Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, sur les priorités budgétaires et de gestion du ministère des affaires étrangères, à l'Assemblée nationale le 13 novembre 2002.

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Circonstance : Présentation du budget des affaires étrangères pour 2003, à l'Assemblée nationale le 13 novembre 2002

Texte intégral

Je suis très heureux d'être aujourd'hui parmi vous pour proposer à votre approbation le premier budget des Affaires étrangères de ce gouvernement.
Permettez-moi d'abord de remercier M. le Président, Mme et MM. les rapporteurs pour la très grande qualité des analyses qu'ils ont exposées.
Ce projet de budget s'inscrit dans un contexte international marqué par deux révolutions qui conjuguent leurs effets.
La première est d'ordre stratégique. Avec la fin de la guerre froide, chaque crise régionale est désormais susceptible de s'étendre, ce qui nous oblige à inventer de nouveaux modes de régulation.
Face à la tentation dangereuse du tout-sécuritaire, le nouvel ordre international que souhaite la France est fondé sur trois principes : la responsabilité collective, la légitimité et l'efficacité.
La deuxième révolution est celle de la mondialisation. Si celle-ci ouvre des opportunités, elle fabrique aussi de l'exclusion et du désordre, met en péril l'équilibre écologique et laisse proliférer des zones de non-droit.
Ces enjeux sont les nouveaux grands chantiers de la diplomatie française, et ils nécessitent des instruments de régulation adaptés.
Dans ce contexte bousculé, nos priorités s'imposent d'elles-mêmes.
Il nous faut d'abord affirmer notre ambition européenne, pour une France forte dans une Europe forte. Cela implique d'asseoir la légitimité des institutions de l'Union, de réussir son processus d'élargissement tout en préservant sa capacité d'action et de donner une nouvelle impulsion à la coopération franco-allemande, avec par exemple, en janvier 2003, la définition du "pacte refondateur" voulu par le président de la République.
Il nous faut ensuite répondre plus efficacement aux nouveaux défis.
Il s'agit d'abord de la lutte, contre la menace terroriste, qui passe par le développement d'instruments européens en matière de police et de justice, mais aussi par l'amélioration de notre capacité à identifier ces menaces. Enfin la sécurité de nos compatriotes vivant à l'étranger est une exigence constante qui mobilise l'ensemble de notre réseau diplomatique et consulaire.
Il s'agit aussi de la lutte contre les "nouveaux risques", à commencer par la prolifération des armes de destruction massive illustrée par l'Iraq et la Corée du Nord. Le développement des réseaux mafieux et des trafics de toute nature fait également partie de ces "nouveaux risques", et le gouvernement proposera prochainement à votre approbation un texte visant à lutter contre le mercenariat.
Il nous faut également renforcer notre influence dans le règlement des crises régionales telles que celle du Proche-Orient, qui dure depuis très longtemps. La France et l'Europe peuvent jouer un rôle actif, car les attentes sont fortes.
Troisième priorité : la France entend exprimer sa fidélité à l'égard de ses partenaires les plus anciens, et tout particulièrement du continent africain. C'est le sens de la relance de notre aide au développement et de nos efforts pour le règlement des crises à Madagascar, en Côte d'Ivoire ou en Centrafrique. Le prochain sommet Afrique-France, qui aura lieu à Paris en février, contribuera à redynamiser nos relations.
Ces ambitions peuvent paraître considérables pour le onzième des budgets civils de l'Etat, qui ne regroupe par ailleurs que 40 % du total des moyens de l'action extérieure de la France. Nous ne pourrons les atteindre qu'en nous réformant et en nous adaptant. Beaucoup de réformes ont déjà été engagées par mes prédécesseurs, de Michel Debré à Hubert Védrine, en passant bien sûr par Alain Juppé.
Mais aujourd'hui, beaucoup de critiques demeurent justifiées : sur l'affaiblissement et la dispersion de nos moyens, sur nos méthodes de travail et sur la coordination.
Le ministère des Affaires étrangères doit donc poursuivre trois objectifs : cohérence, efficacité et transparence.
En matière de cohérence tout d'abord, le ministère doit devenir le centre de coordination, d'impulsion et de synthèse de notre action extérieure, ainsi que l'ont dit les rapporteurs Eric Woerth et Richard Cazenave.
Pour cela, il faut enfin donner toute sa portée au décret du 1er juin 1979 sur les services de l'Etat à l'étranger. L'ambassadeur doit pleinement jouer son rôle de coordination et de synthèse pour assurer à terme une gestion plus rationnelle des moyens de l'Etat.
Plus généralement, il faut s'inscrire dès que possible dans le cadre de la loi organique sur les lois de finances, même si elle ne doit entrer en vigueur qu'en 2006. Il faut donc se préparer à présenter un budget par objectifs.
MM. Emmanuelli, Godfrain et Rochebloine ont dénoncé l'éparpillement des crédits affectés à l'action extérieure et le risque de dilution de l'action qu'il entraîne. Nous réfléchissons à la consolidation de toutes les interventions au sein d'une mission interministérielle qui relancerait l'effort de synthèse déjà entrepris, dans le respect des attributions de chaque ministère. Cette approche pourrait répondre aux interrogations de MM. Emmanuelli et Woerth.
En ce qui concerne l'efficacité ensuite, il faut resserrer, réorganiser et rationaliser notre dispositif. C'est le sens de la mission que m'a assignée le Premier ministre.
Dans la plupart des pays, les effectifs et les moyens gérés par le Quai d'Orsay sont désormais minoritaires. A Rome, à Helsinki ou à Londres, les agents du ministère des Affaires étrangères sont bien moins nombreux que ceux des autres administrations. Cette superposition des procédures et des moyens ne peut que nuire au bon emploi des deniers publics.
Il serait souhaitable que les crédits des administrations concernées soient utilisés selon un exercice annuel collégial de programmation, d'exécution et d'évaluation conduit par l'ambassadeur.
Je souhaite également que le comité interministériel des moyens de l'Etat à l'étranger reprenne ses travaux. Sous l'impulsion d'Alain Juppé, le comité avait rationalisé les implantations des services extérieurs des administrations françaises. J'entends faire de même pour notre dispositif diplomatique, consulaire et culturel. Cela pourra nous conduire à des décisions de fermeture, toujours difficiles, mais parfois indispensables.
Quant à la transparence, elle impose la mesure des résultats, l'évaluation des politiques et le contrôle de la gestion.
L'entrée en vigueur de la LOLF nécessitera de définir des indicateurs de résultats. Cette réflexion va être engagée sous peu. Une direction du contrôle de gestion sera créée dans les prochaines semaines. Je souhaite que l'inspection générale des Affaires étrangères et l'inspection générale des finances se penchent conjointement sur ce dossier.
La rationalisation de notre réseau devra avoir des contreparties. Le ministère doit s'ouvrir davantage, mobiliser toutes les ressources humaines disponibles, accueillir et irriguer d'autres services publics.
Dès le début de l'année prochaine, je transmettrai des propositions précises sur tous ces points au Premier ministre afin qu'il en saisisse le CIMEE. Je veillerai à ce que vous en soyez informés.
La très forte progression du présent budget, - soit plus 13,3 % -, ne correspond pas tant à une augmentation des moyens de ce ministère qu'à la volonté de sincérité budgétaire de ce gouvernement, soucieux d'inscrire dans le projet de loi de finances initiale la totalité des crédits nécessaires aux actions que la France s'est engagée à mener.
La progression, en 2003, recouvre pour partie une forte augmentation de l'enveloppe consacrée au financement des contributions obligatoires et aux opérations du fonds européen de développement. L'enveloppe du FED sera multipliée par 2,3 pour atteindre 496 millions d'euros.
Vous avez été nombreux à vous inquiéter du gel budgétaire : Henri Emmanuelli, Jacques Godfrain, Richard Cazenave, Eric Woerth mais aussi le président Edouard Balladur l'ont fait dès l'examen du projet de budget en commission.
J'entends prendre ma part dans l'effort fixé par le gouvernement pour respecter les règles européennes du déficit budgétaire. J'attire toutefois votre attention sur la spécificité du budget de ce ministère où la plupart des actions s'inscrivent dans le cadre d'engagements pris avec nos partenaires. Lorsque nous ne pouvons les respecter, c'est la parole de la France qui est en cause.
Par rapport à la loi de finances initiale 2002 majorée des crédits ouverts en cours d'exécution budgétaire, l'augmentation de ce budget devrait atteindre 5,6 %, ce qui le place aux tous premiers rangs des progressions enregistrées cette année.
S'agissant de nos moyens de fonctionnement, nous disposons du second réseau diplomatique et consulaire après celui des Etats-Unis, avec 152 ambassades, 21 représentations permanentes et 105 postes consulaires. Ce réseau doit être adapté aux réalités internationales tout en évitant des "allers et retours", sources de dysfonctionnement et de gabegie.
Vous soulignez à juste titre, Monsieur Woerth, que notre gestion des coûts de personnel est "insuffisamment maîtrisée". Je vous remercie d'appuyer mon initiative d'un audit du système des rémunérations à l'étranger. Je tiens à faire de ce ministère un "exemple" de la réforme de l'Etat.
En 2003, les crédits destinés aux rémunérations, aux missions et au fonctionnement des services et des postes augmentent de 3,2 %, essentiellement pour renforcer la sécurité. Ainsi, 15 emplois nouveaux de gendarmes seront ouverts.
Les rapporteurs ont également souligné que la politique immobilière du Quai d'Orsay semblait "peu rationnelle et éminemment coûteuse". Je veillerai personnellement à la poursuite des efforts déjà entrepris. J'ai demandé une meilleure maîtrise des coûts, une remise à niveau des installations et la recherche d'une insertion optimale dans un site si possible regroupé. Ces objectifs sont dictés par plusieurs priorités : la standardisation qui procurera des économies, l'unification et la sécurisation de nos emprises. Nos crédits diminuent mais cette baisse sera compensée par d'importants reports de crédits liés aux délais des travaux effectués à l'étranger.
Le président de la République a placé à mes côtés un secrétaire d'Etat, M. Renaud Muselier, afin que notre diplomatie soit plus active dans des régions ou des pays jusqu'ici à tort délaissés et dans des domaines où j'entends qu'une action plus déterminée soit conduite - par exemple, la situation des Français de l'étranger et l'action humanitaire.
La sécurité de nos compatriotes est une des priorités du gouvernement, à l'étranger comme en France. Depuis mai dernier, nous avons fait face à plusieurs crises : l'attentat de Karachi, la rébellion en Côte d'Ivoire, l'attentat contre le pétrolier Limbourg au Yémen, le naufrage du Joola au Sénégal, l'attentat de Bali, la tentative de coup d'Etat en République centrafricaine. Presque toujours, il y a eu des Français parmi les victimes : nous avons réagi rapidement pour assurer la sécurité du plus grand nombre, entourer les familles des victimes, évacuer les personnes désemparées.
Nos ambassades doivent disposer de moyens de communication et d'équipements de protection individuels plus efficaces. Les crédits destinés à la sécurité de nos compatriotes à l'étranger augmenteront à cette fin de 25 % dès 2003.
Je souhaite que nous renforcions dans le même temps notre capacité d'analyse des risques et la coopération entre services. Un comité de sécurité interministériel s'est réuni à cet effet au Quai d'Orsay pour la première fois il y a quelques jours.
Il nous semble également essentiel de réduire encore l'écart qui subsiste entre la protection sociale apportée à nos compatriotes selon qu'ils résident en France ou à l'étranger. L'augmentation des crédits du fonds d'action sociale répond à la croissance continue des besoins de nos ressortissants les plus démunis. Expérimentées avec succès dans quelques consulats, les aides financières pour la formation professionnelle ou la création de micro-entreprises vont être étendues.
Vous avez été unanimes à exprimer vos préoccupations - que je partage - sur l'avenir de l'AEFE. Je remercie Mme Martinez et M. Rochebloine de la pertinence de leurs analyses. Nous ne manquerons pas d'en nourrir notre réflexion. J'ai trouvé une Agence au bord de l'asphyxie financière, alors même que les enseignements dispensés sont de grande qualité. Que proposons-nous ? La réforme entreprise du statut du personnel enseignant expatrié doit être menée à son terme, le lien avec l'éducation nationale raffermi. Le maillage du réseau doit être examiné en tenant compte de ses deux missions : formation des élèves français expatriés d'une part, des élites locales, d'autre part. Nous devrons examiner le cas des établissements qui sont dans une situation marginale : nous n'avons pas vocation à nous substituer aux systèmes éducatifs nationaux ; nous ne devons pas nous maintenir là où la présence de nos établissements résulte de situations révolues. Il n'est cependant pas question d'abandonner ces établissements du jour au lendemain. Nous ménagerons des financements transitoires et recourrons à des opérateurs reconnus, tels que la Mission laïque, qui scolarise déjà 20 000 élèves. Nous nous appuierons également sur les associations de parents d'élèves ; je salue l'engagement bénévole et précieux de leurs membres.
Cette adaptation ne peut se faire dans la précipitation. J'ai demandé à la direction de l'Agence de me proposer un plan raisonné. En tout état de cause, les financements nécessaires seront dégagés pour faire face aux échéances les plus urgentes.
J'en viens à notre action audiovisuelle extérieure, à laquelle le président Edouard Balladur a consacré l'essentiel de son intervention.
Vous vous interrogez, ainsi que Mme Martinez et M. Rochebloine, sur la création d'une chaîne d'information internationale en continue. Nous avons mené à terme une première série de consultations avec les opérateurs concernés. Comme le souligne le président Balladur, notre vision singulière du monde intéresse aujourd'hui un large public potentiel. Ce projet ne prendra cependant tout son sens que sous la forme d'une chaîne d'actualité de qualité, offrant des images nouvelles et dotée d'une rédaction propre. Il faut en poser les bases, rationaliser et utiliser ce qui existe déjà. Cette réflexion doit être l'occasion de simplifier notre système audiovisuel extérieur. Les différentes options doivent être étudiées avec soin. Je m'engage à poursuivre avec vous la discussion, dès qu'un travail d'expertise plus avancé sera réalisé.
Nos consulats sont en toute première ligne de la maîtrise des flux migratoires ; l'examen des demandes de visas ne doit pas se limiter à contrôler l'accès au territoire français. Il est également essentiel de favoriser la venue de ceux qui contribuent à la vitalité de nos échanges et de nos relations bilatérales. Notre réseau consulaire a délivré un peu plus de 2 millions de visas en 2001, pour l'essentiel en Algérie, en Russie et au Maroc. Les visas touristiques de moins de trois mois représentent 80 % du total des visas délivrés.
Dans le cadre des Accords de Schengen, nous nous efforçons également de lutter contre les menaces terroristes. J'organiserai rapidement, avec le ministère de l'intérieur, un partage de l'information sur les visas délivrés afin qu'ils ne deviennent pas un moyen détourné d'immigration définitive.
Le déficit de nos moyens humains - évalué à 80 agents environ - et matériels, est préoccupant. Vos rapporteurs l'ont souligné. Je pense en particulier au rapport de mission au Mali de Jacques Godfrain.
Nous continuerons à renforcer nos moyens, à améliorer les conditions de travail et la formation des personnels travaillant dans les services de visas. La proposition de Richard Cazenave d'installer des bureaux communs des visas dans l'Espace Schengen permettrait de réaliser des économies de moyens et peut-être d'agir plus efficacement dans ce domaine.
Notre politique doit être complétée par la réforme du droit d'asile, dont j'ai présenté les grandes lignes au conseil des ministres du 25 septembre dernier.
Les demandes, en trois ans, et les moyens n'ont pas suivi, d'où un allongement des délais de traitement des dossiers qui, avec le cumul des procédures, ont détourné l'asile de son objet initial de protection, le transformant en vecteur d'immigration irrégulière. Il faut mettre un terme à ces dysfonctionnements.
La réforme engagée vise à raccourcir les délais d'instruction à deux mois au maximum. Elle reposera sur un guichet unique, l'OFPRA, une procédure unique - l'asile territorial étant appelé à disparaître - et un recours unique. Pour assurer son efficacité, les étrangers déboutés devront faire l'objet d'une reconduite effective dans leur pays d'origine. Un projet de loi devrait être soumis à votre approbation au début du printemps 2003.
Il est indispensable de résorber le stock considérable de dossiers en attente d'ici au 1er janvier 2004. La productivité de l'OFPRA devra être améliorée et sa gestion redynamisée grâce à l'élaboration d'un contrat d'objectifs et de moyens.
Les crédits ouverts pour l'OFPRA et la commission de recours des réfugiés progressent de près de 25 % en 2003. A cela s'ajoute le recrutement de près de 180 agents supplémentaires et le financement de locaux mieux adaptés à la mission de l'Office.
Enfin, j'évoquerai brièvement la reprise de notre effort en faveur de l'aide au développement.
De 1996 à 2001, le montant de l'aide publique au développement a diminué de 10 %, tandis que le PIB progressait fortement. Le président de la République s'est personnellement engagé à porter l'effort de la France à 0,5 % du PIB d'ici à la fin de son mandat - engagement constamment réitéré depuis, à Monterrey, à Barcelone, à Johannesburg.
Cet engagement sera tenu. Notre taux d'aide publique au développement devrait passer de 0,32 % en 2001 à 0,39 % en 2003.
Ce gouvernement veut mettre un terme à la baisse ininterrompue de notre aide bilatérale en relançant notre effort, notamment en faveur du continent africain.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 novembre 2002)