Point de presse conjoint de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, et de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, sur l'élargissement de l'UE et la réforme de la PAC, les questions d'ordre international notamment l'Irak et les Balkans, Luxembourg le 22 octobre 2002.

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Circonstance : Réunion Conseil des Affaires générales/Relations extérieures à Luxembourg le 22 octobre 2002 consacrée à la préparation du Conseil européen de Bruxelles des 24 et 25 octobre 2002

Texte intégral

Le ministre - Comme vous le savez, notre Conseil Affaires générales d'aujourd'hui s'est concentré sur la préparation du Conseil européen qui se tiendra à Bruxelles à la fin de la semaine. L'élargissement est le principal sujet dont discuteront nos chefs d'Etat et de gouvernement. Il existe un vaste accord sur le schéma général de l'élargissement et je retiens quatre points principaux :
- Dix pays sont en mesure de conclure les négociations d'adhésion à Copenhague et d'adhérer en 2004.
- Pour la Roumanie et pour la Bulgarie, l'adhésion en 2007 est bien notre horizon.
- La Turquie, quant à elle, fait de gros progrès, mais ne remplit pas encore le critère politique. Le Conseil européen doit lui adresser un message clair d'encouragement.
- S'agissant de Chypre, il apparaît fondamental qu'un règlement politique intervienne avant Copenhague.
Nous avons trouvé aujourd'hui un accord sur les questions institutionnelles. Le Traité de Nice a prévu des dispositions pour une Union à 27 ; il fallait les adapter à notre format provisoire à 25. Cela concerne essentiellement le calcul du seuil de la majorité qualifiée - nous allons avoir une minorité de blocage à 90 voix - et le nombre de sièges au Parlement européen qui sera fixé au plus près possible du plafond de 732.
Le Conseil européen doit encore trancher les questions financières. Trois questions principales sont posées :
- Le montant du paquet financier qui est à prévoir, dans le respect du plafond fixé à Berlin.
- Deuxièmement, de quelle manière s'assurer que les nouveaux pays ne seront pas contributeurs nets. C'est un problème technique transitoire, car très rapidement, ces pays seront largement bénéficiaires nets du budget.
- Enfin, troisième et principale question, l'agriculture. C'est la question la plus difficile. Je voudrais rappeler la position de la France : refus de toute confusion entre l'élargissement et la réforme de la Politique agricole commune qui interviendra en 2006. Cela dit, nous comprenons la position de pays comme l'Allemagne qui ont un solde net très négatif. Nous sommes également bien conscients que l'élargissement nécessitera une discipline budgétaire rigoureuse. Nous sommes prêts à le dire dès Copenhague, à condition d'adopter une approche globale qui ne se limite pas à la seule agriculture. Elle implique un effort de maîtrise équivalent pour l'ensemble des dépenses et pour l'ensemble des politiques. Je redis qu'il ne saurait être question pour nous de faire de la seule dépense agricole, la variable d'ajustement de l'élargissement.
Deuxième grand sujet qui a été abordé aujourd'hui : Kaliningrad. En ce qui nous concerne, c'est à la fois un sujet que nous voulons aborder dans la perspective de l'élargissement et c'est en même temps une question qu'il faut régler au nom du partenariat stratégique entre l'Union européenne et la Russie. L'approche de la France vise à faciliter un accord entre l'Union européenne et la Russie lors du sommet du 11 novembre. D'énormes progrès ont été réalisés depuis deux mois et ce, grâce aux propositions de la Commission, aux efforts de la Présidence, à l'attitude très constructive de la Lituanie ainsi qu'à la position ouverte adoptée par la Russie. De mon entretien, le 17 octobre, avec le ministre des Affaires étrangères de Lituanie, je retiens que pour lui, il y a un point essentiel, c'est l'adhésion à Schengen dans les meilleurs délais possibles. La France soutient bien sûr cette ambition dans le respect des procédures. Il est important à mes yeux que l'étude de faisabilité des trains sans visa soit engagée le plus rapidement possible. C'est évidemment un signal très important adressé aux Russes.
Deux points que je voudrais également évoquer très rapidement.
Tout d'abord, la Côte d'Ivoire : vous avez vu qu'une déclaration a été adoptée à notre initiative, qui rejoint nos propres objectifs depuis le début de la crise, puisque cette déclaration insiste sur l'appui donné à la médiation africaine, appelle à un retour à la stabilité de la Côte d'Ivoire comme de l'ensemble de la région et soutient la recherche d'une solution politique, et en particulier de l'indispensable effort de réconciliation politique à faire en Côte d'Ivoire.
Ensuite, Berlin Plus. C'est une question qui a été abordée au dîner d'hier soir, où était présente Noëlle Lenoir. Quelles que soient les difficultés pour conclure un accord entre l'OTAN et l'Union européenne, il y a un besoin politique de maintien de présence internationale en Macédoine, et l'Union européenne, après ce qui a été dit à Barcelone et Séville, est désormais face à ses responsabilités. Nous rappellerons bien sûr cette nécessité d'une présence au Conseil européen de Bruxelles.
La ministre déléguée - Je voudrais rajouter quelques mots en ce qui concerne la journée d'hier ainsi que sur les discussions qui ont eu lieu au dîner également d'hier.
Pour ce qui est de la journée d'hier, on a bien entendu évoqué la question de la stabilisation dans les Balkans et également le renforcement de la concrétisation de l'accord de partenariat et de coopération entre la Russie et l'Union européenne qui est une de nos priorités, notamment en vue de la préparation du sommet Union européenne/Russie du 11 novembre prochain. Parmi les sujets majeurs qui font l'objet de la mobilisation de l'Union en vue d'une concrétisation de cet accord, il y a la lutte contre la criminalité et la lutte contre le terrorisme dans le cadre de la Justice et des Affaires intérieures, les échanges et un dialogue sur les grands enjeux mondiaux, notamment en matière d'énergie et des crises internationales.
Parmi les autres sujets, un autre a plus particulièrement fait l'objet de discussions, c'est les suites de l'attentat de Bali avec un souhait de la part de l'Union européenne de renforcer la réponse européenne dans la lutte contre le terrorisme. Cette réponse doit être globale et de long terme. Il a été décidé d'entretenir des liens plus forts avec les pays de l'Asie du Sud-Est pour les aider à surmonter leurs difficultés à lutter sur leur sol contre le terrorisme, avec l'envoi de missions de la Commission européenne et aussi une analyse approfondie des risques par pays pour précisément lancer des programmes d'aide en direction de ces pays.
Pendant le dîner, a été évoquée la question du Proche Orient avec d'une part, le souhait renouvelé de voir finaliser, dans les prochaines semaines la feuille de route du Quartette ; d'autre part, il a été pris acte, après la contribution européenne que vous connaissez, du dépôt d'une contribution américaine, qui est en accord avec l'objectif des Européens. Je rappelle que cet objectif est de voir une solution politique apportée au conflit, une solution suivant une démarche par étapes. On a maintenant tous les éléments de discussion nécessaires pour parvenir à une feuille de route du Quartette.
Voilà pour les principales questions qui ont été évoquées.
Q - Monsieur le Ministre quand vous parlez de Chypre et que vous dites qu'il est fondamental d'avoir un accord.... "fondamental" cela veut-il dire que c'est un préalable ?
R - Le ministre - Non pas du tout. Ce sont évidemment des questions que nous allons étudier et discuter à Bruxelles et jusqu'à Copenhague il ne s'agit pas du tout d'une question préalable mais d'une volonté. Il est important que nous essayons d'arriver à un accord parce qu'il s'agit là d'une question délicate et stratégique. Donc tout doit être fait pour se mobiliser et conclure d'ici Copenhague.
En ce qui concerne la deuxième question, nous allons en discuter et essayer de trouver la façon de bien marquer les efforts qui ont été faits par la Turquie notamment en ce qui concerne le dernier paquet qui a été particulièrement important. Il faut que nous trouvions le moyen de dire clairement aux Turcs qu'ils sont dans la bonne voie et nous souhaitons les encourager.
Q - La Présidence danoise a donné l'impression qu'elle souhaitait prolonger le Conseil européen pour avoir un accord sur les trois points et inclure des discussions sur le Pacte de stabilité. Est-ce que cela vous semble possible ?
R - Le ministre - Il y a sûrement suffisamment de questions à l'ordre du jour. Donc je ne crois pas qu'il soit souhaitable d'en rajouter de supplémentaires, d'autant que sur ce point là, je crois que tout le monde est largement d'accord sur la nécessité de respecter le Pacte de stabilité. Sur les délais et la durée du Sommet de Bruxelles, je crois que nous apprécierons évidemment l'importance de la tâche mais je ne vois pas de raison, à ce stade, de prolonger ce qui ne pourra pas être réglé à Bruxelles et devra l'être d'ici Copenhague, et à Copenhague. J'espère bien évidemment que la plus grande partie de la tâche pourra être effectuée, débroussaillée, dès le Conseil européen de Bruxelles.
Q - Vous avez insisté sur la nécessité de ne pas créer de confusion entre l'élargissement et la réforme de la PAC. En mettant la question du rabais britannique sur la table, est-ce que ce n'est pas la meilleure façon de ne pas aboutir à un accord en quelque sorte ?
R - Le ministre - Je crois que, en évoquant cette question ce matin, avec le Premier ministre Rasmussen, le président a voulu marquer clairement le souci français de maîtriser la dépense. C'est là un objectif majeur et s'agissant de maîtriser la dépense, il est important que nous maîtrisions tous les éléments de la dépense du budget européen et que nous maîtrisions toutes les politiques. Il s'agit donc tout simplement d'affirmer la nécessité d'avoir une vision globale dès lors que cet objectif nous apparaît clairement dans la perspective de l'élargissement et dans la perspective de nous imposer une discipline budgétaire plus stricte qui est évidemment une nécessité."
Q - Est-ce que d'autres pays partagent cette approche ? Est-ce que vous en avez parlé aujourd'hui, et est-ce que d'autres pays disent aussi effectivement qu'il faut remettre cela sur la table ?
R - Le ministre - Nous sommes en train de rechercher une solution. Un certain nombre de pays posent la question de la Politique agricole commune et nous souhaitons donc, dans ce contexte, que tous les paramètres soient intégrés et que l'on ne se concentre pas sur la seule Politique agricole commune, oubliant qu'il y a d'autres éléments très importants dès lors que l'on parle des budgets de l'Europe. Donc, il s'agit uniquement de prendre la mesure des enjeux dès lors que l'on recherche une solution qui puisse être acceptable pour tous, que l'on recherche effectivement à réfléchir à l'ensemble des moyens qui sont aujourd'hui disponibles. Qu'un effort soit fait collectivement paraît la moindre des choses, chacun est concerné, c'est un problème collectif, et les principes mêmes qui doivent fonder notre approche budgétaire, les principes d'équité, les principes de responsabilité, le principe de globalité, doivent être évidemment au rendez-vous. C'est bien dans cet esprit positif et constructif que la France veut aborder ces dernières négociations.
Q - Cela veut dire que si on parle du rabais britannique, on parle de la PAC ? On attendrait donc 2006 aussi pour parler du rabais britannique ?
R - Le ministre - Le président de la République en a parlé ce matin avec M. Rasmussen, nous en parlons avec nos amis allemands. Il est donc important, dès lors qu'on veut évoquer l'une de ces questions, que nous parlions de l'ensemble de ces questions.
Q - Mais vous voulez un compromis sur le rabais britannique ?
R - Le ministre - Ce que nous voulons, c'est lever les dernières hypothèques et faire en sorte que l'élargissement puisse se passer dans de bonnes conditions. Dès lors qu'il y a un certain nombre de questions et d'interrogations qui surgissent autour de la table sur la Politique agricole commune, qu'il faut prévoir un certain engagement, qu'il faut se fixer des objectifs, eh bien, traitons l'ensemble de ces questions, sachant bien évidemment que tout cela vaut pour après 2006.
Q - Mais Monsieur le Ministre, le problème agricole actuel, c'est-à-dire le différend sur l'opportunité de verser des aides. Comment pouvez-vous jouer à la fois sur le fait de convaincre les Allemands et certains de nos partenaires d'accepter les versements immédiats en leur proposant quelque chose, qui, budgétairement, prendra effet après 2006 ?
R - Le ministre - Je crois que l'équation qui pourrait servir de base à un compromis a été posée lors du dîner franco-allemand de Hanovre le 7 septembre et dans lequel, d'un côté la France a marqué sa compréhension pour les problèmes budgétaires de l'Allemagne et de l'autre, l'Allemagne a bien compris la position de la France qui consiste à refuser d'anticiper sur la réforme de la Politique agricole commune avant 2006. Il y a là les deux éléments qui peuvent permettre de rapprocher les points de vue. Une fois de plus, dès lors qu'il s'agit de parler de maîtrise comptable, de maîtrise de la dépense, il est important que l'on prenne en compte l'ensemble des paramètres de cette dépense, c'est une question de bon sens.
Q - Sur l'Iraq, si je comprends bien, les Américains ont fait circuler une proposition parmi les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité. Pouvez-vous en parler plus ? Les Français et les Américains sont-ils maintenant sur la même longueur d'onde ?
R - Le ministre - Comme vous le savez, les discussions se tiennent depuis plusieurs semaines, depuis le mois de septembre, à New York, et le principe d'une approche en deux temps fait maintenant l'objet d'un large consensus au Conseil de sécurité et au sein de la communauté internationale. Nous venons en effet de recevoir un texte révisé de la part des Américains et nous sommes en train de l'examiner avec le souci de parvenir à un équilibre d'ensemble qui soit acceptable pour l'ensemble des parties. Des progrès sont encore nécessaires et nous avons donc encore beaucoup de travail à faire. Nous sommes déterminés à poursuivre l'examen de ce texte dans un esprit constructif et dans le respect des principes qui sont les nôtres, car vous savez que nous sommes guidés dans ce dossier de l'Iraq par trois principes fondamentaux. Le premier, c'est de maintenir l'unité du Conseil de sécurité et la très large unanimité de la communauté internationale et jusqu'à maintenant, cela a été le cas. Notre deuxième principe fondamental, c'est le principe de légitimité : nous pensons que nous sommes plus forts si nous sommes capables d'inscrire notre action dans le cadre du Conseil de sécurité, dans le cadre des Nations unies. Il y a là une légitimité de l'action de la décision de la position internationale, dès lors qu'elle s'exprime au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Le troisième principe, c'est le principe d'efficacité. Il faut à chaque étape se poser la question de savoir comment nos messages, comment nos décisions peuvent véritablement être les plus efficaces, compte tenu de l'objectif qui est le nôtre. Et je vous rappelle que notre objectif, comme celui de la majorité de la communauté internationale, c'est bien le retour des Inspecteurs des Nations unies et c'est bien l'élimination des armes de destruction massive et non pas un changement de régime en Iraq. C'est dans ce contexte que nous abordons l'examen de cette résolution, qui a été présentée, comme cela a été dit, aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité.
Q - Il est donc impossible de dire maintenant si vous êtes satisfait de ce texte... ?
R - Le ministre - Je l'ai dit, il reste beaucoup de travail à faire et des progrès sont absolument indispensables pour que l'on parvienne à un accord au Conseil de sécurité.
Q - Monsieur le Ministre, le fait qu'un sommet franco-allemand se tienne quelques heures avant le début du Conseil européen signifie-t-il que la France et l'Allemagne vont tenter de présenter à leurs partenaires, dès le premier Conseil une proposition commune ?
R - Le ministre - Notre souhait, nous l'avons dit c'est de parvenir à un accord le plus vite possible. Si c'est possible à Bruxelles, tant mieux évidemment, sinon il faudra le faire d'ici Copenhague.
Q - Sur les clauses de sauvegarde, Monsieur le Ministre, pensez-vous que le champ d'application proposé est suffisant, ainsi que la période prévue, ou bien serez-vous sensible à la position d'autres Etats membres qui veulent élargir ces clauses à d'autres domaines de l'acquis communautaire ?
R - Le ministre - Nous pensons que ces clauses de sauvegarde sont satisfaisantes, à la fois pour ce qui concerne le marché intérieur et pour ce qui concerne les questions de justice, affaires intérieures. Il s'agit là évidemment d'une question de confiance entre les pays membres de l'Union européenne et les pays candidats.
Q - Monsieur le Ministre, une petite précision. Tout à l'heure, quand vous avez cité la deuxième question qui reste en suspens dans le cadre de l'élargissement, vous avez parlé des corrections des soldes nets des contributions pendant une période transitoire. Est-ce que vous comprenez là dedans aussi la correction du "manque à gagner" qu'il y aurait pour les nouveaux entrants ?
R - Le ministre - Notre idée, c'est que l'ensemble de ce que toucheront ces pays, ne doit évidemment pas être inférieur à ce qu'ils perçoivent aujourd'hui et ne doit pas compromettre leur situation par rapport à la situation actuelle.
Q - Encore une précision à propos du rabais britannique. Le rabais britannique est aujourd'hui moins justifié qu'hier, a dit le chef de l'Etat...
R - Le ministre - C'est une décision qui avait été prise en 1984, donc dans un autre contexte.
Q - Est-ce que cela veut dire que pour la France il faudrait purement et simplement qu'il n'y ait plus de rabais britannique ?
R - Le ministre - Il s'agit une fois de plus, le président l'a dit, d'examiner la situation dans la perspective qui est la nôtre de la maîtrise de la dépense budgétaire. Il est normal que l'on prenne en compte l'ensemble des paramètres qui constituent ce budget. Une fois de plus l'objectif est simple, c'est la maîtrise des dépenses. A partir de là, donnons-nous les moyens d'arriver à une situation qui soit satisfaisante pour l'ensemble de nos partenaires. Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 octobre 2002)