Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire PS à l'Assemblée nationale, à France 2 le 18 septembre 2002, notamment sur le projet gouvernemental d'aménagement de la loi sur les 35 heures, les débats au sein du groupe PS de l'Assemblée nationale et sur les risques de conflit en Irak.

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Texte intégral

F. Laborde - Le groupe socialiste se réunit en ce moment même à Paris pour préparer sa rentrée des classes, puisque la session parlementaire commence le 1er octobre. Ce sera l'occasion pour les socialistes et le groupe socialiste de retrouver une nouvelle combativité un peu perdue après la gifle électorale ?
- "C'est sûr qu'il y a eu un vrai flottement et un désarroi. Nous l'avons ressenti et l'opinion s'en est rendue compte en juillet, c'est bien normal. Mais là, nous sommes tout à fait déterminés. Il y a de quoi faire pour combattre la politique économique et sociale du Gouvernement ; l'actualité nous le rappelle dès les premiers jours de la rentrée parlementaire. Le Gouvernement va nous proposer un projet de loi de démantèlement des 35 heures."
C'est au Conseil des ministres d'aujourd'hui. F. Fillon présente le projet de réforme des 35 heures, avec le Smic - il y aura aussi le nombre de fonctionnaires. Mais il fallait faire quelque chose sur les 35 heures, on savait bien que la loi Aubry, telle qu'elle était faite, n'était pas totalement populaire.
- "Il faut toujours prendre du recul quand on affirme aussi vite certaines choses. Les Français vont vite se rendre compte que le Gouvernement va revenir en arrière et que cette grande réforme des 35 heures, qui a été une avancée sociale dont ne bénéficient pas tous les salariés français, cette grande avancée qui a aussi été le compromis social le plus important depuis trente ans, par les milliers de négociations dans les entreprises, le Gouvernement est en train de sonner le glas de cette réforme. Elle avait peut-être des défauts, il fallait peut-être la corriger, mais il ne s'agit pas de la démanteler."
Qu'est-ce qui vous choque le plus ? Trop d'heures supplémentaires autorisées ? Qu'elles soient rémunérées à 10 % au lieu de 25 % ?
- "De fait, les salariés n'auront pas le choix lorsqu'un chef d'entreprise demandera à ses salariés de faire des heures supplémentaires. Et comme le paiement de ces heures supplémentaire est très faible - il est diminué par rapport à ce qu'il était l'an passé, par rapport à ce que la loi sur les 35 heures avait prévu -, cela sera donc une régression sociale, cela va être le retour..."
Avec la loi Aubry, ils n'avaient pas non plus le choix. Les gens qui faisaient des heures supplémentaires et qui en tiraient des compléments de salaires, on leur a dit d'arrêter.
- "Il faut se rappeler d'une chose : les 35 heures ne pouvaient pas se mettre en place sans un accord, sans une négociation. C'est vrai qu'il y a eu beaucoup d'accords, des milliers de négociations, mais dans certaines entreprises, là où les syndicats étaient très faibles, les accords ont été négociés dans de mauvaises conditions. Donc là, il faut reconnaître qu'il y a un certain nombre de problèmes. Pour autant, il n'est pas nécessaire de tout casser. Ce Gouvernement, de fait, va augmenter la durée du travail alors qu'historiquement, on est passés des 40 heures aux 39 heures, aux 35 heures et là, on remonte, ce qui est une vraie régression sociale. N'oublions pas une chose : dans une période de remontée du chômage, toucher aux 35 heures telles que nous l'avions envisagé , qui avaient permis la création de 400.000, pour des raisons idéologiques, je trouve cela tout à fait irresponsable."
Est-ce que le gouvernement socialiste n'avait pas bénéficié d'une bonne conjoncture, avec 4 % de croissance en l'an 2000 ? On sait que ce ne sera pas aussi formidable cette année - on est à zéro et quelque pour-cent... Est-ce que ce sont les socialistes ou le gouvernement Jospin qui avaient créé cette conjoncture ou faut-il reconnaître qu'il y a un contexte international ?
- "Bien sûr qu'il y a un contexte international, mais il faut faire de bons choix politiques. Et la mesure fiscale qu'a pris le gouvernement Raffarin profite à une toute petite catégorie de Français, elle est injuste et n'a pas d'impact sur la croissance. Et puis, casser les 35 heures, ce n'est pas responsable. Remettre en cause les emplois-jeunes - des milliers de jeunes ont trouvé du travail, un travail utile -, c'est également irresponsable. Il y a aussi la remise en cause des CES, du programme TRACE pour les jeunes en plus grande difficulté... La politique de l'emploi du gouvernement Jospin qui avait marché, est remise en cause pour des raisons politiques, idéologiques. Cela met vraiment un doute dans l'esprit sur les capacités de J.-P. Raffarin à piloter la politique de la France."
Vous lui accordez quand même le crédit d'avoir gardé la Prime pour l'emploi pour les bas salaires ?
- "Bien sûr, c'est une réforme importante et heureusement, parce que sinon, là, pour le coup, c'est un recul terrible en arrière. Il ne s'agit pas d'être systématique et sectaire dans l'opposition, mais d'être intransigeant sur ce qui me parait nécessaire aux Français et au pays. Vous parliez des circonstances de 1997, où L. Jospin avait bénéficié d'une bonne conjoncture, sauf qu'il a su s'en servir par le pilotage de la politique économique, par la politique budgétaire, par la politique fiscale et par des mesures volontaristes. C'est le contraire qui se passe en moment."
Vous allez retrouver le plaisir des questions d'actualité, avec un Premier ministre qui n'est pas totalement habitué à l'exercice, puisqu'il n'a jamais été parlementaire. Vous allez préparer quelques piques, quelques pointes, quelques joutes un peu serrées ?
- "Nous jouerons notre rôle d'opposition : intransigeante sur ce qui nous parait essentiel pour la France, et en particulier pour les plus modestes, ceux que nous représentons à l'Assemblée nationale et qui attendent beaucoup de nous. Il n'y aura donc pas de complaisance de notre part. Nous sommes dans notre rôle d'opposition, même si nous devons aussi préparer notre projet pour préparer les futures alternances."
On a le sentiment que ça tangue au sein du PS ; quelques livres ont été écrits par des membres du parti et ils ne vous ont pas fait extrêmement plaisir... Où en êtes-vous aujourd'hui au sein du groupe ? Il y a toujours d'un côté, la gauche socialiste, moderniste, Emmanuelli, les autres ? Y aura-t-il une synthèse ?
- "Je veille à ce qu'au sein du groupe PS à l'Assemblée nationale, on ne soit pas prisonnier de ces jeux d'appareil, de ces postures archaïques, ces vieux clivages. Il faut les dépasser, parce que les questions qui nous sont posées après notre échec, mais aussi ce que les Français attendent pour l'avenir, la gauche doit faire preuve d'audace, d'imagination, en balayant ces vieux clivages, en sortant des jeux d'appareil ; c'est la tâche qui nous attend. Je souhaite que le PS se prépare, par le débat qu'il vient d'engager avec ses militants, avec les citoyens, avec la société, pour créer les conditions d'un projet audacieux mais un projet réformiste."
Il serait porté par qui ? C'est F. Hollande qui fera la synthèse ?
- "Je compte beaucoup sur F. Hollande pour mettre de l'air frais dans les pratiques internes du PS, pour faire monter des générations nouvelles, des représentants plus diversifiés de la société française, que l'on puisse bâtir un grand Parti socialiste, puissant, de gauche, populaire, humaniste et qui parle à la société tout entière."
Entre Emmanuelli d'un côté et L. Fabius de l'autre, une synthèse est possible ?
- "Il est important que nous sortions des synthèses artificielles, qu'on soit forcément obligés de se mettre d'accord sur tout. Il faut arriver à un discours clair. Cela doit d'abord passer par une phase d'écoute, une phase de proposition et une phase de décision. F. Hollande a choisi la bonne méthode, c'est-à-dire sans a priori vis-à-vis de tel ou tel, mais en allant au fond des choses et en ne le faisant pas repliés sur nous-mêmes mais avec les Français."
Concernant nos partenaires - notamment américains - et l'Irak, D. de Villepin a pris acte en disant qu'il fallait prendre aux mots S. Hussein. C'est une position sur laquelle le PS peut effectivement...
- "Oui, je note une clarification de la part de M. de Villepin,. Tant mieux, cela va dans le bon sens mais il faut aller plus loin : il faut dire clairement "non" à G. Bush, parce qu'on a le sentiment que les Américains veulent à tout prix faire la guerre en Irak. C'est extraordinairement dangereux. Un an après le 11 septembre, la coalition contre le terrorisme risque d'exploser, les ressentiments du monde arabo-musulman risquent de monter... Il y a trop de situations dangereuses ; je pense en particulier au conflit du Moyen-Orient. La tâche principale aujourd'hui, pour la communauté internationale, c'est de régler ces problèmes et aussi de donner un espoir aux peuples du Tiers-Monde en continuant la lutte contre le terrorisme - c'est essentiel - et non pas de se lancer dans une seconde guerre du Golfe. Pour y voir clair, au nom des députés socialistes, je demande un débat à l'Assemblée nationale."
Est-ce que ces députés UMP avaient raison d'aller en Irak ? S'il faut dire "non" à G. Bush, ce n'est pas plus idiot de se rendre sur place pour voir quelle est la situation ?!
- "Allez voir sur place, ce n'est ce qui me choque. Mais c'est le double langage : le Gouvernement et le ministère des Affaires étrangères étaient parfaitement au courant. Ce qui m'interpelle, c'est d'être allé là-bas à l'invitation de S. Hussein ; il y a un peu une opération de propagande. Mais en soi, je ne trouve pas choquant que des députés se rendre pour voir sur place. Ils sont plutôt dans leur rôle."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 18 septembre 2002)