Texte intégral
A. Duhamel : L. Jospin, Monsieur le Premier ministre, bonsoir !
- "Bonsoir."
A. Duhamel : Merci d'avoir accepté cette invitation du Club de la presse. Merci d'autant plus que vous n'abusez pas des émissions audiovisuelles et que nous nous félicitons de bénéficier de cette rareté.
Merci aussi parce que vous intervenez à un moment qui est intéressant, parce qu'une saison s'achève et qu'on vous demandera certainement d'en dresser le bilan ; parce qu'une autre se profile et qu'on voudra savoir ce que sont vos objectifs ; parce que la gauche a laissé apparaître quelques fissures récemment ; et aussi parce que la cohabitation passe pour se dérouler assez bien, en tout cas, votre image et celle de J. Chirac - ce qui est rare - sont bonnes en même temps.
On vous interrogera beaucoup sur vos réformes, vos objectifs dans le domaine social, économique, dans le domaine de l'ordre et de la sécurité ; et aussi les difficultés de la modernisation politique. Si on le peut, on vous posera une ou deux questions, à la fin, sur l'Europe sociale."
J.-P. Elkabbach : Question cocorico : avec le Mondial, les Français sont en train de vivre dans l'euphorie. Leur pays s'est organisé un événement mondial, et ils adhèrent à une équipe qui est plurielle, solidaire, qui est en train de réussir. Continuez-vous - Aymé/Jospin - à croire que la France arrivera en finale et qu'elle gagnera ?
- "C'est beaucoup de chance, parce qu'on organise un événement sportif mondial, qui est donc un événement médiatique mondial dans un stade magnifique avec des publics sympathiques - à quelques exceptions près : on pourra en parler. Et si, on n'avait pas, en ce même moment, une équipe de France à laquelle on puisse s'identifier, il manquerait quelque chose à la fête. Et qu'il y ait à la fois cet événement et cette équipe formidable - c'est-à-dire qui utilise pleinement ses moyens, tout en ayant une conscience intelligente de ses limites ; et ça, je crois que c'est Jacquet effectivement ! - Lionel-Jacquet hein, va-t-on dire ! -, qui a su le faire - ça fait que tout le monde, d'une certaine façon, est heureux."
A. Duhamel : Votre ministre et ami D. Vaillant, dans le Journal du Dimanche, ce matin, disait que vous étiez un petit peu le Zidane de la politique, parce que vous jouiez en avant et que vous jouiez collectif. Vous vous sentez un peu le Zidane de la politique en ce moment ?
- "J'ai commencé ma carrière sportive - qui a été assez longue - au foot, mais goal. Donc, je ne peux pas être un numéro dix. Mais la comparaison sportive, faite par D. Vaillant, n'est pas fausse..."
C. Nay : Il donne des coups de savate, aussi Zidane.
- "Je suis un chef d'équipe, c'est sûr. Alors ça peut-être un mélange... je suis un entraîneur-joueur, disons, voilà ! La place de Jacquet et de Zidane. Et d'ailleurs ce que j'ai trouvé formidable aussi dans la façon dont la France est unie autour de cette équipe, c'est que cette équipe était extraordinairement diverse, représentative de cette diversité de la France. Du point de vue de l'identification à des types d'hommes, à des types de cultures, et en même temps à une unité qui est pour moi la République, je trouvais que c'est une chance formidable. Et quand je voyais, le soir de la victoire contre nos amis italiens, ce qu'on appelle des blacks et des beurs, avec des drapeaux tricolores chantant la Marseillaise, et qui se réjouissaient, ça aussi ça me paraissait être des images opportunes dans la période où nous sommes."
B. Frappat : Est-ce que cette identification ne vous paraît pas excessive ? Parce qu'on pourrait très bien faire l'hypothèse de la défaite, et à ce moment-là l'identification pour le pays sera extrêmement cruelle. Est-ce que la décharge émotionnelle actuelle ne vous paraît pas disproportionnée par rapport à l'état du pays ?
- "Non ! Parce que tout le monde est conscient - l'état du pays on en parlera après - parce que, à quelques égards près, il me semble qu'il y a dans cette capacité de l'équipe de France - entendu dans tout ses sens : sportif et national - à dépasser ses limites, à reprendre un chemin en avant, quelque chose d'une coïncidence qui peut nous frapper. Nous sommes conscients que cette équipe a dépassé ce qu'on la croyait capable de faire. Elle est capable d'aller en finale, et de gagner en finale. Elle peut se faire battre mercredi par la Croatie, mais je pense que tout le monde comprend qu'elle a rempli son contrat.*
Si j'ai une tristesse à exprimer - à ce stade, parce que tout n'est pas fini, et je ne pense pas seulement à des aspects sportifs, il y a des aspects de sécurité nombreux auxquels le Gouvernement a veillé, et notamment J.-P. Chevènement, de très près depuis toutes ces semaines - j'ai deux tristesses : une, sportive et de cordialité, c'est le fait que F. Sastre, le co-organisateur avec M. Platini de cette Coupe du monde, soit mort au moment même où cette Coupe commençait. L'autre chose, c'est que D. Nivel, qui est un gendarme qui a été assassiné, massacré par des lâches, par des racistes... (inaudible) s'appliquant à ce jeune gendarme, mais par leurs autres comportements - et qui continue de lutter contre la mort. Ca c'est évidemment une tache noire sur cette Coupe. Mais comment l'évitez ?"
S. July : Le retrait du projet de réforme de la loi électorale européenne : est-ce que vous interprétez cela comme une crise de votre majorité, de votre équipe plurielle ?
- " Non, ce n'est certainement pas la première leçon qu'il faut tirer de cette épisode."
S. July : Est-ce que c'est un rejet général ?
- "C'est à mon avis, et je le regrette, la marque d'un certain conservatisme de la classe politique française, devant l'idée d'une réforme des institutions politiques, d'une modernisation de nos attitudes et de nos moeurs."
J.-P. Elkabbach : Et pourquoi y renoncer alors ?
- "Monsieur Elkabbach, je croyais que vous aviez - observateur sagace - la réponse avant de me poser la question. Il n'y a pas de majorité possible à l'Assemblée nationale pour un tel texte. Je le constate. Nous sommes dans un système parlementaire, et je retire ce texte puisque je sais à l'avance par les comportements et les annonces des forces politiques, que ce texte ne passera pas.
Chacun a son explication. L'opposition dit que c'est parce que - étant l'opposition - elle doit s'opposer, sans se préoccuper du fait que le Président de la République qui est le leader de son camp, était pour. Il s'est le premier exprimé dans cette affaire. D'une certaine façon, j'ai poursuivi, même si c'était mon idée, l'idée du Parti socialiste. Deuxièmement, nous avons eu le soin, par souci consensuel, de partir d'un texte, d'une proposition qui avait proposée par un ancien ministre du gouvernement précédent et signée par soixante députés RPR - M. Barnier, ministre des Affaires européennes. De bonne foi ! car j'ai abordé ce sujet de bonne foi. Peut-être serai-je plus attentif la prochaine fois, mais de bonne foi ! Compte tenu de ce que vous aviez écrit au lendemain des élections européennes à propos du mode de scrutin pour les européennes, dont je vous fais remarquer que sa réforme, qui faisait le consensus absolu me disait-on ; à tel point, vous vous en souvenez Monsieur July, que certains d'entre-vous, y compris vous, regrettiez que je ne l'ai pas fait avant les élections européennes. Vous avez malheureusement la réponse après. C'est que ce texte à l'Assemblée nationale est passé de très peu. Et pour le moment, nous n'en sommes qu'à la première lecture.
Nous pensions tous qu'il y avait une sorte de consensus sur l'idée de réformer le scrutin européen pour faire que, dans des très grandes circonscriptions - non pas des régions, [mais] des très grandes circonscriptions - justement pour tenir compte de la représentation des petites formations politiques, parce qu'elles y trouvaient leur place dans de très grandes circonscriptions, - sept en métropole, une pour l'Outre-mer - nous pouvions rapprocher les candidats des électeurs. Car, une des raisons de l'abstention massive au moment des européennes est liée sans doute à l'Europe, au rapport à l'Europe, mais est liée au fait qu'une liste de 87 noms dont on ne connaît généralement que le premier ou la première, n'entraîne pas. Je voulais changer cela. Toutes les forces politiques semblaient d'accord à droite, elles ont dit non par esprit d'opposition et - j'y reviendrai, si vous le voulez, plus tard..."
S. July : Vous avez eu l'occasion d'en parler avec le Chef de l'Etat ?
- "Oui, bien sûr, oui. Dans la journée même où j'ai retiré mon texte."
S. July : Est-ce que le Chef de l'Etat et vous-même, vous pensez introduire un recours, procéder autrement, ou vous abandonnez le terrain sur cette loi ?
- "Quant à la majorité, parce que je ne voudrais pas dire que seule l'opposition est en cause dans cette affaire. Ce serait de ma part, ce qui pourrait vous apparaître comme une habileté. Un certain nombre de partis de la majorité ont estimé que ce mode de scrutin ne servirait pas leurs intérêts électoraux, et on cru que nous le faisions passer parce qu'il servirait les intérêts électoraux du PS. Je crois que cette analyse est fausse. Et je donne rendez-vous à tous, aux élections européennes de 1999, je pense que certains - on murmure parfois que c'est ce qu'ils disent en privé - auront peut-être lieu de regretter de ne pas avoir voté ... (Inaudible). Il y a eu un refus, et ce qui m'importe c'est que la classe politique française, y compris mes amis, acceptent sur d'autres sujets - il va y avoir le projet de loi sur le cumul des mandats, il est passé en première lecture, il doit passer au Sénat ; il va y avoir l'instauration de la parité entre les hommes et les femmes dans la Constitution ; il va y avoir la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, les réformes de la justice - j'espère que ces démarches réformatrices du Gouvernement pour rénover nos institutions et nos moeurs politiques, ne seront pas freinées. Voilà ce que je souhaite."
C. Nay : Ce couac dans votre majorité plurielle, vous ne l'aviez pas vu venir, franchement on savait très bien que les communistes, les Verts étaient contre.
- "Pour moi, c'est un épisode. C'est un regret que j'ai pour un progrès démocratique dans notre pays, mais c'est pour moi un épisode. Vous savez ce qui est essentiel dans cette affaire - je crois aussi que c'est que les Français pensent - c'est ce que nous sommes en train de faire dans le domaine de l'économie, du social, sur d'autres terrains. Et pour faire référence à ce que disait Monsieur B. Frappat tout à l'heure, je pense que les Français peuvent se dire aujourd'hui : ça va mieux. Ca c'est important ! Ca va mieux.
Si vous regardez quelle était la situation il y a un an et demi, nos concitoyens étaient désorientés, étaient presque interloqués par la politique que leur proposaient les dirigeants d'alors. Ils ne voyaient pas le rapport entre ce qu'on leur avait dit dans la campagne présidentielle et la politique qui était conduite. Au moins, peut-on dire aujourd'hui, un peu plus d'un an après la prise de responsabilités par la nouvelle majorité et le Gouvernement que je dirige, qu'il y a un rapport entre ce qui a été dit et ce qui est fait. C'est bien la politique qui a été annoncée, qui est conduite. Il y a donc une lisibilité de la politique. Si j'ajoute que nous nous efforçons de gouverner sérieusement, c'est-à-dire à la fois de gérer le pays parce que c'est notre tâche, et en même temps d'exprimer la volonté nécessaire pour avancer sur des dossiers décisifs - souvenez-vous cette phrase célèbre de F. Mitterrand avec laquelle j'avais d'ailleurs pris ma distance, à propos du chômage, disant : on a tout essayé - ; eh bien, nous, nous avons essayé encore, considérant que c'était possible. C'est les mesures sur la diminution du travail, c'est les emplois-jeunes, naturellement c'est toute la politique..."
S. July : La diminution du temps ! de travail.
- "Le passage à 35 heures, diminution du temps de travail ; ce sont les emplois-jeunes ; c'est tout l'effort dans les nouvelles technologies ; c'est la politique européenne ; et c'est naturellement la façon de conduire la politique économique pour accompagner la croissance, et je dirais même, la créer."
J.-P. Elkabbach : Vous ne vous demandez donc pas, chaque matin, avant chaque grande décision, chaque réforme, comment vont voter ou suivront vos alliés. Jusqu'où vous leur laissez une liberté d'expression et d'action dans leurs domaines, tout en restant vos alliés ?
- "Je crois que c'est environ 46 projets de loi qui ont été votés depuis un an. Entre parenthèses, c'est quand même un travail important et sérieux sur des champs fondamentaux, économiques et sociaux : la loi sur les exclusions qui va reprendre en deuxième lecture. La loi sur les 35 heures qui a été promulguée par le Président de la République le 13 juin ; les décrets d'application étaient prêts, les circulaires étaient prêtes. M. Aubry et le ministre de l'Economie et des Finances veillent à ce que les négociations désormais s'ouvrent partout avec les entreprises, parce que c'est ça notre démarche. La loi permettant la mise en place des emplois-jeunes. Nous sommes arrivés déjà, environ à 100 000. Et ça joue un rôle important - pas exclusif - mais important dans la baisse très forte du chômage des jeunes depuis sept mois. Puis, un certain nombre de mesures sur le plan des réformes institutionnelles ; je pense aux réformes sur la justice, je pense au code de déontologie dans la police. S'attaquer de près à des dossiers essentiels : M. Aubry aura l'occasion demain, avec B. Kouchner de dire quelles seront les mesures que nous allons proposer, et la démarche, pour éviter la dérive des dépenses de santé - peut-être voudrez-vous y revenir.
Demain D. Strauss-Kahn sera au Conseil de l'Euro qui va tenir sa deuxième réunion. Cette instance existe parce que la France l'a voulu, avec le nouveau Gouvernement, pour faire une instance de coordination des politiques économiques puisque nous aurons une monnaie unique. Nous travaillons le futur sommet de Vienne européen sur l'emploi - là encore des sommets sur l'emploi ! C'est le nouveau Gouvernement qui l'a proposé à nos partenaires. On a, en Europe, non seulement une perspective de croissance plus forte, un retour à un certain optimisme, une différence qui s'instaure et qui fait dire aux gens : après tout, notre modèle économique et social, fait d'équilibres, qu'on disait archaïque, il tient peut-être mieux la route que le modèle des nouveaux dragons, avec la crise asiatique. Mais, un certain nombre des thèmes que l'on discute aujourd'hui dans les sommets européens - l'emploi, la croissance économique, un certain équilibre entre le social et l'économie - c'est le nouveau gouvernement français et quelques autres partenaires naturellement, qui a contribué à relancer ces thèmes. Vraiment, on est en action dans tous les domaines, avec une volonté qui, naturellement, ne nous affranchit pas de la connaissance du réel : les contraintes de la compétition, de la globalisation. Voilà un peu comment on essaye d'agir."
C. Nay : Vous dites : Ca va mieux, et c'est le sentiment général. Il n'empêche. Les Français commencent à se poser une question vous concernant. Vous venez de donner l'arbitrage pour le budget 1999, et vous avez décidé que les dépenses publiques augmentaient de 1 %. C'est peu vous me direz, mais c'est beaucoup quand certains disent : est-ce qu'on ne va pas recommencer l'expérience 1988, où il y a eu un temps de croissance, avec M. Rocard, et il n'en a pas profité pour faire les réformes de structures qu'ont fait tous les autres pays européens - concernant les retraites, le poids du service public - et que la France ne fait pas, et elle prend du retard ? Voilà la question qu'on se pose.
B. Frappat : 1 % de plus que l'inflation.
C. Nay : Voilà.. Précision de B. Frappat
- "Je ne le pense pas mais la réponse sera apportée par l'avenir. Donc là nous sommes tous en interrogation. Moi je ne le crois pas. C'est-à-dire que je pense que notre politique va réussir. Pourquoi nous avons fait ce choix ? Effectivement, j'ai signé aujourd'hui même, ce dimanche, après une dernière réunion avec les ministres compétents, les lettres plafond comme on dit. C'est-à-dire les lettres que j'envoie à chacun des ministres pour leur dire : voilà - après les arbitrages budgétaires auxquels ils ont été totalement associés, parce que c'est la méthode de ce Gouvernement -, voilà l'enveloppe à l'intérieur de laquelle vous devrez travailler. Et puis il font naturellement des choix libres, en collaboration avec le ministère du Budget et avec le ministère de l'Economie et des Finances. Nous avons décidé une augmentation d'1 % en volume des dépenses au-delà de l'inflation. Ce qui est une augmentation modérée, mais peut-être un tout petit peu plus forte que certains de nos partenaires.
B. Frappat : C'est 16 milliards de francs, 1 %.
- "Oui. Dans le même temps, dans le même temps, nous avons veillé à réduire - conformément aux obligations de la monnaie unique et des critères dits de Maastricht -, veillé à réduire nos déficits publics. Et nos déficits publics pour le budget 1998 étaient prévus à 3 % de la richesse nationale, de ce qu'on appelle le PIB. [Nos déficits publics] vont être réduits - déficits locaux, déficits de l'Etat, déficit de la Sécurité sociale, parce que tout ça va ensemble - vont être réduits à 2,3. Donc nous opérons en même temps une vraie décélération. Nous tenons à réduire le déficit budgétaire pour ne pas nourrir la dette - qui pèserait sur nos enfants. Mais pourquoi néanmoins n'avons-nous pas voulu réduire les dépenses, les mettre à zéro ou les réduire ? Parce que, en raison je crois de la politique menée par nos prédécesseurs, qui par leur politique économique ont deux fois cassé la reprise - M. Balladur en 1994, et M. Juppé après 1995, en contradiction avec la politique annoncée dans la campagne présidentielle -, ont mis la France en léger retard, de cycle comme on dit, par rapport aux autres pays. Et donc, je pense qu'il faut consolider la croissance ; être bien sûr qu'elle est là, avant de se dire déjà qu'étant-là on peut prendre des mesures d'équilibre. Donc nous essayons de maintenir les deux choses ensemble. Je crois que cette politique est sage. Mais l'année prochaine, pour le budget de l'an 2000, nous allons poursuivre la diminution des déficits publics. C'est nécessaire effectivement pendant cette période de croissance."
B. Frappat : Deux questions très précises à propos du budget 1999 : est-ce que, oui ou non, la question des fonds d'épargne-retraite sera, figurera, dans le projet de loi sur le budget 1999 ? Ce qu'on appelle à droite, les fonds de pension, et à gauche, les fonds d'épargne-retraite. Et deuxième question : est-ce que la pression fiscale diminuera en 1999 ou bien est-ce qu'il faudra encore attendre l'an 2000 comme j'ai cru le comprendre à l'instant ?
- "D'abord pour la pression fiscale, c'est une réponse qui ne peut-être abordée qu'à la fin de l'année. Ce n'est pas parce que vous prenez des engagements dans un budget que vous êtes sûr du résultat sur la pression fiscale. En fonction de la croissance économique, vous pouvez avoir plus de rentrées fiscales. D'un côté ça vous aide à faire votre budget - vous avez un moindre déficit -, d'un autre côté, si ça rentre mieux, d'une certaine façon, la pression fiscale peut apparaître comme plus forte. La croissance aidant, ça va. L'objectif - en tout cas, tel qu'il sera poursuivi par le Gouvernement -, n'est pas d'accroître les prélèvements obligatoires en 1999. C'est de les stabiliser, si possible de les faire baisser légèrement. Mais en tout cas, pas qu'ils s'accroissent."
B. Frappat : Ni de diminuer certaines taxes, comme la taxe professionnelle ?
- "Mais si, bien sûr ! Le Gouvernement va tenir ses engagements. Il avait dit, à l'occasion du budget 1998... Nous avons déjà pris des mesures fiscales, de justice fiscale ; nous avons davantage touché les patrimoines, et préservé davantage les revenus des salariés. Donc nous avons appliqué une politique raisonnable mais une politique de gauche, disons plus juste. Et nous avons annoncé que nous travaillerions dans le budget 1999 sur trois dossiers : la fiscalité locale, la fiscalité du patrimoine, la fiscalité écologique.
Depuis plusieurs mois déjà, le ministère de l'Economie et des Finances, le ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire - par exemple pour la fiscalité écologique -, d'autres ministères, travaillent sur ces questions. Nous devons arrêter nos décisions sur les recettes ; nous venons d'arrêter nos décisions sur les dépenses. Et je précise d'ailleurs, que ces lettres de plafond vont partir, pour la première fois, aussi tôt sous la Vème République. M'a-t-on dit hein ! C'est le ministère de l'Economie et des Finances qui m'a dit cela. Nous avons travaillé cette fois-ci évidemment plus tôt que la dernière fois, puisque nous étions déjà là. Mais nous avons décidé de travailler plus tôt et de travailler sérieusement, parce que ça permettra au Parlement d'avoir 8 ou même, peut-être, 15 jours de plus pour examiner le budget. Donc je pense que c'est une bonne chose.
Sur les recettes : le travail est encore en cours."
B. Frappat : Les recettes vous vous décidez fin juillet c'est ça ?
- "Le 22 juillet normalement, il devrait y avoir une communication de D. Strauss-Kahn sur ce sujet, au Conseil des ministres. Je me réunissais encore hier, samedi, longuement, avec D. Strauss-Kahn et C. Sautter - également, d'ailleurs, le matin sur l'assurance-maladie avec M. Aubry -, et D. Strauss-Kahn sera en mesure de donner des indications précises sur ce point. Il ne me revient pas de le faire aujourd'hui."
S. July : Donc vous ne parlerez pas de l'ISF ?
- "D'autant..."
S. July : Si on vous interroge sur l'ISF pour savoir : est-ce que l'assiette va être élargie ?
- "Je peux donner une tonalité si vous voulez. "
A. Duhamel : Oui, oui. Donnez une tonalité.
- "Non, ce que je veux vous dire..."
S. July : Est-ce que l'assiette va être élargie ?
- "Ce que je veux vous dire, c'est que le ministre de l'Economie et des Finances a consulté - comme je crois jamais pour un budget -, il a consulté notamment les formations de la majorité bien sûr, ça c'est normal, et de façon précise, mais il a aussi consulté les grandes organisations syndicales. Ce qui est utile. Et qui ont donné d'ailleurs - y compris sur l'ISF - des indications intéressantes. Moi je ne veux pas faire d'annonce ici ; les consultations ne sont pas terminées ; nous devons avoir aussi un travail de caractère gouvernemental et parlementaire.
J.-P. Elkabbach : La tendance ?
- "Non, simplement ce que je veux dire moi, c'est que..."
S. July : Pas la tendance. La question c'est : est-ce que l'outil de travail est inséré dedans ?
A. Duhamel : Outil de travail ou bien professionnel.
- "Ce qui est important c'est que l'on prenne de nouvelles mesures. Il y aura de mesures qui concerneront l'ISF ; et il y aura des mesures qui concerneront d'autres aspects de la fiscalité du patrimoine. Toujours dans le sens de la justice ; pour éviter aussi les tentations spéculatives ; pour éviter aussi l'évasion fiscale - ce qui se dérobe à l'impôt. Donc il y aura certainement des mesures de ce type. Je ne souhaite pas..."
B. Frappat : Pour l'évasion des capitaux tout simplement.
- "Ecoutez, nous sommes en train de réussir, au moins pour le moment - oui - notre politique économique. La croissance reprend ; des emplois se créent - particulièrement pour les jeunes - ; les chefs d'entreprise - parce que nous avons su relancer la consommation - se sont mis eux-mêmes derrière à investir ; les moteurs intérieurs de la croissance : consommation, investissement, ont pris le relais du moteur extérieur - les exportations - puisque nous subissons des contrecoups de la crise asiatique. Il faut faire très attention à cela.
Moi, mon objectif, c'est qu'on fasse reculer le chômage ; qu'on progresse sur le plan de la croissance ; qu'on distribue davantage - de façon plus égale - du pouvoir d'achat. Voilà ce qui m'intéresse. Et c'est ça qui me guidera pour cette décision comme pour d'autres."
S. July : Donc il ne faut pas prendre de décision qui entrave cette reprise de la croissance ? Toujours sur l'ISF...
- "Non, il ne le vaut mieux pas. Mais, mais, augmenter le Smic - comme nous l'avons fait -, augmenter l'allocation de rentrée scolaire - comme nous l'avons fait -, ça a été des mesures pour..."
S. July : C'est relancer la croissance, la consommation...
- "... pour la consommation, qui ont aidé la croissance. Donc, la réduction des inégalités, la sortie du chômage, la redistribution de pouvoir d'achat - par exemple : en transférant la cotisation maladie sur la CSG, qui a fait un transfert de pouvoir d'achat de 1 % pour la quasi-totalité des salariés. Ce sont des mesures de justice sociale. Ce sont des mesures qui vont dans le sens du monde du travail et qui nourrissent la croissance. Alors je crois qu'il faut conduire toute notre politique pour que, dans l'année qui vienne, nous fassions, encore et davantage, reculer l'emploi. Ca sera ça mon objectif."
S. July - A. Duhamel - J.-P. Elkabbach : Reculer le chômage, le chômage...
- "Pardon, pardon. Faire reculer le chômage. Ca sera ça mon objectif. Et puis nous prendrons des mesures dans le domaine de la fiscalité écologique. Ca paraît nécessaire. Il faut une croissance durable ; il faut une croissance plus économe de notre air, de nos terroirs. Donc nous prendrons des mesures à cet égard. Et puis..."
S. July : Sur le gazole
- "C'est possible, c'est un des points qui est examiné. Et puis de toute façon, tout ça sera progressif dans les trois champs, et notamment pour la fiscalité locale - taxe professionnelle ou taxe d'habitation - nous ferons ça progressivement. Il ne faut jamais faire de la surdose fiscale avec les Français."
C. Nay : Ca vous avez raison et les auditeurs seront d'accord avec vous. Alors on vient de vous remettre un rapport...
- "On n'a pas augmenté la TVA de deux points, hein, quand même ! Ca on ne peut pas dire que nous on l'ait fait."
C. Nay : Non, mais vous êtes bien content qu'elle ait augmenté pour...
B. Frappat : Vous ne l'avez pas rebaissée...
C. Nay : Oui, vous ne l'avez pas rebaissée non plus. Bon, mais par rapport...
- "Mais nous ferons, sans doute - en tout cas on nous le demande - des baisses ciblées de TVA."
J.-P. Elkabbach : A partir de quelle croissance ou de quels résultats, vous déciderez de baisser les impôts ? Est-ce qu'il n'y a pas un problème de principe, qui ferait que la gauche trouverait immoral ou injuste de réduire les impôts à un moment donné ?
- "Non, sûrement pas. Ca ça fait partie des idées fausses sur la gauche. C'est comme quand j'ai tenu la conférence sur la famille, et qu'un certain nombre de gens avaient l'air de s'ébaudir, du fait qu'on pouvait être de gauche et traiter des problèmes de la famille. Alors c'est peut-être pas exactement la conception de la famille que..."
B. Frappat : Que vous aviez l'an dernier...
- "Ah bon et en quoi ?"
B. Frappat : Je ne sais pas. Dans votre discours de politique générale, la première mesure concrète que vous avez annoncée - la plus précise - c'était quand même le plafonnement des allocations familiales.
- "Mais j'ai gardé exactement..."
B. Frappat : Que vous venez de supprimer !
- "Oui, mais pourquoi ?"
B. Frappat : Mais pourquoi avez-vous changé ? C'est bien d'ailleurs, vous avez plutôt changé dans le bon sens.
- "Oui. Mais vous le savez pourquoi j'ai changé, et les associations familiales l'ont dit : j'ai gardé exactement la même philosophie, à savoir que, en recourant à une autre procédure, c'est quand même le souci de l'égalité et la prise en compte des problèmes des familles les moins favorisées qui subsistent. Mais le mouvement familial m'a dit : pour le même objectif, Monsieur Le Premier ministre, nous, nous préférons - parce que c'est notre tradition, parce que c'est notre culture -..."
S. July : L'UNAF.
- "C'est l'UNAF oui, hein, H. Brin en particulier, quand il est venu me voir, avec ses collaborateurs, m'a dit : nous préférons procéder autrement. Si vous faites autrement, pour le même objectif, eh bien vous aurez plutôt un accompagnement positif qu'une protestation. Mais au nom de quel entêtement, au nom de quelle conception de la démocratie ?!..."
B. Frappat : Donc il y a eu un revirement symbolique ?
- "Mais oui, mais qui n'est pas un changement. Quant au fait de m'intéresser à la famille, eh bien cela me paraît normal pour un homme de gauche comme pour un homme de droite. Simplement, je n'ai pas une conception forcément traditionaliste de la famille. Je ne promène pas mes enfants à Saint-Nicolas du Chardonnet."
C. Nay : Quelque chose de très concret : vous venez de recevoir le rapport de Monsieur Malinvaud sur la réforme des cotisations sociales. Il y a deux formules : soit on accentue ce qu'avait amorcé la droite, c'est-à-dire la baisse pour les entreprises des cotisations pour les bas salaires, ou alors vous réformez l'assiette et vous la faites basculer sur la valeur ajoutée des entreprises. Alors, quel va être votre choix ?
- " On est en plein travail. Je vous donne des orientations générales. Mais je laisse à mes ministres le soin, dans leur champ de compétences, d'annoncer les mesures lorsqu'elles ont été décidées par le Gouvernement. Je ne suis pas du tout un Premier ministre qui cherche à ravir la vedette à ses ministres. Je suis heureux qu'ils travaillent - ils travaillent bien - ils annoncent ce qu'ils ont à annoncer et moi je suis plutôt un coordonnateur, si vous voulez, que quelqu'un qui va se précipiter pour dire à l'avance qui sera dit en temps et en heure, c'est-à-dire d'ailleurs maintenant dans assez peu de temps, mettons une quinzaine de jours. "
C. Nay : Alors si je vous demande pareillement quelle est la philosophie alternative au plan Juppé dont M. Aubry ne veut pas, quelle est-elle ?
- " Eh bien, je vais vous répondre, mais je ne suis pas obligé... "
A. Duhamel : C'est une question.
C. Nay : C'est une autre question.
- " Mais je vous répondrai là aussi de façon générale : c'est M. Aubry et B. Kouchner qui, demain, dans une conférence de presse, annonceront à la fois la méthode et nos mesures. Qu'est-ce que je peux vous dire à cet égard ? D'abord que le plan Juppé est un échec et est un triple échec.
C'est un échec technique et financier, puisqu'on se rend compte que la dérive n'a été jugulée que très provisoirement c'est un échec psychologique, puisque par la façon dont il a procédé - de façon autoritaire -, il a braqué les acteurs du système de santé. Ils l'ont ressenti comme quelqu'un qui leur imposait quelque chose, plutôt que comme quelqu'un qui voulait, avec eux, jouer le jeu de la responsabilisation pour la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, et c'est même un échec juridique, puisque les deux conventions signées l'une avec les médecins spécialistes, l'autre avec les médecins généralistes, viennent d'être successivement annulées par le Conseil d'Etat.
Alors, moi je ne dis pas que M. Juppé n'a rien fait. Je ne veux pas encourir le reproche que je fais d'une certaine façon à mon opposition, aujourd'hui : s'opposer en toutes circonstances, même sur des projets justes. Parce qu'on ne peut pas interdire à un gouvernement d'avancer des projets, et si ces projets sont justes, on ne se disqualifie pas en les votant. Qu'est-ce qui se serait produit, - pardonnez-moi, je me détourne un instant de votre question, mais j'y reviendrai -, qu'est-ce qui se serait produit si le RPR avait adopté la démarche que lui suggère M. Séguin, de s'opposer en toutes circonstances, même quand le Gouvernement a raison, même quand le Président est d'accord avec le Gouvernement, en l'appliquant par exemple aux accords de Nouméa et à la Nouvelle Calédonie ? Vous vous rendez compte, le drame !
Journaliste (?) : inaudible.
- " Non, je vais faire ce compliment parce qu'il est mérité. Mais ça prouve bien qu'on peut réagir autrement. Nous avons réussi à débroussailler en un an un dossier néo-calédonien qui n'avait pas été réglé dans les quatre années précédentes. Et j'ai la chance d'avoir l'appui du Président de la République, et je suis heureux de voir que la majorité bien sûr, mais la très très grande majorité de l'Assemblée nationale, et le Sénat aussi où est l'opposition, ont compris que c'était l'intérêt de la Nouvelle-Calédonie, l'intérêt de la France - une condition de sa réputation dans le monde -, que d'appuyer cet accord, et, demain, je serai au Congrès, à Versailles, pour, je crois, obtenir l'accord pour le projet de loi de révision constitutionnelle qu'implique le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. Ca prouve bien qu'on peut faire autrement.
Je reviens à M. Juppé. M. Juppé, à mon sens, a fait deux choses utiles : la première, c'est qu'il a reconnu publiquement, après que ses amis aient dit le contraire, y compris dans la campagne présidentielle de 1995, vous vous souvenez, - même le candidat J. Chirac, à l'époque - il a reconnu que la maîtrise des dépenses de santé était une nécessité. Et ça, je crois que c'était bon. Et il l'a fait à l'imposant à des milieux dont on dit, - je n'en sais rien - que traditionnellement, ils sont peut-être plus favorables, par leur vote, aux conservateurs. Donc, ça, c'était un acte courageux. Et, parce qu'il a pris cette décision, cela a eu un impact, et c'est ce qui explique que les dépenses de santé se soient contenues pendant environ un an. Ce n'est pas l'efficacité du plan Juppé, c'est la mesure, c'est la force, même presque la brutalité du discours. Et il est en train de se produire ce qui s'est produit pour tous les plans précédents : quand il y a eu des plans, généralement, les acteurs du secteur de santé, et particulièrement les médecins, et particulièrement les médecins libéraux ont changé leurs comportements. Mais s'il n'y a pas des instruments durables... "
B. Frappat : M. Juppé explique dans Le Figaro que le plan, vous ne l'avez pas annulé, mais vous ne l'avez pas non plus soutenu. Et donc, il s'est enlisé et que vous avez contribué à déresponsabiliser les gens qu'il avait contribué, lui, à responsabiliser.
A. Duhamel : Il s'agissait d'un article d'A. Juppé, de J. Barrot et de M. Gaymard dans Le Figaro.
- " B. Frappat exhibe un article d'A. Juppé... "
B. Frappat : Je cite, je cite.
- " Oui, oui, vous le citez. Mais vous connaissez suffisamment le problème pour savoir que la réalité n'est pas celle que décrit M. Juppé. Je réponds : les instruments mis en place par le plan Juppé étaient soit non développés - et c'est nous qui avons fini leur mise en oeuvre, comme par exemple l'informatisation - soit dévoyés dans leur principe, c'est-à-dire perçus par les médecins non pas comme une aide à leur formation, à leur information, non pas comme une volonté de partir des bonnes pratiques définies par les praticiens eux-mêmes, sur les maladies - pour dire : voilà comment on pourrait soigner pour éviter de faire des traitements différents, de multiplier les examens - mais ont été imposés. Et donc ces instruments, qu'est-ce qui se serait produit si, arrivant, alors qu'il y avait le plan Juppé, on avait dit : on oublie le plan Juppé ? Donc, nous avons été responsables en le gardant. Nous avons constaté qu'en réalité, il ne fonctionnait pas, ou bien qu'il n'était pas accepté. Alors, maintenant, nous sommes en train d'aborder l'étape suivante et c'est ce que proposera, lundi, M. Aubry avec B. Kouchner. "
A. Duhamel : Est-ce que ça veut dire que vous arrêterez, vous supprimerez le plan Juppé, qu'il est caduc et qu'il y aura une base nouvelle ? Il y aura un plan Aubry ?
- " De toute façon, il n'y a plus de base juridique pour le plan Juppé à travers les deux conventions. On va donc fonctionner sur la base d'un règlement provisoire minimum et il faudra nouer de nouvelles conventions avec les médecins. Notre politique sera d'agir à la fois sur la partie médecins, honoraires - coûts des honoraires -, et la partie médicaments. Nous le ferons ... "
Journaliste : Sur les laboratoires ?
- " Mais oui, nous le ferons en ayant la volonté de distinguer les situations. Si l'on constate qu'il y a une dérive des honoraires des radiologues ou des laboratoires, eh bien, il faut que ces professions acceptent de revenir à une norme, et sinon, soient d'une certaine façon sanctionnées pour cette dérive. Alors que si ce n'est pas le cas pour les généralistes, - et ce n'est pas le cas pour les généralistes -, ou si ce n'est pas le cas pour les infirmières, nous ne voyons pas pourquoi elles devraient être sanctionnées ou contrôlées davantage parce que des radiologues ont fait une défaillance. Alors, ce que nous voulons construire, mais je ne peux pas entrer dans le détail - M. Aubry le fera -, ce que nous voulons construire, c'est un système de maîtrise des dépenses de santé avec les praticiens, en travaillant sur la formation, en travaillant sur l'information, en les responsabilisant, mais en même temps, comme nous n'acceptons pas la dérive des dépenses de santé, nous allons, dès lundi, leur proposer des mesures. Ils en discuteront avec nous, mais en tout état de cause, ces mesures seront prises au plus tard à la fin de l'été pour répondre à cette dérive immédiate. Donc, on agit tout de suite, on ne laisse pas filer la dérive, on montre qu'on reste profondément attaché à la maîtrise des dépenses de santé, mais on essaye de construire avec les acteurs du système de santé, et avec les usagers, un système de mesures structurelles pour limiter les dépenses, parce qu'une dérive des dépenses de santé est mortelle pour la Sécurité sociale. "
S. July : C'est sur la question de la réforme de l'université. Vous aviez mis en doute, je vous cite "l'habileté" de C. Allègre dans l'application des réformes. Est-ce que vous pensez qu'il a changé sur ce plan ?
- " J'ai dit bien d'autres choses de C. Allègre. "
S. July : Bien d'autres choses, naturellement, y compris ses objectifs, mais le mot était frappant.
- " Naturellement, c'est ce mot que vous avez retenu. Je crois qu'il fait ses expériences gouvernementales. C. Allègre est un immense savant, c'est un grand intellectuel. C'est un homme pratique qui a toujours très bien organisé ce qu'il faisait. Ce n'est pas simplement un intellectuel ou un chercheur, et l'expérience gouvernementale, c'est spécifique, et il l'a fait, et je crois qu'il change. "
S. July : Et par rapport aux objectifs qu'il s'était fixés sur la question ?
- " Les objectifs sont bons, je crois, en particulier que le plan social étudiant sur lequel il a discuté, négocié, et que nous mettrons en oeuvre et pour lequel nous avons prévu des sommes importantes dans le budget 1999 ; je crois que la démarche contractuelle qu'il reprend avec les universités ; je pense que les grandes réformes qu'il conduit, celles qu'il veut conduire pour la recherche, - nous aurons très bientôt un comité interministériel sur la recherche , parce que la recherche, les nouvelles technologies c'est décisif pour l'avenir de notre pays au moins autant si ce n'est plus que les 35 heures avec les emplois-jeunes, j'en suis conscient -, eh bien, tout cela témoigne d'une démarche qui va dans la bonne direction. "
C. Nay : Vous avez fait un voyage aux Etats-Unis qui a été très remarqué, notamment par cette phrase : vous avez reconnu ce que n'avaient pas fait certains de vos amis, que les emplois créés aux Etats-Unis étaient de vrais emplois. Alors quelles recettes ramenez-vous de ce voyage et de votre rencontre avec B. Clinton, du point de vue emplois ?
- " D'abord, il y a une chose qui m'a frappé : on parlait tout à l'heure du climat en France, maintenant, et moi je disais : ça va mieux, et je marquais la différence entre la situation maintenant et la situation il y a un an et demi, non seulement en termes objectifs, vous l'avez d'ailleurs dit tout à l'heure, mais également en ce qui concerne le climat, l'état d'esprit des Français, qui ne sont plus grincheux, braqués, fermés, mais qui s'ouvrent, même s'il y a de très nombreux problèmes encore à régler, bien sûr, sur le terrain du chômage, malgré les progrès sur le chemin de la précarité, malgré la loi contre l'exclusion, il y a encore beaucoup de problèmes. Et moi ce qui m'a frappé, c'est que le regard des autres aussi sur nous a changé depuis un an, et que, si l'on regarde ce qui est écrit dans la presse internationale, si l'on regarde ce que me disent les chefs de gouvernement ou d'Etat quand je les rencontre, eh bien je pense que ce regard sur la France s'est modifié. On s'est dit : " ah ! tiens ! Elle repart, là ." C'est une attitude différente. Moi c'est quand même la première remarque que je voulais faire, puisque le regard des autres - qui ne sont pas de Sirius, mais qui sont quand même un peu plus loin que nous - est toujours intéressant.
Sur les Etats-Unis, le fait que les emplois créés aux Etats-Unis depuis six ou sept ans, sont pour bonne partie et en tout cas, majoritairement des emplois qualifiés, c'est quelque chose que j'ai dit il y a au moins deux ans. Ce n'était pas une nouveauté. Bon, peut-être que c'était agréable aux Américains de l'entendre sur leur propre sol. Il y a aussi beaucoup d'emplois précaires, il y a aussi ce message qui m'a été transmis par le Président Clinton, qui est que la croissance des inégalités, elle existe extrêmement fortement aux Etats-Unis. Et moi j'ai été frappé de voir un Président Clinton qui réagissait finalement moins comme le chef de la plus grande puissance économique mondiale - de ce que Jaurès appelait en son temps : le soleil capitaliste -, que comme un homme qui me disait : mais si vous, vous exprimez une certaine parole à Paris, si T. Blair l'exprime à Londres, si d'autres l'expriment en Europe, en disant : des communautés doivent continuer à vivre selon des valeurs, on ne peut pas être simplement dans un monde globalisé, il ne peut pas y avoir simplement la compétitivité, il ne peut y avoir qu'une partie de la société qui s'enrichit, si vous et moi, vous les leaders européens, et moi, on parle de cette façon, ça sera important pour l'avenir. C'est ça aussi le message que j'ai entendu aux Etats-Unis. Et la troisième chose qui m'a frappé aux Etats-Unis, c'est qu'aussi bien au Congrès que parmi les cercles des autorités américaines, je n'ai pas entendu la vieille litanie sur les difficultés de la relation franco-américaine. Les choses paraissaient à cet égard assez apaisées. "
J.-P. Elkabbach : "Sur un autre domaine, le Gouvernement s'est donné un long délai pour la régularisation des sans-papiers en situation irrégulière. Pour le tiers qui restait sur le carreau, et qui est soutenu par une extrême gauche activiste, vous venez de créer une nouvelle commission d'appel. D'un autre côté, certains demandent l'intervention du médiateur de la République, B. Stasi. Quel est l'objectif finalement ? Que le médiateur ou cette commission régularisent tous les sans-papiers ?"
- "Attendez, le médiateur, nous n'avons pas proposé, nous, Gouvernement, de saisir le médiateur. La question de l'entrée et du séjour des étrangers est, que je sache, une question de souveraineté nationale. Elle relève donc de l'Etat. Et c'est l'Etat qui décide. Deuxième indication, qu'il faut peut-être rappeler à un certain nombre de bons esprits, c'est qu'il y a désormais une loi, elle a été votée par le Parlement. Elle a été approuvée par l'ensemble de la majorité, ou plus exactement trois composantes de cette majorité ont voté pour, dont les très nombreux socialistes, et deux composantes se sont abstenues. Ils se sont abstenus, mais ils ne s'y sont pas opposés. Quant à ceux qui ont voté contre, à l'Assemblée nationale ou au Sénat, ce sont des hommes et des femmes de l'opposition, qui trouvaient que notre politique - à mon avis à tort - était trop généreuse. Voilà donc ce qui a été exprimé par le Parlement français. Je voudrais dire également que nous sommes dans un Etat de droit, nous ne sommes pas ici en dictature, nous ne sommes pas dans un régime autoritaire. Ce soupçon constant à l'égard de l'administration a quelque chose d'insultant. Et donc, la loi est là. On a le droit, naturellement, de manifester, de s'exprimer contre la loi. Je ne suis pas sûr qu'il soit bon de jouer avec la santé, l'intégrité physique d'hommes et de femmes qui sont dans cette situation d'irrégularité. Je ne suis pas sûr. Qu'on utilise cette arme, là encore, quand on est dans un système despotique, qui n'entend pas raison, oui - je parle de la grève de la faim, bien sûr, vous avez raison d'être clair..."
A. Duhamel : "Vous pensez qu'ils sont manipulés ?"
- "Non, non, je ne crois pas. Jamais vous me ferez m'exprimer de cette façon. Donc, n'essayons pas. Je dis simplement ce que j'ai à dire."
A. Duhamel : "Donc, ils ne sont pas manipulés."
- "Je dis simplement que nous avons pris d'abord une circulaire, puis une loi. A la suite de cette circulaire et de cette loi, 70 000 personnes, environ, hommes ou femmes, enfants parfois puisque nous avons songé au regroupement familial, qui étaient jusqu'ici - en droit en tout cas - en situation irrégulière, se trouvent maintenant confortés dans des droits. J'aimerais qu'on nous en félicite un peu plus souvent. Cela, c'est une autre chose que je voudrais dire.
Enfin, nous avons toujours dit - je l'ai dit pendant la campagne présidentielle, je l'ai dit pendant la campagne législative, je l'ai dit quand j'étais dans l'opposition, je l'ai dit dans ma déclaration de politique générale, je l'ai dit à tout moment et le ministre de l'Intérieur également - notre politique n'est pas de régulariser tous les sans-papiers, ni même tous les sans-papiers qui en font la demande. L'attitude qui consiste à nous dire : vous en avez régularisé 70 000, il en reste, mettons, 50 000 qui se sont fait connaître, alors il faut, à votre tour, les régulariser, n'est pas une attitude normale, elle n'est pas notre politique, et nous ne conduirons pas cette politique.
Donc, il n'y a pas, M. Elkabbach, une commission qui serait chargée d'examiner pour une deuxième régularisation l'ensemble de la deuxième vague qui n'a pas été régularisée. Par contre, ce que j'ai dit à des représentants d'organisations humanitaires, ou à des intellectuels, qui m'ont parfois saisi, je leur ai dit : si vous avez des cas - même des cas relativement nombreux - d'hommes et de femmes, dont vous estimez que l'administration, selon les critères qui avaient été fixés - ou peut-être même, en examinant à la marge si les critères ont été un peu trop sévères - qui ont fait la preuve de leur intégration, qui pourraient donc être régularisés, nous sommes prêts à examiner cela. Et de toute façon, des dizaines de milliers de recours ont été formés devant les préfets ou devant le ministre de l'Intérieur, ils seront examinés, et là, la commission jouera son rôle. Et moi, quand j'entends dire que des magistrats de la Cour de cassation, ou du Conseil d'Etat, ou même des Inspecteurs généraux de l'administration seraient suspects, je m'étonne. Je m'étonne quand c'est formulé par des gens dont la vocation, eux-mêmes, est de dire le droit, ou des gens qui sont des intellectuels et qui devraient donc être en cohérence intellectuelle. Donc, ce que je dis aux gens qui font des manifestations, notamment à ce troisième collectif, par exemple, qui fait une grève de la faim : ne nous mettez pas..."
Journaliste (?) : "Au temple protestant des Batignoles !"
- "Oui."
A. Duhamel : " L'anthropologue E. Terré et un certain nombre de sans-papiers."
- "Absolument. Ne nous mettez pas dans la situation où vous amalgamez tous les cas. Si vous nous demandez d'examiner de bonne foi le cas d'hommes et de femmes qui n'ont pas été traités comme ils auraient dû l'être, où l'administration a été trop rapide, où il y a eu des inégalités selon les départements, et qui pourraient être éventuellement régularisés, nous sommes prêts à le faire. Si, avec l'arme de la grève de la faim, en utilisant l'émotion, en jouant avec la santé des gens, vous essayez de nous faire, dans un collectif donné, régulariser tout le monde, y compris celui qui est là dans un atelier de travail clandestin et qui est le produit d'une filière criminelle, effectivement - comme l'a dit Chevènement - moi, je ne généralise pas, mais en même temps, cela existe - eh bien là, vous nous rendez impossible la solution des problèmes. Et je leur demande donc de revenir à une attitude cohérente, sur laquelle on peut s'entendre, qui est : on régularise de bonne foi tous ceux qui peuvent l'être. Ceux qui ne peuvent pas l'être sont traités humainement, mais ils ont vocation à revenir chez eux. Naturellement, on ne les y traînera pas de force, mais on essayera de les aider à y partir, notamment par des accords de co-développement, voilà la politique que nous conduisons."
B. Frappat : "Depuis un an, vous êtes confronté à deux cohabitations, grosso modo : la cohabitation avec le Président de la République et la cohabitation avec votre majorité plurielle. On a l'impression d'une redoutable cacophonie, actuellement, que ce soit sur l'ISF, sur les oiseaux migrateurs, même sur les sans-papiers... Est-ce qu'au fond, la cohabitation avec J. Chirac n'est pas plus facile qu'avec la gauche ?"
- "La cohabitation avec le Président de la République se déroule bien, normalement, comme elle doit se comporter. J'y veille, et je pense qu'il y est également attentif. Sur l'autre plan, il ne s'agit pas d'une cohabitation. Alors je sais bien que vous, un truc sur la chasse, les oiseaux migrateurs, cela vous paraît un événement tout à fait considérable..."
A. Duhamel : "Himalayen !"
- "Pour les Français, je crois que ce n'est pas le cas."
Journaliste (?) : "Pour les oiseaux, c'est important!"
- "Un de ceux qui est autour de cette table m'a dit, un jour - je crois que c'était S. July - il faut que vous acceptiez l'idée que la presse parle surtout des trains qui n'arrivent pas à l'heure. Eh bien,.."
S. July : "C'est une bonne définition !"
- "C'est une bonne définition, mais moi je vais vous donner la définition d'un Premier ministre. Un Premier ministre, c'est quelqu'un qui est chargé de faire marcher les trains. C'est ce que j'essaye de faire."
J: P. Elkabbach : "Pour le moment, vous les faites marcher ? Vous êtes heureux dans la fonction qui est celle que vous exercez ?"
- "J'ai l'impression que je dois être comme un joueur de l'équipe de France aujourd'hui : je suis tellement concentré que je n'ai pas le temps de prendre du plaisir à ce que je fais. Je le fais avec générosité et sérieux, mais je n'ai pas le temps de m'attarder à mes états d'âme ou à mes émotions."
J.-P. Elkabbach : "Mais c'est match après match !"
A. Duhamel : "Et question après question !"
- "Oui, m'enfin, dans une certaine continuité, et avec une tentative, quand même, de maîtriser le temps, parce que je crois que c'est extrêmement important en soi, pour bien faire mûrir les projets, pour les décider au bon moment, pour bouger quand il faut bouger - on parlait à la famille tout à l'heure - pour savoir résoudre des conflits - parce ce qu'un gouvernement ne se juge pas à sa capacité à ne pas avoir de difficultés, il y en aura toujours. Un gouvernement, cela se juge à sa capacité à résoudre, éventuellement, des difficultés. On en a eu quelques-unes, quand même, que ce soit le mouvement des transporteurs routiers, que ce soit Air France, les mouvements de chômeurs, bon, on peut regarder comment on essaye d'en sortir. Et puis, les Français, aussi, sont attachés au temps. Ils n'ont pas envie d'être dans des secousses électriques permanentes, je pense que cela les rassure, aussi, d'une certaine façon, et j'espère que cela les entraîne de se dire qu'on essaye de conduire, avec eux, les choses dans l'ordre, en les écoutant, en dialoguant quand c'est possible, et puis en décidant."
C. Nay : "Un train que vous faites marcher, il est sur des rails. Or, à partir du moment où l'euro est adopté par les onze pays, et que tous ces pays vont être concurrents, est-ce que les rails du train, cela n'est pas de faire que tout le monde aura la même politique fiscale, la même loi sociale, et la même durée légale du temps de travail ?"
A. Duhamel : "Et cela, c'est une question difficile à laquelle il faut répondre brièvement !"
- "Je crois qu'on peut y répondre brièvement. Si la réponse, c'est l'uniformité, elle est non. Et je crois que cela n'est pas nécessaire. Si la réponse, c'est l'harmonisation des politiques, elle est oui. Je crois que c'est souhaitable. Mais, nous, nous avons tout à fait intérêt à l'harmonisation de la fiscalité, parce que c'est grâce à certains paradis fiscaux que des pays comme le Luxembourg ou comme l'Irlande, opèrent actuellement des délocalisations, attirent des entreprises, et ce n'est pas normal. Les Français, pas plus que les autres peuples, les chefs d'entreprises français n'ont de raison d'accepter qu'on leur impose des règlements sur la concurrence, et qu'en même temps, on puisse avoir des systèmes fiscaux totalement différents, et qui provoquent une forme de dumping fiscal, ou par contre du dumping social, s'il s'agit, aussi, de payer moins cher. Je me réjouis que le gouvernement Blair vient d'installer un Smic en Grande-Bretagne. Cette harmonisation dans le sens du progrès, elle est dans la logique, effectivement, de l'euro : espace commercial unique, espace monétaire bientôt unifié, cela veut dire harmonisation des politiques. Cela ne veut pas du tout dire uniformité, et on le voit avec la politique française."
S. July : "C'est pour enchaîner sur la question de l'Europe sociale. Cet espace social va se développer à quel rythme, cette harmonisation sociale, que vous appelez de vos voeux, va se développer à quel rythme ?"
- "Déjà, on a - je vous l'ai dit tout à l'heure - des sommets sur l'emploi. On a pu faire instaurer, dans le Traité de Maastricht, la Charte sociale. Les problèmes de la croissance sont maintenant au centre de nos politiques. Je souhaite que le mouvement syndical, aussi, se manifeste dans la réalité européenne pour pousser de chaque côté. Le projet des 35 heures, il existe dans la vie politique italienne. Le projet des 35 heures, voire même des 32 heures, il existe dans la politique syndicale allemande. Donc, il faut aussi que les forces sociales, économiques se fassent entendre, les syndicats, mais aussi les chefs d'entreprise, sur le terrain de l'harmonisation fiscale, par exemple. Moi, j'ai été heureux de voir aux Etats-Unis que les chefs d'entreprise français qui ont participé à ce forum franco-américain ont défendu les intérêts français. Il paraît même qu'E.A. Seillière aurait dit du bien des 35 heures devant les patrons américains. Si c'est vrai - ce que je crois -..."
A. Duhamel : "C'était peut-être un problème de traduction !"
- "Non, non, c'était un signe de patriotisme !"
J.-P. Elkabbach : "Vous vous êtes fait allumer, si je peux me permettre, devant les universités d'été du RPR. M. Séguin a dit que votre modestie - je vais vite - n'est qu'une forme nouvelle de la résignation. Il trouve que la France est encalminée, que les Français sont anesthésiés, que la France s'engourdit, qu'elle perd son temps avec vous Qu'est-ce que vous lui répondez ?"
- "A mon avis, en ce moment, il ne regarde que le foot. Il ne voit pas le reste. On a parlé chômage, on a parlé baisse du chômage, on a parlé emploi, on a parlé état d'esprit des Français, on a parlé confiance, on a parlé emplois jeunes, on a parlé 35 heures, on a parlé d'une volonté au travail..."
J: P. Elkabbach : "Il ne vous comprend pas ?"
- "Je crois qu'il ne se comprend pas lui-même."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 20 décembre 2001)
- "Bonsoir."
A. Duhamel : Merci d'avoir accepté cette invitation du Club de la presse. Merci d'autant plus que vous n'abusez pas des émissions audiovisuelles et que nous nous félicitons de bénéficier de cette rareté.
Merci aussi parce que vous intervenez à un moment qui est intéressant, parce qu'une saison s'achève et qu'on vous demandera certainement d'en dresser le bilan ; parce qu'une autre se profile et qu'on voudra savoir ce que sont vos objectifs ; parce que la gauche a laissé apparaître quelques fissures récemment ; et aussi parce que la cohabitation passe pour se dérouler assez bien, en tout cas, votre image et celle de J. Chirac - ce qui est rare - sont bonnes en même temps.
On vous interrogera beaucoup sur vos réformes, vos objectifs dans le domaine social, économique, dans le domaine de l'ordre et de la sécurité ; et aussi les difficultés de la modernisation politique. Si on le peut, on vous posera une ou deux questions, à la fin, sur l'Europe sociale."
J.-P. Elkabbach : Question cocorico : avec le Mondial, les Français sont en train de vivre dans l'euphorie. Leur pays s'est organisé un événement mondial, et ils adhèrent à une équipe qui est plurielle, solidaire, qui est en train de réussir. Continuez-vous - Aymé/Jospin - à croire que la France arrivera en finale et qu'elle gagnera ?
- "C'est beaucoup de chance, parce qu'on organise un événement sportif mondial, qui est donc un événement médiatique mondial dans un stade magnifique avec des publics sympathiques - à quelques exceptions près : on pourra en parler. Et si, on n'avait pas, en ce même moment, une équipe de France à laquelle on puisse s'identifier, il manquerait quelque chose à la fête. Et qu'il y ait à la fois cet événement et cette équipe formidable - c'est-à-dire qui utilise pleinement ses moyens, tout en ayant une conscience intelligente de ses limites ; et ça, je crois que c'est Jacquet effectivement ! - Lionel-Jacquet hein, va-t-on dire ! -, qui a su le faire - ça fait que tout le monde, d'une certaine façon, est heureux."
A. Duhamel : Votre ministre et ami D. Vaillant, dans le Journal du Dimanche, ce matin, disait que vous étiez un petit peu le Zidane de la politique, parce que vous jouiez en avant et que vous jouiez collectif. Vous vous sentez un peu le Zidane de la politique en ce moment ?
- "J'ai commencé ma carrière sportive - qui a été assez longue - au foot, mais goal. Donc, je ne peux pas être un numéro dix. Mais la comparaison sportive, faite par D. Vaillant, n'est pas fausse..."
C. Nay : Il donne des coups de savate, aussi Zidane.
- "Je suis un chef d'équipe, c'est sûr. Alors ça peut-être un mélange... je suis un entraîneur-joueur, disons, voilà ! La place de Jacquet et de Zidane. Et d'ailleurs ce que j'ai trouvé formidable aussi dans la façon dont la France est unie autour de cette équipe, c'est que cette équipe était extraordinairement diverse, représentative de cette diversité de la France. Du point de vue de l'identification à des types d'hommes, à des types de cultures, et en même temps à une unité qui est pour moi la République, je trouvais que c'est une chance formidable. Et quand je voyais, le soir de la victoire contre nos amis italiens, ce qu'on appelle des blacks et des beurs, avec des drapeaux tricolores chantant la Marseillaise, et qui se réjouissaient, ça aussi ça me paraissait être des images opportunes dans la période où nous sommes."
B. Frappat : Est-ce que cette identification ne vous paraît pas excessive ? Parce qu'on pourrait très bien faire l'hypothèse de la défaite, et à ce moment-là l'identification pour le pays sera extrêmement cruelle. Est-ce que la décharge émotionnelle actuelle ne vous paraît pas disproportionnée par rapport à l'état du pays ?
- "Non ! Parce que tout le monde est conscient - l'état du pays on en parlera après - parce que, à quelques égards près, il me semble qu'il y a dans cette capacité de l'équipe de France - entendu dans tout ses sens : sportif et national - à dépasser ses limites, à reprendre un chemin en avant, quelque chose d'une coïncidence qui peut nous frapper. Nous sommes conscients que cette équipe a dépassé ce qu'on la croyait capable de faire. Elle est capable d'aller en finale, et de gagner en finale. Elle peut se faire battre mercredi par la Croatie, mais je pense que tout le monde comprend qu'elle a rempli son contrat.*
Si j'ai une tristesse à exprimer - à ce stade, parce que tout n'est pas fini, et je ne pense pas seulement à des aspects sportifs, il y a des aspects de sécurité nombreux auxquels le Gouvernement a veillé, et notamment J.-P. Chevènement, de très près depuis toutes ces semaines - j'ai deux tristesses : une, sportive et de cordialité, c'est le fait que F. Sastre, le co-organisateur avec M. Platini de cette Coupe du monde, soit mort au moment même où cette Coupe commençait. L'autre chose, c'est que D. Nivel, qui est un gendarme qui a été assassiné, massacré par des lâches, par des racistes... (inaudible) s'appliquant à ce jeune gendarme, mais par leurs autres comportements - et qui continue de lutter contre la mort. Ca c'est évidemment une tache noire sur cette Coupe. Mais comment l'évitez ?"
S. July : Le retrait du projet de réforme de la loi électorale européenne : est-ce que vous interprétez cela comme une crise de votre majorité, de votre équipe plurielle ?
- " Non, ce n'est certainement pas la première leçon qu'il faut tirer de cette épisode."
S. July : Est-ce que c'est un rejet général ?
- "C'est à mon avis, et je le regrette, la marque d'un certain conservatisme de la classe politique française, devant l'idée d'une réforme des institutions politiques, d'une modernisation de nos attitudes et de nos moeurs."
J.-P. Elkabbach : Et pourquoi y renoncer alors ?
- "Monsieur Elkabbach, je croyais que vous aviez - observateur sagace - la réponse avant de me poser la question. Il n'y a pas de majorité possible à l'Assemblée nationale pour un tel texte. Je le constate. Nous sommes dans un système parlementaire, et je retire ce texte puisque je sais à l'avance par les comportements et les annonces des forces politiques, que ce texte ne passera pas.
Chacun a son explication. L'opposition dit que c'est parce que - étant l'opposition - elle doit s'opposer, sans se préoccuper du fait que le Président de la République qui est le leader de son camp, était pour. Il s'est le premier exprimé dans cette affaire. D'une certaine façon, j'ai poursuivi, même si c'était mon idée, l'idée du Parti socialiste. Deuxièmement, nous avons eu le soin, par souci consensuel, de partir d'un texte, d'une proposition qui avait proposée par un ancien ministre du gouvernement précédent et signée par soixante députés RPR - M. Barnier, ministre des Affaires européennes. De bonne foi ! car j'ai abordé ce sujet de bonne foi. Peut-être serai-je plus attentif la prochaine fois, mais de bonne foi ! Compte tenu de ce que vous aviez écrit au lendemain des élections européennes à propos du mode de scrutin pour les européennes, dont je vous fais remarquer que sa réforme, qui faisait le consensus absolu me disait-on ; à tel point, vous vous en souvenez Monsieur July, que certains d'entre-vous, y compris vous, regrettiez que je ne l'ai pas fait avant les élections européennes. Vous avez malheureusement la réponse après. C'est que ce texte à l'Assemblée nationale est passé de très peu. Et pour le moment, nous n'en sommes qu'à la première lecture.
Nous pensions tous qu'il y avait une sorte de consensus sur l'idée de réformer le scrutin européen pour faire que, dans des très grandes circonscriptions - non pas des régions, [mais] des très grandes circonscriptions - justement pour tenir compte de la représentation des petites formations politiques, parce qu'elles y trouvaient leur place dans de très grandes circonscriptions, - sept en métropole, une pour l'Outre-mer - nous pouvions rapprocher les candidats des électeurs. Car, une des raisons de l'abstention massive au moment des européennes est liée sans doute à l'Europe, au rapport à l'Europe, mais est liée au fait qu'une liste de 87 noms dont on ne connaît généralement que le premier ou la première, n'entraîne pas. Je voulais changer cela. Toutes les forces politiques semblaient d'accord à droite, elles ont dit non par esprit d'opposition et - j'y reviendrai, si vous le voulez, plus tard..."
S. July : Vous avez eu l'occasion d'en parler avec le Chef de l'Etat ?
- "Oui, bien sûr, oui. Dans la journée même où j'ai retiré mon texte."
S. July : Est-ce que le Chef de l'Etat et vous-même, vous pensez introduire un recours, procéder autrement, ou vous abandonnez le terrain sur cette loi ?
- "Quant à la majorité, parce que je ne voudrais pas dire que seule l'opposition est en cause dans cette affaire. Ce serait de ma part, ce qui pourrait vous apparaître comme une habileté. Un certain nombre de partis de la majorité ont estimé que ce mode de scrutin ne servirait pas leurs intérêts électoraux, et on cru que nous le faisions passer parce qu'il servirait les intérêts électoraux du PS. Je crois que cette analyse est fausse. Et je donne rendez-vous à tous, aux élections européennes de 1999, je pense que certains - on murmure parfois que c'est ce qu'ils disent en privé - auront peut-être lieu de regretter de ne pas avoir voté ... (Inaudible). Il y a eu un refus, et ce qui m'importe c'est que la classe politique française, y compris mes amis, acceptent sur d'autres sujets - il va y avoir le projet de loi sur le cumul des mandats, il est passé en première lecture, il doit passer au Sénat ; il va y avoir l'instauration de la parité entre les hommes et les femmes dans la Constitution ; il va y avoir la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, les réformes de la justice - j'espère que ces démarches réformatrices du Gouvernement pour rénover nos institutions et nos moeurs politiques, ne seront pas freinées. Voilà ce que je souhaite."
C. Nay : Ce couac dans votre majorité plurielle, vous ne l'aviez pas vu venir, franchement on savait très bien que les communistes, les Verts étaient contre.
- "Pour moi, c'est un épisode. C'est un regret que j'ai pour un progrès démocratique dans notre pays, mais c'est pour moi un épisode. Vous savez ce qui est essentiel dans cette affaire - je crois aussi que c'est que les Français pensent - c'est ce que nous sommes en train de faire dans le domaine de l'économie, du social, sur d'autres terrains. Et pour faire référence à ce que disait Monsieur B. Frappat tout à l'heure, je pense que les Français peuvent se dire aujourd'hui : ça va mieux. Ca c'est important ! Ca va mieux.
Si vous regardez quelle était la situation il y a un an et demi, nos concitoyens étaient désorientés, étaient presque interloqués par la politique que leur proposaient les dirigeants d'alors. Ils ne voyaient pas le rapport entre ce qu'on leur avait dit dans la campagne présidentielle et la politique qui était conduite. Au moins, peut-on dire aujourd'hui, un peu plus d'un an après la prise de responsabilités par la nouvelle majorité et le Gouvernement que je dirige, qu'il y a un rapport entre ce qui a été dit et ce qui est fait. C'est bien la politique qui a été annoncée, qui est conduite. Il y a donc une lisibilité de la politique. Si j'ajoute que nous nous efforçons de gouverner sérieusement, c'est-à-dire à la fois de gérer le pays parce que c'est notre tâche, et en même temps d'exprimer la volonté nécessaire pour avancer sur des dossiers décisifs - souvenez-vous cette phrase célèbre de F. Mitterrand avec laquelle j'avais d'ailleurs pris ma distance, à propos du chômage, disant : on a tout essayé - ; eh bien, nous, nous avons essayé encore, considérant que c'était possible. C'est les mesures sur la diminution du travail, c'est les emplois-jeunes, naturellement c'est toute la politique..."
S. July : La diminution du temps ! de travail.
- "Le passage à 35 heures, diminution du temps de travail ; ce sont les emplois-jeunes ; c'est tout l'effort dans les nouvelles technologies ; c'est la politique européenne ; et c'est naturellement la façon de conduire la politique économique pour accompagner la croissance, et je dirais même, la créer."
J.-P. Elkabbach : Vous ne vous demandez donc pas, chaque matin, avant chaque grande décision, chaque réforme, comment vont voter ou suivront vos alliés. Jusqu'où vous leur laissez une liberté d'expression et d'action dans leurs domaines, tout en restant vos alliés ?
- "Je crois que c'est environ 46 projets de loi qui ont été votés depuis un an. Entre parenthèses, c'est quand même un travail important et sérieux sur des champs fondamentaux, économiques et sociaux : la loi sur les exclusions qui va reprendre en deuxième lecture. La loi sur les 35 heures qui a été promulguée par le Président de la République le 13 juin ; les décrets d'application étaient prêts, les circulaires étaient prêtes. M. Aubry et le ministre de l'Economie et des Finances veillent à ce que les négociations désormais s'ouvrent partout avec les entreprises, parce que c'est ça notre démarche. La loi permettant la mise en place des emplois-jeunes. Nous sommes arrivés déjà, environ à 100 000. Et ça joue un rôle important - pas exclusif - mais important dans la baisse très forte du chômage des jeunes depuis sept mois. Puis, un certain nombre de mesures sur le plan des réformes institutionnelles ; je pense aux réformes sur la justice, je pense au code de déontologie dans la police. S'attaquer de près à des dossiers essentiels : M. Aubry aura l'occasion demain, avec B. Kouchner de dire quelles seront les mesures que nous allons proposer, et la démarche, pour éviter la dérive des dépenses de santé - peut-être voudrez-vous y revenir.
Demain D. Strauss-Kahn sera au Conseil de l'Euro qui va tenir sa deuxième réunion. Cette instance existe parce que la France l'a voulu, avec le nouveau Gouvernement, pour faire une instance de coordination des politiques économiques puisque nous aurons une monnaie unique. Nous travaillons le futur sommet de Vienne européen sur l'emploi - là encore des sommets sur l'emploi ! C'est le nouveau Gouvernement qui l'a proposé à nos partenaires. On a, en Europe, non seulement une perspective de croissance plus forte, un retour à un certain optimisme, une différence qui s'instaure et qui fait dire aux gens : après tout, notre modèle économique et social, fait d'équilibres, qu'on disait archaïque, il tient peut-être mieux la route que le modèle des nouveaux dragons, avec la crise asiatique. Mais, un certain nombre des thèmes que l'on discute aujourd'hui dans les sommets européens - l'emploi, la croissance économique, un certain équilibre entre le social et l'économie - c'est le nouveau gouvernement français et quelques autres partenaires naturellement, qui a contribué à relancer ces thèmes. Vraiment, on est en action dans tous les domaines, avec une volonté qui, naturellement, ne nous affranchit pas de la connaissance du réel : les contraintes de la compétition, de la globalisation. Voilà un peu comment on essaye d'agir."
C. Nay : Vous dites : Ca va mieux, et c'est le sentiment général. Il n'empêche. Les Français commencent à se poser une question vous concernant. Vous venez de donner l'arbitrage pour le budget 1999, et vous avez décidé que les dépenses publiques augmentaient de 1 %. C'est peu vous me direz, mais c'est beaucoup quand certains disent : est-ce qu'on ne va pas recommencer l'expérience 1988, où il y a eu un temps de croissance, avec M. Rocard, et il n'en a pas profité pour faire les réformes de structures qu'ont fait tous les autres pays européens - concernant les retraites, le poids du service public - et que la France ne fait pas, et elle prend du retard ? Voilà la question qu'on se pose.
B. Frappat : 1 % de plus que l'inflation.
C. Nay : Voilà.. Précision de B. Frappat
- "Je ne le pense pas mais la réponse sera apportée par l'avenir. Donc là nous sommes tous en interrogation. Moi je ne le crois pas. C'est-à-dire que je pense que notre politique va réussir. Pourquoi nous avons fait ce choix ? Effectivement, j'ai signé aujourd'hui même, ce dimanche, après une dernière réunion avec les ministres compétents, les lettres plafond comme on dit. C'est-à-dire les lettres que j'envoie à chacun des ministres pour leur dire : voilà - après les arbitrages budgétaires auxquels ils ont été totalement associés, parce que c'est la méthode de ce Gouvernement -, voilà l'enveloppe à l'intérieur de laquelle vous devrez travailler. Et puis il font naturellement des choix libres, en collaboration avec le ministère du Budget et avec le ministère de l'Economie et des Finances. Nous avons décidé une augmentation d'1 % en volume des dépenses au-delà de l'inflation. Ce qui est une augmentation modérée, mais peut-être un tout petit peu plus forte que certains de nos partenaires.
B. Frappat : C'est 16 milliards de francs, 1 %.
- "Oui. Dans le même temps, dans le même temps, nous avons veillé à réduire - conformément aux obligations de la monnaie unique et des critères dits de Maastricht -, veillé à réduire nos déficits publics. Et nos déficits publics pour le budget 1998 étaient prévus à 3 % de la richesse nationale, de ce qu'on appelle le PIB. [Nos déficits publics] vont être réduits - déficits locaux, déficits de l'Etat, déficit de la Sécurité sociale, parce que tout ça va ensemble - vont être réduits à 2,3. Donc nous opérons en même temps une vraie décélération. Nous tenons à réduire le déficit budgétaire pour ne pas nourrir la dette - qui pèserait sur nos enfants. Mais pourquoi néanmoins n'avons-nous pas voulu réduire les dépenses, les mettre à zéro ou les réduire ? Parce que, en raison je crois de la politique menée par nos prédécesseurs, qui par leur politique économique ont deux fois cassé la reprise - M. Balladur en 1994, et M. Juppé après 1995, en contradiction avec la politique annoncée dans la campagne présidentielle -, ont mis la France en léger retard, de cycle comme on dit, par rapport aux autres pays. Et donc, je pense qu'il faut consolider la croissance ; être bien sûr qu'elle est là, avant de se dire déjà qu'étant-là on peut prendre des mesures d'équilibre. Donc nous essayons de maintenir les deux choses ensemble. Je crois que cette politique est sage. Mais l'année prochaine, pour le budget de l'an 2000, nous allons poursuivre la diminution des déficits publics. C'est nécessaire effectivement pendant cette période de croissance."
B. Frappat : Deux questions très précises à propos du budget 1999 : est-ce que, oui ou non, la question des fonds d'épargne-retraite sera, figurera, dans le projet de loi sur le budget 1999 ? Ce qu'on appelle à droite, les fonds de pension, et à gauche, les fonds d'épargne-retraite. Et deuxième question : est-ce que la pression fiscale diminuera en 1999 ou bien est-ce qu'il faudra encore attendre l'an 2000 comme j'ai cru le comprendre à l'instant ?
- "D'abord pour la pression fiscale, c'est une réponse qui ne peut-être abordée qu'à la fin de l'année. Ce n'est pas parce que vous prenez des engagements dans un budget que vous êtes sûr du résultat sur la pression fiscale. En fonction de la croissance économique, vous pouvez avoir plus de rentrées fiscales. D'un côté ça vous aide à faire votre budget - vous avez un moindre déficit -, d'un autre côté, si ça rentre mieux, d'une certaine façon, la pression fiscale peut apparaître comme plus forte. La croissance aidant, ça va. L'objectif - en tout cas, tel qu'il sera poursuivi par le Gouvernement -, n'est pas d'accroître les prélèvements obligatoires en 1999. C'est de les stabiliser, si possible de les faire baisser légèrement. Mais en tout cas, pas qu'ils s'accroissent."
B. Frappat : Ni de diminuer certaines taxes, comme la taxe professionnelle ?
- "Mais si, bien sûr ! Le Gouvernement va tenir ses engagements. Il avait dit, à l'occasion du budget 1998... Nous avons déjà pris des mesures fiscales, de justice fiscale ; nous avons davantage touché les patrimoines, et préservé davantage les revenus des salariés. Donc nous avons appliqué une politique raisonnable mais une politique de gauche, disons plus juste. Et nous avons annoncé que nous travaillerions dans le budget 1999 sur trois dossiers : la fiscalité locale, la fiscalité du patrimoine, la fiscalité écologique.
Depuis plusieurs mois déjà, le ministère de l'Economie et des Finances, le ministère de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire - par exemple pour la fiscalité écologique -, d'autres ministères, travaillent sur ces questions. Nous devons arrêter nos décisions sur les recettes ; nous venons d'arrêter nos décisions sur les dépenses. Et je précise d'ailleurs, que ces lettres de plafond vont partir, pour la première fois, aussi tôt sous la Vème République. M'a-t-on dit hein ! C'est le ministère de l'Economie et des Finances qui m'a dit cela. Nous avons travaillé cette fois-ci évidemment plus tôt que la dernière fois, puisque nous étions déjà là. Mais nous avons décidé de travailler plus tôt et de travailler sérieusement, parce que ça permettra au Parlement d'avoir 8 ou même, peut-être, 15 jours de plus pour examiner le budget. Donc je pense que c'est une bonne chose.
Sur les recettes : le travail est encore en cours."
B. Frappat : Les recettes vous vous décidez fin juillet c'est ça ?
- "Le 22 juillet normalement, il devrait y avoir une communication de D. Strauss-Kahn sur ce sujet, au Conseil des ministres. Je me réunissais encore hier, samedi, longuement, avec D. Strauss-Kahn et C. Sautter - également, d'ailleurs, le matin sur l'assurance-maladie avec M. Aubry -, et D. Strauss-Kahn sera en mesure de donner des indications précises sur ce point. Il ne me revient pas de le faire aujourd'hui."
S. July : Donc vous ne parlerez pas de l'ISF ?
- "D'autant..."
S. July : Si on vous interroge sur l'ISF pour savoir : est-ce que l'assiette va être élargie ?
- "Je peux donner une tonalité si vous voulez. "
A. Duhamel : Oui, oui. Donnez une tonalité.
- "Non, ce que je veux vous dire..."
S. July : Est-ce que l'assiette va être élargie ?
- "Ce que je veux vous dire, c'est que le ministre de l'Economie et des Finances a consulté - comme je crois jamais pour un budget -, il a consulté notamment les formations de la majorité bien sûr, ça c'est normal, et de façon précise, mais il a aussi consulté les grandes organisations syndicales. Ce qui est utile. Et qui ont donné d'ailleurs - y compris sur l'ISF - des indications intéressantes. Moi je ne veux pas faire d'annonce ici ; les consultations ne sont pas terminées ; nous devons avoir aussi un travail de caractère gouvernemental et parlementaire.
J.-P. Elkabbach : La tendance ?
- "Non, simplement ce que je veux dire moi, c'est que..."
S. July : Pas la tendance. La question c'est : est-ce que l'outil de travail est inséré dedans ?
A. Duhamel : Outil de travail ou bien professionnel.
- "Ce qui est important c'est que l'on prenne de nouvelles mesures. Il y aura de mesures qui concerneront l'ISF ; et il y aura des mesures qui concerneront d'autres aspects de la fiscalité du patrimoine. Toujours dans le sens de la justice ; pour éviter aussi les tentations spéculatives ; pour éviter aussi l'évasion fiscale - ce qui se dérobe à l'impôt. Donc il y aura certainement des mesures de ce type. Je ne souhaite pas..."
B. Frappat : Pour l'évasion des capitaux tout simplement.
- "Ecoutez, nous sommes en train de réussir, au moins pour le moment - oui - notre politique économique. La croissance reprend ; des emplois se créent - particulièrement pour les jeunes - ; les chefs d'entreprise - parce que nous avons su relancer la consommation - se sont mis eux-mêmes derrière à investir ; les moteurs intérieurs de la croissance : consommation, investissement, ont pris le relais du moteur extérieur - les exportations - puisque nous subissons des contrecoups de la crise asiatique. Il faut faire très attention à cela.
Moi, mon objectif, c'est qu'on fasse reculer le chômage ; qu'on progresse sur le plan de la croissance ; qu'on distribue davantage - de façon plus égale - du pouvoir d'achat. Voilà ce qui m'intéresse. Et c'est ça qui me guidera pour cette décision comme pour d'autres."
S. July : Donc il ne faut pas prendre de décision qui entrave cette reprise de la croissance ? Toujours sur l'ISF...
- "Non, il ne le vaut mieux pas. Mais, mais, augmenter le Smic - comme nous l'avons fait -, augmenter l'allocation de rentrée scolaire - comme nous l'avons fait -, ça a été des mesures pour..."
S. July : C'est relancer la croissance, la consommation...
- "... pour la consommation, qui ont aidé la croissance. Donc, la réduction des inégalités, la sortie du chômage, la redistribution de pouvoir d'achat - par exemple : en transférant la cotisation maladie sur la CSG, qui a fait un transfert de pouvoir d'achat de 1 % pour la quasi-totalité des salariés. Ce sont des mesures de justice sociale. Ce sont des mesures qui vont dans le sens du monde du travail et qui nourrissent la croissance. Alors je crois qu'il faut conduire toute notre politique pour que, dans l'année qui vienne, nous fassions, encore et davantage, reculer l'emploi. Ca sera ça mon objectif."
S. July - A. Duhamel - J.-P. Elkabbach : Reculer le chômage, le chômage...
- "Pardon, pardon. Faire reculer le chômage. Ca sera ça mon objectif. Et puis nous prendrons des mesures dans le domaine de la fiscalité écologique. Ca paraît nécessaire. Il faut une croissance durable ; il faut une croissance plus économe de notre air, de nos terroirs. Donc nous prendrons des mesures à cet égard. Et puis..."
S. July : Sur le gazole
- "C'est possible, c'est un des points qui est examiné. Et puis de toute façon, tout ça sera progressif dans les trois champs, et notamment pour la fiscalité locale - taxe professionnelle ou taxe d'habitation - nous ferons ça progressivement. Il ne faut jamais faire de la surdose fiscale avec les Français."
C. Nay : Ca vous avez raison et les auditeurs seront d'accord avec vous. Alors on vient de vous remettre un rapport...
- "On n'a pas augmenté la TVA de deux points, hein, quand même ! Ca on ne peut pas dire que nous on l'ait fait."
C. Nay : Non, mais vous êtes bien content qu'elle ait augmenté pour...
B. Frappat : Vous ne l'avez pas rebaissée...
C. Nay : Oui, vous ne l'avez pas rebaissée non plus. Bon, mais par rapport...
- "Mais nous ferons, sans doute - en tout cas on nous le demande - des baisses ciblées de TVA."
J.-P. Elkabbach : A partir de quelle croissance ou de quels résultats, vous déciderez de baisser les impôts ? Est-ce qu'il n'y a pas un problème de principe, qui ferait que la gauche trouverait immoral ou injuste de réduire les impôts à un moment donné ?
- "Non, sûrement pas. Ca ça fait partie des idées fausses sur la gauche. C'est comme quand j'ai tenu la conférence sur la famille, et qu'un certain nombre de gens avaient l'air de s'ébaudir, du fait qu'on pouvait être de gauche et traiter des problèmes de la famille. Alors c'est peut-être pas exactement la conception de la famille que..."
B. Frappat : Que vous aviez l'an dernier...
- "Ah bon et en quoi ?"
B. Frappat : Je ne sais pas. Dans votre discours de politique générale, la première mesure concrète que vous avez annoncée - la plus précise - c'était quand même le plafonnement des allocations familiales.
- "Mais j'ai gardé exactement..."
B. Frappat : Que vous venez de supprimer !
- "Oui, mais pourquoi ?"
B. Frappat : Mais pourquoi avez-vous changé ? C'est bien d'ailleurs, vous avez plutôt changé dans le bon sens.
- "Oui. Mais vous le savez pourquoi j'ai changé, et les associations familiales l'ont dit : j'ai gardé exactement la même philosophie, à savoir que, en recourant à une autre procédure, c'est quand même le souci de l'égalité et la prise en compte des problèmes des familles les moins favorisées qui subsistent. Mais le mouvement familial m'a dit : pour le même objectif, Monsieur Le Premier ministre, nous, nous préférons - parce que c'est notre tradition, parce que c'est notre culture -..."
S. July : L'UNAF.
- "C'est l'UNAF oui, hein, H. Brin en particulier, quand il est venu me voir, avec ses collaborateurs, m'a dit : nous préférons procéder autrement. Si vous faites autrement, pour le même objectif, eh bien vous aurez plutôt un accompagnement positif qu'une protestation. Mais au nom de quel entêtement, au nom de quelle conception de la démocratie ?!..."
B. Frappat : Donc il y a eu un revirement symbolique ?
- "Mais oui, mais qui n'est pas un changement. Quant au fait de m'intéresser à la famille, eh bien cela me paraît normal pour un homme de gauche comme pour un homme de droite. Simplement, je n'ai pas une conception forcément traditionaliste de la famille. Je ne promène pas mes enfants à Saint-Nicolas du Chardonnet."
C. Nay : Quelque chose de très concret : vous venez de recevoir le rapport de Monsieur Malinvaud sur la réforme des cotisations sociales. Il y a deux formules : soit on accentue ce qu'avait amorcé la droite, c'est-à-dire la baisse pour les entreprises des cotisations pour les bas salaires, ou alors vous réformez l'assiette et vous la faites basculer sur la valeur ajoutée des entreprises. Alors, quel va être votre choix ?
- " On est en plein travail. Je vous donne des orientations générales. Mais je laisse à mes ministres le soin, dans leur champ de compétences, d'annoncer les mesures lorsqu'elles ont été décidées par le Gouvernement. Je ne suis pas du tout un Premier ministre qui cherche à ravir la vedette à ses ministres. Je suis heureux qu'ils travaillent - ils travaillent bien - ils annoncent ce qu'ils ont à annoncer et moi je suis plutôt un coordonnateur, si vous voulez, que quelqu'un qui va se précipiter pour dire à l'avance qui sera dit en temps et en heure, c'est-à-dire d'ailleurs maintenant dans assez peu de temps, mettons une quinzaine de jours. "
C. Nay : Alors si je vous demande pareillement quelle est la philosophie alternative au plan Juppé dont M. Aubry ne veut pas, quelle est-elle ?
- " Eh bien, je vais vous répondre, mais je ne suis pas obligé... "
A. Duhamel : C'est une question.
C. Nay : C'est une autre question.
- " Mais je vous répondrai là aussi de façon générale : c'est M. Aubry et B. Kouchner qui, demain, dans une conférence de presse, annonceront à la fois la méthode et nos mesures. Qu'est-ce que je peux vous dire à cet égard ? D'abord que le plan Juppé est un échec et est un triple échec.
C'est un échec technique et financier, puisqu'on se rend compte que la dérive n'a été jugulée que très provisoirement c'est un échec psychologique, puisque par la façon dont il a procédé - de façon autoritaire -, il a braqué les acteurs du système de santé. Ils l'ont ressenti comme quelqu'un qui leur imposait quelque chose, plutôt que comme quelqu'un qui voulait, avec eux, jouer le jeu de la responsabilisation pour la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, et c'est même un échec juridique, puisque les deux conventions signées l'une avec les médecins spécialistes, l'autre avec les médecins généralistes, viennent d'être successivement annulées par le Conseil d'Etat.
Alors, moi je ne dis pas que M. Juppé n'a rien fait. Je ne veux pas encourir le reproche que je fais d'une certaine façon à mon opposition, aujourd'hui : s'opposer en toutes circonstances, même sur des projets justes. Parce qu'on ne peut pas interdire à un gouvernement d'avancer des projets, et si ces projets sont justes, on ne se disqualifie pas en les votant. Qu'est-ce qui se serait produit, - pardonnez-moi, je me détourne un instant de votre question, mais j'y reviendrai -, qu'est-ce qui se serait produit si le RPR avait adopté la démarche que lui suggère M. Séguin, de s'opposer en toutes circonstances, même quand le Gouvernement a raison, même quand le Président est d'accord avec le Gouvernement, en l'appliquant par exemple aux accords de Nouméa et à la Nouvelle Calédonie ? Vous vous rendez compte, le drame !
Journaliste (?) : inaudible.
- " Non, je vais faire ce compliment parce qu'il est mérité. Mais ça prouve bien qu'on peut réagir autrement. Nous avons réussi à débroussailler en un an un dossier néo-calédonien qui n'avait pas été réglé dans les quatre années précédentes. Et j'ai la chance d'avoir l'appui du Président de la République, et je suis heureux de voir que la majorité bien sûr, mais la très très grande majorité de l'Assemblée nationale, et le Sénat aussi où est l'opposition, ont compris que c'était l'intérêt de la Nouvelle-Calédonie, l'intérêt de la France - une condition de sa réputation dans le monde -, que d'appuyer cet accord, et, demain, je serai au Congrès, à Versailles, pour, je crois, obtenir l'accord pour le projet de loi de révision constitutionnelle qu'implique le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie. Ca prouve bien qu'on peut faire autrement.
Je reviens à M. Juppé. M. Juppé, à mon sens, a fait deux choses utiles : la première, c'est qu'il a reconnu publiquement, après que ses amis aient dit le contraire, y compris dans la campagne présidentielle de 1995, vous vous souvenez, - même le candidat J. Chirac, à l'époque - il a reconnu que la maîtrise des dépenses de santé était une nécessité. Et ça, je crois que c'était bon. Et il l'a fait à l'imposant à des milieux dont on dit, - je n'en sais rien - que traditionnellement, ils sont peut-être plus favorables, par leur vote, aux conservateurs. Donc, ça, c'était un acte courageux. Et, parce qu'il a pris cette décision, cela a eu un impact, et c'est ce qui explique que les dépenses de santé se soient contenues pendant environ un an. Ce n'est pas l'efficacité du plan Juppé, c'est la mesure, c'est la force, même presque la brutalité du discours. Et il est en train de se produire ce qui s'est produit pour tous les plans précédents : quand il y a eu des plans, généralement, les acteurs du secteur de santé, et particulièrement les médecins, et particulièrement les médecins libéraux ont changé leurs comportements. Mais s'il n'y a pas des instruments durables... "
B. Frappat : M. Juppé explique dans Le Figaro que le plan, vous ne l'avez pas annulé, mais vous ne l'avez pas non plus soutenu. Et donc, il s'est enlisé et que vous avez contribué à déresponsabiliser les gens qu'il avait contribué, lui, à responsabiliser.
A. Duhamel : Il s'agissait d'un article d'A. Juppé, de J. Barrot et de M. Gaymard dans Le Figaro.
- " B. Frappat exhibe un article d'A. Juppé... "
B. Frappat : Je cite, je cite.
- " Oui, oui, vous le citez. Mais vous connaissez suffisamment le problème pour savoir que la réalité n'est pas celle que décrit M. Juppé. Je réponds : les instruments mis en place par le plan Juppé étaient soit non développés - et c'est nous qui avons fini leur mise en oeuvre, comme par exemple l'informatisation - soit dévoyés dans leur principe, c'est-à-dire perçus par les médecins non pas comme une aide à leur formation, à leur information, non pas comme une volonté de partir des bonnes pratiques définies par les praticiens eux-mêmes, sur les maladies - pour dire : voilà comment on pourrait soigner pour éviter de faire des traitements différents, de multiplier les examens - mais ont été imposés. Et donc ces instruments, qu'est-ce qui se serait produit si, arrivant, alors qu'il y avait le plan Juppé, on avait dit : on oublie le plan Juppé ? Donc, nous avons été responsables en le gardant. Nous avons constaté qu'en réalité, il ne fonctionnait pas, ou bien qu'il n'était pas accepté. Alors, maintenant, nous sommes en train d'aborder l'étape suivante et c'est ce que proposera, lundi, M. Aubry avec B. Kouchner. "
A. Duhamel : Est-ce que ça veut dire que vous arrêterez, vous supprimerez le plan Juppé, qu'il est caduc et qu'il y aura une base nouvelle ? Il y aura un plan Aubry ?
- " De toute façon, il n'y a plus de base juridique pour le plan Juppé à travers les deux conventions. On va donc fonctionner sur la base d'un règlement provisoire minimum et il faudra nouer de nouvelles conventions avec les médecins. Notre politique sera d'agir à la fois sur la partie médecins, honoraires - coûts des honoraires -, et la partie médicaments. Nous le ferons ... "
Journaliste : Sur les laboratoires ?
- " Mais oui, nous le ferons en ayant la volonté de distinguer les situations. Si l'on constate qu'il y a une dérive des honoraires des radiologues ou des laboratoires, eh bien, il faut que ces professions acceptent de revenir à une norme, et sinon, soient d'une certaine façon sanctionnées pour cette dérive. Alors que si ce n'est pas le cas pour les généralistes, - et ce n'est pas le cas pour les généralistes -, ou si ce n'est pas le cas pour les infirmières, nous ne voyons pas pourquoi elles devraient être sanctionnées ou contrôlées davantage parce que des radiologues ont fait une défaillance. Alors, ce que nous voulons construire, mais je ne peux pas entrer dans le détail - M. Aubry le fera -, ce que nous voulons construire, c'est un système de maîtrise des dépenses de santé avec les praticiens, en travaillant sur la formation, en travaillant sur l'information, en les responsabilisant, mais en même temps, comme nous n'acceptons pas la dérive des dépenses de santé, nous allons, dès lundi, leur proposer des mesures. Ils en discuteront avec nous, mais en tout état de cause, ces mesures seront prises au plus tard à la fin de l'été pour répondre à cette dérive immédiate. Donc, on agit tout de suite, on ne laisse pas filer la dérive, on montre qu'on reste profondément attaché à la maîtrise des dépenses de santé, mais on essaye de construire avec les acteurs du système de santé, et avec les usagers, un système de mesures structurelles pour limiter les dépenses, parce qu'une dérive des dépenses de santé est mortelle pour la Sécurité sociale. "
S. July : C'est sur la question de la réforme de l'université. Vous aviez mis en doute, je vous cite "l'habileté" de C. Allègre dans l'application des réformes. Est-ce que vous pensez qu'il a changé sur ce plan ?
- " J'ai dit bien d'autres choses de C. Allègre. "
S. July : Bien d'autres choses, naturellement, y compris ses objectifs, mais le mot était frappant.
- " Naturellement, c'est ce mot que vous avez retenu. Je crois qu'il fait ses expériences gouvernementales. C. Allègre est un immense savant, c'est un grand intellectuel. C'est un homme pratique qui a toujours très bien organisé ce qu'il faisait. Ce n'est pas simplement un intellectuel ou un chercheur, et l'expérience gouvernementale, c'est spécifique, et il l'a fait, et je crois qu'il change. "
S. July : Et par rapport aux objectifs qu'il s'était fixés sur la question ?
- " Les objectifs sont bons, je crois, en particulier que le plan social étudiant sur lequel il a discuté, négocié, et que nous mettrons en oeuvre et pour lequel nous avons prévu des sommes importantes dans le budget 1999 ; je crois que la démarche contractuelle qu'il reprend avec les universités ; je pense que les grandes réformes qu'il conduit, celles qu'il veut conduire pour la recherche, - nous aurons très bientôt un comité interministériel sur la recherche , parce que la recherche, les nouvelles technologies c'est décisif pour l'avenir de notre pays au moins autant si ce n'est plus que les 35 heures avec les emplois-jeunes, j'en suis conscient -, eh bien, tout cela témoigne d'une démarche qui va dans la bonne direction. "
C. Nay : Vous avez fait un voyage aux Etats-Unis qui a été très remarqué, notamment par cette phrase : vous avez reconnu ce que n'avaient pas fait certains de vos amis, que les emplois créés aux Etats-Unis étaient de vrais emplois. Alors quelles recettes ramenez-vous de ce voyage et de votre rencontre avec B. Clinton, du point de vue emplois ?
- " D'abord, il y a une chose qui m'a frappé : on parlait tout à l'heure du climat en France, maintenant, et moi je disais : ça va mieux, et je marquais la différence entre la situation maintenant et la situation il y a un an et demi, non seulement en termes objectifs, vous l'avez d'ailleurs dit tout à l'heure, mais également en ce qui concerne le climat, l'état d'esprit des Français, qui ne sont plus grincheux, braqués, fermés, mais qui s'ouvrent, même s'il y a de très nombreux problèmes encore à régler, bien sûr, sur le terrain du chômage, malgré les progrès sur le chemin de la précarité, malgré la loi contre l'exclusion, il y a encore beaucoup de problèmes. Et moi ce qui m'a frappé, c'est que le regard des autres aussi sur nous a changé depuis un an, et que, si l'on regarde ce qui est écrit dans la presse internationale, si l'on regarde ce que me disent les chefs de gouvernement ou d'Etat quand je les rencontre, eh bien je pense que ce regard sur la France s'est modifié. On s'est dit : " ah ! tiens ! Elle repart, là ." C'est une attitude différente. Moi c'est quand même la première remarque que je voulais faire, puisque le regard des autres - qui ne sont pas de Sirius, mais qui sont quand même un peu plus loin que nous - est toujours intéressant.
Sur les Etats-Unis, le fait que les emplois créés aux Etats-Unis depuis six ou sept ans, sont pour bonne partie et en tout cas, majoritairement des emplois qualifiés, c'est quelque chose que j'ai dit il y a au moins deux ans. Ce n'était pas une nouveauté. Bon, peut-être que c'était agréable aux Américains de l'entendre sur leur propre sol. Il y a aussi beaucoup d'emplois précaires, il y a aussi ce message qui m'a été transmis par le Président Clinton, qui est que la croissance des inégalités, elle existe extrêmement fortement aux Etats-Unis. Et moi j'ai été frappé de voir un Président Clinton qui réagissait finalement moins comme le chef de la plus grande puissance économique mondiale - de ce que Jaurès appelait en son temps : le soleil capitaliste -, que comme un homme qui me disait : mais si vous, vous exprimez une certaine parole à Paris, si T. Blair l'exprime à Londres, si d'autres l'expriment en Europe, en disant : des communautés doivent continuer à vivre selon des valeurs, on ne peut pas être simplement dans un monde globalisé, il ne peut pas y avoir simplement la compétitivité, il ne peut y avoir qu'une partie de la société qui s'enrichit, si vous et moi, vous les leaders européens, et moi, on parle de cette façon, ça sera important pour l'avenir. C'est ça aussi le message que j'ai entendu aux Etats-Unis. Et la troisième chose qui m'a frappé aux Etats-Unis, c'est qu'aussi bien au Congrès que parmi les cercles des autorités américaines, je n'ai pas entendu la vieille litanie sur les difficultés de la relation franco-américaine. Les choses paraissaient à cet égard assez apaisées. "
J.-P. Elkabbach : "Sur un autre domaine, le Gouvernement s'est donné un long délai pour la régularisation des sans-papiers en situation irrégulière. Pour le tiers qui restait sur le carreau, et qui est soutenu par une extrême gauche activiste, vous venez de créer une nouvelle commission d'appel. D'un autre côté, certains demandent l'intervention du médiateur de la République, B. Stasi. Quel est l'objectif finalement ? Que le médiateur ou cette commission régularisent tous les sans-papiers ?"
- "Attendez, le médiateur, nous n'avons pas proposé, nous, Gouvernement, de saisir le médiateur. La question de l'entrée et du séjour des étrangers est, que je sache, une question de souveraineté nationale. Elle relève donc de l'Etat. Et c'est l'Etat qui décide. Deuxième indication, qu'il faut peut-être rappeler à un certain nombre de bons esprits, c'est qu'il y a désormais une loi, elle a été votée par le Parlement. Elle a été approuvée par l'ensemble de la majorité, ou plus exactement trois composantes de cette majorité ont voté pour, dont les très nombreux socialistes, et deux composantes se sont abstenues. Ils se sont abstenus, mais ils ne s'y sont pas opposés. Quant à ceux qui ont voté contre, à l'Assemblée nationale ou au Sénat, ce sont des hommes et des femmes de l'opposition, qui trouvaient que notre politique - à mon avis à tort - était trop généreuse. Voilà donc ce qui a été exprimé par le Parlement français. Je voudrais dire également que nous sommes dans un Etat de droit, nous ne sommes pas ici en dictature, nous ne sommes pas dans un régime autoritaire. Ce soupçon constant à l'égard de l'administration a quelque chose d'insultant. Et donc, la loi est là. On a le droit, naturellement, de manifester, de s'exprimer contre la loi. Je ne suis pas sûr qu'il soit bon de jouer avec la santé, l'intégrité physique d'hommes et de femmes qui sont dans cette situation d'irrégularité. Je ne suis pas sûr. Qu'on utilise cette arme, là encore, quand on est dans un système despotique, qui n'entend pas raison, oui - je parle de la grève de la faim, bien sûr, vous avez raison d'être clair..."
A. Duhamel : "Vous pensez qu'ils sont manipulés ?"
- "Non, non, je ne crois pas. Jamais vous me ferez m'exprimer de cette façon. Donc, n'essayons pas. Je dis simplement ce que j'ai à dire."
A. Duhamel : "Donc, ils ne sont pas manipulés."
- "Je dis simplement que nous avons pris d'abord une circulaire, puis une loi. A la suite de cette circulaire et de cette loi, 70 000 personnes, environ, hommes ou femmes, enfants parfois puisque nous avons songé au regroupement familial, qui étaient jusqu'ici - en droit en tout cas - en situation irrégulière, se trouvent maintenant confortés dans des droits. J'aimerais qu'on nous en félicite un peu plus souvent. Cela, c'est une autre chose que je voudrais dire.
Enfin, nous avons toujours dit - je l'ai dit pendant la campagne présidentielle, je l'ai dit pendant la campagne législative, je l'ai dit quand j'étais dans l'opposition, je l'ai dit dans ma déclaration de politique générale, je l'ai dit à tout moment et le ministre de l'Intérieur également - notre politique n'est pas de régulariser tous les sans-papiers, ni même tous les sans-papiers qui en font la demande. L'attitude qui consiste à nous dire : vous en avez régularisé 70 000, il en reste, mettons, 50 000 qui se sont fait connaître, alors il faut, à votre tour, les régulariser, n'est pas une attitude normale, elle n'est pas notre politique, et nous ne conduirons pas cette politique.
Donc, il n'y a pas, M. Elkabbach, une commission qui serait chargée d'examiner pour une deuxième régularisation l'ensemble de la deuxième vague qui n'a pas été régularisée. Par contre, ce que j'ai dit à des représentants d'organisations humanitaires, ou à des intellectuels, qui m'ont parfois saisi, je leur ai dit : si vous avez des cas - même des cas relativement nombreux - d'hommes et de femmes, dont vous estimez que l'administration, selon les critères qui avaient été fixés - ou peut-être même, en examinant à la marge si les critères ont été un peu trop sévères - qui ont fait la preuve de leur intégration, qui pourraient donc être régularisés, nous sommes prêts à examiner cela. Et de toute façon, des dizaines de milliers de recours ont été formés devant les préfets ou devant le ministre de l'Intérieur, ils seront examinés, et là, la commission jouera son rôle. Et moi, quand j'entends dire que des magistrats de la Cour de cassation, ou du Conseil d'Etat, ou même des Inspecteurs généraux de l'administration seraient suspects, je m'étonne. Je m'étonne quand c'est formulé par des gens dont la vocation, eux-mêmes, est de dire le droit, ou des gens qui sont des intellectuels et qui devraient donc être en cohérence intellectuelle. Donc, ce que je dis aux gens qui font des manifestations, notamment à ce troisième collectif, par exemple, qui fait une grève de la faim : ne nous mettez pas..."
Journaliste (?) : "Au temple protestant des Batignoles !"
- "Oui."
A. Duhamel : " L'anthropologue E. Terré et un certain nombre de sans-papiers."
- "Absolument. Ne nous mettez pas dans la situation où vous amalgamez tous les cas. Si vous nous demandez d'examiner de bonne foi le cas d'hommes et de femmes qui n'ont pas été traités comme ils auraient dû l'être, où l'administration a été trop rapide, où il y a eu des inégalités selon les départements, et qui pourraient être éventuellement régularisés, nous sommes prêts à le faire. Si, avec l'arme de la grève de la faim, en utilisant l'émotion, en jouant avec la santé des gens, vous essayez de nous faire, dans un collectif donné, régulariser tout le monde, y compris celui qui est là dans un atelier de travail clandestin et qui est le produit d'une filière criminelle, effectivement - comme l'a dit Chevènement - moi, je ne généralise pas, mais en même temps, cela existe - eh bien là, vous nous rendez impossible la solution des problèmes. Et je leur demande donc de revenir à une attitude cohérente, sur laquelle on peut s'entendre, qui est : on régularise de bonne foi tous ceux qui peuvent l'être. Ceux qui ne peuvent pas l'être sont traités humainement, mais ils ont vocation à revenir chez eux. Naturellement, on ne les y traînera pas de force, mais on essayera de les aider à y partir, notamment par des accords de co-développement, voilà la politique que nous conduisons."
B. Frappat : "Depuis un an, vous êtes confronté à deux cohabitations, grosso modo : la cohabitation avec le Président de la République et la cohabitation avec votre majorité plurielle. On a l'impression d'une redoutable cacophonie, actuellement, que ce soit sur l'ISF, sur les oiseaux migrateurs, même sur les sans-papiers... Est-ce qu'au fond, la cohabitation avec J. Chirac n'est pas plus facile qu'avec la gauche ?"
- "La cohabitation avec le Président de la République se déroule bien, normalement, comme elle doit se comporter. J'y veille, et je pense qu'il y est également attentif. Sur l'autre plan, il ne s'agit pas d'une cohabitation. Alors je sais bien que vous, un truc sur la chasse, les oiseaux migrateurs, cela vous paraît un événement tout à fait considérable..."
A. Duhamel : "Himalayen !"
- "Pour les Français, je crois que ce n'est pas le cas."
Journaliste (?) : "Pour les oiseaux, c'est important!"
- "Un de ceux qui est autour de cette table m'a dit, un jour - je crois que c'était S. July - il faut que vous acceptiez l'idée que la presse parle surtout des trains qui n'arrivent pas à l'heure. Eh bien,.."
S. July : "C'est une bonne définition !"
- "C'est une bonne définition, mais moi je vais vous donner la définition d'un Premier ministre. Un Premier ministre, c'est quelqu'un qui est chargé de faire marcher les trains. C'est ce que j'essaye de faire."
J: P. Elkabbach : "Pour le moment, vous les faites marcher ? Vous êtes heureux dans la fonction qui est celle que vous exercez ?"
- "J'ai l'impression que je dois être comme un joueur de l'équipe de France aujourd'hui : je suis tellement concentré que je n'ai pas le temps de prendre du plaisir à ce que je fais. Je le fais avec générosité et sérieux, mais je n'ai pas le temps de m'attarder à mes états d'âme ou à mes émotions."
J.-P. Elkabbach : "Mais c'est match après match !"
A. Duhamel : "Et question après question !"
- "Oui, m'enfin, dans une certaine continuité, et avec une tentative, quand même, de maîtriser le temps, parce que je crois que c'est extrêmement important en soi, pour bien faire mûrir les projets, pour les décider au bon moment, pour bouger quand il faut bouger - on parlait à la famille tout à l'heure - pour savoir résoudre des conflits - parce ce qu'un gouvernement ne se juge pas à sa capacité à ne pas avoir de difficultés, il y en aura toujours. Un gouvernement, cela se juge à sa capacité à résoudre, éventuellement, des difficultés. On en a eu quelques-unes, quand même, que ce soit le mouvement des transporteurs routiers, que ce soit Air France, les mouvements de chômeurs, bon, on peut regarder comment on essaye d'en sortir. Et puis, les Français, aussi, sont attachés au temps. Ils n'ont pas envie d'être dans des secousses électriques permanentes, je pense que cela les rassure, aussi, d'une certaine façon, et j'espère que cela les entraîne de se dire qu'on essaye de conduire, avec eux, les choses dans l'ordre, en les écoutant, en dialoguant quand c'est possible, et puis en décidant."
C. Nay : "Un train que vous faites marcher, il est sur des rails. Or, à partir du moment où l'euro est adopté par les onze pays, et que tous ces pays vont être concurrents, est-ce que les rails du train, cela n'est pas de faire que tout le monde aura la même politique fiscale, la même loi sociale, et la même durée légale du temps de travail ?"
A. Duhamel : "Et cela, c'est une question difficile à laquelle il faut répondre brièvement !"
- "Je crois qu'on peut y répondre brièvement. Si la réponse, c'est l'uniformité, elle est non. Et je crois que cela n'est pas nécessaire. Si la réponse, c'est l'harmonisation des politiques, elle est oui. Je crois que c'est souhaitable. Mais, nous, nous avons tout à fait intérêt à l'harmonisation de la fiscalité, parce que c'est grâce à certains paradis fiscaux que des pays comme le Luxembourg ou comme l'Irlande, opèrent actuellement des délocalisations, attirent des entreprises, et ce n'est pas normal. Les Français, pas plus que les autres peuples, les chefs d'entreprises français n'ont de raison d'accepter qu'on leur impose des règlements sur la concurrence, et qu'en même temps, on puisse avoir des systèmes fiscaux totalement différents, et qui provoquent une forme de dumping fiscal, ou par contre du dumping social, s'il s'agit, aussi, de payer moins cher. Je me réjouis que le gouvernement Blair vient d'installer un Smic en Grande-Bretagne. Cette harmonisation dans le sens du progrès, elle est dans la logique, effectivement, de l'euro : espace commercial unique, espace monétaire bientôt unifié, cela veut dire harmonisation des politiques. Cela ne veut pas du tout dire uniformité, et on le voit avec la politique française."
S. July : "C'est pour enchaîner sur la question de l'Europe sociale. Cet espace social va se développer à quel rythme, cette harmonisation sociale, que vous appelez de vos voeux, va se développer à quel rythme ?"
- "Déjà, on a - je vous l'ai dit tout à l'heure - des sommets sur l'emploi. On a pu faire instaurer, dans le Traité de Maastricht, la Charte sociale. Les problèmes de la croissance sont maintenant au centre de nos politiques. Je souhaite que le mouvement syndical, aussi, se manifeste dans la réalité européenne pour pousser de chaque côté. Le projet des 35 heures, il existe dans la vie politique italienne. Le projet des 35 heures, voire même des 32 heures, il existe dans la politique syndicale allemande. Donc, il faut aussi que les forces sociales, économiques se fassent entendre, les syndicats, mais aussi les chefs d'entreprise, sur le terrain de l'harmonisation fiscale, par exemple. Moi, j'ai été heureux de voir aux Etats-Unis que les chefs d'entreprise français qui ont participé à ce forum franco-américain ont défendu les intérêts français. Il paraît même qu'E.A. Seillière aurait dit du bien des 35 heures devant les patrons américains. Si c'est vrai - ce que je crois -..."
A. Duhamel : "C'était peut-être un problème de traduction !"
- "Non, non, c'était un signe de patriotisme !"
J.-P. Elkabbach : "Vous vous êtes fait allumer, si je peux me permettre, devant les universités d'été du RPR. M. Séguin a dit que votre modestie - je vais vite - n'est qu'une forme nouvelle de la résignation. Il trouve que la France est encalminée, que les Français sont anesthésiés, que la France s'engourdit, qu'elle perd son temps avec vous Qu'est-ce que vous lui répondez ?"
- "A mon avis, en ce moment, il ne regarde que le foot. Il ne voit pas le reste. On a parlé chômage, on a parlé baisse du chômage, on a parlé emploi, on a parlé état d'esprit des Français, on a parlé confiance, on a parlé emplois jeunes, on a parlé 35 heures, on a parlé d'une volonté au travail..."
J: P. Elkabbach : "Il ne vous comprend pas ?"
- "Je crois qu'il ne se comprend pas lui-même."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 20 décembre 2001)