Interviews de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, dans "La Tribune" le 14 février, et dans "Le Parisien" le 15 février 2003, sur le bilan du commerce extérieur 2002, l'opposition de la France et de l'Europe à la proposition de l'OMC remettant en cause la préférence communautaire en matière agricole, la position française sur le partage mondial des richesses.

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Média : La Tribune - Le Parisien

Texte intégral

(La Tribune)
Q - Les chiffres du commerce extérieur de décembre sont publiés ce matin. Pouvez-vous tirer un premier bilan de 2002 ?
R - Tout d'abord, nous avons constaté que la valeur de l'euro a eu peu d'effets sur le commerce en 2002. L'appréciation a commencé à peser au quatrième trimestre. L'année 2002 a été marquée par les incertitudes géopolitiques. La perspective d'un conflit en Iraq, tout en suscitant la hausse des prix du pétrole, a mis un frein à l'investissement des entreprises et à leurs activités, ce qui explique la baisse importante des exportations. Enfin, le commerce extérieur a pâti de phénomènes de déstockage constatés dans certains secteurs.
Q - Le ralentissement des exportations s'est concentré sur le dernier trimestre. Qu'attendez-vous pour 2003 ?
R - Les entreprises françaises qui ont de bonnes spécialisations internationales garderont leur avantage compétitif, comme ce fut le cas en 2002, dans l'automobile et la pharmacie. En revanche, les producteurs de biens d'équipement sont davantage exposés au ralentissement international de l'investissement. C'est la situation que nous constatons encore en ce début d'année. Dès que les incertitudes géopolitiques seront levées, la confiance reviendra et le comportement des entreprises changera.
Q - Comment jugez-vous le dynamisme des entreprises françaises à l'exportation ?
R - Elles ont une marge de progression importante en matière d'internationalisation. Actuellement, 62 % des exportations des entreprises françaises sont réalisées en euros, ce qui constitue un avantage. Mais, force est de reconnaître que nos entreprises sont moins dynamiques que les entreprises allemandes et italiennes vers des régions lointaines, où le commerce n'est pas libellé en euros mais où le potentiel de croissance est plus important. Je pense surtout à des pays d'Asie, comme la Chine et l'Inde, mais aussi aux candidats à l'élargissement de l'Europe et à certains pays du Maghreb. J'invite donc les entreprises françaises à s'intéresser davantage à ces pays à forte croissance.
Q - Craignez-vous que les crispations franco-américaines ne finissent par peser sur les exportations vers les Etats-Unis qui représentent 8,7 % du commerce extérieur français ?
R - Pour le moment, ce n'est pas le cas. Les entreprises et les consommateurs n'achètent pas par nationalisme ou pour des raisons de politique internationale. Ce qui les intéresse, c'est la qualité d'un produit et son prix. Les consommateurs américains sont habitués à acheter des produits français, sans même songer au pays d'origine de ces produits. Je ne suis pas inquiet.
Q - Pourquoi Paris et Bruxelles ont-ils vertement critiqué le texte présenté cette semaine par Stuart Harbinson, le président du groupe de travail sur l'agriculture de l'OMC ?
R - C'est une proposition inacceptable en l'état. Il s'agirait d'une mise en cause de la préférence communautaire car cette proposition menacerait nos droits de douane sur la viande, le lait et le sucre. Deuxièmement, les aides couplées sont remises en cause alors que nous n'avons pas entériné une logique de découplage. Enfin, cette proposition ne couvre pas des sujets sensibles, comme, par exemple, la défense des appellations d'origine contrôlée.
Q - Dans ce contexte, qu'attendez-vous de la réunion "mini-ministérielle" de l'OMC qui se tiendra à Tokyo ce week-end ?
R - J'ai de fortes attentes concernant l'accès des pays pauvres aux médicaments qui est une question urgente qui devait être réglée fin 2002. Un accord reste à trouver. Les Américains sont maintenant face à leurs responsabilités. Sur l'agriculture, je crains que la publication du rapport Harbinson soit une base de départ difficile pour trouver un accord.
Q - Les positions sur le partage mondial des richesses que défendra la France au prochain G7 sont-elles compatibles avec celles qu'elle occupe sur la Politique agricole commune ?
R - Oui, car ce que la France défend, c'est aussi un meilleur accès des pays en développement aux marchés développés et une meilleure protection des pays les plus pauvres pour qu'ils puissent développer une agriculture. Ces pays doivent satisfaire leurs propres besoins et transformer eux-mêmes leurs productions. Ces enjeux n'ont pas été pris en compte dans le texte présenté cette semaine à l'OMC alors que la France et l'Union européenne ont des propositions concrètes.
Q - Que projetez-vous pour promouvoir les exportations françaises ?
R - Nous allons d'abord continuer à défendre les intérêts français et européens dans les grandes négociations commerciales internationales et, d'autre part, engager une série de réformes pour les PME à l'export : fusionner le Centre français du Commerce extérieur (CFCE) et Ubifrance pour créer une agence nationale du commerce extérieur, doubler la participation des entreprises aux salons professionnels à l'étranger, favoriser le recrutement des jeunes désireux de s'internationaliser (VIE) ; décentraliser les directions régionales du commerce extérieur pour se rapprocher du tissu économique local et renforcer notre action sur une vingtaine de pays cibles où les perspectives de croissance sont fortes.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 février 2003)
(Le Parisien)
Q - La tension politique entre les Etats-Unis et la France a-t-elle un impact sur les relations industrielles et commerciales entre eux ?
R - Non. Les affaires restent les affaires et suivent leur cours. Les Américains ont toujours été de rudes partenaires économiques, en particulier dans les négociations commerciales internationales. Je vous rappelle qu'ils avaient décidé, l'an dernier, une hausse des droits de douane sur les produits sidérurgiques européens. Ils ont été aussi condamnés en 2002 par l'OMC (l'Organisation mondiale du commerce) à payer 4 milliards d'euros pour pratiques non conformes aux règles de l'OMC.
Q - N'y a-t-il pas un risque de boycott des produits français ?
R - Certains députés ou sénateurs peuvent agiter cette menace, mais le gouvernement français n'a reçu aucune menace dans ce sens, tant des autorités américaines que des entreprises ou des milieux patronaux américains. Certains consommateurs australiens ont eu cette tentation en 1995 lorsque la France a repris ses essais nucléaires, mais ce mouvement a eu peu d'impact. Un boycott serait, de toute façon, totalement illégal. L'Union européenne déposerait plainte immédiatement auprès du tribunal international compétent, et les Etats-Unis seraient alors condamnés. Les Américains ne peuvent et ne veulent pas prendre un tel risque. Nous n'envisageons donc pas cette hypothèse. Nous faisons confiance au gouvernement américain pour respecter la loi commerciale internationale.
Q - Le Salon du Bourget semble être la cible de certains parlementaires...
R - Boycotter le Salon du Bourget serait totalement absurde car c'est, une vitrine exceptionnelle pour les produits américains dans un secteur extrêmement concurrentiel. Les autorités américaines ont des moyens de pression financiers et politiques autrement plus puissants pour décrocher de grands contrats tant en matière civile que militaire.
Q - Si la situation se dégradait, la France appellerait-elle de son côté à boycotter les produits américains ?
R - Ce qui vaut pour les Etats-Unis vaut pour la France, qui se mettrait alors dans une totale illégalité. Il n'en est donc pas question. Les Etats-Unis sont nos partenaires commerciaux et des alliés de plus de deux siècles.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2003)