effets négatifs. Je comprends que finalement le Medef soit assez satisfait."
La semaine dernière, il n'avait pas l'air très content...
- "Il y a une part de théâtre chez monsieur Seillière pour, je dirais pousser son avantage, obtenir le maximum de concessions. Mais entre les baisses d'impôts et de charges, le démantèlement des 35 heures et le gel du pouvoir d'achat du Smic, monsieur Seillière n'a pas à se plaindre du gouvernement Raffarin. D'ailleurs, il l'a dit, puisqu'il lui a décerné hier un satisfecit."
La baisse des impôts, justement, va continuer sur un rythme plus modéré ; sans doute en 2003, la baisse des charges sociales sur les bas salaires. Vous ne pouvez pas dire que J. Chirac ne tient pas ses promesses, cette fois ?
- "Je prends date, parce que le vrai problème de monsieur Raffarin, c'est bien sûr la situation économique, qui rend le bouclage de son budget extrêmement difficile. Entre les baisses d'impôts, les baisses de charges, la réduction des déficits, c'est vrai que monsieur Raffarin a du mal à choisir, puisqu'il lui est même arrivé de cafouiller, d'être contredit par son propre porte-parole. Mais le problème réel de monsieur Raffarin, c'est justement les promesses de J. Chirac, et qu'il est dans la même situation qu'A. Juppé en 1995. Il sait que c'est dangereux politiquement, donc il navigue un petit peu à vue. Mais je pense qu'on va quand même avoir un mauvais budget, un budget mensonger, parce qu'il sera fondé sur des prévisions de croissance probablement irréalistes et des artifices comptables, mais un budget inégalitaire, parce qu'il va quand même effectivement poursuivre les avantages fiscaux sur les entreprises les plus favorisées. Et, on sait que cela n'a pas d'effet sur l'activité économique, on l'a vu entre 1993 et 1995. Et puis, il est inefficace, parce qu'il fait subir une sévère cure d'austérité à tous les grands programmes publics qui conditionnent l'avenir : l'Education, la Recherche, la Ville et surtout l'emploi. Cela veut dire que monsieur Raffarin est incapable de tenir les promesses de J. Chirac et donc, il est obligé de faire des contorsions budgétaires énormes."
Vous avez entendu ce que dit la droite - c'est de bonne guerre -, mais il vous accuse d'avoir laissé les finances publiques finalement en mauvais état. Pendant cinq ans, il y a eu la croissance, et vous vous êtes comportés en "cigales", c'est ce qu'ils disent.
- "Il ne faut pas oublier une chose. Je ne suis pas là pour défendre le bilan du gouvernement Jospin, comme s'il n'y avait aucun défaut, sinon, nous aurions été largement reconduits ; il y a sûrement des choses qui n'ont pas marché. Mais je voudrais simplement rappelé quand même que ce que nous avons fait, cela a d'abord été la priorité des priorité à l'emploi, et je pense que ça reste encore la principale question que les Français ont en tête. Nous avons quand même, de cette façon, fait reculer le chômage d'un million, et nous avons créé 2 millions d'emplois. Cela ne s'était pas vu depuis quasiment trente à quarante ans. Donc, il ne faudrait quand même pas oublier les résultats et c'est cela qu'il ne faudrait pas casser. Quand je vois que le Gouvernement, par exemple, va baisser de 7 % les crédits du ministère du Travail, supprimer les contrats emploi-solidarité, les emplois-jeunes, le programme Trace et puis, maintenant, les 35 heures, je crois que pour l'emploi, c'est un véritable sinistre qui s'annonce et qui risque de se payer très cher en termes de croissance et d'équilibre budgétaire. Et puis, dans le même temps, on apprend que le Gouvernement va inscrire la construction d'un deuxième porte-avions. Franchement, tout cela, ça fait quand même un peu gribouille !"
Les priorités du budget 2003, on les connaît : c'est la justice, la sécurité. C'est ce que réclament les Français...
- "La justice, la sécurité, c'est tout à fait justifié. Je serai le premier à souhaiter qu'on fasse reculer l'insécurité dans notre pays de façon durable. Mais en même temps, on sait très bien que si on n'investit pas dans l'Education, la formation, il est clair qu'on ne résoudra pas non plus durablement les questions d'insécurité, les questions d'exclusion sociale qui sont aussi parfois la cause de l'insécurité, ainsi que les problèmes de l'intégration. Ce gouvernement, je dirais, n'a pas une politique offensive, cohérente. Et au moment où le pays s'interroge - et pas seulement pas notre pays, nos voisins aussi - du fait de la baisse de la croissance, nous aurions besoin d'un message fort, entraînant, et nous avons le cafouillage, la confusion, une politique très marquée à droite, qui veut finalement rejoindre le peloton de tête des pays les plus conservateurs, les plus libéraux, alors que nous aurions besoin, aujourd'hui, de plus de volontarisme, de cohésion et de solidarité."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 sept 2002)