Interview de M. Patrick Devedjian, ministre des libertés locales, à La Chaîne info le 25 septembre 2002, sur le projet de loi de finances pour 2003 et sur la préparation des lois de décentralisation.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser - Avant de parler de décentralisation, un mot sur le budget qui sera présenté ce matin en Conseil des ministres. Bruxelles ramène à 2006 le délai pour que les Etats européens équilibrent leur budget. C'est-à-dire qu'on peut augmenter un peu le déficit. C'est un réel soulagement pour la France ?
- "C'est une mesure réaliste surtout. C'est d'ailleurs un succès de la diplomatie française qui l'a bien fait comprendre à Bruxelles. Et puis, il faut tenir compte de la situation..."
Très mauvaise ?
- "Oui, elle est très mauvaise, bien sûr. Et donc, dans les situations mauvaises, il faut se donner le temps de rebondir. C'est d'ailleurs l'occasion de regretter que l'on n'ait pas profité des années de "vaches grasses" pour se mettre dans une situation meilleure que celle que nous avons aujourd'hui."
En même temps, est-ce bien raisonnable de tabler sur une croissance de 2,5 % pour le budget qui va être présenté aujourd'hui ?
- "Il faut bien partir d'une hypothèse, c'était celle de départ au moment où a été bâti le budget. On verra ce que sera l'année prochaine. Il y a des lois de Finances rectificatives. Et si la conjoncture est moins favorable, nous en tiendrons compte dans la loi rectificative."
Qui est prévue pour ?
- "Qui est prévue l'année prochaine."
Vous allez vous atteler à une grande tâche : la décentralisation. Actuellement, vous étudiez un projet de loi constitutionnelle, c'est-à-dire que la Constitution va être révisée... Pourriez-vous nous dire un mot sur les étapes ?
- "Les étapes : actuellement, le projet du Gouvernement est devant le Conseil d'Etat, qui va vérifier qu'il est cohérent, qu'il n'y a pas de contradiction avec d'autres textes constitutionnels. Puis il viendra devant le Conseil des ministres, le 16 octobre prochain, puis devant le Sénat en priorité."
Pendant que l'Assemblée débattra du budget ?
- "Oui, donc il viendra en première lecture au Sénat, le 29 octobre. Et nous espérons que l'examen constitutionnel sera terminé vers la fin de l'année. Dans le même temps, une grande concertation aura lieu dans les 26 régions de France, avec des assises des libertés locales, sous l'égide, en particulier, des présidents de région et des préfets de région."
Qu'attendez-vous de ces assises ?
- "Nous attendons la mise au point des transferts de compétences qui auront eu lieu une fois que la loi constitutionnelle sera adoptée, parce que nous avons besoin de transférer des compétences de l'Etat vers les régions, des départements vers des communautés d'agglomérations, vers les grandes communes. Comment ajuste-t-on cela et quelles sont les demandes ? Ces assises vont le faire apparaître."
Quand vous avez 1.000 personnes dans une salle, vous croyez que c'est très facile de dire les choses ?
- "Oui, parce que c'est organisé. Auparavant, il y aura des ateliers thématiques dans les départements préalablement ; dans les salles des assises régionales, il y aura deux tables-rondes. Le débat sera structuré, organisé avec les grands acteurs économiques, les grands élus, les grands partenaires sociaux de la région. Donc, bien sûr, ça fonctionne."
La révision proprement dite interviendrait au début de l'année prochaine ?
- "L'examen parlementaire se terminerait vers le début de l'année prochaine. A partir de là, nous avons un projet de loi organique qui viendra encadrer les droits nouveaux, très importants, ouverts par la Constitution. Et ensuite, nous aurons des assises nationales pour faire la synthèses des assises régionales. Puis, vers le mois de juin ou mai-juin, nous aurons à ce moment-là les lois ordinaires de transfert de compétences, qui attribueront tel ou tel domaine de compétence aux régions ou aux départements."
Il faudra un quinquennat pour mettre cette décentralisation en oeuvre ? Parce qu'en fait, on change complètement la structure du pays ?
- "Il ne faudra pas "un quinquennat". Il faudra, à la fois, moins de temps et plus de temps. Plus de temps, parce que nous instituons dans la Constitution un processus permanent de décentralisation. C'est-à-dire que c'est une décentralisation qui ne sera pas achevée. C'est un mécanisme d'adaptation à l'évolution de la société. Mettons un microprocesseur dans la Constitution, auquel on peut recourir régulièrement. C'est une novation constitutionnelle et on peut en permanence modifier l'organisation administrative française, en fonction de l'évolution des technologies, des aspirations des populations."
Est-ce que ce n'est pas une façon de ne pas faire le bilan, quand on dit que ça peut être modifié constamment ?
- "Je crois que nous aurons des résultats aussi spectaculaires assez rapidement. Je lisais dans les Dernières nouvelles d'Alsace, par exemple, que la population du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, à 70 %, aspire déjà à la fusion des deux départements. Jusqu'à aujourd'hui, c'est impossible, c'est techniquement, constitutionnellement impossible ; l'année prochaine, ce sera possible. On peut donc avoir des simplifications de structures. On a tellement dit que notre organisation administrative coûtait très cher, qu'elle était à plusieurs étages, que c'était un empilement..."
Cela va créer des distorsions terribles ! Vous parlez de la fusion des deux départements alsaciens qui fusionneraient eux-mêmes avec une autre région et puis il y aurait des petites régions, des grandes régions. Vous avez déjà tenu à dire qu'il y aurait une péréquation financière, parce qu'on ne peut pas défavoriser les plus pauvres au détriment des plus riches. Mais cela va quand même créer une certaine confusion si vous laissez...
- "La confusion, c'est aujourd'hui, c'est l'organisation foisonnante de l'administration que nous avons aujourd'hui, l'empilement administratif français. Avec ces outils, trois outils nouveaux dans la Constitution, le droit à l'expérimentation, le droit au référendum local, le statut particulier..."
On va voter sur n'importe quoi alors ?
- "Pas du tout, c'est très encadré. On va éventuellement voter sur l'évolution des structures, sur l'attribution des compétences. Par exemple, à Paris, on pourra fusionner le département de Paris, qui existe et qui génère une administration un peu coûteuse, en même temps que la commune de Paris qui est en parallèle."
C'est la même chose pour les régions : pourquoi garder régions, départements, communes ? Cela fait quand même beaucoup de monde.
- "Ils feront ce qu'ils voudront, ils auront la possibilité de faire évoluer leur organisation, la Constitution le permettra désormais."
On peut avoir des régions sans départements ?
- "Exactement, on pourra avoir des régions sans départements. Ce sera le statut particulier, la Constitution le prévoira désormais."
Vous pensez à la Corse ?
- "Tout est possible. En Corse, on pourra supprimer les département, si les élus le souhaitent, pour confier l'ensemble des pouvoirs à la région. Ce sera possible."
On sera loin de la République une et indivisible.
- "Au contraire ! L'unité n'est pas l'uniformité."
On a quand même mis huit siècles pour s'en apercevoir...
- "L'unité française est quelque chose de très solide. Elle a survécu à l'occupation étrangère et au séisme extraordinaire qu'a été la Révolution. Alors il ne faut pas nous faire croire que quelques aspirations à un peu d'oxygène local la menace."
C'est ce qu'on a beaucoup cru... Vous aviez dit en prenant vos fonctions que le bleu-marine reviendrait à la mode, en parlant de la police qui allait être plus nombreuse. Aujourd'hui, on reparle de la Maison bleue pour l'UMP...
- "Cela n'a pas grand-chose à voir avec la police !"
Je sais, mais le bleu est à la mode en France ?
- "Oui, le bleu a une forte connotation symbolique. J'encourage d'ailleurs à aller voir l'exposition de Matisse, parce que le bleu Matisse est très évocateur."
Ce bleu Matisse serait le bleu de la Maison bleue ?
- "Nous cherchons un nom qui parle, la Maison bleue est une piste qui a été donnée et qui n'est pas inintéressante d'ailleurs, même si par ailleurs, elle peut donner lieu à critique."
Elle n'a pas votre faveur ?
- "Je ne sais pas, je réfléchis."
(source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 25 septembre 2002)