Déclaration de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, sur la politique de la ville, notamment les rapports entre éducation et politique urbaine, dans le cadre des contrats éducatifs locaux et l'intégration sociale des jeunes, Saint Denis le 2 novembre 1999.

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Circonstance : Ouverture de l'université d'automne "Education nationale et politique de la ville" à l'IUFM de Saint Denis le 2 novembre 1999

Texte intégral

J'ai conscience de ne pas ouvrir aujourd'hui n'importe quelle formation, de celle qui, par exemple, réunirait des acteurs " monochromes ", venant tous de la même administration.
La gageure ici, comme dans toutes les formations liées à la politique de la ville, consiste à réunir des acteurs venus d'horizons très divers à l'image de la vraie vie, de la vraie ville. Vous représentez ici la palette d'acteurs très riche, qui ouvre au quotidien auprès des enfants et des jeunes. Vous venez de cultures administratives différentes et il est parfois difficile de vous mobiliser ensemble pour un travail commun. Et pourtant, c'est indispensable. En effet, sur le terrain, la politique de la ville a d'abord cette fonction fédératrice, cette force mobilisatrice pour faire converger les actions et les initiatives, afin de résister aux processus d'exclusion qui entraînent trop d'enfants et de jeunes vers l'échec.
Votre Université d'Automne " Education et politique de la ville " a été préparée avec les ministères de l'éducation nationale, de la culture, de la jeunesse et des sports, de la justice, avec le FAS, et bien sûr, avec la Délégation interministérielle à la ville. C'est déjà une réussite. Que des stagiaires de l'éducation nationale de fonctions aussi diverses que des proviseurs, principaux de collèges, membres des services du ministère, professeurs des écoles, coordonnateurs académiques, IPR-IA, coordonnateurs ZEP, professeurs CEFISEM, inspecteurs de l'éducation nationale, conseillers pédagogiques, conseillers principaux d'éducation, professeurs d'IUFM, aient la volonté de travailler pendant leur semaine de vacances est un signe très positif. Qu'ils le fassent avec des acteurs de la politique de la ville - chefs de projet, agents du développement social ou chargés de mission politique de la ville - mais aussi avec des éducateurs PJJ, des représentants des DRAC, ou des conseillers d'éducation populaire, cela augure de travaux fructueux, qui ne feront l'impasse ni sur les divergences ni sur la très grande complexité de la mobilisation à mettre en ouvre.
Lors de la rencontre des acteurs de l'éducation à Tours, au mois de mars dernier, j'ai eu l'occasion d'affirmer avec force que la tâche éducatrice est un des enjeux cruciaux pour le siècle à venir. En effet, il y des valeurs à questionner, des choix à faire et un effort de refondation pour que l'Education, comprise au sens large, permette de former tous les enfants dans une société plus juste.
Je ne peux pas admettre que certains soient laissés pour compte et qu'ils aient déjà perdu la partie avant de la commencer. Au contraire, je souhaite une éducation pleinement démocratique, pour que les enfants, éduqués ensemble, construisent leur ville et leur avenir ensemble.
Les futurs contrats de ville pour la période 2000-2006 devront être porteurs d'une vision large et novatrice de l'éducation. A cet égard, vos travaux contribueront, à la construction de projets éducatifs ambitieux pour nos villes.
Mais peut-être que la vraie question, la plus difficile à résoudre, celle qui nous vaut d'être ici aujourd'hui, est celle que posait déjà Marx : " Qui éduquera les éducateurs ? "
La formation des acteurs, mais aussi la juste valorisation de leur travail trop souvent déprécié, l'aide qu'on leur doit, est une mission récurrente pour laquelle il convient de se mobiliser. On demande beaucoup, toujours aux mêmes, et ils reçoivent peu. J'ai conscience de cette injustice et croyez que je m'en préoccupe. Je tenais donc, en guise d'introduction, à vous rendre hommage pour le travail quotidien que vous accomplissez au service de l'éducation des enfants de ce pays.
Je souhaite aujourd'hui participer à ma façon à vos travaux en les nourrissant des éléments d'information que je peux vous apporter, ceux qui sont liés aux chantiers du gouvernement en matière de politique de la ville.
Un des chantiers que j'entreprends, annoncé par le Premier ministre Lionel Jospin lui-même en septembre, consiste à repenser nos villes.
Rien ne sera possible si on ne répare pas les dégâts des années soixante qui virent la construction massive de près de deux millions de logements sociaux destinés initialement à être rapidement démolis, et qui au contraire installèrent la précarité au quotidien dans un environnement urbain de plus en plus dégradé.
L'heure n'est plus à la seule réparation, à la seule logique de réhabilitation. Ce ne sont pas des couches de peinture fraîche qui aideront les gens des quartiers à vivre une vie normale de citoyens. Ces habitants ont pu avoir le sentiment d'être méprisés voire abandonnés. Nous voulons au contraire qu'ils soient fiers d'habiter leur ville, qu'ils disposent de services publics de qualité, de moyens de transports dignes, de logements et de cages d'escalier propres, d'espaces extérieurs accueillants, de commerces de proximité. L'ambition doit être de grande ampleur. La ville doit être repensée, que ce soit en terme d'équilibre économique, de pratiques sociales ou de tranquillité publique. Elle doit aussi être repensée en terme d'éducation.
C'est cette nouvelle phase que j'appelle le renouvellement de la ville. L'Etat, les collectivités locales, les bailleurs sociaux, les propriétaires et les habitants eux-mêmes sont appelés à y participer activement.
Je veux marquer une rupture forte avec la logique ségrégative qui condamnent certains à ne plus pouvoir choisir leur lieu de résidence.
Les grands projets de ville devront donc être beaucoup plus que des grands projets urbains. Ils devront, au début du XXIème siècle, incarner une nouvelle philosophie de l'action publique, en mettant en ouvre une transformation de la ville sur la base d'un réel changement des rapports sociaux.
L'éducation, vous l'avez compris, prendra toute sa part dans un tel pari.
Dès le premier comité interministériel des villes de juin 98, j'ai décidé d'aider les communes les plus pauvres à réhabiliter des écoles primaires dans le sens d'une meilleure intégration à la vie de la cité. Les travaux commencent dans certains lieux.
Je veux souligner ici qu'une éducation de qualité pour tous les enfants n'engage pas seulement l'éducation nationale. L'éducation est une responsabilité partagée.
Les acteurs locaux doivent tous jouer leur rôle : parents, élus, services de l'Etat, associations. C'est en partageant bilans et initiatives que se construiront les projets éducatifs locaux de qualité que j'appelle de mes voeux.
Je voulais également vous parler de la circulaire " Education nationale et politique de la ville, pour la préparation et le suivi des contrats de ville " que j'avais mentionnée à Tours et qui a été signée par Ségolène Royal, Claude Allègre et par moi-même fin septembre.
Cette circulaire, très innovante et qui marque incontestablement une étape importante pour les acteurs de l'éducation, paraîtra au B.O. le 18 novembre. Elle a déjà été envoyée aux préfets.
Je ne vais pas me livrer à un commentaire de texte exhaustif, ni développer toutes les informations qu'elle contient, mais je vais en tracer les grands axes.
Pour lever les derniers freins au partenariat, que l'on peut encore constater ici ou là, cette circulaire réaffirme que l'Education nationale et la politique de la ville doivent travailler ensemble. Dans certains lieux cela semblera une redite, cependant tout va toujours beaucoup mieux en disant haut et fort : désormais la concertation EST le droit commun.
Les recteurs et les inspecteurs d'académie désigneront à cet effet un correspondant Education nationale chargé d'assurer la mise en ouvre et le suivi de chaque contrat de ville.
Vous connaissez tous le principal obstacle au changement, qui handicape souvent le travail sur le terrain, cette " éternelle " question chantée sur tous les airs, souvent reprise comme alibi pour éviter le travail partenarial : l'école doit-elle être ouverte ou fermée ? Même si les complaintes nostalgiques font encore quelques émules ; ce débat chronique, qui grippe trop souvent les efforts entrepris, devrait sensiblement s'atténuer.
Je cite cet extrait de la circulaire : " l'école a pour mission première la réussite scolaire et la qualification de tous les jeunes, mais elle ne peut atteindre seule ces objectifs " ; elle doit travailler avec le reste de la société.
L'école doit être un service public d'éducation fort, mais moderne et ouvert sur le monde.
Pour ce qui est des différents " emboîtements " entre les dispositifs, un paragraphe de la circulaire les élucide assez clairement. Il pose le contrat éducatif local comme un des éléments essentiels des volets éducation des contrats de ville, qui fédère autour d'objectifs partagés les actions qui seront conduites au titre du projet éducatif de la ville.
Je le reconnais, les outils pourraient être plus simples : Contrat de ville ; volet éducation ; contrat de réussite ; contrat éducatif local ; projet éducatif local ; la mauvaise humeur est parfois justifiée face à cette multiplication de termes et de dispositifs accumulés au fil du temps. Cependant, en prenant les choses avec calme, et il en faut, les résistances s'atténuent et partout où la concertation s'opère les résultats suivent.
J'insisterai sur la préservation ou le rétablissement de la mixité sociale, qui est déterminante pour une action éducative solidaire.
Les écoles à deux vitesses pour une société à deux vitesses, nous n'en voulons pas. Pourtant elles existent. L'évitement scolaire devient trop souvent la règle qui éjecte encore plus radicalement les plus pauvres dans des ghettos éducatifs. Partout où cela est possible, je souhaite que l'on organise, non pas une stratégie défensive de repli, mais au contraire une offensive d'excellence pour convaincre que le service public d'éducation peut faire face, quand il est de qualité, qu'il est soutenu par des projets éducatifs locaux efficaces et des partenaires déterminés.
Je terminerai par la question des " Nouvelles Chances " données aux jeunes.
Une chance toute la vie, secondes chances, nouvelles chances ou chance tout court, ne jouons pas sur les mots.
Un pays moderne n'organise pas l'éducation de ses enfants en séparant de façon radicale et définitive ceux qui ont réussi à l'école et les autres. Il doit donner une place à tous.
On est loin du compte. Voilà un chantier enthousiasmant pour les contrats de ville futurs : préparer des parcours de réussite pour tous les jeunes. Je le sais, c'est à cet objectif que vous travaillez tous.
Quelques mots encore concernant vos travaux d'ateliers, dont j'ai noté avec beaucoup d'intérêt qu'ils traiteront de thèmes qui me préoccupent particulièrement.
La langue d'abord. Dès ma prise de fonction, j'ai souhaité que cette question incontournable soit prise en compte et que l'on travaille à donner aux enfants des quartiers de la politique de la ville une chance de gagner la partie en leur donnant les mots pour le faire. Il ne suffit pas de faire des déclarations de principe pour y parvenir. C'est un plan d'urgence qu'il faut organiser. Le lien entre l'école et la ville prend là tout son sens. A l'école, comme le demande très précisément Ségolène Royal, mais aussi dans la ville, tout doit être mis en ouvre pour que soit corrigée cette injustice première, qui conduit des petits enfants à être en situation de communication difficile avant même d'avoir commencé à apprendre.
Partout où des initiatives pour donner la parole aux enfants, pour qu'ils apprennent à s'exprimer, qu'ils donnent leur point de vue sur la ville, la politique de la ville doit se mobiliser, que ce soit par le biais de radios locales, de journaux de quartiers, de classes de ville.
D'autre part, vous avez souhaité aborder la question des conduites à risques des jeunes, c'est effectivement une préoccupation que je partage.
L'ensemble du gouvernement a adopté un nouveau plan triennal de lutte contre les toxicomanies et de prévention des dépendances, élaboré sous la conduite de la Mission interministérielle.
Désormais, nous traiterons les toxicomanies en fonction de leur dangerosité, et non en fonction de leur seul statut légal. Certes, certaines drogues restent interdites, mais, les politiques de prévention seront menées également en direction des produits dangereux, bien qu'autorisés, au premier rang desquels l'alcool et les médicaments psychotropes. Or, nous savons combien l'usage excessif de boissons alcoolisées par les jeunes est un grave problème de santé publique aujourd'hui.
Deuxième évolution majeure : la prévention n'est plus conçue comme un bloc, et les notions d'usage, d'abus et de dépendance sont clarifiées. C'est par le prisme de ces notions que seront élaborées les politiques de prévention.
Dans le cadre de la politique de la ville, les contrats d'action de prévention, permettent le financement d'actions de prévention diversifiées, ainsi que d'actions de formation des acteurs. Je souhaite développer, pour la prochaine génération de contrats de ville, une approche plus territorialisée et plus proche des habitants, en soutenant les lieux de proximité, par exemple un point-écoute, un local associatif, une maison des jeunes, qui permettent la rencontre entre professionnels de terrain et habitants. Ces lieux de proximité doivent favoriser le dialogue, notamment avec les familles et les jeunes, souvent en difficulté face aux problèmes de toxicomanie.
Vous vous interrogerez également cette semaine sur les conditions d'accès à la citoyenneté et c'est un thème majeur en ce moment.
La citoyenneté ne peut se réduire à l'énoncé des droits et devoirs de chacun. Elle ne peut non plus se concevoir comme un simple statut juridique qui place l'individu en capacité d'exercer des droits.
Une des atteintes majeures à la citoyenneté, ce sont aujourd'hui les discriminations qui frappent particulièrement les habitants des quartiers populaires, les jeunes, et notamment les jeunes issus de l'immigration.
Aujourd'hui, ces discriminations touchent tous les actes de la vie quotidienne, elles sont même parfois le fait des services publics. Nous sommes décidés à nous y opposer fermement, car ces humiliations quotidiennes minent jour après jour le sentiment d'appartenance à la collectivité et alimentent la violence.
Mesdames et messieurs, je ne pouvais qu'esquisser à grand traits, dans un temps si court, les orientations du gouvernement en matière de politique de la ville et d'éducation.
Je remercie vivement l'IUFM de l'académie de Créteil d'avoir pris cette initiative. Je serai très attentif aux conclusions de vos travaux, soyez-en persuadés.
(Source http://www.ville.gouv.fr, le 6 décembre 1999)