Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur les rôles juridique et économique de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la préparation de la conférence de Seattle, à l'Assemblée nationale le 9 novembre 1999.

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Circonstance : Forum sur le thème "Libéralisation et régulation : priorités et stratégies de négociation" à l'Assemblée nationale le 9 novembre 1999.

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs,
Il me faut tout d'abord remercier l'Assemblée Nationale et le Président de la délégation de l'Assemblée Nationale pour l'Union européenne, A. Barrau, d'avoir organisé ce forum avec la participation de différents représentants de la société civile.
Il donne ainsi au gouvernement, pour la troisième fois depuis le mois de juin dernier, l'occasion de s'exprimer au Parlement sur les négociations multilatérales, et de présenter ses orientations, orientations qui ont été enrichies par le remarquable travail que constitue le rapport de la Délégation présenté le 30 septembre par Mme Béatrice Marre.
A l'issue de ce premier échange de vues autour de la " libéralisation et de la régulation ", je voudrais :
d'abord essayer de répondre à quelques points soulevés au cours de la table-ronde, ou plus généralement dans le débat public ;
ensuite, dresser l'état des lieux sur la négociation, et rappeler les principaux sujets sur lesquels portent les discussions du prochain cycle.
1)Quelques observations sur le débat de ce matin :
Je les regrouperai sous deux brefs chapitres, respectivement le rôle juridique et le rôle économique de l'OMC.
Sur le rôle juridique :
- Lorsque j'ai présenté la position du gouvernement à l'ouverture du débat parlementaire du 26 octobre , j'ai indiqué que l'OMC n'était pas une organisation supra-nationale , mais une organisation inter-étatique, respectueuse de la souveraineté, et fonctionnant sur le modèle du contrat social, un contrat social international.
Un quotidien du matin, qui publie d'ailleurs tous les jours un très intéressant " journal de Seattle " a jugé cette comparaison naïve .
Je la maintiens néanmoins. Les règles issues de l'OMC sont le fruit de la volonté des Etats : ce qu'ils n'acceptent pas n'a pas force de droit . L'OMC n'impose aucun engagement, sinon celui de respecter ses engagements librement consentis.
Il s'agit bien du modèle du contrat . Et nous en avons la preuve a contrario : les difficultés que nous rencontrons dans la préparation de Seattle viennent de ce que les membres de l'OMC, les contractants de Seattle, ne sont pas d'accord, à ce stade, sur les clauses du nouveau cycle.
Le fonctionnement contractuel de l'OMC appelle naturellement une fonction juridictionnelle, pour régler les différends dans l'application des clauses du contrat .
Des critiques se sont exprimées sur le caractère interne, " endogène ", de l'Organe de Réglements des différends, qui étant dans l'OMC serait à la fois juge et partie. Cela mérite réponse.
D'abord j'observe que beaucoup d'institutions internationales fonctionnent sur le même principe : la Cour de Justice des Communautés européennes, la Cour Européenne des droits de l'Homme sont des juridictions endogènes par rapport à l'Union Européenne ou au Conseil de l'Europe, ce qui ne semble pas remettre en cause leur légitimité.
Certains évoquent, par souci de cohérence des institutions internationales, un recours des décisions de l'ORD auprès de la Cour Internationale de Justice .
Permettez-moi de remarquer que seulement un tiers des membres de l'Organisation des Nations Unies ont accepté que leurs différends soient normalement soumis à la Cour Internationale de Justice , alors que les 134 membres de l'OMC reconnaissent la juridiction de l'ORD.
En termes d'efficacité et de légitimité, l'avantage est clairement en faveur de l'OMC.
Je me suis déjà exprimé sur les évolutions que doit connaître l'ORD en termes de transparence, d'accès au droit pour les pays pauvres, d'évolution du système des sanctions, qui doit concilier efficacité et justice. Il n'est en effet pas normal que des secteurs, des entreprises et en définitive des hommes et des femmes subissent les conséquences de litiges auxquels ils n'étaients pas parties. Le recours à des compensations, voire des astreintes, me semblent devoir être étudié.
Mais plus généralement, je voudrais souligner que l'existence de l'ORD ne doit pas nous conduire à un gouvernement économique des juges au niveau international .
L'évolution du droit de l'OMC , l'interprétation de ses règles ne doit pas s'effectuer de manière seulement jurisprudentielle. Créer de nouvelles règles , adaptées aux évolutions économiques et sociales, modifier les règles existantes, en préciser l'interprétation, relève de la souveraineté des Etats .
C'est pourquoi ces derniers, certes instruits par la jurisprudence de l'ORD, doivent réexaminer périodiquement le cadre normatif sur lequel les juges s'appuient : c'est d'ailleurs une des activités fondamentales de l'OMC que de revisiter ses propres règles .
En bref, la critique externe de l'OMC est stimulante, mais c'est de l'intérieur de l'OMC que l'on pourra vraiment faire progresser la régulation économique dont nous avons besoin.
J'en arrive au second volet, le rôle économique de l'OMC.
On l'a senti ce matin, il y a une thèse et une antithèse .
La thèse est celle de la théorie économique, en effet confirmée par beaucoup d'observations concrètes.
En s'engageant dans l'échange international qui permet d'accroître la taille du marché , un pays peut réduire le nombre de biens qu'il fabrique tout en augmentant la variété de biens qu'il met à la disposition des consommateurs.
Le pays produit plus, avec une meilleure productivité et avec des coûts plus faibles . Dans le même temps, les consommateurs bénéficient d'une gamme plus large de biens, à des prix moins élevés.
Des études récentes ont montré sur un grand nombre de pays que les économies ouvertes bénéficiaient d'un taux de croissance supérieure à celui des économies fermées .
Mais il y a l'antithèse qui considère que la logique du marché ne doit pas être la logique de la vie. C'est la différence entre l'économie de marché et la société de marché.
L'homme ne peut en effet être réduit à une pure dimension d'agent économique, voulant toujours plus de production ou de consommation .
A l'individualisme du marché, on oppose à juste titre l'existence de communautés de vie et de traditions, propres à chaque pays, qui ne doivent pas se dissoudre dans la globalisation et l'uniformisation.
Comment résoudre cette contradiction, comment trouver une synthèse entre ces points de vue ?
Il faut se souvenir que les théories du libre-échange sont nées avec la révolution industrielle et correspondent bien à la nature des objets techniques : un bien industriel, une machine sophistiquée par exemple, n'exprime pas une tradition, n'est pas issu d'une culture spécifique à un pays.
Pour ce type de biens, la libéralisation, la spécialisation, les économies d'échelle sont globalement positifs. Et l'on peut en dire de même pour certains services, comme les services financiers.
Mais pour d'autres biens, les biens culturels, l'éducation, les services publics, l'agriculture également, le raisonnement froidement économique ne peut s'appliquer sans restrictions.
Je ne dis pas qu'il doit être totalement rejeté : personne ne peut-être sérieusement partisan d'une autarcie totale en matière culturelle ou agricole. Mais dans ces domaines, il faut trouver un équilibre entre le respect des identités et l'ouverture raisonnable aux échanges.
C'est ce qui inspire la position du gouvernement dans les négociations de l'OMC : libéraliser, de manière équitable, ce qui peut l'être et protéger en même temps nos valeurs, notre organisation sociale, l'équilibre de notre territoire, dans la perspective d'un monde de diversité, d'un monde multipolaire.
J'aborderai pour conclure la préparation de la conférence de Seattle.
Pour simplifier , on peut répartir les positions en quatre catégories :
1) D'abord certains pays en développement, et surtout les moins avancés, qui restent en marge du système multilatéral.
Ces pays sont critiques à l'égard de l'OMC.
Ils considèrent qu'ils n'ont pas retiré les avantages escomptés du cycle de l'Uruguay et sont donc réservés quant au lancement d'un nouveau cycle de négociations multilatérales.
Nous devons donc à l'égard de ces pays examiner de près les problèmes de mise en uvre des accords qu'ils rencontrent, et les aider à devenir des acteurs à part entière du système commercial.
2) Un second groupe de pays en développement, qualifiés généralement de pays émergents, a commencé à s'insérer de façon positive dans les échanges internationaux.
Ces pays ont des intérêts marqués : l'agriculture, le textile, mais aussi un accès au marché des pays industrialisés pour des produits élaborés.
Ces pays sont soucieux de poursuivre la libéralisation qui améliore leurs capacités d'exportation.
Ils demandent aussi un système multilatéral fort et efficace, qui les préserve notamment des pressions unilatérales.
Ces pays sont parfois disposés à examiner l'élaboration de règles dans le domaine de l'investissement et de la concurrence.
Ils sont soucieux d'encadrer les instruments de défense commerciale et l'usage qu'en font des partenaires comme les Etats-Unis.
Ils restent opposés aux thèmes de l'environnement et des normes sociales, qu'ils continuent de percevoir comme des menaces protectionnistes de la part des pays développés.
Ils demandent du temps, des périodes de transition, mais ils sont conscients du fait qu'un système commercial renforcé est la meilleure garantie contre des acteurs trop puissants.
3) Un troisième cercle se détache également dans la préparation de Seattle.
Ce groupe met l'accent sur la poursuite de la libéralisation et limite son ambition à un cycle étroit centré sur l'accès au marché. Il souhaite que l'agriculture soit banalisée et traitée comme les produits industriels.
Ce groupe reste sceptique sur l'intérêt de compléter le cadre multilatéral existant afin de mieux réguler l'activité économique.
Enfin, le quatrième groupe, l'Union européenne et ses alliés, souhaite, vous le savez, un cycle large, une libéralisation maîtrisée, un renforcement du droit économique, la prise en compte des préoccupations de nos sociétés en matière d'environnement, de développement social et de sécurité alimentaire, enfin une meilleure cohérence entre les différentes organisations internationales.
Ce sont des objectifs ambitieux, que certains de nos partenaires considèrent comme des artifices pour allonger la durée du cycle. Nous devons sûrement mieux expliquer que ces différents thèmes ne sont pas des prétextes mais visent à rendre l'OMC plus légitime, plus efficace et donc profitable à tous.
Dans la préparation de Seattle, la difficulté, au demeurant classique dans les négociations multilatérales, est que lorsqu'un groupe commence à se rapprocher d'un autre, il s'éloigne en même temps d'un troisième.
Nous pouvons avoir par exemple des convergences avec les Etats-Unis sur l'environnement et le développement social, mais elles sont mal comprises des pays en développement. Si nous sommes plus ouverts à l'égard de ces derniers sur l'usage de certains instruments de défense commerciale, nous nous séparons des Etats-Unis . Et ainsi de suite.
Tout cela n'est pas inhabituel, mais un peu préoccupant à trois semaines de la réunion.
Les jeux sont encore ouverts : les Etats-Unis n'ont pas intérêt à un échec, ni les pays en développement ou les pays les moins avancés à différer les bénéfices qu'ils pourront tirer du lancement du cycle.
L'Europe est extrêmement solidaire et n'est pas isolée. Le Conseil affaires générales du 15 novembre fournira l'occasion d'un nouveau débat des Ministres de l'Union. Il sera l'occasion pour la France de rappeler à ses partenaires ses conceptions.
Il nous restera ensuite deux semaines pour que l'Union européenne joue le rôle qui doit être le sien comme premier acteur du système commercial multilatéral : celui d'un intercesseur entre les pays industrialisés et les pays en développement autour d'un système équitable.
J'espère qu'elle réussira à tenir ce rôle , mais nous veillerons , en tout état de cause, que ce soit sans sacrifier ses ambitions et ses intérêts.
Je vous remercie.
(source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 16 novembre 1999)