Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur le bilan de l'année politique 2002, celui de l'activité du Sénat et sur le programme gouvernemental de réforme de l'Etat, de relance de la décentralisation, de rénovation de l'économie et de réussite de l'élargissement de l'Europe, au Sénat le 13 janvier 2003.

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Circonstance : Voeux de M. Poncelet à la presse à Paris le 13 janvier 2003

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
2002, 2003 : une année s'achève, une autre commence.
Ces retrouvailles annuelles entre le politique que je suis et les professionnels de l'information que vous êtes sont l'occasion de porter un regard sur l'action conduite pendant l'année écoulée et d'évoquer ses perspectives pour l'année à venir.
Je souhaiterais, tout d'abord, ce soir, rendre un hommage particulier à vos vingt-cinq confrères qui ont perdu la vie en 2002 alors qu'ils travaillaient pour nous informer. Je pense tout particulièrement à Patrick Bourrat, son courage, cette fois-ci, lui a été fatal.
Mes pensées vont également aux cent vingt journalistes toujours emprisonnés dans le monde pour avoir voulu exercer leur métier. Emprisonner ou tuer un journaliste, c'est menacer le droit de chacun à l'information.
Une année s'achève, 2002, avec pour notre planète son cortège de peurs : peur du terrorisme, peur de l'engrenage des guerres, peur d'un embrasement au Moyen-orient, peur d'un conflit des civilisations, peur d'une crise économique
Une autre année commence, 2003, que l'on voudrait placer sous le signe de l'espoir, en dépit de la permanence de tous ces facteurs d'inquiétude dans un monde toujours plus incertain.
A cet égard, une question ne peut manquer de se poser avec acuité : la guerre d'Irak aura-t-elle lieu ?
En cet instant, vous me permettrez, d'oublier le présent et de revenir sur cette année 2002 qui fût à maints égards exceptionnelle.
Au regard de l'histoire contemporaine, de l'histoire immédiate, 2002 restera pour notre pays l'année d'un séisme politique, l'année d'une secousse tellurique protestataire, celle du 21 avril, avec une poussée des extrêmes, à droite comme à gauche.
L'ampleur et la vigueur du sursaut républicain du 5 mai ne saurait nous faire oublier les leçons de ce funeste dimanche.
Nous politiques, nous n'avons plus de droit à l'erreur, car en cas d'échec, l'élection présidentielle et les élections législatives qui ont suivi, dans un calendrier électoral fort opportun, apparaîtraient comme les dernières stations démocratiques avant l'autoroute du totalitarisme.
Pour ma part, je ne pense pas que cette désaffection des Françaises et des Français à l'égard du et de la politique soit définitive, irrémédiable ou irréversible.
En réalité, nos compatriotes ont exprimé une triple demande, une triple exigence : une demande de proximité qui doit nous conduire, à tous les niveaux, à faire de la politique autrement ; une demande de crédibilité qui oblige à tenir les promesses et à respecter les engagements électoraux ; enfin, une demande d'équité qui doit guider le Gouvernement et le Parlement dans la mise en oeuvre des réformes indispensables mais trop longtemps différées.
Pour l'institution que j'ai l'honneur de présider, je qualifierais cette année 2002, au risque de parodier un de vos confrères, de " revanche du Sénat ".
Après avoir été traité d'"anomalie " par un Premier Ministre, on ne peut pas dire que cela lui ait porté chance, le Sénat a retrouvé toute son influence, notamment dans son rôle de vivier de talents. Il ne vous a sûrement pas échappé que le Gouvernement actuel ne compte pas moins de cinq anciens sénateurs dont le Premier Ministre.
Le Sénat a imprimé sa marque sur deux grands textes gouvernementaux : le projet de loi de révision constitutionnelle, qui s'est largement inspiré de la proposition de loi sénatoriale, et la loi de finances où 80 % du texte a été rédigé par le Sénat.
Le Sénat entend poursuivre sa politique d'ouverture sur l'extérieur. Après les stages d'immersion des sénateurs en entreprise, j'ai souhaité organiser des stages d'immersion des sénateurs en juridiction. J'ai, en effet, eu l'occasion de constater, et de déplorer, depuis plusieurs années une incompréhension mutuelle entre le monde parlementaire et le monde judiciaire due à une méconnaissance réciproque de leur mode de fonctionnement et de leurs contraintes respectives. Cinquante sénateurs se sont d'ores et déjà portés volontaires tout au long de l'année 2003, pour ces stages de trois jours, dans 24 juridictions en dehors de leur département.
Nous organiserons le 11 juin prochain au Sénat " les rencontres sénatoriales de la justice " afin de faire le bilan de cette opération.
Nous allons relancer les Etats généraux des élus locaux en outre-mer avec la Nouvelle Calédonie, puis en métropole afin d'établir un premier bilan dynamique de la nouvelle phase de décentralisation.
Enfin, dans le domaine culturel, après le succès de l'exposition Modigliani, nous tenterons de réitérer cette réussite avec Gauguin et Botticelli.
Une nouvelle année, c'est comme une page blanche ou une auberge espagnole : on y trouve ce qu'on y apporte.
L'année 2003 n'est donc pas écrite, sauf à baisser les bras et s'en remettre aux événements.
Que souhaiter de plus fort pour l'année 2003 qui s'ouvre, que de rompre avec cette sorte de fatalisme qui s'est installé l'an passé face aux épreuves subies ?
Qu'espérer de mieux que la renaissance de l'espoir, pour tous, pour chacun ? L'arrêt des cloneries, aussi, peut-être.
L'année 2003 doit être, comme l'a dit le Président de la République, une " année d'action ", c'est-à-dire une année d'engagement des réformes devenues inéluctables et qui constituent autant d'ardentes obligations.
Nous, politiques, avons un devoir de lucidité, nous devons être capable d'affronter la vérité avec clairvoyance. Notre obsession, la finalité de notre action, doit être le bien commun, la sécurité intérieure et extérieure, la prospérité.
En l'occurrence, la " feuille de route " du Gouvernement et du Parlement est particulièrement bien remplie puisqu'il s'agit, ni plus ni moins, de réformer l'Etat, de relancer la décentralisation, de rénover notre économie et de réussir l'Europe. Vaste programme aurait pu dire le Général de Gaulle
Réformer l'Etat, c'est d'abord restaurer son autorité, c'est-à-dire lutter contre l'insécurité qui frappe les plus démunis, gangrène la vie en société et altère les fondements du pacte républicain.
Réformer l'Etat, c'est aussi lui rendre toute son efficacité dans sa sphère de compétences. L'Etat ne doit plus se mêler de tout au risque de s'emmêler dans tout, tel un Gulliver empêtré.
Un Etat moderne c'est également un Etat transparent et un Etat rationnel qui gère son patrimoine en bon père de famille, connaît le nombre de ses agents et pratique une culture du résultat et donc de l'évaluation des politiques publiques.
A cet égard, le Sénat est déterminé à s'appuyer sur la nouvelle " constitution financière " que représente la réforme de l'ordonnance organique relative aux lois de finances, - uvre commune des deux assemblées -, pour accentuer et renforcer sa seconde nature de contrôleur et d'évaluateur.
Réformer l'Etat c'est enfin relancer la décentralisation, qui constitue le contrepoint de la mue étatique même si l'avènement d'une République territoriale ne saurait, à lui seul, tenir lieu de réforme de l'Etat.
A cet égard, un Etat fort, c'est-à-dire un Etat performant dans son périmètre d'action, doit se conjuguer avec des collectivités territoriales fortes.
Oxygène de la République, la décentralisation libère les énergies et les initiatives locales, accroît l'efficience de l'action publique grâce aux bienfaits de la gestion de proximité et contribue à donner corps et âme à la démocratie locale.
Je ne vous surprendrai pas, mes chers amis, en vous disant ma satisfaction que le Sénat, fidèle à sa vocation constitutionnelle de représentant des collectivités territoriales, ait pu jouer, dans le respect de l'équilibre de notre bicamérisme, un rôle d'aiguillon, en amont comme en aval, dans l'élaboration et la rédaction du projet de loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République.
Il nous reste maintenant à ratifier cette révision constitutionnelle et à la décliner en lois organiques et ordinaires en évitant deux écueils : le " tout régional " et le " tout expérimental ".
En outre, une politique ambitieuse d'aménagement du territoire et la mise en uvre de mécanismes de péréquation opérants devraient constituer une réponse efficace au risque de dérive inégalitaire, risque plus aigu que celui d'une atteinte à la cohésion nationale.
Réformer l'Etat, relancer la décentralisation mais aussi rénover notre économie pour la redynamiser et lui restituer son attractivité.
Cette urgente nécessité passe par un allégement des prélèvements obligatoires, un desserrement du carcan fiscal, - au besoin en écornant certains tabous lorsqu'ils nuisent à la transmission des entreprises -, mais aussi par une simplification de la réglementation et des procédures, une promotion de l'esprit d'entreprise, une mobilisation de l'épargne de proximité et une restauration de la " valeur travail ".
A cet égard, le Sénat s'est engagé depuis plusieurs années aux côtés du monde de l'entreprise et des entrepreneurs. Car il m'apparaît indispensable de promouvoir la culture d'entreprise dans notre pays. C'est pourquoi nous allons réunir le 27 janvier prochain dans l'hémicycle, 500 lauréats des concours à la création d'entreprise qui existent dans notre pays.
C'est une séance de questions orales un peu particulière à laquelle vous assisterez ce jour-là, puisque le Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin, entouré de membres de son gouvernement, viendra répondre à leurs questions.
Une économie dynamique et ouverte a également besoin d'un dialogue apaisé entre les partenaires sociaux, bref d'une refondation sociale.
Enfin, une économie prospère repose sur des acteurs confiants dans l'avenir car certains qu'ils ne seront pas privés, une fois l'âge venu, du fruit de leur labeur.
C'est tout l'honneur du Gouvernement que de se saisir, à bras le corps, de la lancinante réforme des retraites, dont tous les paramètres sont désormais connus. Une réforme inéluctable qui devra s'assigner comme impératif catégorique la préservation de notre système de répartition.
Réformer l'Etat, relancer la décentralisation, rénover notre économie mais aussi réussir l'Europe élargie.
Plus que jamais, la construction européenne a besoin d'un projet politique, car vivre à vingt cinq est une toute autre aventure que de vivre à six ou même à quinze.
Relever ce défi, c'est parvenir à concilier une double exigence : d'une part, celle de l'inéluctable élargissement de la famille européenne pour accueillir nos frères d'Europe centrale et orientale et faire de l'union une puissance de 450 millions de citoyens ; d'autre part, celle de l'indispensable approfondissement de son intégration institutionnelle, politique et économique afin d'éviter que l'Europe ne se dilue dans une simple zone de libre échange, sans supplément d'âme.
L'Europe doit devenir plus forte et plus proche. Plus forte par une défense commune. Plus proche, par une implication plus étroite des parlements nationaux dans le processus communautaire, avec pourquoi pas, la création d'un Sénat européen.
Je voudrais accompagner ce souhait de mes vux les plus chaleureux de réussite et de bonheur. Que 2003 soit pour vous et ceux qui vous sont chers, une belle, bonne et heureuse année.

(source http://www.senat.fr, le 16 janvier 2003)