Déclaration de M. Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur la sécurité des médicaments, le rôle du pharmacien et le respect des règles éthiques de l'industrie pharmaceutique, Nice le 1er septembre 2002.

Prononcé le 1er septembre 2002

Intervenant(s) : 

Circonstance : 62ème Congrès de la Fédération internationale de pharmacie à Nice le 1er septembre 2002

Texte intégral

Monsieur le Président, Cher Docteur KIELGAST,
Cher Président PARROT,
Monsieur le Sénateur, Maire de Nice,
Mesdames, Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
C'est avec un grand plaisir que je me trouve aujourd'hui parmi vous pour la séance inaugurale du 62ème congrès annuel de la Fédération internationale de pharmacie.
Je voudrais souhaiter à nos hôtes étrangers, au nom du Gouvernement français, la bienvenue dans notre pays. Je voudrais également saluer l'initiative qui a été prise d'organiser ce 62ème congrès dans cette région de Provence Alpes Côte d'Azur qui m'est si chère.
Je voudrais enfin rendre hommage au Président Parrot pour m'avoir invité mais surtout pour son action dans le cadre national comme international au service de la pharmacie et de l'intérêt général. Ses compétences et son ardeur d'ailleurs viennent pleinement d'être reconnus à nouveau.
Des événements comme votre Congrès sont très utiles. Ils permettent en effet, régulièrement, de prendre un peu de champ pour réfléchir aux grands enjeux que le quotidien occulte trop souvent. Lorsque la réflexion est en outre nourrie par l'expérience par la diversité d'approche de professionnels du monde entier, comme vous, je ne doute pas de la qualité et de la densité de vos débats.
Il est désormais essentiel d'aborder les questions de santé sous un angle international, qui ouvre les esprits, encourage la comparaison, et s'avère très enrichissant pour tous. Je suis déterminé à donner à la dimension européenne et internationale une importance majeure dans mon action et dans celle de mon ministère.
Vous avez choisi cette année d'axer vos échanges sur la notion de sécurité : sécurité des systèmes, sécurité des traitements et sécurité des patients. En tant que médecin et responsable de la politique de santé en France, je suis particulièrement attaché à cette question essentielle de la sécurité dans ses différentes dimensions.
J'aimerais vous faire part aujourd'hui de mes réflexions autour de trois thèmes:
les attentes des citoyens dans le domaine de la sécurité, qui sont croissantes, et les réponses que nous devons y apporter progressivement en France.
le rôle clé qu'ont les pharmaciens à jouer dans ce domaine ;
l'importance des règles éthiques que l'industrie doit respecter lors du développement de nouvelles molécules.

I. Tout d'abord, j'aimerais insister sur le besoin croissant de sécurité qu'éprouvent nos concitoyens et vous exposer les réponses que nous pouvons y apporter, ce que nous avons fait en France grâce à notre dispositif de sécurité sanitaire.
Un besoin croissant de sécurité
Lorsque Hobbes décrit l'état de nature dans le Léviathan, il dépeint un monde où chacun est susceptible de se faire tuer par le premier venu. C'est le besoin de sécurité qui, selon lui, fait abandonner à chacun son droit à la violence pour ériger une autorité, dotée du monopole de la violence, au service de tous et garante de la sécurité individuelle. Ce grand philosophe sent donc l'importance fondamentale du besoin de sécurité pour chacun d'entre nous.
En premier lieu, besoin de sécurité des personnes qui doivent se voir garantir de pouvoir vivre en paix, c'est le droit à la sécurité militaire et à la sécurité civile. Mais, à mesure que ce premier droit est acquis dans les états modernes, le besoin de sécurité s'étend à d'autres domaines.
Dans le même temps, les progrès de la science contribuent à ouvrir de nouveaux espaces et à étendre les attentes de nos concitoyens en matière de sécurité. Un autre philosophe, Hans Jonas, le rappelle également : l'homme est désormais capable de modifier profondément le monde qui l'abrite, voire même de le détruire. Les améliorations considérables que le progrès nous apporte ne doivent pas masquer l'angoisse profonde que suscite ce pouvoir. Qu'arriverait-il si le progrès nous échappait ? Tchernobyl nous a fait entrevoir l'ampleur des drames qui nous menacent. Les informations selon lesquelles un ou des enfants clonés sont sur le point de naître sont également très préoccupantes et expliquent pourquoi la France a pris, avec l'Allemagne, une initiative internationale afin de bloquer ces dérives. Je reviendrai à la fin de mon intervention sur ces risques attachés au progrès scientifique et médical.
Les réponses
Face à ces angoisses, les pouvoirs publics se doivent de répondre par la mise en place de mécanismes de protection qui renforcent la sécurité et le sentiment de sécurité de nos concitoyens. En 1945, en France, la création de la sécurité sociale, et de notre assurance maladie, a ainsi répondu à cet objectif, avec des succès remarquables en termes d'accroissement du bien-être, mais également de capacité à prendre des risques et des initiatives créatrices de richesses. La sécurité sanitaire est sans doute une déclinaison parmi les plus récentes de ce besoin.
La catastrophe du sang contaminé dans la deuxième moitié des années 1980 et au début des années 1990 en France a conduit les pouvoirs publics à mettre en place tout un ensemble de structures visant à garantir la sécurité sanitaire, qui a révolutionné progressivement notre horizon. L'objectif a été de renforcer les actions de prévention, mais aussi les capacités d'intervention face aux alertes dans une démarche permanente de transparence et d'information des citoyens.
Avec le recul, il me semble qu'il y a eu, en France, trois âges de la sécurité sanitaire :
L'âge des pionniers. Tant il est vrai que la sécurité sanitaire s'est inscrite au carrefour de la santé, de la politique et de l'éthique. En 1992, ce fut la mise en place de l'Agence Française du Sang ; en 1993, le dispositif était poursuivi par la création d'une Agence du Médicament et de l'Etablissement Français des Greffes. L'année suivante, l'Office de protection contre les rayonnements ionisants était institué ;
L'âge classique ensuite. Quelques années plus tard, la loi du 1er juillet 1998 est venue compléter encore le dispositif en donnant naissance à trois autres éléments fondamentaux : l'Institut de veille sanitaire, l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, et l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments ;
L'âge moderne enfin, celui de l'environnement. En 2001, l'Institut de Radioprotection et de Sécurité Nucléaire regroupe l'OPRI et l'IPSN et l'on crée l'Agence Française de Sécurité Sanitaire Environnementale.
L'originalité du dispositif français repose sur trois caractéristiques majeures.
La première caractéristique est que ce dispositif est évolutif et qu'il s'adapte progressivement aux nouveaux défis rencontrés. Il a aussi permis une mise en place rapide et évité une réorganisation lourde de dispositifs logés au sein de nombreux ministères.
La deuxième caractéristique tient au rôle central que joue le ministère de la santé en tant que coordinateur. En effet, ces agences ne peuvent jouer efficacement leur rôle que si l'on garantit des relations étroites entre elles. C'est aussi l'objet du comité national de la sécurité sanitaire qu'il me revient de présider régulièrement d'ailleurs dans les toutes prochaines semaines.
La troisième caractéristique réside dans le choix de structures administratives autonomes, les établissements publics indépendants. Ce choix permet en effet, de donner à leurs animateurs toutes leurs responsabilités. Cette indépendance n'implique naturellement aucun désintérêt de la part des ministres de tutelle. Mais elle est un gage de la confiance qui me semble une des conditions de succès de la formule.

II. Je ne voudrais pas vous donner l'impression que, pour les pouvoirs publics français, la sécurité sanitaire est une problématique qui leur est exclusivement réservée. Bien au contraire ! La sécurité sanitaire est l'affaire de l'ensemble des acteurs. Les pharmaciens ont un rôle majeur à jouer en la matière.
En effet, dans le domaine du médicament, la sécurité sanitaire est autant garantie par la qualité pharmaceutique que par le bon usage du médicament. Je note, en passant, que ce dernier serait à l'origine de 18.000 décès par an selon certaines études en France, soit deux fois plus que le nombre de décès sur les routes. C'est beaucoup !
Le rôle du pharmacien en matière de sécurité sanitaire me semble triple :
D'une part, il lui appartient d'exercer un ultime contrôle sur la qualité de la prescription avant sa délivrance au patient. En France, mais je suppose que ces problèmes se retrouvent dans l'ensemble des pays, la qualité de la prescription pourrait être améliorée : utilisation de produits en dehors de leurs indications thérapeutiques, redondances de prescriptions, rédactions incomplètes...
Le pharmacien, par sa connaissance des produits qu'il délivre, doit jouer un rôle de contrôle qualité fondamental. Ce rôle ira croissant dans la mesure où l'on attend de l'ensemble du système de santé une utilisation plus fine de la totalité de la gamme des médicaments mis à disposition. Cela veut dire utilisation des médicaments les plus récents bien entendus mais aussi de ceux qui existent depuis plus longtemps lorsqu'ils restent adaptés aux pathologies.
Le pharmacien doit aussi endosser pleinement son rôle de conseiller. C'est par le dialogue avec le malade que l'on peut vérifier l'absence de terrain à risque, d'interaction médicamenteuse ou alimentaire. La complexité croissante des médicaments mis sur le marché renforce, si besoin était, le devoir d'explication et de description aux patients. L'image de proximité, sa liberté d'accès, sa neutralité font du pharmacien un interlocuteur naturel.
En France, les pouvoirs publics font tout particulièrement appel au pharmacien puisqu'ils lui ont confié le droit de substitution pour les classes génériques. Il doit aussi jouer son rôle pour lutter contre la non-observance. Par son intervention, il doit amener le patient à comprendre que les médicaments prescrits participent à une stratégie thérapeutique et qu'il n'est donc pas question de se livrer à une sélection pour des raisons aussi diverses que la commodité, ou le prix des prescriptions.
C'est donc par son décryptage de l'ordonnance que le pharmacien doit convaincre le patient de l'utilité du traitement et obtenir de celui-ci une confirmation de son consentement libre et éclairé, explicite au traitement établissant de la sorte un contrat moral en vue de la guérison.
Enfin, il constitue un canal privilégié de remontée d'information sur l'effet de la prise de médicaments. Je me permets d'insister sur ce dernier point. En effet, il me semble indispensable que chaque médicament soit davantage et mieux suivi une fois qu'il est mis sur le marché, pour en tester les effets en grandeur nature. Le pharmacien, de part son contact informel et souvent fréquent avec sa clientèle, doit constituer le premier relais d'information dans cette démarche de pharmacovigilance.

III. Je voudrais aborder pour finir l'autre versant de la sécurité sanitaire en matière de médicament : les obligations qui s'ouvrent à nous durant la période de développement de nouvelles molécules.
Le médicament vise à améliorer la santé de l'homme. Nous disposons désormais de moyens pour ce faire qui sont susceptibles de porter atteinte à notre intégrité. En France, le législateur a fait des choix pour fixer les bornes de ce que doit être la recherche. Quarante ans après le code de Nuremberg, la France a été l'une des premières nations à se doter d'une législation assurant la protection des personnes en matière de santé et d'expérimentation médicamenteuse. Autour des valeurs de liberté et de responsabilité s'organise le consentement éclairé, libre et express qui garantit le respect des personnes. Les dérives, les contournements ne sont pas compatibles avec l'idée même que nous nous faisons de l'homme.
En matière de biotechnologie aussi, nous devons trouver la frontière entre ce qui peut être fait au nom du progrès et ce qui ne saurait l'être. Je crois beaucoup aux potentialités des biotechnologies et il faut aider massivement à leur développement. C'est un entreprise qui nous concerne tous. Mais il est également indispensable que l'accès aux connaissances sur les séquences d'ADN soit assuré pour tous. Notre code génétique est un patrimoine commun de l'humanité qui ne saurait être confisqué au profit de quelques-uns.
On voit donc bien le besoin impératif de développer un cheminement éthique qui conduise vers la liberté, la responsabilité et la dignité. Nous sommes à un moment crucial pour l'humanité, nous voyons bien la difficulté des choix éthiques qui se profilent. Mais ensemble je suis sûr que nous parviendrons à définir une nouvelle éthique qui nous permette de progresser sans nous compromettre, qui nous permette de servir l'homme et de l'accompagner le mieux possible dans la maladie. C'est ce qui fait toute la noblesse du monde de la santé, dans lequel, j'en suis persuadé, les pharmaciens jouent un rôle déterminant.
Je vous remercie et vous souhaite de bons travaux.


(Source http://www.sante.gouv.fr, le 9 septembre 2002)