Texte intégral
Je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui, avec Renaud Muselier. C'est l'une des traditions de notre ministère que de nous réunir tous ici, à l'occasion - généralement un peu anticipée - de la fête nationale, pour un moment de convivialité et d'échange.
J'appartiens à cette Maison et je connais la plupart d'entre vous. J'aime passionnément, comme vous, ce métier qui est le nôtre. J'en connais les difficultés ; j'en mesure chaque jour davantage les enjeux pour la France, pour le monde. Et je suis convaincu qu'ensemble nous avons une grande et belle page de notre diplomatie à écrire.
Je suis de ceux qui croient à la vertu des traditions. Elles font la force du Quai d'Orsay. Le Département vit au rythme de l'histoire de notre pays. Chacun de nous, quelles que soient ses fonctions, s'inscrit dans la généalogie de tous ses prédécesseurs.
D'âge en âge, dans ce ministère, se sont succédé de hautes figures dont certaines ont marqué l'histoire. Je pense au cardinal de Richelieu, fondateur de l'Etat moderne ; à Vergennes, qui permit l'engagement de la France aux côtés des Etats-Unis dans leur combat pour l'indépendance ; à Talleyrand, ce "diable boiteux" qui, au Congrès de Vienne, rendit à notre pays toute sa place dans le concert européen ; à Tocqueville, dont la lucidité continue, après un siècle et demi, à nous aider à comprendre le monde ; à Thiers et Gambetta, dont l'attelage inattendu a fondé la République ; à Guizot et Rémusat, infatigables apôtres de la liberté politique ; à Briand, inspirateur de la société des Nations et à Schuman, l'un des pères de l'Europe.
Je pense également à ceux qui se sont illustrés dans les lettres, à Chateaubriand, à Lamartine, à Giraudoux, à Claudel, à Saint-John Perse, à Paul Morand, à Romain Gary. Ces noms gravés aux "hautes tables de mémoire" qu'évoque Saint-John Perse, et tant d'autres encore, connus ou non, forment notre lignage.
Il ne doit ni nous intimider, ni nous paralyser, encore moins nous écraser. La tradition doit nous aider à avancer. La mémoire est l'un des leviers qui permettent d'agir sur l'évolution du monde. Parce que nous nous inscrivons dans cette histoire, parce que nous sommes porteurs d'un riche héritage, il nous revient d'en tirer le meilleur parti pour avancer dans le monde incertain d'aujourd'hui avec quelques repères utiles et sûrs.
L'Europe, la France, parce qu'elles sont des terres de mémoire et d'histoire, ont un rôle essentiel à jouer afin de contribuer à éclairer l'avenir, à le jalonner de balises. L'enracinement nous permettra de relever les deux défis qui s'imposent aujourd'hui à notre diplomatie.
Le premier défi est celui du mouvement, d'une diplomatie en harmonie avec l'évolution du monde et, si possible, qui l'anticipe, car l'histoire n'attend pas.
Mais il ne suffit pas de changer, il faut savoir d'où l'on vient et où l'on veut aller : le second défi de notre diplomatie est donc le choix de la bonne direction.
Cet impératif de direction s'impose pour deux raisons.
Il s'impose car il faut non pas aimer le mouvement pour le mouvement, mais savoir changer pour maîtriser ou infléchir le changement. Pour cela, il faut poser des repères, apprécier ce qui peut être modifié et définir les principes qui doivent être défendus.
Il s'impose également parce que notre monde est complexe, difficile à saisir. C'est pourquoi il a besoin de prévisibilité. La diplomatie ne doit pas ajouter à la confusion et au désordre. Elle doit donc s'appuyer sur une conscience claire de ce que nous sommes et des valeurs que nous portons.
C'est à la condition de répondre à ce double défi que nous aurons la satisfaction de prolonger la grande tradition dont nous sommes tous les dépositaires, pour faire que la France soit forte, respectée, et tienne tout son rôle dans le monde.
Nous sommes à un moment nouveau du monde, dans un changement d'époque. Nous devons y entrer, animés par un nouvel esprit qui valorise l'initiative, s'inspire d'une démarche positive, et repose sur une approche stratégique, le dialogue et la générosité.
Quelles sont, dans ce contexte, les priorités qui doivent guider notre action ? Sans prétendre ici à l'exhaustivité, et dans le cadre des orientations tracées par le Président de la République, j'en vois notamment six :
- Première priorité : affirmer notre ambition européenne, pour une France forte dans une Europe forte.
Cela suppose d'abord d'apporter une réponse convaincante à l'exigence démocratique qu'ont exprimée avec force nos concitoyens : mieux asseoir la légitimité des institutions de l'Union européenne, clarifier la répartition de leurs compétences, renforcer l'efficacité et la transparence de leurs processus de décision. C'est l'objet de la Convention sur l'avenir de l'Europe qui s'est ouverte le 28 février dernier sous la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing. La France doit jouer un rôle d'impulsion dans ce débat crucial pour notre avenir.
Il nous faut parallèlement réussir le processus d'élargissement de l'Union européenne. L'objectif est d'aboutir en décembre prochain, lors du Conseil européen de Copenhague, à l'achèvement des négociations d'adhésion pour ceux des pays candidats qui seront prêts. Notre pays ne ménagera aucun effort pour accompagner ce processus historique, cela dans le respect d'une double exigence : préserver la capacité d'action d'une Europe élargie et garantir la pérennité des politiques communes, à commencer par la PAC.
Affirmer notre ambition européenne suppose enfin de donner une nouvelle impulsion à la coopération franco-allemande. Nous devons être en mesure de présenter des propositions précises et audacieuses en ce domaine, dans la perspective notamment du quarantième anniversaire du Traité de l'Elysée en 2003.
- Deuxième priorité : renforcer notre capacité à répondre aux principales menaces qui pèsent sur notre pays.
Je pense bien sûr à la nécessité de renforcer nos moyens de lutter contre la menace terroriste, y compris via le développement des instruments d'action de l'Union européenne en matière de police et de justice. Dans le même esprit, la sécurité de nos compatriotes vivant à l'étranger doit constituer, pour chacune et chacun d'entre vous, une exigence constante et prioritaire. Au-delà des mesures qui ont été prises au cours des dernières semaines, j'attends des services du Département, comme de l'ensemble de notre réseau diplomatique et consulaire, une véritable mobilisation autour de cette nécessité.
Je pense aussi à la lutte contre ce qu'il est convenu d'appeler les "nouveaux risques", de la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs au développement des réseaux mafieux et du trafic de drogue. Sur l'ensemble de ces dossiers, le Département doit assumer pleinement sa vocation naturelle d'impulsion et de coordination au sein de l'appareil d'Etat.
- Troisième priorité : peser de tout notre poids en faveur d'une mondialisation mieux maîtrisée.
Après les réunions de Rio et de Monterrey, le Sommet de Johannesburg sur le développement durable, qui se tiendra en septembre prochain, doit servir de catalyseur à notre action. Son succès sera notamment tributaire de notre capacité à faire uvre de proposition et à mobiliser nos partenaires autour de deux grands axes complémentaires : l'accroissement nécessaire de l'aide au développement et la meilleure intégration de l'environnement dans l'agenda diplomatique mondial, en particulier à travers l'application du Protocole de Kyoto sur le réchauffement climatique.
- Quatrième priorité : renforcer notre capacité d'influence dans le règlement des crises régionales, et au premier chef celle du Proche-Orient. Les deux déplacements que j'ai effectués dans la région ont achevé de me convaincre que la France et l'Europe ont le devoir d'y jouer un rôle très actif, tant sont fortes les attentes qui s'expriment à notre égard au sein des pays concernés. Sachons répondre à ces attentes en utilisant au mieux les instruments existants, à commencer par le quartet, afin notamment de préparer dans de bonnes conditions la Conférence internationale que nous appelons de nos vux.
- Cinquième priorité, redéfinir nos partenariats avec les grands pôles du monde : avec les Etats-Unis d'abord, dans le double objectif d'une relation bilatérale plus confiante et d'un partenariat transatlantique plus équilibré ; mais aussi avec la Russie, la Chine, l'Asie du Sud, le Mercosur ou encore le Japon.
- Sixième et dernière priorité, c'est celle de la fidélité de la France à nos partenaires les plus anciens et tout particulièrement à l'Afrique. Le renforcement de la relation entre la France et l'Afrique et, par extension, la redynamisation de la Francophonie, doivent prendre toute leur part dans cet effort. Les déplacements que j'ai effectués en Russie, aux Etats-Unis et en Afrique, comme ma prochaine visite en Inde et au Pakistan, s'inscrivent dans cette perspective.
Au regard de ce cadrage général, comment améliorer nos méthodes ? Je souhaiterais ici souligner trois exigences :
- Première exigence : celle de l'ouverture. Parce que sa vocation est de mieux comprendre le monde pour pouvoir influencer le cours des choses, notre maison doit impérativement s'ouvrir davantage. J'en prendrai trois illustrations :
Il nous faut d'abord élargir notre champ de vision pour mieux intégrer, dans nos travaux, les éléments qui sortent d'une approche trop étroitement diplomatique : la dimension historique, les données tenant à la culture et à la civilisation. C'est ainsi que nous pourrons donner plus d'épaisseur à nos analyses, plus de souffle à nos propositions, et que nous pourrons au total créer de nouvelles marges de manuvre. Dans cet esprit, j'entends promouvoir une meilleure intégration du réseau culturel au sein de notre travail diplomatique, à Paris comme dans les postes : notre instrument culturel est partie prenante de notre diplomatie ; il doit participer davantage à notre politique étrangère.
Le Quai d'Orsay doit parallèlement redevenir le lieu privilégié de dialogues et d'échanges pour tout ce qui concerne l'international. Cela implique d'abord que notre ministère tienne toute sa place dans l'interministériel et redevienne en ce domaine un acteur essentiel à force d'initiatives, d'imagination et de créativité. Il nous faut ensuite multiplier les contacts avec les chercheurs, universités et think tanks ainsi qu'avec le monde économique et culturel. Au-delà du Centre d'analyse et de prévision, dont c'est la vocation, je souhaite que l'ensemble des services s'implique dans cet effort.
Il est essentiel enfin de favoriser la mobilité et les échanges de personnels entre le Département et l'extérieur, qu'il s'agisse des autres pôles de l'administration ou du monde de l'entreprise. Mon prédécesseur s'est efforcé d'ouvrir la voie, il faut aujourd'hui aller plus loin. C'est l'intérêt collectif du Département, cela doit devenir l'intérêt de chaque agent pris individuellement. Il faut pour cela que les agents détachés et mis à disposition à l'extérieur ne soient pas pénalisés à leur retour au Quai d'Orsay. Je mesure tous les obstacles qui se dressent sur ce chemin, mais il est essentiel d'aller de l'avant.
- Deuxième exigence : celle du professionnalisme. Elle doit se traduire à trois niveaux :
La formation d'abord : notre ministère est sans aucun doute l'un de ceux dans lesquels le niveau de la formation initiale est le plus élevé. Mais il faut améliorer encore les dispositifs de formation continue tout au long de la vie professionnelle. Mis en place par mon prédécesseur, l'Institut diplomatique constitue à cet égard un instrument précieux et que j'entends développer.
La gestion des ressources humaines ensuite : beaucoup reste à faire, chacun d'entre nous en est conscient, pour la rendre à la fois plus efficace et plus prévisionnelle, mieux en phase avec les besoins réels du Département comme avec les souhaits de chacun. Une réforme en profondeur s'impose en ce domaine, dans laquelle je m'impliquerai personnellement.
Les moyens disponibles enfin : la réduction régulière des crédits du ministère conduit aujourd'hui à une situation particulièrement tendue, à Paris comme dans les postes. Cette dérive affecte désormais les fonctions essentielles du Département et menace plusieurs aspects de son fonctionnement quotidien. Notre volonté aujourd'hui, c'est de mettre un terme à cette dérive. Il est essentiel, en parallèle, de rechercher systématiquement les marges de manuvre qu'une meilleure organisation interne peut permettre de dégager, avec pour souci constant de nous moderniser et de nous adapter au monde. Je compte sur chacune et chacun d'entre vous pour contribuer à cet effort.
- Troisième exigence : une meilleure prise en compte des contraintes professionnelles et personnelles qui sont celles du métier diplomatique.
Beaucoup d'entre vous ont été ou seront amenés à exercer leur profession dans des zones à risque et dans des conditions éprouvantes, pour vous-mêmes et pour vos familles. J'en suis le premier conscient. L'abnégation et le courage dont font preuve nombre des membres de cette maison, au service de la France, font honneur à l'ensemble du Département. Je veillerai à ce que ceux qui ont assumé les risques correspondants en reçoivent une juste reconnaissance. C'est une question de dignité et d'équité.
Au-delà même des agents en poste dans les zones les plus difficiles, la fonction diplomatique emporte avec elle des contraintes et sujétions particulières pour nos conjoints et nos enfants. Je voudrais aujourd'hui leur rendre un hommage sincère. La disponibilité souvent exemplaire des agents du Quai d'Orsay, qui constitue l'une des forces de notre ministère, a un coût personnel et familial qu'il ne faut pas se cacher. Je souhaite qu'une vraie réflexion soit engagée sur ce sujet important afin d'introduire plus de prévisibilité dans les mouvements diplomatiques et d'assurer une alternance plus harmonieuse entre les postes à Paris et les affectations à l'étranger. Sachez que j'y serai très attentif, même si, cette année, les échéances électorales ont conduit à retarder le mouvement diplomatique attendu.
Voilà les quelques messages que je souhaiterais vous adresser en ouverture de cette réception, qui est d'abord celle de l'amitié et de la convivialité. Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juillet 2002)
J'appartiens à cette Maison et je connais la plupart d'entre vous. J'aime passionnément, comme vous, ce métier qui est le nôtre. J'en connais les difficultés ; j'en mesure chaque jour davantage les enjeux pour la France, pour le monde. Et je suis convaincu qu'ensemble nous avons une grande et belle page de notre diplomatie à écrire.
Je suis de ceux qui croient à la vertu des traditions. Elles font la force du Quai d'Orsay. Le Département vit au rythme de l'histoire de notre pays. Chacun de nous, quelles que soient ses fonctions, s'inscrit dans la généalogie de tous ses prédécesseurs.
D'âge en âge, dans ce ministère, se sont succédé de hautes figures dont certaines ont marqué l'histoire. Je pense au cardinal de Richelieu, fondateur de l'Etat moderne ; à Vergennes, qui permit l'engagement de la France aux côtés des Etats-Unis dans leur combat pour l'indépendance ; à Talleyrand, ce "diable boiteux" qui, au Congrès de Vienne, rendit à notre pays toute sa place dans le concert européen ; à Tocqueville, dont la lucidité continue, après un siècle et demi, à nous aider à comprendre le monde ; à Thiers et Gambetta, dont l'attelage inattendu a fondé la République ; à Guizot et Rémusat, infatigables apôtres de la liberté politique ; à Briand, inspirateur de la société des Nations et à Schuman, l'un des pères de l'Europe.
Je pense également à ceux qui se sont illustrés dans les lettres, à Chateaubriand, à Lamartine, à Giraudoux, à Claudel, à Saint-John Perse, à Paul Morand, à Romain Gary. Ces noms gravés aux "hautes tables de mémoire" qu'évoque Saint-John Perse, et tant d'autres encore, connus ou non, forment notre lignage.
Il ne doit ni nous intimider, ni nous paralyser, encore moins nous écraser. La tradition doit nous aider à avancer. La mémoire est l'un des leviers qui permettent d'agir sur l'évolution du monde. Parce que nous nous inscrivons dans cette histoire, parce que nous sommes porteurs d'un riche héritage, il nous revient d'en tirer le meilleur parti pour avancer dans le monde incertain d'aujourd'hui avec quelques repères utiles et sûrs.
L'Europe, la France, parce qu'elles sont des terres de mémoire et d'histoire, ont un rôle essentiel à jouer afin de contribuer à éclairer l'avenir, à le jalonner de balises. L'enracinement nous permettra de relever les deux défis qui s'imposent aujourd'hui à notre diplomatie.
Le premier défi est celui du mouvement, d'une diplomatie en harmonie avec l'évolution du monde et, si possible, qui l'anticipe, car l'histoire n'attend pas.
Mais il ne suffit pas de changer, il faut savoir d'où l'on vient et où l'on veut aller : le second défi de notre diplomatie est donc le choix de la bonne direction.
Cet impératif de direction s'impose pour deux raisons.
Il s'impose car il faut non pas aimer le mouvement pour le mouvement, mais savoir changer pour maîtriser ou infléchir le changement. Pour cela, il faut poser des repères, apprécier ce qui peut être modifié et définir les principes qui doivent être défendus.
Il s'impose également parce que notre monde est complexe, difficile à saisir. C'est pourquoi il a besoin de prévisibilité. La diplomatie ne doit pas ajouter à la confusion et au désordre. Elle doit donc s'appuyer sur une conscience claire de ce que nous sommes et des valeurs que nous portons.
C'est à la condition de répondre à ce double défi que nous aurons la satisfaction de prolonger la grande tradition dont nous sommes tous les dépositaires, pour faire que la France soit forte, respectée, et tienne tout son rôle dans le monde.
Nous sommes à un moment nouveau du monde, dans un changement d'époque. Nous devons y entrer, animés par un nouvel esprit qui valorise l'initiative, s'inspire d'une démarche positive, et repose sur une approche stratégique, le dialogue et la générosité.
Quelles sont, dans ce contexte, les priorités qui doivent guider notre action ? Sans prétendre ici à l'exhaustivité, et dans le cadre des orientations tracées par le Président de la République, j'en vois notamment six :
- Première priorité : affirmer notre ambition européenne, pour une France forte dans une Europe forte.
Cela suppose d'abord d'apporter une réponse convaincante à l'exigence démocratique qu'ont exprimée avec force nos concitoyens : mieux asseoir la légitimité des institutions de l'Union européenne, clarifier la répartition de leurs compétences, renforcer l'efficacité et la transparence de leurs processus de décision. C'est l'objet de la Convention sur l'avenir de l'Europe qui s'est ouverte le 28 février dernier sous la présidence de M. Valéry Giscard d'Estaing. La France doit jouer un rôle d'impulsion dans ce débat crucial pour notre avenir.
Il nous faut parallèlement réussir le processus d'élargissement de l'Union européenne. L'objectif est d'aboutir en décembre prochain, lors du Conseil européen de Copenhague, à l'achèvement des négociations d'adhésion pour ceux des pays candidats qui seront prêts. Notre pays ne ménagera aucun effort pour accompagner ce processus historique, cela dans le respect d'une double exigence : préserver la capacité d'action d'une Europe élargie et garantir la pérennité des politiques communes, à commencer par la PAC.
Affirmer notre ambition européenne suppose enfin de donner une nouvelle impulsion à la coopération franco-allemande. Nous devons être en mesure de présenter des propositions précises et audacieuses en ce domaine, dans la perspective notamment du quarantième anniversaire du Traité de l'Elysée en 2003.
- Deuxième priorité : renforcer notre capacité à répondre aux principales menaces qui pèsent sur notre pays.
Je pense bien sûr à la nécessité de renforcer nos moyens de lutter contre la menace terroriste, y compris via le développement des instruments d'action de l'Union européenne en matière de police et de justice. Dans le même esprit, la sécurité de nos compatriotes vivant à l'étranger doit constituer, pour chacune et chacun d'entre vous, une exigence constante et prioritaire. Au-delà des mesures qui ont été prises au cours des dernières semaines, j'attends des services du Département, comme de l'ensemble de notre réseau diplomatique et consulaire, une véritable mobilisation autour de cette nécessité.
Je pense aussi à la lutte contre ce qu'il est convenu d'appeler les "nouveaux risques", de la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs au développement des réseaux mafieux et du trafic de drogue. Sur l'ensemble de ces dossiers, le Département doit assumer pleinement sa vocation naturelle d'impulsion et de coordination au sein de l'appareil d'Etat.
- Troisième priorité : peser de tout notre poids en faveur d'une mondialisation mieux maîtrisée.
Après les réunions de Rio et de Monterrey, le Sommet de Johannesburg sur le développement durable, qui se tiendra en septembre prochain, doit servir de catalyseur à notre action. Son succès sera notamment tributaire de notre capacité à faire uvre de proposition et à mobiliser nos partenaires autour de deux grands axes complémentaires : l'accroissement nécessaire de l'aide au développement et la meilleure intégration de l'environnement dans l'agenda diplomatique mondial, en particulier à travers l'application du Protocole de Kyoto sur le réchauffement climatique.
- Quatrième priorité : renforcer notre capacité d'influence dans le règlement des crises régionales, et au premier chef celle du Proche-Orient. Les deux déplacements que j'ai effectués dans la région ont achevé de me convaincre que la France et l'Europe ont le devoir d'y jouer un rôle très actif, tant sont fortes les attentes qui s'expriment à notre égard au sein des pays concernés. Sachons répondre à ces attentes en utilisant au mieux les instruments existants, à commencer par le quartet, afin notamment de préparer dans de bonnes conditions la Conférence internationale que nous appelons de nos vux.
- Cinquième priorité, redéfinir nos partenariats avec les grands pôles du monde : avec les Etats-Unis d'abord, dans le double objectif d'une relation bilatérale plus confiante et d'un partenariat transatlantique plus équilibré ; mais aussi avec la Russie, la Chine, l'Asie du Sud, le Mercosur ou encore le Japon.
- Sixième et dernière priorité, c'est celle de la fidélité de la France à nos partenaires les plus anciens et tout particulièrement à l'Afrique. Le renforcement de la relation entre la France et l'Afrique et, par extension, la redynamisation de la Francophonie, doivent prendre toute leur part dans cet effort. Les déplacements que j'ai effectués en Russie, aux Etats-Unis et en Afrique, comme ma prochaine visite en Inde et au Pakistan, s'inscrivent dans cette perspective.
Au regard de ce cadrage général, comment améliorer nos méthodes ? Je souhaiterais ici souligner trois exigences :
- Première exigence : celle de l'ouverture. Parce que sa vocation est de mieux comprendre le monde pour pouvoir influencer le cours des choses, notre maison doit impérativement s'ouvrir davantage. J'en prendrai trois illustrations :
Il nous faut d'abord élargir notre champ de vision pour mieux intégrer, dans nos travaux, les éléments qui sortent d'une approche trop étroitement diplomatique : la dimension historique, les données tenant à la culture et à la civilisation. C'est ainsi que nous pourrons donner plus d'épaisseur à nos analyses, plus de souffle à nos propositions, et que nous pourrons au total créer de nouvelles marges de manuvre. Dans cet esprit, j'entends promouvoir une meilleure intégration du réseau culturel au sein de notre travail diplomatique, à Paris comme dans les postes : notre instrument culturel est partie prenante de notre diplomatie ; il doit participer davantage à notre politique étrangère.
Le Quai d'Orsay doit parallèlement redevenir le lieu privilégié de dialogues et d'échanges pour tout ce qui concerne l'international. Cela implique d'abord que notre ministère tienne toute sa place dans l'interministériel et redevienne en ce domaine un acteur essentiel à force d'initiatives, d'imagination et de créativité. Il nous faut ensuite multiplier les contacts avec les chercheurs, universités et think tanks ainsi qu'avec le monde économique et culturel. Au-delà du Centre d'analyse et de prévision, dont c'est la vocation, je souhaite que l'ensemble des services s'implique dans cet effort.
Il est essentiel enfin de favoriser la mobilité et les échanges de personnels entre le Département et l'extérieur, qu'il s'agisse des autres pôles de l'administration ou du monde de l'entreprise. Mon prédécesseur s'est efforcé d'ouvrir la voie, il faut aujourd'hui aller plus loin. C'est l'intérêt collectif du Département, cela doit devenir l'intérêt de chaque agent pris individuellement. Il faut pour cela que les agents détachés et mis à disposition à l'extérieur ne soient pas pénalisés à leur retour au Quai d'Orsay. Je mesure tous les obstacles qui se dressent sur ce chemin, mais il est essentiel d'aller de l'avant.
- Deuxième exigence : celle du professionnalisme. Elle doit se traduire à trois niveaux :
La formation d'abord : notre ministère est sans aucun doute l'un de ceux dans lesquels le niveau de la formation initiale est le plus élevé. Mais il faut améliorer encore les dispositifs de formation continue tout au long de la vie professionnelle. Mis en place par mon prédécesseur, l'Institut diplomatique constitue à cet égard un instrument précieux et que j'entends développer.
La gestion des ressources humaines ensuite : beaucoup reste à faire, chacun d'entre nous en est conscient, pour la rendre à la fois plus efficace et plus prévisionnelle, mieux en phase avec les besoins réels du Département comme avec les souhaits de chacun. Une réforme en profondeur s'impose en ce domaine, dans laquelle je m'impliquerai personnellement.
Les moyens disponibles enfin : la réduction régulière des crédits du ministère conduit aujourd'hui à une situation particulièrement tendue, à Paris comme dans les postes. Cette dérive affecte désormais les fonctions essentielles du Département et menace plusieurs aspects de son fonctionnement quotidien. Notre volonté aujourd'hui, c'est de mettre un terme à cette dérive. Il est essentiel, en parallèle, de rechercher systématiquement les marges de manuvre qu'une meilleure organisation interne peut permettre de dégager, avec pour souci constant de nous moderniser et de nous adapter au monde. Je compte sur chacune et chacun d'entre vous pour contribuer à cet effort.
- Troisième exigence : une meilleure prise en compte des contraintes professionnelles et personnelles qui sont celles du métier diplomatique.
Beaucoup d'entre vous ont été ou seront amenés à exercer leur profession dans des zones à risque et dans des conditions éprouvantes, pour vous-mêmes et pour vos familles. J'en suis le premier conscient. L'abnégation et le courage dont font preuve nombre des membres de cette maison, au service de la France, font honneur à l'ensemble du Département. Je veillerai à ce que ceux qui ont assumé les risques correspondants en reçoivent une juste reconnaissance. C'est une question de dignité et d'équité.
Au-delà même des agents en poste dans les zones les plus difficiles, la fonction diplomatique emporte avec elle des contraintes et sujétions particulières pour nos conjoints et nos enfants. Je voudrais aujourd'hui leur rendre un hommage sincère. La disponibilité souvent exemplaire des agents du Quai d'Orsay, qui constitue l'une des forces de notre ministère, a un coût personnel et familial qu'il ne faut pas se cacher. Je souhaite qu'une vraie réflexion soit engagée sur ce sujet important afin d'introduire plus de prévisibilité dans les mouvements diplomatiques et d'assurer une alternance plus harmonieuse entre les postes à Paris et les affectations à l'étranger. Sachez que j'y serai très attentif, même si, cette année, les échéances électorales ont conduit à retarder le mouvement diplomatique attendu.
Voilà les quelques messages que je souhaiterais vous adresser en ouverture de cette réception, qui est d'abord celle de l'amitié et de la convivialité. Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juillet 2002)