Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur les aspects positifs de l'élargissement de l'Union Européenne pour les agriculteurs français, sur le maintien des aides agricoles dans le cadre de la PAC, sur l'aide au développement consentie par les pays d'Europe aux pays du Tiers-monde, Paris le 22 janvier 2003.

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Circonstance : Journée de réflexion de La Société des Agriculteurs de France à Paris le 22 janvier 2003

Texte intégral


Monsieur le Président,
Monsieur le Vice-président,
Monsieur le Directeur Général,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
C'est avec beaucoup de plaisir que je viens conclure votre journée de réflexion et de débats.
Je tiens à vous remercier tout particulièrement, Monsieur le Président, d'avoir consacré l'édition 2003 de vos entretiens de la rue d'Athènes à l'élargissement de l'Union Européenne, car ce sujet mérite plus que jamais un travail commun de pédagogie et de rappel des faits.
Comme certains l'ont évoqué ici, cet événement inquiète autant qu'il réjouit les agriculteurs de France. Parmi les dix candidats, certains sont de grands pays agricoles, efficaces et compétitifs. Le poids du secteur primaire dans leur population active est souvent beaucoup plus important qu'en Europe de l'Ouest. Leur besoin d'adaptation pour assimiler l'acquis communautaire nécessitera un véritable effort de solidarité de la part des Quinze, comme ce fut, en son temps, le cas pour la Grèce, et avant elle pour l'Espagne et le Portugal.
A tous ceux à qui ces défis inspirent inquiétude ou angoisse, je voudrais répondre clairement. Car l'élargissement de l'Union Européenne en 2004 constitue une chance historique pour les agriculteurs européens et notre politique agricole commune :
- Ces pays offrent, d'abord, d'importants débouchés aux agriculteurs et aux entrepreneurs que vous êtes. Le marché unique passe avec l'élargissement de 380 à 455 millions de consommateurs. Les exportations française vont se trouver favorisées par la disparition des droits de douane. Or, nous savons que ceux-ci demeurent élevés : 75 % pour l'exportation de cognac en Pologne et plus de 30 % pour l'exportation de légumes en conserve en Pologne ou en Hongrie. Certains d'entre vous n'ont d'ailleurs pas attendu que l'élargissement soit coulé dans le marbre des traités européens pour prendre pied sur ces nouveaux marchés. Je pense notamment aux filières du lait, du sucre, ou des céréales. Dois-je préciser que les exportations de l'Union Européenne vers les PECO sont, en valeur, trois fois plus élevées que les importations qui en proviennent ? Les filières structurées demeurent, en effet, rares dans les PECO. Leurs produits agroalimentaires ne satisfont pas les exigences des consommateurs occidentaux, notamment en matière de conditionnement. Malgré des investissements occidentaux importants, les industries agro-alimentaires nécessitent toujours d'importants efforts de modernisation et de rationalisation. De même, les accords commerciaux préférentiels conclus pendant la phase de pré-adhésion avec les PECO se sont toujours avérés favorables à l'Union Européenne.
- L'adhésion fait également naître de nombreuses opportunités de partenariat : La diminution des risques juridiques et des fluctuations de changes laissent ainsi présager une augmentation des investissements communautaires dans le domaine agroalimentaire. L'élargissement aux PECO devrait également favoriser l'ouverture de marchés situés encore plus à l'est, notamment en Russie ou en Ukraine.
- Nous partageons enfin - les relations que j'ai nouées avec les gouvernements des pays candidats m'ont permis de le constater
- une même vision d'une agriculture à la fois " écologiquement responsable et économiquement forte ", soucieuse de sa compétitivité autant que de son impact sur l'équilibre social, territorial et culturel des populations et des territoires. Ces pays constitueront donc des alliés de choix pour débattre de l'avenir de la PAC.
A moyen terme, donc, l'élargissement est une chance. En prenant mes fonctions au mois de mai dernier, j'ai décidé d'accompagner au mieux la période délicate, mais temporaire, de l'entrée de ces pays dans les méandres complexes et financièrement sensibles de notre Politique Agricole Commune. Comme je l'avais annoncé alors, ma méthode fut d'écouter, de voir, de comprendre. Une fois ma conviction établie, je suis parti la défendre auprès de mes homologues. Et je suis particulièrement heureux que la France ait finalement su convaincre ses partenaires que l'élargissement ne devait pas buter sur les égoïsmes budgétaires et que la politique agricole commune et les agriculteurs ne devaient pas lui être sacrifiés.
Comme vous le savez, l'accord de Bruxelles, conclu en octobre dernier, a garanti que des aides directes seront progressivement octroyées, jusqu'en 2013, aux futurs Etats membres, sans que le montant des aides prévues pour les Quinze ne soit mis à contribution. Le calendrier adopté à Berlin en 1999 sera donc respecté et le premier pilier de la PAC se trouve ainsi conforté.
Alors que la cadre financier de la PAC est stabilisé, il nous faut désormais répondre aux propositions que le Commissaire FISCHLER vient de faire connaître pour en améliorer le fonctionnement. Et dans les négociations qui s'engagent sur la revue à mi-parcours, j'entends - j'ai eu de multiples occasions de le dire - que notre position soit ferme, mais pas fermée.
Notre position demeurera ferme sur le découplage, car cette orientation me paraît dangereuse à la fois pour la pérennité d'une politique agricole européenne et pour la conduite des négociations à l'Organisation Mondiale du Commerce, où l'Europe doit promouvoir son modèle agricole et non assister, en spectateur, à son démantèlement, sous la pression des autres grandes puissances agricoles. Mon objectif, dans les semaines et les mois qui viennent, est de convaincre la Commission, en liaison avec nos partenaires européens, et notamment l'Allemagne et l'Espagne, que proposer au Conseil de décider le découplage total des aides est une voie sans issue, pour l'avenir de la PAC comme pour les négociations devant l'OMC.
Mais je souhaite que notre position ne soit pas pour autant fermée. Nous sommes, en effet, les premiers à dénoncer certains dysfonctionnements dont les agriculteurs français sont parfois les victimes. Dès ma prise de fonctions, j'ai dit mon souhait de contribuer activement et positivement à une véritable revue à mi-parcours, s'appliquant à la fois aux Organisations Communes de Marché qui fonctionnent mal et au second pilier, dont les mécanismes doivent être revus, si nous voulons doter l'Union Européenne d'une politique de développement rural efficace. Enfin, nous devons, à l'avenir, rendre toute sa force au principe de préférence communautaire et simplifier les dispositifs de développement rural, en réduisant le niveau des cofinancements nationaux et en élargissant les actions finançables. Les crédits que l'Union Européenne consacre aux actions du second pilier font, en effet, l'objet d'une regrettable sous-consommation, que la mise en uvre de la modulation avait encore aggravée. 215 millions d'euros prélevés en 2000 et 2001 sur le premier pilier n'ont pas encore trouvé d'emploi dans le cadre des actions du deuxième pilier et demeurent bloqués sur les comptes du FEOGA. Sachez que nous négocions avec la Commission pour que cette somme soit débloquée le plus rapidement possible et vienne abonder le financement des actions du deuxième pilier.
Sur les autres sujets de la revue à mi-parcours, le couple franco-allemand sera - soyez en sûrs - le principal moteur de sa mise en oeuvre. Nous en célébrons, d'ailleurs, aujourd'hui même le quarantième anniversaire, ce qui fait, avec la présentation du papier FISCHLER et ... peut-être ... vos entretiens de la rue d'Athènes, que le 22 janvier restera gravé dans l'histoire de notre agriculture !
Pour des personnes de notre génération, cet événement représente, je crois, un moment d'émotion et de reconnaissance envers nos aînés, qui sur les cendres de l'Europe détruite par la guerre ont jeté les fondations de la construction européenne. Chacun sait qu'elle fut depuis lors un gage de paix et de prospérité pour notre continent. Et c'est avec la pleine conscience des responsabilités qui nous incombent que nous nous attacherons à travailler, ensemble, à la construction de cette Europe élargie, dont nous ne mesurons pas encore pleinement tous les défis. Français et Allemands, nous prêcherons également de concert s'agissant des discussions devant l'Organisation Mondiale du Commerce. Trop d'idéologie a gouverné cette question du développement. Je sais que l'Allemagne et la France sauront aborder ce sujet avec courage et clairvoyance, ainsi que le souci constant de favoriser le développement des pays les plus pauvres et de briser l'alliance contre nature que les pays du groupe de Cairns ont noué avec eux. A l'occasion des sommets de Doha ou de Johannesburg, ces pays ont fait la preuve de leur talent à dissimuler leurs motivations commerciales derrière la cause des pays les plus pauvres, comme le Bostwana, le Mali ou le Burkina-Faso.
Sachez que je n'entends pas me laisser abuser par leur discours. L'Union Européenne dispose de nombreux arguments à faire valoir et il est plus que temps pour elle d'engager un puissant travail d'explication auprès des pays du Sud. Car, il faut voir les choses en face. Qui donne le plus - même si ce n'est jamais assez - pour l'aide au développement ? C'est l'Europe. Quels sont les pays dont les marchés sont les plus ouverts aux produits agricoles du tiers-monde ? Ce sont encore les pays d'Europe, et non ceux du groupe de Cairns.
Qu'il faille prendre en main le développement agricole de l'Afrique et du tiers-monde est évident ; mais cessons de nous laisser tyranniser par le " politiquement correct ", qui veut faire de la PAC la cause des problèmes de développement de l'Afrique.
En m'exprimant il y a une quinzaine de jours, à Oxford, devant l'Oxford Farming Conference, j'ai eu la confirmation de la pente qu'à force de renoncements, il nous faut aujourd'hui remonter. Il est temps que l'Europe ose faire entendre sa voix, notamment auprès des pays en développement, et je ne doute pas que, si nous en avons la volonté politique, nous remonterons le courant d'une pensée unique, qui depuis dix ans, s'est développé sur le lit de nos renoncements...
Mesdames, Messieurs,
Comme vous le voyez, les fronts sont nombreux, et nous devons aujourd'hui unir nos forces pour remporter ce combat pour la défense et la promotion de notre modèle agricole.
Aussi, est-ce avec une ferveur particulière que je vous invite à prendre toute votre part à la réflexion qu'il nous faut conduire sur ces questions. Je sais que la Société des agriculteurs de France s'est toujours distinguée pour la qualité de ses débats sur l'esprit d'entreprise, la compétitivité de l'agriculture française ou les conditions de son rayonnement dans le monde. Je serai donc particulièrement attentif à vos analyses et à vos observations, dans ce domaine comme dans tous ceux qu'il vous paraîtra utile d'évoquer. C'est d'ailleurs en pleine conformité avec l'une de vos recommandations les plus pressantes que j'ai - selon les souhaits du Président de la République et du Premier ministre - engagé mon Ministère dans un effort de simplification administrative. L'ensemble des Ministres du gouvernement oeuvrent, d'ailleurs, au niveau de leur département, à libérer les énergies du carcan des règles et des procédures, qui, ces dernières années, a trop souvent freiné les initiatives pourtant essentielles à l'essor de notre économie. Dans cette démarche, l'Agriculture trouvera sa place et ne restera pas au bord du chemin.
Sur le plan international, deux questions se posent aujourd'hui avec une acuité particulière : Comment retrouver des cours mondiaux plus conformes aux conditions de production ? Et par quel mécanisme intégrer les spécificités de l'agriculture au grand mouvement de libéralisation du commerce mondial ? Je vous invite à prendre une part active au débat qui se développe sur ces questions. A ces interrogations stratégiques auxquelles les agriculteurs français devront répondre cette année, s'il veulent agir et non subir, je sais que vous apporterez les réponses que vous inspireront la réussite et l'expérience. Je sais pouvoir compter sur votre concours et votre éclairage. Sachez, de votre côté, que vous pourrez toujours compter sur mon écoute la plus vigilante aux préoccupations dont vous voudrez bien me faire part, et sur ma détermination à y apporter des solutions favorisant l'avenir de notre agriculture.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 23 janvier 2003)