Tribune de M. Alain Juppé, président de l'UMP et Mme Angela Merkel, présidente de la CDU, dans "Le Figaro" du 16 janvier 2003, sur la commémoration du Traité de l'Elysée, précurseur de la construction européenne, l'élargissement et l'approfondissement de l'Union européenne et le rôle des partis populaires de centre droit pour le renforcement de la coopération franco-allemande, intitulée "France - Allemagne : un rôle toujours décisif".

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Il y a quarante ans, le 22 janvier 1963, le chancelier de la République fédérale d'Allemagne, Konrad Adenauer, et le président de la République française, le général Charles de Gaulle, signaient le traité sur la coopération franco-allemande. Ce traité est entré dans l'histoire sous le nom de traité de l'Élysée.
Dans la déclaration commune jointe au traité, Adenauer et de Gaulle exprimaient leur conviction "que la réconciliation entre le peuple allemand et le peuple français, qui met un terme à des siècles de rivalité, représente un événement historique qui refonde entièrement la relation entre les deux peuples". Ils reconnaissaient "que le renforcement de la coopération entre les deux pays représente une étape indispensable sur la voie d'une Europe unie, qui est l'objectif des deux peuples".
Si on ne lit pas la déclaration d'Adenauer et de Gaulle sur leurs grands objectifs visionnaires en matière de réconciliation des deux ennemis héréditaires et pour l'unité de l'Europe, le traité de l'Élysée semble en soi presque insolite. Il énumère, dans un langage très sobre, les échéances auxquelles les chefs de gouvernement, les ministres des Affaires étrangères et les autorités compétentes doivent se réunir pour des consultations. Les principaux champs d'action cités pour la coopération bilatérale concernent la politique étrangère, la défense, l'éducation et la jeunesse.
Dès le départ, il ne s'agissait donc pas seulement de mettre en place une coopération intense entre les gouvernements, mais aussi d'intégrer les citoyens des deux pays dans le processus de réconciliation, afin de donner à l'amitié une large base et un enracinement profond.
Cela s'est fait par les échanges de jeunes et le travail efficace de l'Office franco-allemand pour la jeunesse, dont le traité de l'Élysée prévoyait la création.
Le traité de l'Élysée est un mode d'emploi pour de bonnes relations franco-allemandes, mais aussi une mise en demeure de respecter l'objectif d'une Europe unie et forte. Pour pouvoir vraiment mesurer l'importance du traité de l'Élysée, il faut se replacer quarante ans en arrière. Konrad Adenauer a compris et décrit la portée historique de cet accord : "Quel fantastique progrès dans l'histoire de ces deux peuples, situés en plein coeur de l'Europe, voisins, exposés aux mêmes risques, dont les destins seront identiques, vu comme le monde évolue, quelle chance inouïe que ces deux peuples se soient enfin retrouvés !" Même si pour nous aujourd'hui, le partenariat entre la France et l'Allemagne semble couler de source, ces mots n'ont rien perdu de leur actualité.
Le traité de l'Élysée a été le couronnement de la politique de réconciliation entre la France et l'Allemagne et il a été et est toujours un pilier de l'intégration européenne, sans faire pour autant partie des traités européens. Les bonnes relations franco-allemandes ont toujours constitué une base décisive de tous les progrès dans la construction européenne. Une relation franco-allemande qui fonctionne bien, cela signifie dynamisme et progrès pour l'Europe ; toute dissension entre la France et l'Allemagne nuit au contraire à l'intégration européenne.
Il est vrai que nos deux pays ont souvent défendu des positions politiques différentes. Mais lorsque les deux partenaires s'entendaient sur un compromis, la solution trouvée pouvait très souvent devenir un modèle acceptable aussi par les autres États de l'Union européenne. C'est pourquoi le tandem franco-allemand doit continuer de jouer un rôle de précurseur de la construction européenne, et c'est pourquoi il faut prolonger l'histoire de la réussite du traité de l'Élysée.
Le président Jacques Chirac a fait observer, à l'occasion du 35e anniversaire du traité de l'Élysée, que la réconciliation franco-allemande faisait naître une double mission pour nos deux pays. La première consiste à "achever la tâche entreprise le 9 décembre 1989, avec la chute du Mur de Berlin, c'est-à-dire l'unification de l'Europe élargie". Avec la décision prise au sommet européen de Copenhague d'accueillir dix nouveaux pays au sein de l'Union européenne, on s'est beaucoup rapproché de l'objectif de réunification de l'Europe. La deuxième mission, selon le Président de la République, comprend "le renforcement moral, politique et institutionnel de la construction européenne".
Cette deuxième mission, en particulier, est encore loin de l'accomplissement. C'est pourquoi nos deux pays doivent élaborer des propositions concrètes pour la suite de l'évolution de l'Union européenne, de façon à ce que l'on puisse décider rapidement des fondements d'une Union élargie, tournée vers l'avenir, et qui soit aussi à la hauteur de son poids international accru :
- La convention sur l'avenir de l'Europe pose un grand défi à l'énergie créatrice de l'Allemagne et de la France. L'Union européenne doit, même à 25 pays membres et plus, conserver et pousser plus avant son niveau élevé d'intégration, être capable d'agir, pour pouvoir être rapide, transparente, proche des citoyens et démocratique dans ses prises de décision. C'est pourquoi la France et l'Allemagne doivent élaborer, et défendre devant la convention, des positions communes sur tous les grands projets de réforme.
- Puisque la Turquie a le statut de candidat, il est également nécessaire de trouver des réponses communes à la question des frontières de l'Union européenne. Des frontières qui correspondent à une conscience et des valeurs communes aux Européens, qui ne dépassent pas les capacités d'assimilation de l'UE, et qui offrent aussi aux États qui ne peuvent pas ou ne souhaitent pas devenir membres de l'Union européenne des relations très étroites et privilégiées en deçà de l'adhésion pleine et entière.
- L'Allemagne et la France doivent non seulement devenir le moteur de l'intégration dans ses effets internes, mais aussi vis-à-vis de l'extérieur de l'Union. Il s'agit de créer une identité européenne en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense, afin qu'à l'heure de la mondialisation, les intérêts concrets des Européens puissent être défendus efficacement et qu'il leur soit fait droit à la mesure du potentiel économique de notre continent. C'est pourquoi la France et l'Allemagne doivent défendre une position commune sur les sujets importants de politique étrangère, de sécurité et de défense - et en particulier sur la question des éventuelles interventions militaires.
L'élargissement offre à l'Union européenne la possibilité de mieux affirmer ses intérêts dans la concurrence mondiale, d'accroître son poids et son influence dans le monde et dans les organisations internationales, et d'agir ainsi plus efficacement comme un facteur mondial important d'ordre et de stabilité. L'élargissement améliore aussi les perspectives de succès dans la maîtrise des défis mondiaux, en particulier dans la lutte contre le terrorisme international, la prolifération des armes de destruction massive, le sous-développement et les risques environnementaux.
L'intention des gouvernements allemand et français de créer une union de sécurité et de défense est juste et prioritaire. Pour concrétiser cette vision, il faut créer les capacités militaires correspondantes et dégager les moyens financiers nécessaires. L'Allemagne, en particulier, doit entreprendre davantage d'efforts en matière de défense, pour que la PESD ne soit pas qu'un tigre de papier voué à l'échec.
L'élargissement et l'approfondissement de l'Union européenne sont donc les deux faces d'une seule et même médaille. Sans élargissement, le rêve d'une Europe unie resterait un torse, sans tête ni membres, oeuvre inachevée et incomplète, et sans approfondissement, l'Union européenne élargie serait un colosse aux pieds d'argile. C'est pourquoi la convention constitutionnelle de l'Union européenne et la conférence intergouvernementale qui suivra doivent réussir. Et elles ne réussiront que si l'Allemagne et la France agissent de concert.
Le traité de l'Élysée a créé les fondations de l'entente et de la coopération entre l'Allemagne et la France. L'essence et la valeur intrinsèque des relations franco-allemandes, mais aussi de la construction européenne, resteront déterminées pour une part considérable par la capacité de nos deux peuples à s'approprier l'idée commune de la coopération et de l'intégration. Mais les bonnes relations ne vont pas de soi. Les résultats décevants de l'Agenda 2000 à Berlin et de la conférence intergouvernementale de Nice montrent que la concertation franco-allemande ne s'est pas toujours déroulée sans accroc ces dernières années.
Les chefs de gouvernement sociaux-démocrates en Allemagne et en France n'ont pas été en mesure de dégager des objectifs et des perspectives communs. L'attention spéciale que méritent les relations franco-allemandes est un domaine de prédilection des partis populaires du centre droit. La CDU, la CSU et l'UMP entretiennent des contacts étroits qui doivent également trouver leur reflet dans une coopération très étroite au sein du Parti populaire européen et au Parlement européen.
Les fréquents contacts bilatéraux entre nos gouvernements ont surtout un sens lorsqu'ils sont emplis de vie et de contenu. Pour conserver ce à quoi nous sommes parvenus, il faut déployer davantage d'efforts. A côté des contacts politiques, il faut donc aussi prêter à nouveau davantage d'attention aux échanges de jeunes et à l'apprentissage de l'allemand en France et du français en Allemagne. Il faut lutter contre la tendance qui veut que l'on apprenne et que l'on enseigne de moins en moins la langue du voisin, car la connaissance de la langue d'une nation est la clé décisive pour en avoir une compréhension plus approfondie. Il ne faut plus que s'installe insidieusement la désaffection entre la France et l'Allemagne, car chaque génération doit se réapproprier le partenariat franco-allemand pour un avenir commun favorable.
Il faudrait également que la génération d'hommes et de femmes politiques en activité fixe des objectifs ambitieux. La coopération entre les régions frontalières pourrait jouer à cet égard un rôle privilégié, car il n'est nulle part ailleurs aussi simple et utile d'entretenir des contacts étroits entre les personnes de nos deux pays. Il faut intensifier encore la coopération en matière de défense. De même, la création d'une commission parlementaire franco-allemande pourrait être bénéfique à la coopération.
L'Allemagne et la France ont toutes les raisons de bâtir sur l'héritage d'Adenauer et de Gaulle. Charles de Gaulle avait raison lorsqu'il constatait, le 14 janvier 1963, à quelques jours de la signature du traité de l'Elysée : "Je crois que parmi les nouveaux facteurs en présence, (...) il n'en est pas de plus marquant ni de plus fécond que la relation franco-allemande." Les visionnaires qu'étaient Konrad Adenauer et Charles de Gaulle se sont avérés des réalistes. Nous, la CDU et l'UMP, les deux grands partis populaires du centre droit, nous sentons tout particulièrement redevables à l'héritage de nos deux grands pionniers de la réconciliation franco-allemande et de la construction européenne, et nous voulons continuer de défendre leurs visions dans les conditions qu'offre le XXIe siècle.
(source http://www.u-m-p.org, le 20 janvier 2003)