Interview de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, à France Inter le 8 novembre 2002, sur la réforme des retraites.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli.-La réforme de la Sécurité sociale et celle de la retraite sont-elles déjà engagées par la déclaration de J. Barrot - à propos de la Sécurité sociale et de la mise en oeuvre d'une assurance volontaire complémentaire - et s'agissant de la retraite, celle F. Fillon qualifiant la préretraite de catastrophe pour l'économie nationale, et nos régimes de retraite ? Sécurité sociale, retraites : dossiers à risques. Les mouvements sociaux de 1995 sont encore en mémoire...
Monsieur Barrot et vous-même êtes des hommes politiques expérimentés. On peut donc se poser la question de ce que représentent ces déclarations. Sont-elles des signes indiquant qu'en réalité les réformes sont déjà engagées ?
- "De quoi est-ce que nous parlons ? Nous parlons de la meilleure manière de sauver les retraites des Français à l'horizon de 2020. Nous nous posons la question de savoir si notre génération va être capable de prendre les mesures courageuses qui permettront à la génération suivante d'avoir des retraites convenables. Au fond, nous sommes au coeur d'une des choses les plus sacrées qui soit, qui est le pacte entre les générations. La plupart de nos voisins européens sont arrivés, sur ce sujet, à une sorte de consensus national. Les Espagnols ont signé un document, tous partis politiques confondus ; les Allemands ont fait de gros efforts pour arriver à une solution consensuelle. C'est ce que nous voulons faire. Le gouvernement de J.-P. Raffarin, sous l'inspiration du président de la République, a décidé d'ouvrir, à la fin de janvier, une très large négociation avec les partenaires sociaux où tous les sujets seront sur la table : la durée des cotisations - je l'ai évoquée, on peut l'allonger par les deux bouts, on peut l'allonger en cotisant plus longtemps, on peut l'allonger aussi en commençant à cotiser plus tôt, c'est d'ailleurs, je crois, une suggestion qui est faite par la CGT -, le montant des cotisations, le montant des pensions, le taux d'activité ; est-ce qu'il faut laisser les Français partir en retraite aussi massivement à 50 ans ? La question de l'âge de départ à la retraite et de la liberté donnée : toutes ces questions sont sur la table. Je ne sais pas si j'arriverai à obtenir un consensus national. Mais il y a un seul engagement que je veux prendre, aujourd'hui, devant vos auditeurs, et en m'adressant d'une certaine manière aux partenaires sociaux, c'est que je ferai tout ce qui est possible pour arriver à ce consensus."
Cela veut-il dire qu'il est temps de dire, aujourd'hui que ce pacte social que vous évoquiez ne peut plus exister tel qu'il a été défini jusqu'ici, pour des raisons qui sont liées à la démographie ?
- "Il est absolument évident, tous les rapports l'ont montré dans le passé, que sans efforts, sans modification des règles du jeu, en 2020, nous ne pourrons plus servir aux Français les retraites qu'ils sont en droit d'attendre aujourd'hui."
Cela remet-il en cause le principe - c'est dans ce espace-là, au fond, que se nourrissent toutes les inquiétudes - de la solidarité, qui est le socle de notre société depuis l'après-guerre ?
- "Au contraire, tous ceux qui pensent qu'il y a une alternative au système de la retraite par répartition se trompent. Il n'y a pas d'alternative. L'ensemble des actifs français ne suffirait pas à alimenter un système de capitalisation qui fonctionne. Donc, le coeur du sujet, c'est la retraite par répartition. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, dans les paramètres que j'ai cités à l'instant, je n'ai pas cité la capitalisation qui, de mon point de vue, ne peut être que marginale, pour améliorer les dispositifs. Mon souhait, dans ce domaine, c'est simplement que tout le monde y ait droit, et que ce ne soit pas réservé à quelques catégories privilégiées. Mais je ne crois pas du tout que la capitalisation, que le changement de l'organisation de notre système de retraites, soit une alternative."
Mais où et comment trouver les moyens de financer les retraites ? Et surtout, comment faire en sorte qu'il y ait égalité de ceux qui ont travaillé face à la question de la retraite ? Je pense évidemment au débat entre public et privé.
- "Il est clair que le Gouvernement considère que la question de l'équité entre les régimes est une question fondamentale. Nous ne pourrons pas assurer l'avenir des retraites des Français si nous ne réglons pas cette question de l'équité. Donc, naturellement, cette question de l'équité sera au coeur du débat qui va s'engager et pour lequel nous nous donnons du temps, puisque nous avons prévu trois mois de négociations. Les autres paramètres, c'est ceux que j'ai cités : c'est permettre aux Français qui veulent partir après 60 ans de le faire, alors qu'aujourd'hui, on fait tout au contraire pour les inciter à partir avant. Aujourd'hui, à 50 ans, vous entendez beaucoup de Français vous dire qu'ils sont finis professionnellement, ce qui n'a aucun sens dans une société où la durée de vie s'allonge. J'ai évoqué les cotisations, j'ai évoqué la question du montant des retraites..."
Et ceux qui ont beaucoup donné, ceux qui ont beaucoup travaillé, ceux qui sont fatigués et qui veulent partir avant, comment feront-ils ?
- "Il faut qu'on puisse assurer une liberté de choix dans l'âge de départ à la retraite. C'est l'idée de la retraite à la carte qui est une idée très chère au président de la République. Nous allons la proposer, nous allons la mettre sur la table dans le débat."
Y a-t-il aujourd'hui les moyens de financer tout cela dans ce pays ?
- "Vous voyez bien que c'est un ensemble et si l'on veut faire des efforts dans un sens, il faudra faire des sacrifices dans l'autre. C'est une affaire assez mathématique, les retraites : il y a un montant de cotisations et en face, un montant de pensions. Donc, il faut que nous arrivions, dans un souci d'équité, à gérer l'ensemble de ces paramètres. Et c'est là où je compte, moi, sur la responsabilité des partenaires sociaux et des responsables politiques d'ailleurs. Cela ne peut pas être simplement un jeu où on s'envoie à la figure des petites phrases, des menaces de mobilisation. On n'est pas en train de travailler pour nous. Moi, je ne travaille pas pour moi, je ne travaille même pas pour le Gouvernement, je ne travaille même pas pour la majorité. On est en train de travailler pour la génération future, on est en train de travailler pour 2020. L'histoire jugera le comportement des responsables politiques et syndicaux sur ce sujet."
Cet espace du sacrifice, puisque forcément il existera, où va-t-il se situer ? On est vraiment sur des dossiers sensibles, sur ceux qui ont mis les syndicats et beaucoup de citoyens dans la rue en décembre 1995. Qu'est-ce que c'est l'espace du sacrifice, là où il va falloir faire des concessions importantes ?
- "L'espace du sacrifice, c'est d'abord l'équité : que tout le monde cotise sur la même durée, ce qui suppose évidemment qu'il y ait, sans doute de manière progressive, une harmonisation."
Les fonctionnaires vont râler.
- "La question de la fonction publique se pose et doit être examinée dans sa totalité. C'est-à-dire qu'il y a aussi un certain nombre de spécificités dans les régimes des fonctionnaires - je pense au problème de l'intégration des primes. Tout cela doit être posé sur la table."
Même les statuts particuliers : EDF et autres ?
- "Même les statuts particuliers. Il faut vraiment que la notion d'équité soit au coeur de cette réforme. Après, on peut trouver des arrangements pour faire en sorte que les délais de mise en oeuvre de ces mesures ne pénalisent pas les Français et ne reviennent pas sur les avantages acquis, qui est une notion importante socialement dans notre pays. Mais l'objectif, c'est d'arriver, à terme, à l'équité et puis, donner plus de respiration aussi au système. On va vivre plus longtemps et on va vivre plus longtemps en meilleure santé. Est-ce que c'est compatible avec cette perspective de partir en retraite de plus en plus tôt ? Il n'y a pas un autre pays européen qui se pose la question dans ces termes."
A quel moment la bascule va-t-elle s'opérer ? Il faut qu'on ait trouvé une réponse politique et sociale à quel terme pour pouvoir encaisser notamment le choc démographique ?
- "On a déjà du retard. J'ai parlé de l'Espagne tout à l'heure, je pourrais parler de la Finlande, de la Hollande, de l'Allemagne qui est en train de régler la question. Pour nous, il est absolument impératif que les réformes s'enclenchent à partir du mois de juin prochain."
Comment appréhendez-vous les jours et les semaines qui viennent ? Il y a une très forte mobilisation syndicale à EDF, chez les postiers, chez les cheminots, à France Télécom. Les routiers menacent de bloquer le réseau français, la CGT appelle à une grande journée de manifestation début décembre. Cela chahute fort.
- "Oui, il y a des élections prud'homales, et d'ailleurs, je profite de l'occasion qui m'est donné pour appeler tous les salariés à aller voter aux élections prud'homales, parce que je pense que c'est très important. Le taux d'abstention, d'une certaine manière, contribue à affaiblir et à décrédibiliser les organisations syndicales alors que nous avons besoin d'organisations syndicales fortes. Pour le reste, la mobilisation, depuis que je suis en charge des Affaires sociales, j'entends à peu près chaque matin annoncer une forte mobilisation. Moi, j'avance sur les dossiers qu'on m'a confiés, conformément aux engagements qui sont ceux de la majorité et, surtout, j'écoute et je consulte. Je passe mon temps à ..."
Mais vraiment ou pas ? Pourquoi les syndicats n'arrêtent pas de dire que vous ne leur parlez pas ?
- "Vous voulez que je vous donne les dates et les heures auxquelles je rencontre les responsables syndicaux ?"
Car vous les rencontrez régulièrement ?
- "Bien sûr, je les rencontre régulièrement, je les ai encore eus, pour un certain nombre d'entre eux, au téléphone, hier. Je crois qu'il faut faire la part du jeu politique et social et médiatique dans ces affaires et la part des réalités."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 novembre 2002)