Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, à "France Inter" le 19 novembre 2002, sur la marée noire déversée par le Prestige, sur la nécessité d'une police de la mer, sur la privatisation d'Air France et la situation d'Air Lib, sur la grève des routiers.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli-. Pire que l'Erika, Le Prestige, pétrolier-poubelle, pavillon bahamien, propriétaire grec - à moins qu'il ne soit libérien... -, courtier russe, pour la cargaison, équipage philippin, roumain et grec. Le Prestige ne sera-t-il qu'un épisode de plus de l'histoire des marées noires ? Est-il décidément impossible de légiférer contre les pavillons de complaisance ? C'est sidérant parce que ça recommence ! Ca recommence tout le temps !
- "Sidérant et gravissime, bien sûr. Surtout si les conséquences continuent ainsi - il y a déjà 3 000 tonnes qui sont en mer, par rapport aux 70 000 tonnes que contient ce pétrolier. Un pétrolier mal identifié au départ, vétuste, non contrôlé en Europe depuis une quinzaine d'années."
Mais un navire quasi-fantôme ?! Je viens de faire la liste, là : pavillon bahamien, mais on est pas sûr, peut-être que ce pourrait être autre chose, courtier russe... J'en passe.
- "Et voilà toute la justification d'une politique européenne de sécurité maritime. Ca s'appelle "le paquet Erika II". Le paquet Erika II, cela veut dire que les pays européens se mettent d'accord pour créer une agence de sécurité maritime, qui pourra identifier tous les navires qui passent dans les eaux territoriales des pays de l'Union, et ainsi identifier les bateaux qui pourront être, le cas échéant, arraisonné s'ils ne sont pas connus, s'ils ne sont pas régulièrement maintenus en bon état de maintenance. En attendant, les plus anciens de ces bateaux - ça s'appelle "le paquet Erika I" - à simple coque, seront éliminés du trafic maritime."
Mais quand ?
- "Je crois que tout ça est malheureusement très progressif, ne va pas assez vite. Mais il faut non seulement la volonté européenne, mais il faut que les navires, leur commandant et ceux qui les affrètent, obéissent aux instructions. Et on voit que, dans le cas du Prestige, ils n'ont pas obéi aux instructions."
Mais il existe tout de même des lois internationales ! On ne peut rien au fond contre les enjeux du marchés ? Je fais référence au marché pétrolier.
- "On ne peut rien contre des personnes qui ne veulent pas respecter les textes. Sauf, bien sûr, à les arraisonner, avoir des moyens extraordinaires de les arraisonner et de les faire, disons... avoir raison, de force, en les empêchant de circuler."
Il y aura donc un jour une sorte de police de la mer ?
- "Il faut une police de la mer. Il ne faut pas que des véhicules, des bateaux-fantômes circulent ainsi au large de nos côtes, avec tous les dangers que cela représente, sans qu'ils puissent être arraisonnés, maintenus au port, et vérifiés et contrôlés. C'est pour cela que la France actuellement, monte énormément les effectifs de ses contrôleurs dans les ports maritimes, de façon à ce que, non pas 15 % des véhicules soient vérifiés mais progressivement 20, 25, 30 et 40 %, pour que les bateaux qui reprennent la mer soient des bateaux qui, en tout cas, présentent tous les gages de sécurité possibles."
Autre chapitre pour les transports : Air France vient d'annoncer des résultats financiers qui sont bons, en progression de 8,1 %...
- "Malgré un climat un peu négatif pour le trafic aérien, puisqu'on sait que depuis le 11 septembre - et même avant -, il avait tendance à fléchir un petit peu. Malgré cela, Air France tire très bien son épingle du jeu ; Air France représente un peu plus de 17 % de parts de marché en Europe, ses comptes se présentent bien, le climat social est redevenu - me semble-t-il et pour une durée que j'espère de plusieurs années - tout à fait positif, puisqu'un bon accord a été pris..."
Mais il y a de l'inquiétude : privatisation ou pas ?
- "Ne parlons pas avec des mots qui fâchent. La "privatisation", c'est souvent un mot qui fâche ; parlons "d'ouverture du capital". Le capital d'Air France a déjà été ouvert et on continue de l'ouvrir progressivement. Mais la France, en tant qu'Etat, sera toujours présente dans le capital d'Air France. Par conséquent, les salariés doivent être rassurés : notre pays, d'une part, ne lâchera pas Air France et, deuxièmement, la part représentée par les actionnaires salariés sera plus importante demain qu'aujourd'hui."
De combien ? Peut-on déjà l'estimer ?
- "La France gardera autour de 20 % et les salariés passeront autour de 12 à 15 %, peut-être un peu plus, ce qui fait qu'il y aura un paquet d'actionnaires franco-français, entre les salariés et l'Etat français, de près de 40 %. C'est déjà une très grande sécurité. Par contre, les moyens donnés par cette ouverture du capital, pour Air France, vont lui permettre de développer ses parts de marché, vont lui permettre de passer des accords avec d'autres compagnies aériennes, et donc de continuer exactement sur la ligne qu'Air France a prise depuis déjà plusieurs années, de continuer à se développer, de continuer à conquérir des parts de marché, d'embaucher et donc de pouvoir, de façon harmonieuse, se développer, continuer à faire du bénéfice et à investir."
Et Air Lib ? Parce que l'espace est un peu comme une partie de billard très compliquée. Certains ont envie qu'Air Lib disparaisse parce que cela permettrait d'aller concurrencer Air France, notamment sur les lignes intérieures.
- "Le Gouvernement n'a pas du tout envie qu'Air Lib disparaisse, parce que si Air Lib disparaissait, d'abord, cela ferait 3.000 personnes qui seraient probablement au chômage. Rien que pour cela, ce serait un problème social. Par conséquent, nous n'avons pas envie qu'Air Lib disparaisse. Deuxièmement, nous n'avons pas envie qu'Air Lib disparaisse parce qu'aujourd'hui, Air Lib assure des dessertes qui sont très importantes, notamment les départements d'Outre-mer. Donc, d'un seul coup, voir les départements d'Outre-mer partiellement démunis de desserte, cela serait évidemment pour nos amis d'Outre-mer un grand choc et un grand handicap. Donc, nous avons été très contents de mettre un peu la pression au cours de l'année : d'abord, on a pu prolonger le prêt du FDES, on a accordé un moratoire à Air Lib, ce qui fait que nos efforts sont deux fois plus importants depuis six mois que depuis le début de l'année, depuis que nous sommes arrivés au Gouvernement. Et, en mettant la pression, nous avons eu la bonne surprise de nous faire présenter, la semaine dernière, un repreneur potentiel - je dis bien "potentiel" - , qui demande quelques semaines pour étudier la situation d'Air Lib et pour voir véritablement s'il peut devenir partenaire dans le capital. Et nous avons convenu, non pas d'attendre fin janvier pour le savoir, mais de nous revoir toutes les trois semaines, pour faire un point de l'état de leurs études. Donc, sans être excessivement optimiste, on peut dire que les chances d'Air Lib sont un peu plus importantes aujourd'hui qu'il y a 15 jours."
Vous recevez les syndicats de la SNCF demain. L. Gallois, le président, se félicitait que les syndicats aient préféré la manifestation à la grève. Qu'est-ce qui a changé à la SNCF ?
- "L'état d'esprit et probablement la confiance, c'est-à-dire la confiance entre partenaires sociaux, direction et j'espère aussi un peu ministère, le Gouvernement. Avec D. Bussereau, je recevrai tout à l'heure les partenaires sociaux de la SNCF. On a fait du bon travail tous ensembles, depuis quatre ou cinq mois. Il y avait une discussion sur la "non conflictualité", c'est-à-dire comment assurer le service public tout en respectant le droit de grève. Ce dispositif fait l'objet de discussions intéressantes et positives de la part des syndicats et de la direction. Deuxièmement, le président de la SNCF a initié tout un cheminement sur le projet d'entreprise de la SNCF, pour voir comment cette entreprise peut se développer et limiter au maximum son déficit. Je crois que le climat a changé, ce qui est très important, parce qu'il permet, dans un respect réciproque, d'avoir ensemble ce sens du service commun, qui fait qu'on trouve des solutions, sans être obligés de faire la grève, la grève étant la dernière étape d'un échec des discussions."
Et comment est le climat avec les routiers ? Car à la fin du mois, il y a des risques de manifestations et de routes bloquées.
- "Les routiers, c'est un débat entre les salariés et les employeurs. Le climat était très mauvais il y a quinze jours et puis il s'est nettement amélioré, le dialogue doit maintenant se poursuivre, ils se revoient. Le climat est apaisé, il est actuellement constructif et il faut en appeler à la responsabilité de chacun pour qu'ils puissent aboutir dans une négociation. Il faut toujours préférer une bonne négociation à un mauvais conflit, qui est toujours au détriment de tout le monde."
N'est-ce pas un peu la même problématique que pour les navires, que nous évoquions en commençant ? Ne faut-il pas raisonner dans un espace qui soit au minimum européen sur cette question des routiers ?
- "Vous avez raison. Sur beaucoup de points, il faut raisonner européen. Par exemple, sur les conditions sociales, pour éviter le dumping social de pays étrangers, qui ont de très bas salaires, très peu ou pas du tout de charges sociales. Sur le temps de travail, il faut également raisonner européen ; sur la sécurité, un peu comme dans le ferroviaire ou l'aérien, il faut raisonner européen, tout en évitant le dumping social. Donc, j'espère que d'ici vendredi, les routiers vont pouvoir négocier et aboutir à un bon accord."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 novembre 2002)